Magma est l'orchestre de l'Univers. Christian Vander en est le chef.Le regard. Plus que les bras puissants du batteur inspiré, c'est le regard qui frappe, qui retient chez Christian Vander, l'animateur, l'esprit de Magma. Un regard de visionnaire à mille années-lumière de la modernité, de l'actuel. Magma inactuel, immortel ? On serait tenté de le croire en écoutant Christian Vander, prêtre fervent d'un Univers tout proche, militant obstiné du dépassement de soi. Chez lui, la royauté de l'ETRE rejoint les préoccupations du dernier des philosophes de notre temps, géant solitaire, sans école et sans disciples : Heidegger.
Encore relativement solitaire - lui aussi l'animateur de Magma se montre inquiet, tendu. Inquiet d'être mal compris, mal suivi, considéré comme un hurluberlu. Tendu devant les agressions que Magma a subies de toutes parts pendant des années.
Quel que soit notre niveau de perception de Magma, rythmique, purement musical ou mystique, voire " fantastique ", il faut suivre de près les réponses - même volontairement partielles - de Christian Vander.PROCLAMATION / PREAMBULE / CONCLUSION (provisoire) DE CHRISTIAN VANDER
" Rien n'est créé pour être créé, dans Magma. Un parmi les serviteurs de l'Univers, j'attends qu'il parle pour moi. Quand je sens qu'il veut me parler, je m'assieds au piano et j'attends. Puis mes doigts bougent. Je ne peux décrire ce que j'éprouve. Tous les sentiments de joie, de tristesse infinie, d'espoir, toutes ces sensations sont tellement liées et fortes que lorsqu'elles pénètrent en moi, c'en est trop, je ne peux plus que retransmettre ce que ma perception humaine m'a permis de recevoir. Pourtant, ce n'est que le fond de mon âme. Seulement l'Univers est aussi comme un miroir, un miroir immensément grand, et lorsque devant lui je mets mon âme à nu, son image est projetée sur toutes les galaxies, les systèmes solaires, les étoiles, et l'intensité de son reflet est multipliée des milliards et des milliards de fois lorsqu'il me revient pour m'inonder de son rayonnement céleste.
Les hommes veulent toujours s'élever par rapport à une élite d'individus qu'ils se sont choisis, car pour eux, c'est un accomplissement que d'être au-dessus de cette élite. Pourtant il faut savoir que, sur terre, nous ne sommes rien, l'être humain ne représente rien dans l'Univers, et, au plus haut degré auquel il puisse parvenir sur terre, il n'est encore rien comparé à l'Univers. Si on cherche à s'élever au-dessus de l'être humain, on sera grand par rapport à quelque chose de petit. Si on tourne sa pensée, son regard, vers l'Univers, on sera petit par rapport à l'incommensurablement grand. C'est tellement merveilleux d'être une parcelle de l'Univers. II est généreux, et lorsqu'on lui apporte son offrande, si misérable soit-elle, il nous la rend, dans sa mesure, proportionnellement à lui. L'Univers crée sans cesse pour nous et pour d'autres. Il ne faut pas se contenter de toujours lui prendre, il faut lui donner, il faut créer pour lui, car c'est sa seule nourriture.
Nous vivons grâce à lui. C'est pourquoi je lui ai voué pour l'éternité mon être matériel et immatériel. Sur terre, cela veut dire Magma et Uniweria Zekt. Je veux que les gens sachent ceci: ce n'est pas pour mon ego que, depuis cinq ans, j'ai entrepris cette démarche vis-à-vis d'eux. C'est parce que cela doit être fait. Bientôt, je ne parlerai plus. Le temps le fera pour moi. "
CHRISTIAN VANDER." Magma, c'est quelque chose de très simple "
Magma enregistre désormais sur label Vertigo et s'en revient de sa première tournée anglaise. Est-ce grâce à Giorgio Gomelsky, votre nouveau manager / producteur ?
CV : Peut-être. Mais cela se serait produit de toutes façons, maintenant ou plus tard. Magma était vraiment attendu en Angleterre. On a fait une grosse impression, là-bas Magma, c'est vraiment tout le folklore européen, Bartok Ça paraît très actuel. Un peu comme ce que font aussi certains musiciens de jazz aujourd'hui (Keith Jarrett) qui introduisent des folklores européens dans leur musique. Les gens, même des musiciens, disent : " C'est fantastique ", parce qu'ils ne sont même pas capables de reconnaître leur folklore ! II existe dans notre pays une carence musicale affolante : 70°/ des jeunes Français n'ont aucune éducation musicale. Alors qu'à onze ans, les Américains montent déjà des orchestres symphoniques ou des Big Bands de jazz. Et ils apprennent la musique européenne mieux que nousLes Anglais aussi ? C'est pour cela que vous leur avez fait forte impression ?
CV : Oui. Mais, enfin, il n'y a pas encore de public pour nous en Angleterre. C'est la même chose qu'en France, il y a quatre ans : c'était ou Claude François ou Triangle, il n'y avait pas encore de public pour une musique comme celle de Magma. On l'a créé, ce public, on a créé des circuits parallèles, faisant parfois six cents kilomètres pour aller jouer devant quarante personnes. Cela nous coûtait toujours du fric, mais nous ne voulions pas attendre que les gens viennent à nous, nous voulions aller vers eux. Ensuite, par réaction, par le bouche à oreille, d'autres, plus nombreux, sont venus à nous.La même création reste à faire en Grande Bretagne ?
CV : Oui. Mais ça ira beaucoup plus vite qu'en France, car la plupart du temps, les Britanniques ont beaucoup de respect pour la musique. En France, au début, le public n'avait bien souvent aucun respect pour notre musique. Maintenant, c'est l'inverse : les gens ont pour nous un respect fantastique, ils veulent vraiment comprendre ce qui se passe.Finis, donc, les incidents du début; Magma, désormais, est " installé " ?
CV : Oui, et un autre public est en train d'apparaître, différent du petit noyau de supporters du début : des gens de milieux plus modestes, moins privilégiés culturellement que " l'élite ". D'ailleurs, ce public " d'élite " disparaît souvent le jour où un groupe commence à faire son trou, à avoir du succès : " Ils font des concessions ", dit-on. Je tiens à dire que nous n'avons jamais fait de concessions, et que c'est sans doute la raison pour laquelle Magma a réussi à s'imposer à un certain public. Magma ne fera jamais de concessions, jouera toujours la musique pour la musique.Pourquoi cette notion d'" élite "?
CV : Pour désigner ceux qui nous ont découverts, qui ont cherché à en savoir plus sur notre musique, qui sont revenus plusieurs fois nous voir. Sans eux, les gens n'auraient sans doute pas compris aujourd'hui que la musique de Magma ne se passait pas au premier degré. C'était surtout dans le milieu étudiant qu'on trouvait ces gens-là.Ils ont beau revenir plusieurs fois, ils ne perceront quand même pas le mystère du langage de Magma, le kobaïen. Pourquoi le kobaïen ?
CV : C'était instinctif. La première fois que j'ai composé quelque chose - c'était à la guitare, et je n'avais jamais touché une guitare de ma vie, je l'ai chanté en kobaïen. J'en avais tellement sur le cur, ce que j'avais à dire était tellement violent que ces mots sont venus tout seuls.C'était donc la naissance de Magma ?
CV : Oui. Je rentrais d'une tournée en Italie ; j'accompagnais Arthur Conley" J'ai toujours joué la musique qui me plaisait "
et l'on m'avait recommandé d'aller écouter certains groupes de "progressive music" au Rock'n'Roll Circus. J'avais trouvé ça sophistiqué, mort, sans vie. La musique, c'est d'abord la vie, non ? Coltrane jouait vraiment sa vie sur scène. Je ne comprends pas les demi-mesures. La musique, ça n'est pas un délassement. Certains musiciens, en France, s'imaginent due la musique, c'est un métier de fainéants, pensent qu'en scène il faut, vulgairement, " s'éclater ", et sortis de scène, laissent leur instrument pour un pichet de beaujolais dans une boîte et, si possible, " une petite nana ". Pas moi. Pour moi, la musique, c'est la vie. Et la mort. En outre, à l'époque, je sortais de la mort de Coltrane, tout s'était effondré autour de moi avec sa disparition. Alors devant ce groupe précieux qui avait l'air de soulever l'enthousiasme délirant de tout le monde, j'ai dit : " Ecoutez, moi, je vais monter un groupe, et ce sera vraiment de la musique ". Ils ont tous éclaté de rire J'avais d'abord pensé qu'après Coltrane, je ne pourrais plus rien faire. Puis j'ai senti qu'il fallait quand même essayer de faire vivre, modestement, la raison pour laquelle il avait vécu, lui. C'est-à-dire apporter quelque chose aux gens. J'essaie toujours de le faire, j'espère que j'y arrive.
Coltrane n'a pas été ton seul contact avec le jazz ?
CV : Non, j'ai travaillé deux ans avec Elvin Jones, un des plus grands batteurs avec Tony Williams et Jack DeJohnette. Elvin était le copain de Bobby Jaspar, un flûtiste belge, mort aujourd'hui, que ma mère connaissait très bien.Tu as donc grandi au milieu du jazz ?
CV : Non, pas du tout. Je n'ai pas été élevé par mes parents, mais par mon oncle et ma tante, dans un milieu ouvrier. Ils écoutaient du Verchuren à longueur de journée. La seule illumination musicale que j'avais, c'était lorsque ma mère venait et m'apportait un disque de l'extérieur. A six ans, j'écoutais Stravinsky, Bach, Clifford Brown, Max Roach. Très jeune, j'ai été sensible à toute cette musique. Peut-être parce que je suis aux trois-quarts de sang allemand, et pour un quart polonais Enfin, très tôt, j'ai senti que le milieu où j'avais grandi, ça n'était pas la vie. Et j'ai commencé à jouer du jazz, car ma mère était dans ce milieu-là. A seize ans, j'essayais de faire des bufs dans les clubs, sous les sarcasmes des musiciens. C'était très dur comme ambiance. Ils regardaient toujours leur montre Ça m'a un peu refroidi de la musique de jazz, j'ai pensé qu'ils étaient en train de mourir à petit feu dans leur ghetto. J'ai d'ailleurs eu la même impression quand je me suis mis à chercher des musiciens pop " professionnels " pour monter mon groupe : - Tu veux jouer du sax dans mon groupe ? - Oui, combien tu payes ? Ou: - Qu'est-ce que c'est comme genre de musique, ton groupe, c'est cool ? J'ai dit: " Ça suffit " et je me suis baladé de club en club, un peu paumé, sans plus chercher à faire le buf, et j'ai rencontré quand même des gens qui avaient envie de jouer. Totalement inconnus, mais qui avaient envie de jouer : François Cahen, Paco Charléry, Francis Moze, etc.Et de parler kobaïen ?
CV : Oui, on en avait tous assez des gens qui n'écoutaient pas la musique ou de ceux qui la jouaient mais s'en foutaient.Le kobaïen, ça ressemble beaucoup à l'allemand ?
CV : Oui, ça tient à mes origines. Le kobaïen, c'est allemand, c'est slave, polonais, ça peut sonner un peu russe, quelque fois même japonais ! Mais le kobaïen, ça n'est pas l'espéranto. C'est un langage très organique et pas du tout intellectuel : on essaie de trouver le mot qui définit vraiment l'objet.Ce sont d'abord des sons, ensuite organisés en un vocabulaire ?
CV : Oui. Je me suis aperçu de ceci : dans un climat donné, lorsqu'on évoque une certaine chose, ce sont toujours les mêmes mots qui reviennent. Kobaïa, c'est la même chose. Je suis dans un certain climat, je branche le magnéto, je compose (car, si la musique de Magma est très structurée, il est évident qu'à la base elle est improvisée) et j'invente toute une trame Je recommence deux ou trois fois, et dans le même climat ce sont toujours les mêmes mots qui reviennent aux mêmes moments. Puis je réécoute cinquante ou soixante fois la bande et, là, je sais ce que veulent dire les mots, à coup sûr. Maintenant, il y a environ six cents mots dont je suis sûr." Notre musique, c'est la pulsation d'aujourd'hui "
Alors, c'est la maturité, pour Magma ?
CV : Magma, pour moi, est né avec " Mekanïk Kommandöh ". Avant, c'était l'épuration. Le groupe précédent avait plusieurs directions ; chacun apportait un peu sa griffe, parce que nous n'étions pas tous absolument d'accord sur la philosophie du groupe. On se détournait un peu de l'esprit original. Avec " Mekanïk Kommandöh ", on y est pleinement revenu. J'ai eu la chance de rencontrer des musiciens qui aient le même état d'esprit. Maintenant, nous allons tous dans la même direction.Cet état d'esprit, comment le définir ?
CV : II faut bien savoir ceci : chacun, dans le groupe, doit s'accomplir. Bientôt, je ne serai plus l'unique compositeur. Tout le monde va composer. Chacun doit pouvoir s'entendre "résonner" intégralement chez les autres. Mais, pour cela, i1 faut tous être sur une base commune.Et on y parvient comment ?
CV : Uniquement par un état d'esprit commun, une philosophie commune, et parce qu'on travaille tous dans la même direction : les disciplines spirituelles. Jannik Top, par exemple, travaille dans une certaine discipline depuis plusieurs années, Klaus dans une autre, moi dans la mienne, etc. Mais, auparavant, chacun jouait avec des gens qui ne " travaillaient " pas.Cette discipline, ce " travail ", qu'est-ce que c'est ?
CV : C'est une discipline, un travail qui permet d'arriver " haut " Tout le monde peut apprendre, mais tout le monde n'apprend pas, en fait. C'est une des lois?
CV : Bon, il y a deux mondes : le monde objectif et le monde subjectif. Tout le monde peut avoir accès au monde subjectif. Peu nombreux sont ceux qui peuvent atteindre le monde objectif, la spiritualité. II y a un travail à fournir pour cela. Peu de gens le font, car cela demande énormément d'efforts. Ne serait-ce que pour acquérir les basesCe travail consiste en quoi ?
CV : Cela peut être l'étude du symbolisme égyptien, par exemple. Actuellement, le côté spirituel, c'est un peu à la mode. En ce qui nous concerne, ça n'est pas une question d'opportunisme. Mais, si on avait parlé de ça il y a seulement quatre ans, on nous aurait pris pour des fous. Pour planer, il faut connaître les bases à fond, tout contrôler. II ne faut pas s'évader uniquement par les forces cosmiques, il faut aussi travailler la terre, les puissances telluriques. II faut tout " donner " avant de commencer à s'éleverEt cette spiritualité se réfère à quoi ?
CV : Chacun dans le groupe a sa discipline. En ce qui me concerne, c'est l'Egypte, le symbolisme égyptien, mais je suis encore loin de posséder toutes les clés.Mais encore ?
CV : II existe des manuscrits, il y a des choses qui se transmettent de main en main ou de bouche à oreille dans le monde objectif, dont le monde subjectif n'a pas conscience. Avec ces éléments, on peut commencer le travail. Pour l'étude du symbolisme, il faut avoir des clés. Savoir que si on lit dans la Bible : " II a tué le dragon ", ça veut dire tout autre chose : " II a tué son ego ", par exemple. C'est tout un travail de savoir simplement lire entre les lignes. On ne peut commencer à comprendre que lorsqu'on commence à connaître le symbolisme des choses. A partir de là, on peut commencer le travail sur soi. Par exemple, moi, je vais bientôt devoir aller à la campagne pour pouvoir travailler en profondeur et commencer à maîtriser chaque chose.Maîtriser quoi ?
CV : Pour donner un exemple, un maître (dans une discipline spirituelle) peut prendre une brique brûlante dans un feu, la sortir et la poser à terre. Comment a-t-il fait ça, sans se brûler ? En accumulant l'humidité de son corps au bout des doigts. Mais, pour en arriver là, il faut savoir sentir chacune de ses artères, chacune de ses vertèbres, pouvoir à chaque seconde contrôler son corps au plus profond.C'est une chose réellement possible ?
CV : Bien sûr. C'est ça la discipline. II y a aussi moyen, de la même façon, de sélectionner l'air qu'on respire, de n'en prendre que ce qui est sain et de laisser les déchets. Ou encore ceci : un grand maître s'installe dehors, à une table, pour manger : il pleut partout, sauf sur la table à laquelle le maître est installé ! Je sais Pour le monde subjectif, ça paraît complètement fou, mais c'est vraiEt cela concerne des gens de chair et d'os, de 1974 ?
CV : Absolument. Et visibles, en plus. Mais n'y a pas de démonstrations ! La règle, c'est ETRE quand on " est ", ça vient. II ne faut pas chercher à être quelque chose, à montrer ou à vouloir apprendre quoi que ce soit aux autres. II faut être, se contenter d'être. Je sais ça paraît énorme, mais ça ouvre des portesA quel prix, aussi ?
CV : Au prix de beaucoup de lucidité, d'objectivité totale, de " dépassion " permanente c'est très dur.Donc, d'un certain ascétisme ?
CV : Bien sûr. Pas de drogue, évidemment. Pas d'alcool. Et je suis en train de cesser de fumer ; la cigarette, c'est encore trop pour moi.Et les relations humaines, homme-femme, homme-homme ?
CV : II n'y a plus de mensonge, plus d'hypocrisie possible. Ça peut affecter certaines relations entre homme et femme, effectivement. En ce qui concerne le groupe, il n'y a plus aucune barrière entre nous, on va toujours au fond de ce qu'on a à se dire.Mais vis-à-vis du monde " subjectif ", comment te comportes-tu? Sûrement pas " naturellement " ?
CV : II faut avoir un code. Le code terrestre. Savoir que, de temps en temps, un sourire peut détendre l'atmosphère. Evidemment, plus on va au fond, plus on a du mal à participer au monde subjectif. Non pas que ce soit finalement tellement difficile pour nous. Ça l'est surtout pour les autres.Et vis-à-vis du public ? Faites-vous, ferez-vous un ou deux pas vers lui ?
CV : Oui. En ce qui concerne le langage, le kobaïen, il y aura bientôt un petit dictionnaire. Pour nous, tout commence avec " Mekanïk Kommandöh ". Bientôt, on va jouer sur scène un morceau qui part de la base - le robot humain, la machine - pour progressivement dégager " l'esprit ". Dans la musique de Magma, il y a des passages-clé qui restent en chacun, intérieurement. Chacun doit les ressentir à son degré. L'initiation, ça se fait par paliers. Par exemple, avec une statuette égyptienne en mains, un type normal dira " C'est une très belle statue" ; un initié verra ses proportions, les nombres d'or ; un maître, lui, entrera carrément en vibration avec la statue, avec l'époque à laquelle elle a été conçue. La musique, c'est pareil : il y a les trois niveaux.Le plus accessible étant la rythmique ?
CV : Oui, le niveau mécanique. Dans " Theusz Hamtaahk ", la rythmique est relativement lourde pour mettre en valeur des churs très aériens - le deuxième palier. Mais il faut quand même tendre l'oreille pour les entendre.Et le troisième niveau ?
CV : C'est la liaison du tout : la puissance tellurique, plus la puissance neutre, plus la puissance cosmique.Et le jour où tout le monde percevra ces trois niveaux ? II n'y aura plus cette élite dont tu parlais tout à l'heure ?
CV : Bien sûr que non. Je veux faire de la masse une élite. Or, en ce moment, à ma connaissance, il n'y a pour ainsi dire pas de musicien tourné vers cet état d'esprit. Mahavishnu, je crois, n'est pas encore passé par le stade de l'épuration : pour jouer une note, il leur en faut cinquante pour la faire passer. Dans la musique, chaque note a son importance. La musique, ça peut être quatre notes pendant cinq minutes s'il le faut. II n'est pas besoin d'en jouer d'autres si celles-là sont vraiment ressenties, ce serait superflu. Plus on travaille, plus on va loin, plus on élimine le bla-bla, le m'as-tu-vu.Cela suppose un nouveau type de relations avec les gens ?
CV : Oui, et de plus en plus, nous jouons au même niveau qu'eux, " en bas " de la scène, surtout quand celle-ci est trop haute.Avec une prédilection pour ces circuits parallèles dont nous parlions tout à l'heure, MJC, etc. ?
CV : Oui. Et depuis le début. Nous avons souvent fait six cents kilomètres pour jouer devant quarante personnes. Je le répète, car c'était un boulot de Titans. Mais c'était la seule solution pour avoir le contact avec les gens.Comment vous en sortiez-vous ? Huit musiciens, peu de galas, peu de disques ?
CV : On ne s'en sortait pas du tout ! On avait, et on a toujours des dettes. Nos femmes travaillent. Et, en ce moment, nous jouons toujours pour payer nos dettes. Je me souviens, au début, j'avais du mal à remplacer les trois-quatre baguettes que je cassais chaque soir !Un Miroir
Pourquoi avoir choisi Giorgio Gomelsky comme manager ?
CV : Parce qu'il nous fallait quelqu'un qui soit un peu à la mesure de Magma. Un manager, bien sûr, mais aussi quelqu'un qui ait des idées originales, un peu folles.II s'occupe aussi de Zao, dont le fondateur est François Cahen, ex-Magma ?
CV : Oui. Et bientôt, il y aura de plus en plus de groupes qui vont jouer dans ce même état d'esprit. Ce n'est pas de la pop, ni du jazz, mais de la ZEUHL WORTZ ou UNIWERIA ZEKT : c'est comme cela qu'il faut l'appeler.La Zeuhl Wortz commence à être reconnue. Elle ne suscite plus autant d'agressions qu'au début de Magma.
CV : Elle est un peu un miroir, où chacun peut lire la dose d'agression qu'il a en lui, où chacun peut se mettre à jour. Je n'ai jamais compris comment on avait pu nous prendre pour un groupe fasciste. Quand je pense que j'ai entendu ça pendant trois ans !La politique, puisqu'on en parle, qu'est-ce que ça représente pour toi ?
CV : Rien. Rien du tout. Quand un homme politique parle, c'est à mourir de rire. Et ils gardent leur sérieux ! Ça ne pourra pas continuer comme ça, les gens vont se réveiller.Si ça n'est pas la politique, qu'est-ce qui liera les relations humaines, alors ?
CV : Ça pourrait être la Zeuhl Wortz, par exemple Mais plus tard. Pas dans l'immédiat. Dans dix-quinze ans, peut-être, il se passera quelque chose Beaucoup de gens vont " travailler " Je ne précise pas plus, car on va encore me dire : " Ça n'est pas possible ".Dans ce futur proche, les spectacles de Magma joueront leur rôle ?
CV : Oui. Et même avant. Nous allons les perfectionner. Y ajouter plus d'audiovisuel, des ballets Pas pour "distraire" seulement, mais pour aller plus loin dans le même état d'esprit, pour que chacun en sorte vraiment "bouleversé" un peu " en progrès "Tout cela ne traduirait-il pas une certaine volonté d'être le " maître initiatique " des pauvres pécheurs que nous sommes ?
CV : Pas du tout ! Si on EST quelque chose, si on se contente d'ETRE, les gens viendront tout seuls. Par contre, si on veut être, cela signifie qu'on possède déjà en soi le facteur de destruction et qu'on finira par être anéanti, sans pouvoir aller plus loin. Quand on EST, c'est à perpétuité. En dehors même de Magma, l'important c'est surtout l'état d'esprit qui va se créer après nous, ou autour de nous. Si, par hasard, il se trouve que cela tourne autour de moi, je ne l'aurai pas cherché, pas voulu. Je me serai contenté d'apporter quelque chose, du mieux que je pouvais.A propos du dernier disque de Magma, est-ce que je peux te demander si tu as beaucoup écouté " Carmina Burana ", de Carl Orff ?
CV : Oui. Je l'ai découvert par hasard, il y a deux ans et demi, et j'ai trouvé ça fantastique ! Mais, avant même cette révélation, toute la musique de Magma avait déjà été écrite pour des churs, des chants un peu aériensCurieusement, il y a en ce moment un regain d'intérêt certain autour de l'uvre de Carl Orff et, spécialement, autour de " Carmina Burana ".
CV : Oui, bien sûr. Et ceci, depuis qu'un soir au Gibus, on a passé le disque de Carl Orff avant l'un des concerts de Magma. Avant, personne ne l'avait jamais entendu !La musique que tu préfères, dis-tu souvent, c'est celle de Magma. Pourquoi ?
CV : Pas par prétention, en tout cas. Avant de découvrir ma musique, je jouais la musique de John Coltrane, car c'était celle qui se rapprochait le plus de mon cur. Mais ce n'était pas mon cur, c'était le sien. A partir du moment où se joue la musique qui vient de mon propre cur, je ne peux pas jouer, aimer autre chose, car alors c'est cette autre musique que je jouerais. C'est logique.
Propos recueillis par François-René CRISTIANI.
Rock & Folk n° 85 - Février 1974