MAGMA
"Üdü Wüdü"

Chronique de Michel BOURRE
Rock & Folk n° 119 - Novembre 1976

Pour commencer, je crois qu'il n'est pas inutile de répéter que la musique de Magma dans sa globalité, et chaque nouveau disque du groupe en particulier, nous situe d'emblée très au-dessus du niveau auquel nous abaisse la grande majorité de la production actuelle. Du premier double album à " Udü Wüdü ", c'est le même esprit, la même exigence, le même grand décapage de votre mental. Ainsi se construit une œuvre, cohérente et forte, dont voici le sixième volume, comme les autres frappé de la griffe kobaïenne, mais celui-là noir et inaugurant par un sigle la collaboration à parts égales de Christian Vander et de Janik Top.

Le retour du bassiste ne correspond en effet évidemment pas à un simple changement de musiciens. C'est presque le choc de deux planètes, dont on attend la fusion. Elle ne se produit pas tout à fait sur " Udü Wüdü ", qui avant tout, et c'est sa première étrangeté, est un album de Top. Certes, Vander est omniprésent, non seulement à la batterie mais aussi aux claviers et au chant, mais sur le plan des compositions il apparaît ici très en retrait, comme s'il s'agissait vraiment d'un album de transition avant de pouvoir aborder ce qu'il nous prépare et nous annonce depuis si longtemps.

La première face comprend cinq morceaux courts, c'est une autre surprise. Aucun d'entre eux ne peut à mon avis être comparé aux longues pièces incantatrices où Magma nous donne ce qu'il a de meilleur. Mis bout à bout, c'est pourtant un autre voyage, une suite d'instantanés et d'ambiances peu coutumières au groupe, qui prend, suivant les plages, des formules différentes. J'avoue ma préférence pour le quatuor Vander - Blasquiz - Paganotti - Gauthier de " Weidorje ", qui en quelques minutes arrive vraiment à suggérer l'idée et l'image de ce qu'est Magma, mais les cuivres et les chœurs de " Udü Wüdü " (Alain Hatot : saxe, Pierre Dutour: trompette) et l'atmosphère étrange de " Soleil d'Ork " valent aussi le détour (avec encore Alain Hatot aux flûtes). On retourne alors très vite à la liste des musiciens pour y découvrir une éclatante absence : celle de Didier Lockwood, dont le violon prend pourtant aujourd'hui sur scène une place extrêmement importante dans l'exposition des thèmes, où il a pratiquement remplacé à lui seul le " peloton de cuivres " des débuts du groupe. La conséquence, c'est que Magma paraît réduit à son minimum vital, qu'en dehors de quelques ornements placés ici ou là, Blasquiz et surtout Vander et Top, qui jouent chacun de plusieurs instruments (dont les claviers, Michel Grailler le pianiste actuel ne figurant que sur " Udü Wüdü "), assurent tout le travail à eux trois.

Ainsi, ils sont seuls sur " De Futura ", le plat de résistance qui occupe toute la deuxième face. Simplement habillée de chœurs et de synthétiseur, la rythmique de Magma y dégage une force noire, incroyablement puissante et vaguement effrayante. Sans doute sera-t-elle reçue par beaucoup comme le nec plus ultra du traumatisme et de l'agression, et ses sirènes seront-elles vécues comme autant d'appels à l'angoisse. Je crois sincèrement qu'il faut avoir reçu en direct, " live ", cette fresque volcanique pour l'aborder sans risques sur disque. Je crois aussi que " Udü Wüdü " peut à la fois être perçu comme le plus innocent, le moins dangereux (la face 1) et aussi le plus dur, le plus sombre (la face 2) de tous les albums de Magma. Disons que Kobaïa momentanément sereine catapulte Ork en ébullition, et que le mot de la fin se situe quelque part entre vos deux oreilles et votre conscience.

 

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