Magma à la Fête de l'Humanité
( ) Beau dimanche, ensoleillé, effaçant les impressions moroses de la veille. La lumière était plus vive, les sourires plus nombreux. La boue était devenue poussière. A l'entrée, un homme de 61 ans qui faisait le tour du monde à pied en traînant un cercueil à roulettes offrait sa petite alternative, sa solution personnelle aux questions qui tournaient dans ma tête. L'odeur de friture était moins pesante, les couleurs des manèges s'étaient rallumées. Sur scène, au fond, au lieu-dit la "discothèque", on commençait à installer le matériel de Magma. J'avais jamais vu encore. Un peu effrayé quand même, a priori, par les déclarations de Vander et ces signes agressifs rouges sur fond noir. On m'avait pas appris ça en Californie ! Et puis, la musique. Je ne sais pas combien de temps. Il y eut des moments pénibles, étouffants, une lourdeur indéfinissable dans la tête, comme des noix qui s'entrechoquent. Des moments légers, aériens, ténus. Des moments monotones, tristes remplissages sans saveur et puis à la fin, après une demi-heure étouffante, à hurler, arrêtez, foutez-nous la paix, un morceau tranquille, rassurant, bon, vous en faites pas, on est arrivés, tout va bien. Magma c'est la vie quotidienne à Paris en 1971. Avec ses rares moments de paix, de lumière, et son abrutissement total pour le reste, avec quand même, une porte ou une fenêtre en chacun de nous - et c'était peut-être ça le dernier thème. Le kobaïen, c'est, mélangés, le speaker à la télé, les bagnoles, le voisin, les cris du père et de la mère, les ordres et les conseils distribués généreusement pendant 20-30 ans. Le kobaïen, c'est ce qui sort quand on presse la cervelle d'un homme adulte. Reste que l'on peut toujours s'inventer un langage à soi pour trouver, une paix et qu'on peut toujours l'appeler "Kobaïa". ( )
Rock & Folk n° 57 - Octobre 1971