Octobre 75 :
Magma / Hervé Picart, une "joute" mémorable...

Acte I : Hervé Picart, petit crétin

Au fond que reproches-tu à MAGMA ? De ne pas boire, de ne pas se droguer et de ne pas avoir envie de discuter avec les autres musiciens. Mais si nous agissons de la sorte, ce n'est pas sans raisons. Nous connaissons par cœur les discussions de "musiciens-concierges" : du bla-bla... Dire du bien ou du mal d'un tel ou un tel, parler de ceci plutôt que de cela parce que ce matin le hasch a fait dériver la conversation là-dessus.
Cela fait des milliers d'années que ça dure ! Les musiciens comme certains critiques ne meublent leur vie et leurs articles qu'avec des potins de midinette.
MAGMA ne demande rien à personne. Foutez-nous la paix ! ! !
Nous n'avons pas besoin, nous, de meubler notre solitude intérieure avec des ragots car nous avons une vie interne intense.
Hervé Picart petit imbécile, tu reproches cette attitude à MAGMA mais sais-tu qu'un Maître, avant de devenir un Maître, ne parle pas. Jamais. Il doit, avant de dire quoi que ce soit, se connaître et enfin essayer de comprendre les autres. Et cela demande des années de travail et de discipline.
Et ça aussi, petit gribouilleur, tu t'attaques à MAGMA, l'un des seuls, ou sinon le seul groupe Français à n'avoir pas flanché depuis 6 ans maintenant, qui a crée tout un public et tout un circuit pour toutes ces musiques que tu aimes.
Pour que des groupes comme GONG... etc. puissent jouer devant un public pour les entendre et des rats de ton espèce pour tenter de les démolir.
Comme tout cela est actuel, mon pauvre Hervé Picart !
Mais MAGMA est intemporel et les groupes que tu vénères à présent, seront bientôt rongés par le temps et l'usure.
Mais MAGMA sera toujours là.
Et toi tu seras sans doute marchand de saucisses car pour dire du mal d'HENRY COW il faut vraiment n'avoir aucune oreille musicale ! Ignare... Tu es vraiment un "Français", tu n'as aucune culture musicale (11 % des Français reçoivent une éducation musicale - L'Express).
La musique d'HENRY COW n'est pas free, chaque note en est écrite. Il faut être musicien pour critiquer un musicien, et encore, bon musicien. Tu fais partie de ceux qui auraient sifflé JOHN COLTRANE quand il est venu à Paris la première fois !
Tu es de ceux qui détruisent la musique. Tu détruis car tu ne crées rien, tu ne peux rien créer. Tu es un parasite qui pompe l'énergie de ceux qui vivent intensément.
Mais tu te fatigueras avant nous car tu n'as pas la foi !
Nous n'avons pas besoin d'énergie pour ETRE, par contre il en faut beaucoup pour essayer, en vain, de détruire ceux qui SONT. L'énergie terrestre est matérielle et s'effrite avec le temps...
Nous pourrions en dire très long sur toi et des acolytes, mais à quoi bon, vous crèverez dans le mépris...
Tu dis "Tous les groupes Français ont un problème".
Il n'y a pas de Français d'origine dans le groupe et nous n'avons pas de problème.
Apprend, Hervé Picart à peser tes mots. Nous ne faisons ni ne disons de mal de personne, sauf comme dans le cas présent, quand on nous y oblige. Peux-tu en dire autant ?
Même si ce que nous faisons actuellement ne te plait pas, qu'as-tu, toi, à leur proposer même de mauvais ? Qu'as-tu à leur donner ?
CHRISTIAN VANDER ET MAGMA

Acte II : Réponse de Hervé Picart

Foutre. Voilà qui est envoyé. On se sent tout petit dans son slip lorsque l'on reçoit des épîtres comme ça. Mettons les choses au point.
Primo, je me suis contenté de recueillir en interview des impressions sur l'atmosphère de la fameuse tournée, et voilà ce que l'on m'a dit de Magma. Je n'ai fait qu'enregistrer. J'ai proposé à Vander une interview complémentaire qui n'a pu être réalisée, tant pis, mais celle de Gong s'est faite en présence d'un de ses managers. Ça, Magma n'en fait pas mention. J'ai déjà dit une fois ce que je pensais de l'attitude de retrait de Magma, je ne recommencerai donc pas. Et pour les gens qui veulent qu'on leur foute la paix, je les trouve bien raides dans leur réaction. Heureusement que Vander "Ne parle pas. Jamais".
Deusio : qu'est-ce que c'est ces arguments : Magma est le seul groupe français (heureux de l'apprendre ; et les autres ? ils sont austro-hongrois ou inexistants, d'après eux ?), mais d'autre part il soutient fermement qu'il n'y a pas de Français d'origine dans le groupe. J'avoue ne pas saisir. Et vous ?
Tertio : qu'est-ce que c'est que cette diatribe contre les critiques ? Magma n'a jamais été contre eux lorsque Christian Lebrun est allé les voir à Londres en exclusivité et leur a consacré un vaste article, ou quand moi-même j'ai pris "Mekanïk Destruktïw Kommandöh" en disque du mois. Là, c'était normal. Mais quand on commence à critiquer vraiment, on devient le dernier des fumiers, assez bon pour apprécier, pas assez pour dénigrer. La conception de Magma, groupe à la vie intérieure très riche / très pure, rejoint fâcheusement celle du show-business pour qui un bon rock critic est un rock critic mort, c'est à dire un type qui encense tout ce qu'on lui présente, qui vous fait de la pub à peu de frais, et qui ferme sa gueule si cela ne lui plaît pas, et si on ne lui a pas fermée avant avec un petit chèque ou des promesses de reconversion quand il en aura marre d'écrire. Magma est très pur.
Quarto : donc, il n'y a qu'un musicien qui peut juger un musicien ? Pas de pot, Vander, je suis musicien, je fais partie des 11 % et je continue à pratiquer assidûment la chose. Mais, de toute façon, ça n'a pas d'importance, car un musicien n'aura toujours que le point de vue du producteur, que celui d'un type qui cherche à faire manger sa soupe, et n'aura jamais, jamais, jamais le même point de vue que celui qui a la bouffe. Or, nous essayons d'écrire pour ceux qui la bouffent, votre soupe, monsieur Vander. Et vous avez beau la concocter le plus soigneusement possible, ce dont je ne doute pas, et avec le plus de cœur possible, ce dont je ne peux douter, on peut tout de même la trouver fade, non, on a le droit ? Mais un rock critic n'est qu'un crétin, pas vrai, il n'a pas le droit de juger. Il ne sert qu'à faire de belles phrases sur vous, à aboyer quand on le sonne. Un fonctionnaire (on retrouve beaucoup cette expression en ce moment, pour nous caractériser). Vous en connaissez beaucoup, des fonctionnaires qui travailleraient pour trente francs la colonne imprimée (calculez, cela ne fait pas beaucoup par mois) ? Nous faisons nos conneries de papier parce que nous aimons parler aux autres de ce que nous aimons. Si nous n'avons même plus le droit d'avoir de goût, ce que nous prétend implicitement la lettre de Magma, qu'est-ce qu'il nous reste ? Le public, d'autre part, a une attitude similaire : nous ne sommes là que pour exprimer en phrases plus ou moins bien faites leur fanatisme pour telle ou telle star, pour le confirmer dans ses passions. Et il nous descend en flammes chaque fois que nous faisons preuve d'esprit critique, comme si nous n'avions pas le droit de revenir sur nos jugements antérieurs ou de remettre en question NOS anciennes amours. Il n'y a que les crétins qui ne changent pas d'avis. A ce propos, un manager de Magma m'a même téléphoné chez moi, dans ma province perdue du Nord, pour me dire cette phrase exquise, enrobée d'autres réprimandes :"On sent qu'à Best vous n'avez JAMAIS aimé Magma !" Je trouve cela superbe.
Quinto : Magma pose à nouveau le problème Henry Cow, car Magma aime, donc vous devez aimer ou être imbécile (j'appelle ça de la dictature intellectuelle, cette façon de vouloir imposer ses goûts au monde). Clafoutis aussi s'est mis de la partie dans le dernier numéro. Pour le jugement de ce dernier, c'est plutôt louche, à croire que Henry Cow va signer chez Pathé-Marconi, ce qui va obligatoirement le placer parmi les EMI favoris et rabâchés du sieur Clafoutis, id est Pink Floyd, Beatles, Manset et l'inégalable Julien Clerc, le "Mick Jagger français", citation du même (qui a parlé de "gagesque" ?). Quoi qu'il en soit, Magma et Clafoutis n'ont retenu de mon papier perplexe que ce qui les arrangeait, c'est de bonne guerre. Ce papier ne portait d'ailleurs que sur les trois premiers albums, le solo (redoutable) de Frith et la face live du "Greasy Truckers", je n'ai pas eu le dernier, qui est peut-être fantastique. Enfin, pourrait-on dire.

Best n° 87 - Octobre 1975

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