MAGMA
"Kobaïa"

Chronique d'Emmanuel GRAY
Jazz Hot n° 264 - Septembre 1970

Dissipons dès maintenant toute équivoque : MAGMA n'est pas un orchestre de jazz - et ne prétend pas l'être. C'est un groupe "pop". Il n'est pourtant pas question, à "Jazz Hot", de concurrencer les revues spécialisées dans la pop music. Nous voudrions simplement attirer l'attention des amateurs sur cette formation particulièrement originale, parce que, entre autres, elle comprend quelques-uns des jeunes jazzmen de la génération montante.

MAGMA c'est, d'abord, Christian Vander. Je crois que Maurice Cullaz a eu, naguère, l'occasion de nous parler de ce batteur, à l'époque où il jouait avec Mal Waldron au "Chat qui Pêche", puis à Antibes pendant le Festival de 1969. Christian Vander que les musiciens de Miles allaient chercher tous les soirs, après les concerts, pour jouer jusqu'au matin. Vander est donc la "tête", le leader du groupe. Il y a un peu moins d'un an, il réunissait quelques musiciens qui acceptaient de consacrer tout leur temps à des répétitions quotidiennes, afin de jouer sa musique. Au cours des semaines, quelques solistes s'ajoutèrent au groupe, d'autres furent remplacés.

En avril ils sont huit qui signent le premier enregistrement de MAGMA chez Philips. C'est, d'emblée, un double album. La présentation de la pochette peut surprendre : le groupe est présenté comme une sorte de secte qui, suivant un schéma de science-fiction dont la musique suit l'itinéraire, quitte la terre à bord d'un vaisseau spatial pour rejoindre une planète de paix nommée "Kobaïa". Passons. Cet argument futuriste s'accepterait cependant mieux s'il ne prenait une teinte passablement paranoïaque... Mais il s'agit ici de musique. Christian Vander a signé six des dix thèmes enregistrés. Il va sans dire que, d'une part, l'emprise de ses conceptions est sensible dans tout l'album et, d'autre part, il s'agit autant d'un travail collectif. La cohésion du groupe est très impressionnante, surtout si l'on tient compte de la rapidité avec laquelle les rythmes les plus variés s'enchaînent. A ce sujet, MAGMA est beaucoup moins prisonnier du fameux binaire que de nombreux autres groupes "pop".

La musique est structurée avec le plus grand soin : il n'y a en tout que deux courts passages d'improvisation sur les deux disques. On regrettera peut-être que certains thèmes n'aient pu être exploités par les solistes, mais l'impression de solidité que laisse l'ensemble en est encore plus forte.

Christian Vander a bâti sa musique autour de sa batterie, empruntant ici au free-jazz, là au rhythm'n'blues, là encore à la musique contemporaine (il dit s'inspirer, entre autres, de Stravinsky), et mène l'ensemble avec une autorité que tous ceux qui l'ont entendu jouer du jazz en direct ont déjà pu remarquer - Klaus Blasquiz est le chanteur ("Tous les chants et vocaux sont en Kobaïa, notre propre langue", dixit la pochette), il possède un timbre de voix, un peu voilé, particulièrement attachant. Teddy Lasry et Richard Raux, flûtes et saxophones, comptent parmi les jeunes jazzmen qu'on voudrait entendre plus souvent. François Cahen, le pianiste, a peut-être un jeu moins sûr, mais son toucher est original et il fait sonner les harmonies d'une façon personnelle. Claude Engel est un remarquable guitariste, aussi à l'aise et inventif sur un instrument amplifié que sur une guitare sèche. Francis Moze est très solide à la basse. Enfin, Alain Charlery, discret à la trompette (prise de son ?), double Vander aux percussions sur certains morceaux.

Incontestablement, le groupe a réussi à trouver un son différent de ce que l'on entend habituellement. D'autre part la précision d'exécution des difficiles compositions de Vander donne la mesure de la qualité très "professionnelle" du travail. C'est cette qualité que des mois entiers de répétitions ont permis au groupe d'atteindre - chose hélas trop rare chez les musiciens français.

Un groupe très au point, qui compte de fortes individualités et qui joue une musique personnelle... amateurs de jazz, voilà une occasion de sortir de votre ghetto.

[retour liste des interviews]