Conversation avec Klaus BlasquizMAGMA A JAMAIS. Un silence long de quelques mois a suivi le départ de Janick Top, un retrait volontaire de la scène musicale mise à profit par Christian Vander et Klaus Blasquiz pour réunir autour d'eux de nouveaux musiciens afin de porter encore plus loin - et d'une manière sensiblement différente - leur ENERGIE, de communiquer partie ou totalité de la FOI qui les anime… C'est la Bretagne que MAGMA a choisi pour présenter son nouveau visage, et c'est là que Klaus Blasquiz s'est gentiment prêté au jeu des questions réponses…
Atem : Etes-vous satisfait de votre tournée avec la nouvelle formation ici, en Bretagne ?
KB : Au niveau de la Bretagne, c'est certainement nouveau, mais c'est nouveau aussi à notre niveau. Le groupe est pratiquement neuf et original, à part le pianiste qui était déjà là il y a 2 ans.
Atem : Avez-vous eu des problèmes pour former le nouveau groupe ?
KB : Il y a toujours des problèmes !
Atem : Surtout en si peu de temps.
KB : En si peu de temps, oui… Après les départ de Janick Top, on a immédiatement commencé à chercher des gens et à travailler. Il y avait plusieurs solutions qui se sont présentées, et ça s'est fait plus vite qu'on ne pensait. On n'a évidemment pas assez travaillé, alors on a monté une partie des morceaux qui étaient joués avant, et puis toute une série de petits morceaux qui sont un peu la carte de visite du nouveau groupe. En attendant les grandes pièces de musique qu'on fait régulièrement. Mais ce n'est pas nécessaire de jeter tout les temps les grandes pièces de musique à la tête des gens s'ils ne sont pas prêts. On leur a donné Köhntarkösz, Theusz Hamtaahk, ça ne servait à rien. On les jouait, ça passait au dessus des têtes.
Atem : Crois-tu que Theusz Hamtaahk passait au dessus des têtes ?
KB : Ah oui ! Peut être moins que Köhntarkösz, mais le disque Köhntarkösz a été complètement incompris ; quant à Theusz Hamtaahk, on le jouait sur scène, les gens attendaient la fin; ils attendaient le chorus de batterie, Mekanïk…, alors ce n'est pas la peine de les faire attendre. On va attendre qu'ils aient envie qu'on le joue, simplement.
Atem : Donc l'enregistrement de Theusz Hamtaahk n'est pas pour demain ?
KB : Si, si mais il y aura d'abord Ptäh, et Ehmëhntëht-Rê.
Atem : Ehmëhntëht-Rê est donc toujours prévu ?
KB : Il est fait, il est monté. Simplement on n le joue pas, parce que l'on a pas de choristes, parce que c'est trop long, ça fait 45 minutes. Si on commence à jouer des morceaux comme ça, les gens vont décrocher; alors il faut faire des compromis. On ne le fait pas forcément au niveau de la musique, mais du programme, au niveau du choix des morceaux.
Atem : Oui, ce soir, c'était à peu près cela, mais les gens ont très bien réagi.
KB : Voilà, c'est ça. Il y avait des grandes pièces de musique, typiquement symphoniques dans l'esprit de Magma, et aussi des morceaux de musique quotidienne, qui sont quand même Magma (et on reconnaît à la première seconde que c'est Magma) ; mais ce sont des petits morceaux tassés, plus faciles, avec des thèmes plus exploités que dans une grande pièce de musique où il y a des thèmes et des thèmes qui se suivent. Les gens n'ont pas une vision d'ensemble, tu comprends, il n'ont pas de grand angle, ils ont simplement une vision microscopique. Alors ce n'est pas la peine de leur donner un ensemble à voir au microscope ; ils ne le verront pas. Alors, on leur donne des petits morceaux, qui sont à leur niveau de vision. Et petit à petit, on les entraîne. S'ils ne suivent pas, tant pis, c'est qu'ils ne pourront jamais suivre. Mais ceux qui suivent, suivent petit à petit et agrandissent leur champ de vision. Et c'est comme çà qu'il faut faire pour tout. Il ne faut pas immédiatement apprendre le chinois à quelqu'un; il faut qu'il apprenne à dire "Bonjour Madame" d'abord. Ce n'est pas répugnant de d'abord savoir dire "Bonjour Madame" en chinois avant de savoir dire l'espace, l'infini, les astres. On apprend bien un jour à le dire de toutes façons.
Atem : Mais le prochain disque de Magma, quel sera-t-il ?
KB : C'est un disque solo de Christian Vander avec Ptäh, c'est à dire une partie du chorus de batterie. Avec Zombies comme introduction du chorus, mais en fait Zombies, ça s'appelle Udü Wüdü. Il y a Zombies au départ, c'est un séquence qui fait 20 minutes et qui enchaîne sur Udü Wüdü, qu'on a monté aussi avec des choristes. Puisqu'on n'a pas les choristes, on ne le joue pas. On le joue en introduction du chorus de batterie. Mais le chorus de batterie - à partir du moment où il est tout seul avec la cloche - là commence un morceau qui s'appelle Ptäh. C'est musical, on ne joue pas. Il va faire 20 minutes, et puis d'autres petits morceaux sur le disque, un morceau qui est une évocation de Tamla Motown, Temptations et autres, des choses qui nous tiennent à cœur.
Atem : Après, ce sera Ehmëhntëht-Rê ?
KB : Après, c'est certainement Ehmëhntëht-Rê, mais peut être qu'avant, il y aura un autre disque, avec des petits morceaux. Ptäh va être fait dans le mois qui suit, c'est à dire Février Mars, il sortira en Avril Mai.
Atem : Les chœurs posent-ils vraiment des problèmes ?
KB : C'est un peu le même problème que celui des musiciens; c'est à dire que des musiciens qui ont éventuellement de la bonne volonté, il y en a, des musiciens qui ont des capacités, il y en a, mais des musiciens qui ont envie de le faire avec tout ce que ça comporte, il n'y en a pas beaucoup. Alors l'idée, c'est ça qui compte. Parce qu'il ne s'agit pas de venir jouer avec Magma. C'est pas ça le problème. Mais seulement, ceux qui ne viennent pas jouer avec Magma ne font rien. Il n'y a rien; je suis désolé, c'est dur à dire, mais on est les seuls faute de combattants. Et nous, on ne demanderait que ça d'être suivis, pas suivis, mais…
Atem : Je pense quand même que Magma a eu une influence sur certains groupes.
KB : Oui, mais ce n'est pas une bonne influence, pas forcément. C'est une influence superficielle, ils n'ont pas l'idée. Je ne citerai pas de noms…
Atem : Oui, mais il faut leur communiquer ce qu'il y a par dessus la musique.
KB : Oui, mais il faut qu'ils le comprennent aussi. Même pas, il faut qu'ils le sentent. Parce que tu peux expliquer tout ce que tu veux, s'ils ne le sentent pas… Je peux t'expliquer n'importe quoi musicalement, si tu ne le ressens pas, ça ne sert à rien. Tu vas avoir des formules logiques et intellectuelles qui ne te serviront à rien.
Atem : Mais quels sont les groupes à l'heure actuelle, qui pour toi, représentent un intérêt ?
KB : Henry Cow. Seulement, il y a beaucoup d'erreurs qui sont faites. Des erreurs non musicales, c'est à dire qu'ils n'ont pas encore fait un choix définitif de ce qu'ils veulent faire.
Atem : Leur aspect un peu free… c'est peut être un peu gênant ?
KB : Voilà, ça ce sont des erreurs à mon avis. Il ne s'agit pas de jouer du free, il s'agit de composer un spectacle musical. Pour l'instant, c'est un peu un catalogue. Alors un catalogue c'est bien - catalogue de manufactures d'armes de Saint Etienne, c'est bien, elles sont efficaces les armes, mais ça ne fait une armée. Bon, je pourrais prendre n'importe quoi d'autre, un catalogue de fleurs, ça ne fait un jardin. Le jardin, il faut avoir l'idée de le faire; ce n'est pas en plantant des fleurs qu'on va faire un jardin, c'est en faisant un jardin. Et eux, ils ne font pas la musique, ils font…
Atem : Oui, mais c'est peut être un manque de maturité aussi.
KB : Oui, mais c'est pour ça, il vont mettre du temps. Parce que la maturité, à un certain niveau, ils l'ont. Mais à ce niveau là, ils ne l'ont pas, c'est sûr. Et on ne l'avait peut être pas nous, pendant un certain temps. C'est à dire qu'on a peut être été trop extrémistes dans un certain sens. On a voulu frapper trop haut. On avait trop confiance dans le public.
Atem : Certaines personnes vous ont reproché d'être élitistes à un certain moment.
KB : Ce n'était pas une volonté. C'était eux qui étaient en dessous, c'est pas nous qui étions au dessus. On n'était pas au dessus de nous même. On se surpasse, peut être, mais on ne va pas plus loin qu'on ne peut aller. Mais on jouait pour les gens, on cherchait à ce qu'ils viennent, et puis on se demandait pourquoi ils ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient pas, parce qu'on était les seuls à le faire, et que les autres cassaient le boulot qu'on faisait.
Atem : Pas seulement au niveau musical, mais au niveau de l'information.
KB : A tous les niveaux, parce que la musique en fait, c'est un tout. C'est tellement simple, la musique. Si tu décomposes; c'est peut être dur à jouer, mais c'est tellement simple à sentir. Personne n'est incapable de chanter les mélodies, personne n'est incapable de comprendre les harmonies. Personne n'est incapable de sentir le mouvement d'ailleurs on l'a vu ce soir. On fait Mekanïk, c'est quand même du 7 et du 9/4. Avant, les gens, ils ne comprenaient pas, ils étaient là comme des poireaux.
Atem : Oui, mais il y a un problème d'éducation de la sensibilité - la sensibilité est étouffée à tous les niveaux.
KB : Absolument ! C'est à dire que là où on construit 10, on détruit 20, tu comprends. Alors il faut qu'on construise 20 la prochaine fois, mais on te re-détruit 40. A chaque fois on se retrouve avec des ruines creusées. Ca nous demande de plus en plus d'énergie au fur et à mesure.
Atem : Mais il n'y a aucune politique culturelle en France.
KB : Oui, mais tout ça, faut pas s'imaginer que c'est par délabrement ou même par volonté politique, c'est une volonté carrément spirituelle. C'est vraiment appuyer la tête des gens dans l'eau pour se sortir de l'eau. Ce n'est même pas la politique tout court, c'est spirituel. C'est carrément sordide, c'est à dire noir, diabolique. C'est plus que politique, c'est diabolique. C'est comme ça qu'il faut le voir.
Atem : Il y a aussi le fait que Magma s'était reformé avec Top. Pourquoi a-t-il quitté le groupe si soudainement ?
KB : Parce que Top n'a pas cette notion non plus. Peut-être pas pour toujours. Peut-être est-t-il arrivé à la saisir. Mais il ne ressent pas le besoin d'agir de cette façon là. Et puis, il n'a pas le courage de le faire. C'est clair, il a toutes les qualités du monde, sauf celle là. C'est carrément génial sa façon de jouer de la basse. Mais il est en dessous du niveau du bassiste actuel, parce que sur scène, il est 10 fois moins efficace. Sans être vulgaire, parce qu'il n'est pas vulgaire, ce bassiste là.
Atem : Oui, mais à Rennes en 73, J.Top avait fait un solo extraordinaire.
KB : En 73, c'était différent. Il n'en a jamais refait depuis de cette qualité là. Parce qu'il ne s'était pas mis à réfléchir pour le faire. Maintenant, il s'est dit : je vais faire ça, ça, ça, ça… C'était fini, il avait craqué du côté de la sensibilité, et tu ne peux rien faire contre ça. Il a vu que ça ne marchait pas, il a abandonné. Il a fait des chorus à la Renaissance, ça ne nous plaisait même pas. C'était bien, mais il n'y avait pas la folie, ça ne flambait pas, tu vois, c'était un peu froid. De loin, oui, c'est efficace, ça chauffe et tout, mais ce n'est pas du vrai feu, et ça tu peux rien y faire.
Atem : Mais est ce que le fait qu'il ait joué beaucoup comme musicien de session…
KB : Il faut voir le problème à l'envers. S'il a joué beaucoup, c'est qu'il est comme ça, parce que peut-être ça le transforme, mais c'est surtout parce qu'il est transformé au départ qu'il le fait. Un peu comme pour la musique de Magma ; il ne faut pas dire "on fait une nouvelle musique" ; on n'a pas fait une vieille musique, c'est tout. On a fait le choix, on a supprimé les vulgarités, automatiquement la musique est arrivée logiquement, physiologiquement, organiquement. Si tu ne manges pas des saloperies, tu manges des bonnes choses. Seulement, si tu te mets à manger des bonnes choses, tu vas te tromper plus facilement que l'inverse, c'est sûr. Tu supprimes déjà, tu fais le nettoyage parce qu'autrement, tu mélanges, et le mélange c'est… Tu es obligé de te tromper, tu n'es pas un Dieu. C'est simple, c'est comme ça qu'il faut partir, toujours. Faire le nettoyage, on peut appeler ça lavage de cerveau, mais j'appellerais ça dépoussiérage ou rabotage… on redécouvre la véritable surface du cuivre.
Atem : C'est quand même difficile, ce rabotage.
KB : C'est très dur. Mais c'est la vie. Et plus c'est dur, plus tu es fort après. Si tu as réussi ça, tu as un courage, une force fantastique, qui est sans cesse augmentable.
Atem : Va-t-il faire un album solo ?
KB : Il va certainement le faire. Je lui souhaite beaucoup de chance, mais ne crois pas que ce soit efficace.
Atem : Le problème, à ce moment là, est le même pour Didier Lockwood ?
KB : Absolument, sauf qu'il est très loin d'être au niveau de J.Top. Très très loin, malgré les apparences. Ce n'est pas parce qu'on va très vite avec ses doigts sur un violon, qu'on se plie en deux sur les conseils de Christian Vander que… c'est dur à dire, mais il n'a rien fait. Il est arrivé il faisait des chorus de jazz rock. On lui a fait faire un chorus dans Mekanïk… qui a été note par note inspiré par Christian, ainsi que les gestes, tout. Mais il n'y a rien d'authentique, tout est superficiel.
Atem : Son album solo, c'est ni plus ni moins du jazz rock.
KB : C'est tout. Parce que ça ne peut pas aller plus loin dans son esprit. C'est pas méchant ce que je dis, il est très gentil. Mais il ne peut pas aller plus haut qu'il n'est.
Atem : Oui, mais il peut évoluer, il est encore jeune.
KB : Non, non. Il évoluera dans un certain sens, mais à ce niveau là, il ne pourra pas.
Atem : Il y a des gens qui changent totalement dans leur vie.
KB : Oui, par exemple Benoît Widemann, qui à 19 / 20 ans, a changé radicalement. Seulement au départ, il n'était pas comme Didier Lockwood. Ce n'est pas comparable, parce que Benoît est plus intelligent et Didier peut être plus instinctif, animal, mais sans avoir un véritable instinct de pulsation. Il n'a pas ce sentiment là. Tu lui fais faire un bœuf, il n'écoute pas ce que jouent les autres. Il s'écoute sans comprendre ce qu'il joue. C'est difficile. Il joue d'un bout à l'autre sans esprit, sans nuances, sans fil conducteur, sans sémantique, sans chaleur, sans rien. Simplement, il fait un démonstration.
Atem : Sans dynamisme ?
KB : Voilà, sans dynamisme. C'est élastique, comme un pétard. C'est pas humain, c'est pas spirituel.
Atem : Alors les chœurs pour Magma, c'est par pour demain ?
KB : C'était pour hier normalement. Mais ça va être très dur. On a essayé une vingtaine de filles, on a trouvé une fille qui est là.
Atem : Les filles de Üdü Wüdü et de Mekanïk ne pouvaient convenir ?
KB : Oui, mais on a mis du temps quand même pour obtenir ce résultat là. Sur Mekanïk, j'ai fait toutes les voix d'hommes, Christian a fait une partie des voix de filles, j'ai fait une partie des voix de filles; il y a deux filles qui ont chanté - une qui ne peut pas jouer sur scène maintenant, c'est Stella. Parce que c'est pas possible, elle est plantée comme un réverbère d'autoroute, c'est gênant, c'est pas la peine d'avoir des chœurs à ce moment là. Puis il y a d'autres problèmes. Pareil pour Florence qui est là, qui a une très belle voix. Elle connaît tout par cœur, elle a une foi fantastique, mais ça ne suffit pas. On dit que la foi soulève une montagne, mais je ne suis pas sûr. Ou alors, elle n'a pas la foi vraiment au point de changer suffisamment. Peut être que la foi suffirait. Mais alors, il faut du temps. Les chœurs effectivement, c'est un problème. Faut trouver une fille, 3 filles qui aient envie de le faire à 100%, qui aient les possibilités vocales, l'énergie pour le faire. Pas seulement les tournées, un seul concert. On a fait une répétition un jour avec 4 filles, elles sont sorties… Des loques. Parce qu 'elles n'ont pas de souffle, elles chantent avec Sardou, Halliday, Machin tu vois : choubidou, bidou, oua.
Atem : Les nouveaux musiciens ont joué avec qui auparavant ?
KB : Avec Stivell. Ils vont faire son prochain disque.
Atem : Mais Magma a d'autres projets, il y a déjà une association au cinéma avec Yvan Lagrange pour son film "Tristan et Yseult ".
KB : Vaut mieux pas en parler. C'est un navet lamentable. La musique est superbe, en toute humilité. C'est un des meilleurs disques de Magma, si ce n'est le meilleur.
Atem : Oui, mais il y a un problème de distribution.
KB : Oui, il est chez Barclay, introuvable.
Atem : Et on ne trouve Mekanïk qu'en import.
KB : C'est un scandale. Mais c'est la preuve aussi d'une conspiration jalouse.
Atem : On ne peut pas dire que Magma, ça ne se vend pas.
KB : Magma s 'est vendu à partir du "live". Live, Üdü Wüdü, ça se vend, mais avant, à part Mekanïk, ça ne se vendait pas. Köhntarkösz a été un bide lamentable. On a vendu 15000 albums, et 20000 en Angleterre. Mais c'est rien 15000, tu peux pas imaginer. Le "live", on en a vendu 45000, c'est très bien. Là, on a vendu 35000 de Üdü Wüdü, maintenant, c'est la meilleure vente qu'on ait jamais faite. Le prochain, il faut qu'on fasse au moins 50000 albums ; à partir de 50000, ça commence à être une vente intéressante. Quand tu es à 100000, tu vends bien.
Atem : Oui, mais il y a un problème de distribution aussi.
KB : C'est pas simplement la distribution. Si ça plaît aux gens - tu distribues pas, ça se vend, il n'y a aucun problème là dessus. Nous, on a pleuré des années pour ça… évidemment, ça n'aide pas, mais ça ne peut rien contrer. Ange : ils n'étaient pas distribués, ça a plu aux gens parce que c'était à leur niveau, c'était de la chansonnette, et bien les gens ont acheté, c'est tout. Nous, on en vendait pas et eux ont fait un disque d'or : simplement parce qu'ils étaient au niveau, c'était tout différé, de la chansonnette facile et vulgaire quoi…
Atem : A Châteauvallon, le public était divisé, plutôt partagé.
KB : Ce n'est pas à cause de la qualité, cela n'a rien à voir. Parce qu'il faut les deux : si tu as du succès et que tu es minable, cela ne veut rien dire, si tu es bon et que t'as pas de succès cela ne veut rien dire, tu es aussi minable que les autres, parce que tu es minable sur un plan qui est essentiel dans le but qu'on vise, c'est aussi essentiel d'être authentique dans la musique que d'être authentique dans l'efficacité.
Atem : Oui, mais on ne réussit pas comme ça.
KB : Non. Bob Dylan, il a réussi parce qu'il est un chef ; c'est un pourri peut-être, mais c'est un chef. Les Beatles, c'étaient des chefs, c'est génial, les Rolling Stones, ce sont des chefs, c'est impeccable. Tu vas à un concert, tu n'as rien à dire, c'est parfait, c'est vrai, ça me gonfle un peu, mais… C'est intégral. Tu ne peux rien dire. Tu peux dire ça, c'est vulgaire, tu ne peux pas dire "c'est inefficace".
Atem : Qu'est ce que tu entends par efficace ?
KB : Efficace, c'est à dire que même pour les musiciens, c'est bien. Même si tu penses qu'ils sont maladroits, tu penses que dans leur maladresse, ils sont intègres, c'est à dire que c'est authentique les Rolling Stones ; il peut faire ce qu'il veut, Mick Jagger ; c'est authentique. C'est ridicule, mais c'est authentique, tu ne peux pas rire.
Atem : Mais est ce que ça va stimuler les gens ?
KB : C'est un autre problème ; c'est pour ça qu'on ne fait pas les Rolling Stones…. Ils ne sont pas au niveau pour le faire. On peut dire "c'est bien", mais c'est pas ce qu'il faut. On peut dire "c'est super", un spectacle vraiment fantastique, et encore c'est pas sur qu'à un certain niveau tu puisses en retirer quelque chose et j'en ai retiré quelque chose des concerts des Rolling Stones et même d'Elton John. J'ai vu un concert d'Elton John, musicalement c'est parfait et au point de vue du spectacle, c'est efficace, t'as rien à dire même si c'est de la chanson.
Atem : Oui, mais tu t'amuses.
KB : Mais je ne m'amuse pas forcément, parce que je regarde ! Il y a une densité authentique. Tu peux pas falsifier des trucs comme ça, ou alors, ça tient pas longtemps. Si c'était pas authentique je te jure qu'ils ne pourraient pas le faire. Ca te péterait à la gueule. J'ai vu le concert, crois moi. Bon, c'est aménagé, mais il y a un fond réel. Ils ne pourraient pas jouer dans l'esprit, il y aurait des fautes de goût d'un bout à l'autre. Dans un morceau je ne sais pas lequel prendre, dans tous les morceaux d'un bout à l'autre, il n'y a pas un truc à côté. Ils sont pas à côté de leurs pompes, tout est dedans, dedans et tu ne peux pas le faire avec l'esprit car ils ne sont pas assez intelligents pour ça sauf Mick Jagger, pas les autres, donc ce n'est pas avec leur intelligence mais avec leur cœur qu'ils jouent et ça même si c'est falsifié en apparence, même si ce n'est pas net, même si c'est show-biz c'est authentique et fais-moi confiance, c'est dur de le dire mais c'est vrai.
Atem : Les textes, c'est toi qui les composes ?
KB : J'en compose un certain nombre.
Atem : Au niveau de la langue ?
KB : Je travaille beaucoup, surtout au niveau des idéogrammes. Mais je travaille au niveau des mots, pas tellement au niveau de la sémantique, là, c'est surtout Christian. Je n'ai pas travaillé sur un idéogramme précis à chaque idéogramme, c'est à dire que j'ai inventé des idéogrammes en fonction (on n'en a pas beaucoup) de chaque élément à représenter, c'est-à-dire que déjà j'ai toutes les personnes, tous les instruments, tous les éléments qui sont représentés par un idéogramme qui est parfait ; j'ai travaillé deux semaines là dessus ; parfait, il peut y en voir d'autres qui seront parfaits, mais il est parfait. Si tu connais bien les gens et les choses qui sont représentées, c'est juste, tu le verras ; mais je ne peux imaginer tout le boulot que cela représente pour faire toute une langue, parce que moi, j'ai pas deux mille ans de rodage. Alors effectivement il faut se baser sur des choses qui sont authentiques et magiques telles que les Egyptiens, la véritable science, ce qu'il en reste ; la compréhension de l'univers à un sens autre que le niveau d'expérience il y a l'intuition, il y a l'esprit, des choses qui ne sont pas dans la science moderne entre autres. Il y a encore le petit Jésus c'est important il a essayé de tout renversé et c'est loupé.
Atem : Dans tes textes, de quoi parles-tu ?
KB : Ca, c'est vraiment un problème délicat. Les histoires de Kobaïen, c'est éviter qu'il y ait un niveau d'incompréhension par la sémantique.
Atem : Est ce que c'est purement inventé ?
KB : Ce n'est jamais inventé de toutes pièces. C'est à dire que l'invention, ce serait la découverte…Propos recueillis par P. et Y. Hervé et J.F. Loué.
Atem n° 9 Avril 77 (entretien janvier 77)