Magma et les faux témoins

Je n'avais jusqu'à présent jamais eu l'occasion d'écrire quoi que ce soit à propos de Magma. Par contre, j'ai beaucoup lu à leur propos, et ces lectures m'ont plongé dans une profonde perplexité quant à la fonction de journaliste.
Je croyais - je continue à le croire d'ailleurs - que le journaliste devait être avant tout un témoin, un être qui sait se situer en dehors de l'événement pour mieux le dominer avant d'en rendre compte objectivement.
II faut bien dire que Magma nous a bien souvent été conté par de faux témoins. Du groupe, en effet, on a donné deux images sottement fausses :
- On le dépeint comme professant des idées empruntées à la plus hallucinante extrême-droite.
- On s'est complu à dire et à redire que sa musique, fort belle et fort originale, passait, hélas, la plupart du temps au-dessus de la tête du public.
Et, dans un effort louable de ce que l'on veut faire passer pour de l'objectivité, on a, çà et là, affirmé que Magma était digne de figurer parmi les plus grands groupes mondiaux.
Ceci écrit, on s'est bien gardé de leur consacrer soit une couverture, soit un poster, soit une grande émission de télévision.
Or, Magma n'a jamais été un groupe se réclamant d'une idéologie de droite (encore que certaines facéties de Vander aient pu prêter à confusion), et sa musique n'a jamais laissé le public indifférent. Faut-il, seulement qu'il la connaisse et que nos grands esthètes du stylo ne le découragent pas à l'avance.
Les évidences parlent. Chaque fois que Magma se produit en scène et cela lui arrive de plus en plus fréquemment, il attire du monde et suscite l'enthousiasme. Trois faits viennent étayer cette affirmation.
Et d'abord, la tournée que fit le groupe en Belgique fin 1971. Le spectacle étant assuré en première partie par un excellent groupe belge, Arkham, Magma remporta succès sur succès et son périple s'acheva en apothéose par un concert gratuit donné au Théâtre 140.
Deuxième exemple: le MIDEM, version 1972. On n'avait pas cru bon d'y inviter Magma, victime, dit-on, de la réputation politique dont on l'avait affublé. Christian Vander et, ses compagnons se rendirent à Cannes à leurs frais et périls. Le Whisky-A-Gogo les accueillit. Ils s'y produisirent à deux reprises, réussissant chaque fois à dégeler, mieux : à faire vibrer le plus blasé des publics, celui du show-business pourtant durement traumatisé par les spectacles subis au Palais des Festivals.
Plus significative encore, la tournée que fait actuellement Magma à travers les maisons de Jeunes et de la Culture. Le spectacle est en deux volets : une première partie de 40 minutes, l'histoire du voyage sur la planète Kobaïa ; une deuxième d'une heure à une heure trente où la participation du public est sollicitée et obtenue. Klaus Blasquiz mène le jeu, parle, présente les musiciens et dit même, pendant "Mekkanik Kommando", un petit poème en... français. On termine sur une ballade, dans la joie, les chants, la communication totale.
II arrive que des éléments gauchistes se manifestent en début de spectacle, réclamant la parole et le droit de participation. Klaus intervient, apaise, promet la libre parole mais le droit pour lui et ses amis de donner d'abord leur spectacle. Le scénario est chaque fois le même. La musique de Magma dit tout et lorsque les révolutionnaires montent sur la scène, c'est pour crier : Bravo.
Des musiciens de Magma, on a laissé entendre qu'ils tenaient dans le plus profond mépris leurs camarades français. C'est faux ! II est vrai que Christian Vander n'aime (le mot est ici absolu) que sa musique. II est exact qu'il n'écoute jamais la radio, qu'il ne possède ni n'achète de disques pop. Pourtant, Magma aime et apprécie les autres. II y a ceux en qui ils placent des espoirs et par conséquent (il faut le dire) des doutes : Moving Gelatine Plates, Rhésus O, Ange, Catharsis, A. Stivell. II y a Martin Cricus qui, pour, eux, se situe à un palier d'attente. II y a les autres, bien sûr. Alors on aime les hommes à défaut de partager ou d'approuver leurs options musicales.
On a suggéré que Magma n'était pas à proprement parler un groupe, mais une réunion de musiciens jouant de temps à autre ensemble. C'est faux !
A une certaine époque, poussés par une impérieuse nécessité de gagner leur vie, certains musiciens de Magma ont accompagné (et ne s'en sont jamais caché) d'autres artistes. Cette époque est révolue. Les sept musiciens de Magma se consacrent à leur groupe. On exceptera, bien entendu, les "boeufs" dont ils font volontiers partie. Ils regrettent d'ailleurs que cette coutume ne soit pas plus répandue.
Les musiciens de Magma n'habitent pas ensemble, mais ils se rencontrent presque quotidiennement. Quand leurs galas ne sont pas trop rapprochés (c'est actuellement le cas), ils répètent trois fois par semaine.
L'argent est souvent motif de division. Pas ici. Du cachet de Magma, on retire les frais, la part (10 %) de Giorgio Gomelski, leur manager, et l'on fait dix autres parts, deux pour la caisse commune (il faut songer au matériel, il y en a actuellement pour 12 millions d'anciens francs), sept autres pour les musiciens et la dernière pour le sonorisateur.
On a dit de Giorgio Gomelski, manager de Magma, passablement de mal. Ils en disent, eux, qui sont concernés au premier chef, beaucoup de bien : "Giorgio, sans contrat, a travaillé, tout seul, pendant six mois, pratiquement nuit et jour, pour nous. Il veille sur tout, nous accompagne, préserve nos intérêts. II a créé ce circuit parallèle dont d'autres groupes, Gong notamment, commencent à profiter. Et, ce qui ne gâte rien, c'est un excellent musicien".
On a dit de Christian Vander qu'il "était" Magma. C'est faux ! Christian Vander est le catalyseur du groupe. Ce n'est pas un chef qui impose ses décisions. Pas de "fait du Prince" chez Magma, on discute - Giorgio et le sonorisateur sont dans le coup - et on s'incline devant la majorité. Encore que les décisions de la majorité, si celle-ci n'a pas été spontanée et nette, donnent souvent lieu à de nouvelles discussions.
On a dit, on a dit... Qu'importe, après tout. Magma, c'est déjà demain. Christian Vander (saviez-vous qu'il est d'origine polonaise ?), Klaus Blasquiz, le Basque, Francis Moze, le Séminole, François Cahen, dit "Faton", Teddy Lassry, dit "La Fraise" (ah ah !), Louis Toesca le Niçois (il est Hongrois) et Jeff Seffer, le Hongrois, pensent déjà à ce troisième 33 t qui sera enregistré à Londres et qui sortira en Angleterre et aux USA avant d'être édité en France.
Ce n'est pas la faute du public français. Mais croyez-moi, c'est encore lui que l'on traitera de taré. Qu'il sache, pour se consoler, que ce n'est pas l'avis, mais pas du tout, de Magma.

Roger Frey
Pop Music Super Hebdo - 2 mars 1972

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