Lettre de MagmaCher Alessandrini, en réponse à ton article R & F août 70 : J'ai souvent remarqué le manque d'informations et de sérieux de nombreux critiques musicaux. J'ai presque l'impression quand tu écris sur Magma, que tu n'en as jamais écouté la musique. En plus, tu fais un travail de destruction pour le moment inutile, vu nos difficultés.
1°, Richard Raux, Christian Vander et moi-même ne nous sommes jamais illustrés dans le free-jazz. Musiciens de jazz, nous jouions du hard-bop, plus dérivé de Coltrane et Miles Davis que de Archie Shepp. C'est à partir d'ailleurs d'une critique radicale du free-jazz (de tout ce qu'il permettait de médiocrité : Archie Shepp joue vraiment avec n'importe qui maintenant) que nous avons décidé de travailler à une musique nouvelle. Ceci nous a demandé huit mois de répétitions journalières, une sélection difficile de musiciens aussi bien sur leurs qualités techniques que sur leur esprit et leur volonté réelle de faire autre chose. Pas n'importe quoi, mais quelque chose de réellement senti, car rien n'est plus odieux que le manque de sincérité. Ceci ne fut pas sans mal.
2° Parlons du côté commercial. J'espère vivement que Magma deviendra "commercial" au bon sens du terme car nous n'avons pas envie de travailler pour une élite d'initiés et seul le fait d'avoir une audience vous donne la possibilité de vous exprimer. Chaque musicien du groupe a répété à temps plein pendant huit mois, sans pendant ce temps gagner sa vie. Le groupe a refusé de rentrer chez les impresarii, "marchands de soupe" qui alimentent un marché particulièrement pourri si bien que, depuis sa création, Magma a joué 4 fois en tout et pour tout sans l'ombre d'une "affaire" en vue (donc tu vois que le fait de jouer tous les soirs...). Les morceaux sont longs (car ils ont été ainsi conçus) ce qui en exclut tout passage radio. Il est possible que si cette situation durait (ce que je ne crois pas) le groupe disparaisse, faute de moyens d'existence. Alors tout de même, réfléchis encore un peu sur notre compromission. De toute façon, on se rencontre quand tu veux pour en parler de vive voix car paradoxalement j'aime bien tes articles, quoiqu'un peu trop orientés sur les valeurs étrangères. Donc à bientôt. Amicalement.
François Cahen (pianiste de Magma),
241, rue Cler, Paris-7e,P.S. Je trouve Slavik particulièrement dégueulasse (j'ai étudié l'architecture chez Guillaume Gillet), de même que je ne supporte pas Lelouch. A bon entendeur.
Courrier des lecteurs, Rock & Folk n° 45 - Octobre 1970