MAGMA
On est toujours l'Hitler de quelqu'un
Par une belle soirée de juillet 1971 Don Quichotte enfourcha sa mobylette ailée pour aller écouter Magma qui donnait un concert à l'ancienne Cartoucherie de Vincennes. Il était grand temps pour Don Quichotte de parler avec les musiciens : plusieurs choses l'avait choqué chez Magma. Les petites insignes que portaient les musiciens sur leur tricot ne lui plaisaient pas du tout. François Cahen (piano) dit : "Ce n'est pas plus drôle qu'un costume de scène des Platters". Sur la pochette du premier album, les musiciens écrasaient les hommes. L'attitude n'est pas tellement courante : "De toutes façons, les hommes s'écrasent tout seuls. On avait envie de vivre autrement et, chaque fois que tu veux vivre autrement, les gens qui ne l'admettent pas t'attaquent. Nous avons des vues sur Kobaia qui est notre planète. La terre, qui est une planète assez stupide, nous attrapera un jour. Elle sera détruite au moment mémo de son attaque. Histoire symbolique qui reste en suspens..."
Les cris du premier album avaient choqué Don Quichotte. Hitler état encore trop présent dans les mémoires. Les paroles de Christian Vander (batterie) chantées en kobaien étaient impossibles à comprendre. II ne restait donc plus que la sonorité des mots, et là, le parallèle était évident. Vander le nie totalement :
"Maintenant, les cris ont disparu parce que je n'éprouve plus le besoin de crier. Mais bientôt, quand cela sera nécessaire, le recommencerai". Et François Cahen ajoute : "Un jour ou l'autre, de toute façon, on est toujours l'Hitler de quelqu'un".La plupart des groupes pop français chantent en anglais, quelques-uns en français. Magma est le seul à avoir inventé un nouveau langage : le kobaien. Certains ont dit que cette nouvelle langue était une simple affaire publicitaire. Sans doute se trompent-ils gravement. Christian Vander a décidé que le kobaien, c'était son problème : "Je travaille en ce moment à un dictionnaire kobaien. On n'en est qu'au début. Une langue ne se fait pas en deux ans. Si tu fais une langue, c'est que celle que tu parles ne te satisfait plus. Et puis, on en avait assez de la langue anglaise. Magma n'aurait jamais chanté en anglais".
Don Quichotte avait épuisé là toutes les critiques qu'il pouvait adresser au groupe. Il fallait bien commencer à parler un peu plus en détail de leur musique. L'audience que possède un groupe est une chose très importante. Les musiciens de Magma ne sont pas des pop stars. Ils n'en ont encore ni les moyens, ni le comportement. Les contrats ne les submergent pas et leurs disques ne se vendent pas encore à des milliers d'exemplaires. Ils sont arrivés sur le marché de la musique avec un double album. Personne n'avait entendu prononcer le nom de Magma : "Le premier truc qu'on ait fait ensemble en tant que Magma, cela s'est fait pratiquement au moment du double album. On n'avait jamais joué sur scène auparavant. On avait répété six mois en cherchant les musiciens. Au bout de six mois, les musiciens étaient trouvés. C'est tout. Des musiciens sont partis, d'autres sont venus. La musique a évolué en fonction de ces changements. Avant, on écrivait des riffs pour les cuivres, plus simples, parce que les musiciens ne savaient pas jouer. Maintenant, les cuivres sont beaucoup plus sérieux et on est libéré. Et puis, il n'y a plus de guitare".
La musique de Magma respecte très peu les critères de la Pop Music classique (style Rolling Stones) :
"On a essayé d'éliminer tout ce qui ressemblait à quelqu'un d'autre. On évite les clients et ce qui nous semble être des vulgarités. Mais en fait, cette musique "différente" est venue tout naturellement. On la sentait. Avant, je (François Cahen) composais des thèmes de Jazz. Et puis, un jour, j'ai réalisé que le Jazz était une musique réservée aux Américains. Il faut faire ce que l'on a envie de faire. Magma aura certainement fait quelque chose de bien le jour où des groupes comme Triangle, Martin Circus, Zoo, qui sont formés de bons musiciens, cesseront de faire la musique des autres. Que chacun fasse sa propre musique".On ne peut pas nier l'originalité de la musique de Magma. Quand Don Quichotte demanda aux musiciens quelles étaient les sources musicales de Magma, il entendit Christian Vander dire : "Les gens ne comprennent pas autre chose. On joue notre musique. Cela plaît ou cela ne plaît pas. II ne faut pas faire de cinéma. Il ne faut pas dire que cela ressemble à ceci ou que cela ressemble à cela".
Vander avoua pourtant par la suite qu'il appréciait particulièrement Igor Stravinsky. Son apprentissage auprès de Elvin Jones (batteur de Jazz très célèbre), il préféra ne pas en parler. Le groupe allait bientôt jouer. François Cahen ajouta : "A priori, on n'a pas choisi de faire une musique commerciale. D'ailleurs, notre musique est commerciale puisqu'on la joue dans des salles où il y a plein de gens et que cela leur plaît. Commercial ne doit pas avoir de sens restrictif. Brassens est commercial, c'est très bien. La musique commerciale, c'est une musique populaire. C'est-à-dire qu'elle n'est pas inaccessible aux gens et qu'elle les touche".
Don Quichotte, qui avait déjà vu le groupe sur scène, se demande pourquoi la musique donnait l'impression d'être toujours la même ; les passages en public, pensait-il, auraient pu inspirer certaines improvisations. Les musiciens de Magma ne partagent pas cet avis. Ils ont trop travaillé sur leurs morceaux pour se permettre, par la faute d'un musicien, de mettre à bas l'édifice construit après tant de travail : "Cela ne m'ennuie pas du tout de rejouer toujours les mêmes morceaux. Chaque fois que je les écoute, je les trouve tout à fait spontanés. La musique est très travaillée, mais elle n'est définitive que jusqu'au moment où un musicien trouve une idée à rajouter. On en discute, et si l'on accepte, on la rajoute". (François Cahen).
Bien peu de choses avaient été dites. On n'avait pratiquement pas parlé de la violence qui se dégage des disques de Magma.
Teddy Lasry : "Il est grand temps de dire sauve qui peut. On ne veut pas crever. On ne veut pas être englouti. Dans ce monde, ou bien tu es bouffé, ou bien tu bouffes."Don Quichotte avait encore beaucoup de questions à poser aux musiciens de Magma. Mais l'heure du concert approchait. Les musiciens allèrent se rafraîchir dans un café des environs. Pour Don Quichotte, la Pop Music française avait grand tort de se priver, en partie, d'une telle musique. Il devait en avoir la preuve formelle pendant le concert. Une assistance très respectable s'était déplacée à Vincennes, sans qu'aucun effort particulier n'ait été fourni pour assurer la publicité de ce spectacle ou pour transporter ses éventuels spectateurs. La musique du groupe fut parfaite, plus parfaite que sur ses disques, parce que plus vivante. Aucun des musiciens ne fit de démonstration technique gratuite. La réussite du groupe fut vraiment exceptionnelle ce soir-là. Le public le comprit bien, qui réserva à Magma une belle salve d'applaudissements. Et puis, il y avait eu cet entracte durant lequel les spectateurs étaient tous venus sur la scène. Les uns demandant des renseignements à propos du kobaien, les autres s'étonnant devant la batterie de Vander... Le public et les musiciens discutaient. Comme Don Quichotte disait à Vander tout le bien qu'il pensait d'un tel comportement, Vander répondit :
"On n'est pas les Rolling Stones"...
Don Quichotte apprécia la boutade.DISCOGRAPHIE.
Magma :Philips 6395 001/002
Magma 2 : Philips 6397 031Thierry LEWIN
Pop Music Hebdo Super Hebdo n° 69 - 22 juillet 1971