Rock en Phrance
MAGMA

R & F : Avant tout, liquidons cette histoire de Magma fasciste, je suppose que cela vous pèse un peu.
Klaus : C'est un mythe qui s'est diffusé à partir de potins : d'une part venant de musiciens qui nous jalousaient parce que nous travaillions. C'était un bruit vague, au début, qui s'est propagé de bouche à oreille, et certains critiques, par ignorance ou par stupidité, se sont empressés de transmettre.

R & F : Mais cela s'est concrétisé de quelle manière pour le public ?
Klaus : Le malentendu a commencé avant le premier disque. A l'époque, Philippe Paringaux était venu à l'une de nos répétitions et avait fait un article formidable, merveilleux pour nous. Mais il disait dans un passage : "Christian Vander se lève et fait un discours qui pourrait rappeler…" ; dès ce moment-là, les gens sont venus nous voir sur scène uniquement à cause de cette phrase un peu équivoque. Ils pensaient : "Tiens, il va faire le discours à la Hitler". Au début, ça nous amusait et nous avons beaucoup outré la chose : ce qui pouvait paraître louche un temps devenait clair. Les gens ont mal compris cette phrase de Paringaux : ils ont leurs petits casiers, alors ils tirent le casier "Hitler". Ils venaient nous voir à la fin des concerts : "C'est vrai que vous êtes nazis ?" Nous, on se marrait comme des fous, mais en fait nous étions pris à notre propre jeu : certains journalistes ont commencé à se répandre : "Magma fasciste, prétentieux", sans nous avoir jamais vus ni entendus. C'est là qu'ont eu lieu les premières interventions furieuses pour empêcher nos concerts.
Christian : Nous n'avons jamais interrompu un concert à cause d'eux.

R& F : Vous avez toujours dédaigné de vous expliquer sur ces circonstances. Rien ne se réglait, au contraire !
Christian : Nous n'avons pas à nous expliquer avec des gens qui viennent surtout pour s'exhiber et qui n'ont de toute façon jamais rien à nous répondre. S'ils sont vraiment trop débiles pour ne pas se rendre compte que Magma a été le premier à créer un circuit de concerts en dehors du système, un circuit à 7 F la place où les musiciens viennent à domicile, partout, qu'ils aillent à l'Olympia entre trois rangs de flics débourser sagement leurs billets. Là, ils verront ce qu'est réellement le fascisme. Maintenant, j'aimerais qu'on ne parle plus de cette affaire parce que cela n'a rien à voir avec Magma, vraiment rien.

R & F : Comment situez-vous la musique de Magma par rapport au jazz et au rock ?
Klaus : C'est très difficile de la définir en ces termes. Si l'on doit être quelque chose, c'est un groupe de rock, sûrement pas un orchestre de jazz !

R & F : Pourtant, Vander est "un vieux routier du jazz", même si les jazzmen fulminent à cause de sa trahison.
Christian : Parce que je joue de la pop, je joue binaire. Les musiciens de jazz sont aigris parce qu'ils se sentent délaissés ; à peine un ou deux clubs ont survécu à Paris, et ceux qui y traînent ne varient pas : il ne se passe plus rien en jazz. Ils s'aperçoivent que ceux qu'ils adoraient le plus il y a quatre ans, quand j'allais faire le bœuf au Chat Qui Pêche où on m'appelait le twister (j'en étais plutôt fier) à cause de mon jeu binaire, ceux-là justement jouent binaires ! Ils ne peuvent pas comprendre que la musique s'élargisse tout d'un coup, ils se croient trahis quand Miles Davis, le jazzman type, abandonne le ternaire (shabada, pulsation jâse) au profit d'une rythmique plus proche du rock, alors qu'eux venaient juste, après trente ans d'effort, de se mettre au ternaire ! Free, bebop, tout ça se sont des écoles, des chapelles, un corporatisme très limitatif et renfermé. Alors, ce qu'on fait n'est pas du tout du jazz.
Klaus : Moi, j'ai trouvé une formule pour Magma : avant, nous étions un groupe de rock and roll avancé avec des musiciens habiles qui jouaient du rock and roll avancé. Maintenant, nous allons faire une musique spirituelle. Si tu veux, c'est un peu la pratique du rock "avancé" qui nous a menés là, mais c'est l'esprit des musiciens qui a changé au contact de la musique.

R & F : Donc, ce sont ces trois ans de concerts incessants qui vous ont amenés à comprendre que la musique de Magma avait changé, ou du moins, qu'elle s'était beaucoup précisée dans vos projets.
Klaus : II y a eu progression sans à-coup de la musique, mais j'insiste : c'est avant tout l'esprit qui a évolué ; nous voulons faire une musique avec des gens "purs". Beefheart a choisi des hommes qui étaient proches de lui mais qui n'avaient jamais joué une seule note. Nous, nous recherchons des musiciens qui ont dépassé toute préoccupation technique.
Christian : Comme le nouveau bassiste, Jannick Top, un initié, un sage !

R & F : Cela signifie que les musiciens d'avant ne cherchaient pas à dépasser la performance ?
Klaus : Oui, je crois, mais pas absolument. C'était plutôt leur direction qui n'avait rien à voir avec la spiritualité de Magma.
Christian : En plus, si tu veux, nous venons tous d'horizons culturels très différents, et c'est justement cette diversification ethnique qui a créé la force de cette musique. Par exemple je suis aux trois-quarts Allemand, un quart Polonais et Gitan. Klaus, lui, est Basque à cent pour cent. Ça nous évite aussi de tomber dans un esprit de clocher minable : musique française, gros rouge, érection de la statue de Guy Lux et steak frites.

R & F : Alors, où en est la musique de Magma maintenant ? Depuis dix-huit mois le public a surtout assisté à la gestation de "Mekanïk Kommandöh".
Christian : On peut distinguer trois phases dans la musique de Magma : les disques, "Mekanïk Kommandöh", et après. Sur scène, désormais, c'est après "Mekanïk", pour mettre les gens en état de recevoir la nouvelle musique, que commencera la troisième phase. Elle sera basée sur l'hypnotisme.
Klaus : Absolument. La première fois que nous avons joué "Mekanïk Kommandöh" a été le tournant vers cette musique spirituelle dont nous parlions. Impossible d'aller plus loin si l'on n'avait compris, senti…

R & F : Senti jusqu'à quel point ?
Klaus : Au point que les gens sortent en pleurant, comme cela est arrivé en Belgique, avec seulement le piano et les voix, au point qu'ils n'arrivent plus à se réadapter à la réalité, qu'ils se disent: "On ne peut plus vivre comme ça, il faut tout changer".

R & F : En ce cas, deux possibilités contradictoires : la musique de Magma se veut une drogue, ou un appel plus ou moins clair à la révolution.
Klaus : Oui, à une sorte de révolution intérieure. La musique de Magma, c'est la découverte de l'homme. C'est une musique de mutation. Si la musique de notre temps est sincère, elle devient intemporelle. Bach et Beethoven on fait celle de leur époque, on peut très bien les écouter maintenant.
Christian : Nous aurions beaucoup de choses à dire sur la spiritualité de la musique.

R & F : En parlant de Magma, on peut vraiment dire VOUS ?
Christian : Oui. Maintenant il y a communion spirituelle. La direction de notre musique n'a jamais changé : avant, nous cherchions déjà un climat d'hypnose, mais nous n'étions, moi surtout, pas assez forts spirituellement pour y accéder ; c'est-à-dire tenter d'accéder à une image de l'être parfait qui nous régit, qui régit l'univers et ses habitants. Cette image nous l'appelons KREUHN-KOHRMAHN.

Propos recueillis par François DUCRAY et Guillaume BOURGEOIS.
Rock & Folk n° 78 - Juillet 1973

[retour liste des interviews]