MAGMA
LE POP A PARTPar sa musique et son langage, Magma fait figure d'exception dans la pop française. Jean-Marie Moreau vous présente ces étranges garçons si inventifs.
"Il y a dans Magma un volcan qui sommeille". C'est le très beau titre d'un article fort élogieux d'André Drossart, paru dans le journal "Le Soir" à la suite du triomphe que le groupe français a remporté en Belgique. Je reprendrais volontiers à mon compte la formule du journal belge en modifiant toutefois l'un des termes, ce qui pourrait donner quelque chose comme : "II y a dans Magma un volcan en éruption ..." Pour les sept premiers musiciens de l'Hexagone, en effet, l'heure H a sonné !
Il doit être quatre heures de l'après-midi ; dehors, il fait froid et gris, tandis que je roule tranquillement vers le Perray-en-Yvelines où Giorgio Gomelsky vient d'acquérir une demeure campagnarde. Giorgio a pris en main la carrière de Magma, depuis quelques mois, et il m'a donné rendez-vous chez lui avec toute son équipe. Je suis un peu anxieux : on a dit tellement de choses désagréables au sujet des musiciens de Magma... Si je connais bien leur musique, je n'ai pas encore eu de véritables contacts avec ces garçons mystérieux et apparemment très agressifs. C'est donc un peu contracté que je gare ma voiture dans la petite cour de l'ancienne cartonnerie où sont réunis les membres de Magma. Giorgio, le sourire aux lèvres, m'accueille dans sa grande maison. Tout le monde est déjà sur place. Installée dans une petite pièce en retrait du living, la formation est à l'oeuvre. Après une poignée de main générale et sans grande chaleur, je m'installe à mon poste d'observateur (enfoncé dans un fauteuil, un verre de vin blanc à la main), Christian Vander, assis sur son siège de batteur comme sur un trône, semble régner en maître absolu sur ses musiciens. Son regard bleu et dur ne pardonne pas le moindre relâchement rythmique ou harmonique. Sa batterie d'acier est devant lui comme pour le protéger d'un monde qui le blesse. Les pointes métalliques qu'il a fait attacher à l'avant de sa grosse caisse confirment d'ailleurs cette impression. François Cahen, quant à lui, appuie sur les touches de son piano électrique avec une aisance appliquée. Faton (c'est son surnom) est un peu l'attaché de
presse du groupe ; sa gentillesse évidente et sa haute stature inspirent immédiatement confiance. (On dit de lui que c'est un excellent cuisinier !) A ses côtés, perché sur une colonne d'amplification, Klaus Blasquiz, benjamin et chanteur du groupe, chante de sa belle voix grave et puissante devant un micro inutile. Avec ses très longs cheveux et sa barbe de vieillard, il ressemble à un héros de la révolution russe. Et pourtant il est Basque et fier de l'être. Francis Moze, le bassiste à la force tranquille caresse les quatre cordes de sa guitare translucide. II est attentif aux plus petites nuances du morceau et n'en transgresse jamais la ligne. Son père était un Peau Rouge et il a gardé de cette filiation, sinon la physionomie, du moins la sagesse et l'intelligence. Voilà pour "la force rythmique". Restent les trois magiciens du "peloton de cuivre". Teddy Lasry, au sein de Magma, joue du saxophone et de la flûte, mais il est capable d'exécuter n'importe quelle oeuvre sur n'importe quel instrument. D'ailleurs, les fameuses structures sonores Lasry-Baschet ont un rapport très étroit avec son père, Jacques Lasry, pianiste et compositeur. Jeff Seffer, ce garçon d'origine hongroise, joue également du saxophone et de la flûte. Il est encore un peu gitan sur les bords... Louis Toesca, dit Loulou, est né à Nice, ce qui lui vaut un léger accent du Midi. Il est assez amusant, par exemple, d'entendre Loulou décrire la tournée de Magma en Belgique ! Son caractère enjoué ne l'empêche pas d'être un trompettiste de tout premier ordre. Il est évidemment premier prix de conservatoire (mais une telle distinction est monnaie courante au sein de Magma). Mais au fait, comment se sont donc rencontrés les musiciens de ce super-groupe ? Francis et François me l'ont raconté.
- Tout a commencé par un été très chaud sur la Côte d'Opale, explique Francis. Une grosse maison de disques avait fabriqué de toutes pièces un trio musical pour animer les soirées d'un club estival. A la basse il y avait Laurent Thibault, à la batterie, Christian Vander, et à l'orgue, moi-même. C'était une aventure très folklorique qui a commencé par une surprise fabuleuse : lorsque nous sommes arrivés dans la petite ville, les murs étaient couverts d'affiches portant le nom des "Carnaby Street Swingers" c'était nous ! Un peu étonnés d'avoir été baptisés aussi ompeusement, nous avons cependant fait l'effort de rester dans notre galère. Bien nous en a pris car, quelques jours plus tard, j'improvisais une ligne de basse qui allait devenir celle de "Kobaïa"...
- Et, à ton retour, tu as été appelé sous les drapeaux, intervient François, ironiquement, et Magma s'est fait sans toi.
- Mon absence n'a pas été longue, car, au bout d'un mois, l'armée m'a renvoyé pour "incompatibilité d'humeur". J'ai pris la place de Laurent à la basse et j'ai retrouvé François et Christian.
- D'où venais-tu, Faton ?
- Je venais juste de quitter... "Les Enfants Terribles" ! Petit à petit, le travail s'est fait et l'équipe de Magma en même temps. Richard Raux, Zabu, Claude Engel et Paco nous ont quittés. Le cas de Paco n'est pas encore définitif ; peut-être reviendra-t-il un jour avec ses tambours... Quant aux autres, nous sommes toujours en très bons termes avec eux et je persiste à croire que Claude est l'un des meilleurs guitaristes d'Europe.
Christian Vander vient nous rejoindre. Il semble un peu plus détendu que tout à l'heure.
- On présente fréquemment Magma comme le groupe de Christian Vander. Qu'en penses-tu ?
- Rien ou peu de chose. Il se trouve que je ne suis pas le seul à composer pour le groupe et que la musique de Magma n'est pas uniquement celle de Christian Vander. J'ai imaginé une planète qui s'appelle Kobaïa, j'ai écrit une langue musicale, le kobaïen, et je suis peut-être à l'origine de cette communauté de pensée. Voilà quelle est ma part d'activité... Mais je n'ai pas peur de dire que notre formation est sûrement l'une des plus homogènes.
- Comment t'est venue l'idée d'un nouveau langage ?
- Le plus baturellement du monde. J'ai toujours été amoureux de certains mots sans contenu sémantique. Ce n'est pas un désir d'obscurité ni de mystère, c'est un besoin de pureté, de simplicité. Il faut que les mots, les signes linguistiques soient beaux en eux-mêmes. Un mot du dictionnaire kobaïen comme "vurda" s'est imposé à moi à cause de sa richesse expressive. "Vurda" exprime le mécontentement, la lassitude... Je n'aime pas que l'on accuse le kobaïen d'être une langue secrète, car c'est absolument faux. Le kobaïen doit être chanté pour être ressenti comme un support musical. Quels sont les gens qui comprennent les mots hurlés par Mick Jagger ? Quels sont les gens qui s'en plaignent ? Chez les Rolling Stones, les mots sont distordus comme le sont les guitares...
Je me retourne vers Francis qui a grande envie de parler.
- Oui. Je voulais te dire que nous sommes obligés de nous retenir pour ne pas enregistrer un disque toutes les semaines. Nous avons sans cesse de nouvelles idées, de nouveaux morceaux à proposer aux autres.
- Comment cela se passe-t-il ?
- Nous ne sommes pas tendres entre nous. Plus durs encore qu'avec les autres musiciens français ! Si quelqu'un a une idée douteuse, elle est immédiatement rejetée. Il faut l'unanimité absolue du groupe pour qu'un morceau entre dans le répertoire. D'ailleurs, nous remanions sans cesse les anciens titres.
- Parle-moin de l'album intitulé "Univeria zekt".
- C'est très simple, c'est la musique que nous aurions jouée si nous n'avions pas joué celle de Magma. Pour cet album, nous avons retrouvé Claude Engel et nous avons fait notre forme de pop musique... Les Mothers et les Flock sont unanimement appréciés par les musiciens du groupe, mais c'est à peu près tout ce que nous acceptons de la pop.
- Que penses-tu du public français ?
- Nous lui reprochons d'avoir tout vu, intervient Faton? Je préfère personnellement, les jeunes de seize ans, qui ont encore la fraîcheur des oreilles et de l'esprit. En général, les gens s'ennuient en France parce qu'ils ne s'intéressent plus à rien. Comment explqiues-tu que tous les groupes belges ont élu Magma groupe mondial numéro un ? Pourquoi "Télé Moustique" nous a-t-il classés avant les Pink Floyd et Jethro Tull ? Parce que l'on n'est pas prophète en son pays, surtout si l'on habite en France ! Les notions d'encouragement et de tolérance sont assez peu répandues dans notre pays. Lorsque nous reviendrons des Etats-Unis ou d'Angleterre avec un grand nom, nous serons bénis par les Français ! A cemoment-là nous serons devenus très, très chers... Bref, la vie sur Kobaïa s'écoule dans le bonheur et la beauté. La terre a appris notre existence ; elle est en effervescence...
Giorgio, très excité, nous appelle dans le séjour. La télévision est allumée et diffuse une émission sur Haroum Tazieff et son équipe de vulcanologues. Les images sont très belles et l'accompagnement musical est de... Magma. C'est une surprise pour tout le monde !
- Il nous faut un film comme clui-ci pour notre spectacle lumineux, s'écrie Giorgio. Qu'en pensez-vous, mes enfants ?
Une vague rumeur marque l'approbation générale. Christian Vander, qui est parti depuis quelques minutes, ne participe pas à l'euphorie de fin de soirée : ses camarades le regrettent.
- Ne te fais pas trop vite une idée sur Christian, me murmure Giorgio. C'est un garçon très pur, très adroit, mais aussi très timide. Son agressivité est un masque qui disparaît très vite lorsqu'il se sent à l'aise. On peut parler des nuits entières avec lui parce qu'il est sensible et intelligent. Christian demande beaucoup à la vie et il s'éonne de voir qu'elle ne rend pas ce qu'il lui donne. Ainsi, il déteste les concessions et les roueries du show-business. Il se refuse aussi à écrire des textes en anglais, alors qu'il le parle couramment. En aucun cas, même pour "Univeria zekt", il n'abandonne son kobaïen... Il est très fort, Christian, et il gagnera !
La nuit est déjà bien avancée lorsque je reprends la route de Paris. Francis, silencieux, est assis à côté de moi. Nous ne tardons pas à rattraper la voiture de Teddy, puis celle de Faton. Bientôt, nous nous perdons sur l'autoroute... Finalement, tout s'est très bien passé, j'ai peut-être vu le meilleur groupe du monde ! Je me demande simplement si nous n'allons pas les perdre, ces musiciens extraordinaires... Il faudrait peut-être se dépêcher de leur dire tout le bien que l'on pense d'eux, avant qu'ils nous quittent définitivement.
Source : Salut les Copains - 1971
Zeuhl Merci : Michel AltmayerBONUS :
• téléchargez la double page introductive au format PDF (212 Ko) - Cliquez ICI
• téléchargez les fiches d'identité des musiciens au format PDF (80 Ko) - Cliquez ICI