TRISTAN ET ISEULT
Des tableaux de maître où la chevelure des héros est balayée par le vent

Français (1h20). Réalisation : Yvan Lagrange, avec Claire Wauthion et Yvan Lagrange. O.C.F.C. : -

Il a vingt ans, et, à voir ses films, on se surprend à penser que c'est le plus bel âge pour un poète. Yvan Lagrange, dont les parents sont professeurs de "plastique cinématographique", et qui est le neveu de l'opérateur Ghislain Cloquet, a commencé très jeune à tourner des courts métrages, comme d'autres griffonnent des alexandrins. Son cinéma, inédit encore à ce jour, est un cinéma émotionnel, un chant lyrique habité par des visions splendides et un narcissisme avoué. S'il tourne délibérément le dos au commerce, le cinéma d'Yvan Lagrange, à la différence de celui d'un Philippe Garrel, que l'on ne manquera pas de citer à propos de Tristan et Iseult, est plus plastique qu'intellectuel. Ses rêves sont à la portée de tous ceux qui ont encore le goût du songe, qui sont prêts à s'émerveiller, à voir et à entendre pour le plaisir des yeux et des oreilles. "Il faut voir mes films comme on regarde par la fenêtre" chuchote Lagrange. Comme les films de Werner Schroeter ou de Carmelo Bene, le cinéma poétique d'Yvan Lagrange n'a en effet ni rimes, ni raisons : c'est une oeuvre artistique née de l'audio-visuel. A admirer en salles obscures de même qu'on va voir un Léonard de Vinci au musée, ou écouter un récital classique salle Gaveau.
Tristan et Iseult, c'est donc une harmonie de composants visuels et sonores. De belles, très belles images qui chatouillent l'oeil et l'imagination, des images qui parlent au coeur et flattent l'esprit, alliées à une éblouissante composition musicale du groupe Magma, martelée et chantée comme les choeurs de Carl Orff.
Tristan, c'est un jeune homme au torse nu et en jeans Levis (Yvan Lagrange lui-même), qui promène sur les paysages sauvages de l'Islande un regard perdu. Iseult, jeune fille aux cheveux longs et à la robe de velours pourpre, dévale les prés et les vallées, à la recherche de son bien-aimé. Le film est une alternance de strophes douces et de refrains chahutés : aux scènes d'amour nimbées de féerie succèdent des images de combats avec des chevaliers en armures aux costumes multicolores, aux heaumes stylisés qui rappellent ceux des chevaliers teutoniques selon Eisenstein. Ils croisent le fer interminablement, se tuent, galopent, à cheval ou à dromadaire. De la légende de Tristan et Iseult il ne reste plus rien ou presque, mais peu importe le mythe pourvu qu'on ait l'ivresse. Car nous sommes embarqués sur un bateau ivre.
Les symboles sont simples et naïfs comme une certaine peinture. L'amour, l'éternité, le feu, l'immensité, s'opposent à la mort, la boucherie, la folie, la guerre. La nature, omniprésente par les chants du vent, de la mer, de l'orage ou des oiseaux, idéalise les grands sentiments de ce gamin égaré en quête d'un paradis.
Tistan et Iseult, c'est comme une galerie de tableaux de maîtres. Mais ces tableaux sont mouvants et sonores, même s'il n'y a que la chevelure des héros balayées par le vent qui bouge, ou le bruit lointain d'un torrent en sourdine.

Jean-Luc DOUIN


La musique fantastique de Magma

En décembre 1973 (TRA. 1248), dans la critique du dernier disque de Magma : Mekanïk destructïv kommandöh, je disais qu'il était difficile de décrire "les images auditives" de cette musique et qu'il fallait écouter Magma comme on s'embarque dans le monde de l'irrationnel et du fantastique. Dans son dernier film, Tristan et Iseult, Yvan Lagrange vient très justement à force de constructions magnifiques, décrire ces "images auditives". En confiant la musique de son film à Magma, Yvan Lagrange a fait la preuve que pour illustrer une certaine démarche poétique et fantastique, ce groupe était irremplaçable. Sans doute parce qu'il a délibérément choisi de marier rock, jazz, opéra classique et mélopées millénaires. Dire aujourd'hui qu'un groupe français a la même audience à l'étranger, qu'un groupe anglais ou américain (quel qu'il soit), connaît ici en France, relève du plus joli rêve. A l'exception, sans doute aucun, de Magma. Seulement voilà, nul n'est prophète en son pays et triste vérité, triste question, Magma ne prêche-t-il pas à la limite pour des convertis ? Mais l'hypothèse est trop simple, trop lâche. A nous de démontrer le contraire.

Laredj KARSALLAH


Télérama N° 1263 page 67 - 30 Mars au 5 Avril 1974 - (Merci à Renaud Huerta pour les précisions de cette parution)
Zeuhl Merci : Hervé L'HELGUEN

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