MAGMA
Une grande claque

Olympia. Samedi 17 octobre 1970, 18 h 30. Vous n'y étiez pas et c'est dommage.

Dans la salle, un millier de copains, l'équipe de "Hair", les noctambules du "Rock and roll Circus", et une délégation de "Best" ; c'était gagné d'avance pour les musiciens de Magma. Mais de ça on s'en fout ; on le savait, que ce serait fantastique, extra, le pied, etc., mais vous, vous l'ignoriez et vous, vous n'êtes pas venus. Et c'en est triste tellement c'est bête.

Magma, c'est une grande claque à travers la figure ; une gifle magistrale à tous les groupes français d'abord, qui peuvent désormais changer de métier. Et n'allez pas me dire que "Magma n'est qu'un genre de musique pop" ; Magma, c'est la musique et c'est tout.

J'ai envie d'arrêter cette prose ici, mais j'ai pitié de votre ignorance. Bien qu'il soit difficile d'exprimer par des mots que seuls le cœur et les sens peuvent ressentir en face d'un tel spectacle.
Jamais aucun nom de groupe ne s'est trouvé aussi adéquat quant à la musique qu'il joue ; c'est du free-pop, du free-jazz, du hard-rock, du rock, c'est toutes les étiquettes que vous voudrez bien coller, mais vous n'avez jamais entendu cela. Et pourtant la formation est relativement classique ; un piano, un saxo ténor, une clarinette ou une flûte, une trompette ou des bongos, un guitariste efficace, discret et sachant se servir de la wah-wah à bon escient (c'est rare), un bassiste de première bourre, un chanteur tout sauf de charme, et… Christian Vander.

Leur double album sorti chez Philips, en avril dernier, m'avait laissé pantois, mais sur scène, c'est une toute autre dimension. Sur le rideau de fond, en plein milieu se détache un gros soleil rouge sang, tous les musiciens ont un costume foncé à franges qui vire du vert au bleu suivant l'inspiration de l'éclairagiste, de service, excepté Klaus, le chanteur, impressionnant avec ses cheveux noirs et longs qui tombent sur une soutane immaculée du plus bel effet.

Magma a joué tous les morceaux de son disque (qui n'en forment qu'un en réalité) avec seulement une pause de cinq trop longues minutes. Magma a joué Kobaïa, Magma est parti pour Kobaïa, Magma nous a entraînés vers cette planète, nous avons été un millier à le suivre et quelques-uns à y parvenir. Si vous avez la joie (ô combien, à chaque fois, renouvelée !) de posséder le disque, vous connaissez le thème de Kobaïa ; sinon, eh bien, achetez-le immédiatement. Non mais, vous ne croyez pas que je vais tout vous raconter ! Mais auparavant, finissez quand même l'article, vous me ferez plaisir.

La musique de Magma est indéfinissable et totalement indescriptible ; et ceci n'est point péjoratif, bien au contraire, elle m'évite une analyse profonde que je laisse aux sociologues scribouillards de la "pop music". Des suites de mélodies ambiguës, des riffs très brefs, de courts soli, etc., non, c'est décidément impossible, il faut le voir, il faut l'écouter, il faut ressentir. Il faut surtout admirer le meilleur batteur existant, Christian Vander, véritable catalyseur de Magma, lançant les thèmes, arrêtant la machine, relançant le tout avec une dextérité et une force peu communes.

Et puis, il y a le langage employé, la seule ombre au tableau pour certains peut-être. C'est une langue de leur cru, comme la musique, qui tient à la fois du rugissement du fauve, du cri d'oiseaux hystériques et du bourdonnement de la jungle. Klaus Blasquiz chante magnifiquement, d'une voix éraillée et suraiguë, littéralement "parti" pour ce voyage vers Kobaïa, la planète inconnue.

Magma nous a procuré une joie qu'aucune musique à l'heure actuelle ne peut nous donner, la joie d'avoir entendu le sublime, la joie d'avoir assisté à un spectacle inoubliable, la joie de savoir que l'on peut écouter enfin autre chose que de la soupe.

Sans "joint" d'aucune sorte, Magma nous a fait parvenir jusqu'à Kobaïa ; et c'est très beau, Kobaïa.

Un bien fade hors-d'œuvre nous était proposé ce jour-là, avant la venue de Magma. Le Voyage, lui, ne nous a pas menés très loin (c'est facile, d'accord, mais c'est tellement bon), et malgré Magma, ce groupe composé de… (voir l'article de leur fan Hervé Muller) nous a tout de même laissé une agréable impression. A part un bassiste inexistant et un planteur de clous à la batterie (tous deux Américains, tiens, curieux), les voix sont bien en place, le guitariste se défend pas mal, le sax et la flûte ont beaucoup écouté Roland Kirk, mais l'ensemble est décidément bancal. Sans basse ni batterie, c'est John Mayall's "Turning Point ", sans le maître, bien entendu. Que Voyage trouve une rythmique à la "Cactus" et on pourra recauser.

Vous continuerez "Best" plus tard ; allez vite écouter Magma.

Jean-Noël OGOUZ.
Best n° 29 - Décembre 1970

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