VANDER

Batteur du groupe le plus critiqué de France, Christian Vander se voit aujourd'hui promu au rang de meilleur percussionniste. Parallèlement, Magma se trouve en quatrième position au classement des groupes français, et place ses deux albums en seconde et treizième places. Francis Moze est quatrième bassiste français ; Claude Engel, guitariste des débuts, est premier ; François Cahen, troisième pianiste-organiste.
Sur Magma, et sur ses propres projets, Christian Vander s'explique, assure, dément et se refuse à conclure.

BD : Si, pour une raison ou pour une autre, tu devais ou voulais refaire Magma, quelles seraient les modifications que tu apporterais ?
CV : Ça va encore m'attirer des ennuis, ça !… Si Magma devait être remanié, ce serait à seule fin de pouvoir exprimer ENTIEREMENT et PLEINEMENT ce que JE ressens. Le groupe idéal serait celui où je pourrais jouer du piano et de la batterie. Si ce n'est uniquement du piano ; je prendrais alors un autre batteur, en l'occurrence Jean-My Truong. Une autre formation m'intéresserait aussi : marimba, piano, percussions, choristes et, soit plus de cuivres, soit dix fois plus. Je garderais Loulou, notre ingénieur du son, il est un des seuls à posséder l'esprit de Magma. Sans lui, Magma ne serait pas Magma.

BD : Ces transformations prendront-elles place dans le Magma actuel ?
CV : C'est une question de moyens et d'accords. Personnellement, je me fous de dépenser l'argent que je gagne dans le but d'améliorer Magma, seulement voilà : tout le monde ne serait pas d'accord. J'ai déjà proposé de prendre Truong comme second batteur, sans résultat. J'aimerais reprendre Paco aux percussions, je pense qu'il aimerait rejouer avec moi ; dommage que Claude Engel soit parti, il était, lui aussi, un des éléments moteurs de Magma.

BD : On a l'impression, en comparant le Magma d'il y a un an et celui de maintenant, qu'il ne règne plus la même foi, peut-être plus chez les autres que chez toi. Cela te parait-il être vrai ?
CV : C'est possible.

BD : De tous les morceaux enregistrés par Magma, quel est celui qui te semble plus représentatif, dans l'esprit et dans la musique, de ce que tu voulais faire ?
CV : Du premier 30 cm, " Stoah " et " Muh " étaient une gaieté de Magma ; du second " Riah Sahiltaahk " ; et puis " Mekanïk Kommandöh ".

BD : une question que beaucoup se posent : comment est né le kobaïen ?
CV : Le kobaïen, je l'avais en moi depuis longtemps. A dix ans, je disais déjà des mots bizarres. Cela s'est concrétisé avec la musique.

BD : Images - musiques - paroles ?
CV : C'est ça. II m'arrive même de sous-entendre, dans un morceau, une phrase qui, en fait, ne sera prononcée que deux ou trois disques plus tard. Mon rêve serait de pouvoir enregistrer avec un orchestre symphonique tous les thèmes que j'ai composés depuis que j'ai commencé à vouloir jouer MA musique plutôt que celle des autres.

BD : Plus que chez n'importe quel autre groupe, il se dégage à l'écoute de Magma une sorte de magnétisme, emprunt de surnaturel, que seul un véritable film pourrait parfaitement exprimer ; est-ce là une véritable sensation, explicable, ou tout simplement une impression ?
CV : Je compose exclusivement au départ d'images ; chaque thème possède une signification bien précise, chacun de MES thèmes. Il arrive qu'un musicien de Magma enjolive, d'une manière strictement technique, tel ou tel autre de mes thèmes. Je suis obligé de faire des concessions. Je ne peux pas négliger le moindre besoin " d'apporter ", des musiciens avec lesquels je joue. Rien ne m'autorise vraiment à me considérer comme LE leader du Magma actuel. C'est le public qui s'est acharné à dire : " c'est Vander le leader " ; c'est faux. Mettons que je suis à l'origine du groupe, mais au sein même de Magma, chacun a son mot à dire. D'une manière pratique, il arrive que Teddy Lasry ou François Cahen dise : " moi, je propose ça " ; Teddy adore les voix dissonantes pour les cuivres, moi je préfère l'unisson parce que je trouve cela amplement suffisant quand la mélodie est très belle. Puisqu'il aime les voix atonales et que nous jouons ensemble, il est normal que je lui fasse plaisir en le laissant faire ses voix complexes. C'est le même cas pour François à qui je donne pourtant les parties de piano. Chacun doit justifier, pour lui-même, sa présence dans le groupe. C'est l'apport personnel qui justifie le mot groupe. D'autre part, ne composant pas de la même manière, il est normal qu'en de tels cas je considère mon attitude comme une concession ; les concessions, je ne m'en défends pas, je n'en pense pas un mot.

BD : Tu composes, te sens-tu influencé, d'une manière ou d'une autre, par d'autres compositeurs ?
CV : J'ai un cœur pour la musique slave et, inconsciemment, je pense que Coltrane m'a beaucoup influencé. J'ai gardé dans Magma le caractère obsédant de sa musique : Coltrane jouait un thème et ensuite restait sur un accord. " My favorite things " est sans doute LE morceau que je n'ai jamais cessé d'aimer. Le fait d'avoir commencé à m'intéresser aux percussions à l'âge de six ans, en accompagnant les disques de Stravinsky et les Concertos Brandebourgeois de Bach, a certainement déterminé une grande part dans MA musique. Cela ne m'a pas empêché de jouer du Beatles. Mon plus grand bonheur est de pouvoir jouer ma musique, encore que je me sente parfois brimé par le fait qu'il ne me soit pas possible d'exprimer TOUT ce que je ressens.

BD : Lorsque tu joues, crois-tu donner ta musique ou te contentes-tu de la proposer ?
CV : II y a en effet une nuance. J'espère, de toute façon, que ma musique va plaire. Je me dis " j'aime ma musique, je joue ma musique ", donc ce que j'aime c'est communiquer ce que je ressens. La première démarche d'un musicien qui n'est pas un marchand de soupe c'est, après qu'il joue pour lui-même, de plaire à celui qui l'écoute. A partir du moment où il se contente de se faire plaisir, il devient égoïste. Le problème n'est pas au niveau de la concession mais de la conciliation. Pour ce qui est de mes séances avec Zanini (certains ont cru me vexer en y faisant allusion), ce dont je ne me suis jamais caché, c'est ce qui m'a permis de nourrir ma femme et mon gosse, d'abord. Et ensuite de pouvoir continuer Magma. Pour reprendre les termes de Joël Daydé, je peux être le plus fort et accompagner Zanini. Avant d'être marié, JAMAIS je n'ai fait de séance de studio, JAMAIS.

BD : On te reproche beaucoup de faits et gestes, mais aussi certains goûts ; goûts pour la haine, l'inaccessible, le grandiose…
CV : On va être logique et commencer par la haine. J'adore la beauté et la splendeur des textes agressifs, leur dimension seconde. Second point : je veux dominer. Tout le monde est dominé. Pourquoi ne pas essayer de dominer ? Tout le monde se contente d'être un mouton parmi les autres, moi ça ne me dit rien. A partir du moment où tu n'as pas envie d'être un mouton, tu es considéré comme un fasciste ; tout simplement parce que tu veux faire ce que tu as envie de faire. Je ne suis pas un fasciste. Je veux vivre, et vivre dans la masse ne m'intéresse pas ; j'ai envie d'imposer mes idées puisqu'on m'impose toujours celles des autres. Il fut un temps où j'étais quelqu'un de très gentil, sans aucune haine, ouvert à tout et même boute-en-train. Les gens sortaient avec moi pour se distraire. Si j'ai décidé de devenir le contraire, c'est uniquement par réaction au milieu. Le naturel que je garde au fond de moi, le sentiment, ne passe que dans ma musique. Dès que je quitte le piano ou la batterie, je n'ai plus aucun sentiment. Je regrette que rien ne soit possible autrement. Au fond de moi, je suis trop gentil. Je suis obligé de me faire plus méchant que je ne suis à seule fin de parvenir à faire ce que j'ai envie de faire. L'inaccessible me fascine comme il fascine tous ceux qui ne veulent pas être des moutons. Le Kobaïen est à la fois un moyen de communication universel et un langage inaccessible.

BD : Quels sont les éléments qui stimulent ces goûts ?
CV : Mon passé me stimule à vie. De constater que les gens n'ont aucun but me stimule aussi. Savoir que je suis à la merci des cons me stimule aussi. Mon obsession de l'amour et de la mort me stimule dans une certaine mesure. Cette obsession se traduit, en musique, par la répétition d'un accord. Je le répète jusqu'à ce qu'il me pénètre et me laisse " partir " dans la musique. Lorsque je joue, le plus éprouvant est de m'arrêter. Ma hantise de la mort me stimule énormément, et peut-être, par opposition, celle d'une vie de mouton. Par exemple, je suis déprimé d'avoir à manger pour nourrir mon enveloppe. A chaque fois qu'il me faut prendre un repas, je l'ingurgite UNIQUEMENT pour ne pas être faible au moment où je serai avec MA musique, la seule que j'aime. La chose primordiale, c'est l'amour ; mes lectures favorites sont les contes d'Andersen.

BD : Existe-t-il, dans l'éventail musical actuel, une tendance qui t'intéresse particulièrement ?
CV : Musicalement, rien ne m'intéresse. Je n'achète pas de disques parce que RIEN, dans aucune forme, ne m'intéresse au point de me faire dire : " quel pied fabuleux. c'est génial ! ". Ah si ! J'achète tout Coltrane, par principe aussi ! Pour les disques comme pour le reste, tout le monde est un ROBOT, aussi quitte à être un ROBOT, autant savoir qu'on l'est ; j'entends ROBOT au sens futur. J'aimerais posséder un corps d'acier. Seule ma tête demeurerait de chair. Je serais immortel, indestructible et ne bafouillerais pas. Je suis en train d'étudier des costumes (que les autres ne voudront certainement pas porter) avec des chaussures de métal, des gantelets de métal, griffus, le tout très hypnotique. Sur scène, Magma serait présenté par un magnétophone, on scierait des plaques de métal et, selon l'épaisseur de ces dernières et le son produit, nous jouerions. Ce n'est pas du tout par désir de créer une mode, la mode je m'en fous, mais pour satisfaire en ME satisfaisant. Pour résumer, il demeure dans la musique que je compose mon ancien côté : espiègle, une grande part de nostalgie (Stoah) et, par contrainte, la haine. Quoiqu'en fait, j'aime bien tout le monde.

Propos recueillis par Bruno Ducourant avec l'approbation du Kommandeuhr Süprëm.
Extra n° 13 - Décembre 1971

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