Interview Didier LockwoodSon début de carrière fulgurant en fait l'exemple parfait de la démonstration de François Cahen. Il a participé au dernier Zao (« Kawana »); avec qui il va partir en tournée, au dernier Clearlight, et bientôt vont sortir deux albums pleins de ses coups d'archet superbes: l'un s'appelle « Synthesis » et rassemble
vingt-cinq musiciens français parmi lesquels André Ceccarelli, François Jeanneau, Bob Borowski and Co... L'autre promet beaucoup aussi, puisqu'outre Didier et son frère, on y retrouve le batteur de Weidorje, Patrick Gauthier aux claviers, et Bunny Brunel, la bassiste de Joachim Kühn... Mais comment a-t-il bien pu en arriver là si vite ?«J'ai commencé à jouer du violon à six ans. J'ai fait des études classiques au Conservatoire de Calais, où mon père est justement professeur de violon. Mais je n'étais pas vraiment passionné par la musique avant quatorze ans. Là, je suis resté six mois un bras dans le plâtre, j'ai beaucoup réfléchi, et j'ai commencé à entrevoir la musique sous un nouveau jour. Après, je n'ai plus fait que ça. A ce moment-là, j'écoutais Zappa et le " King Kong " de Ponty qui venait de sortir. J'ai eu mon prix de Conservatoire à Calais, et à quinze ans l'ai fait partie d'un groupe avec mon frère qui jouait du piano et était branché sur Coltrane depuis l'âge de onze ans. Ça s'appelait Abracadabra, et dedans il y avait les anciens mecs d' Alice. On est parti à Vallauris, dans une villa prêtée par un mécène. On était salariés par lui, c'était le paradis. Après, j'ai fait quelques trucs avec Zoo à Valbonne, et je suis rentré faire l'école normale de musique à Paris. Je prenais des cours d'harmonie, de piano, je jouais un peu de trompette, mais ça a surtout beaucoup amélioré ma technique au violon. A Paris c'était la glande, je traînais au Gibus, j'essayais de m 'infiltrer dans ce métier, mais déjà les requins me mettaient le moral à zéro. Alors on est parti pour une tournée avec des chanteurs de variété sur la Côte. Ça a été la catastrophe, la débandade... Tout le monde est rentré à Paris, sauf mon frère et moi. On était en plein festival
d Antibes, et je sentais qu'il allait se passer quelque chose. Un soir on mangeait dans un restaurant, et il y avait John McLaughlin à une table voisine. Je lui ai demandé s'il avait envie de jouer, et le soir même on a fait une jam monstrueuse au studio dAntibes: il y avait McLaughlin, Michael Walden, le quatuor de violons, mon frère, moi, les managers du Mahavishnu Orchestra... C'était fabuleux, ça m'a filé une pêche terrible. Quinze jours après, on est allé voir Magma en concert à Nice. J'ai rencontré Christian Vander, et il m'a téléphoné peu de temps après pour me demander d'entrer dans le groupe. Je suis resté deux ans et demi avec Magma.
M.B. - Pourquoi en es-tu parti ?
D.L. - Disons qu'il y avait des malentendus, des malaises. Humainement surtout, mais ça se reflétait parfois sur la musique. Ça a mis longtemps à se dégrader. Au printemps dernier, j `ai envoyé une lettre à Christian pour lui dire que je quittais le groupe. J en avais marre, l'avais l'impression que ça me pourrissait. Et puis, pour les concerts de cet été (Le Castellet, Copenhague, Sète...), Christian avait absolument besoin que le groupe se reforme temporairement. C'était chouette, parce qu'on savait tous que c'était la fin, on était libérés, on avait plein d'énergie. Ensuite Janik Top est arrivé, et j'ai voulu rester parce que j'avais vraiment envie de jouer avec lui. Il représentait une sorte d'idéal musical, La Machine... Ça a duré deux mois, et ça s'est lamentablement cassé la gueule.
M.B. - Pourquoi ?
D.L. - Divergences d'entreprise musicale entre Christian Vander et Janik Top. Il y en a un qui voulait aller plus vite que l'autre. Je crois qu'on a manqué de patience, car cela aurait pu faire très mal. Mais la musique était tellement dure qu'on commençait à faire peur et à perdre une certaine partie du public. C'est dommage, parce qu'en même temps ça dégageait vraiment.M.B. - De quels concerts de Magma gardes-tu le meilleur souvenir ?
D.L. - Il y en a eu un superbe à Lille au début, et puis les concerts de la Taverne de l'Olympia où a été enregistré le « Llve " Ça tombait bien. Et ceux de cet été.
M.B. - Quand as-tu commencé à jouer avec Zao ?
D. L. - Cet été, dans la maison de Jeff Seffer, en Bourgogne. Au début; il s'agissait seulement d'enregistrer « Kawana ». Je suis revenu en quittant Magma, après les concerts de la Renaissance.
Va suivre une longue discussion sur les rock-critics (?!); le jazz-rock (qu'est-ce que c'est ? A bas les étiquettes!), le show et la musique, où l'on apprendra que pendant deux ans Didier passait dans les lycées pour faire écouter des disques.
D . L. – Mes influences sont vraiment générales. Ça va de Bartok, Stravinsky à Hendrix en passant par Stéphane Grappelli, Le troisième album de Soft Machine m'éclate beaucoup. Mais je crois qu'actuellement, la personne dont je ressens le plus l'influence, c'est Janik Top, dans sa façon de penser la musique, de la vivre... Ce qui m'intéresse, c'est le fluide, la communication. Hendrix n'était pas un extraordinaire technicien de la guitare, mais c'était un médium, un créateur, Comme Coltrane. Des gens qui jouent de façon tellement personnelle qu'il y a avant et après eux, Même McLaughlin doit quelque chose à Hendrix, il le reconnaît lui-même, d'ailleurs. McLaughlin, c'est quelqu'un de fantastique aussi. Quand il est passé à Orange, c'était magique, Il donnait vraiment, et il est descendu un truc fabuleux. Avant, c'était fermé sur scène, rien ne passait. Lui, il jouait pour les gens, et les barrières se sont écroulées tout de suite. Ça m'est arrivé de sentir ça de la scène, d'avoir l'impression de prendre les gens par la main. Dans ces moments-là, on peut les emmener où an veut, c'est fou…
MB. - ça peut être dangereux, non ?
D.L. - Oui, bien sûr. Il faut avoir une vision pas trop moche de ce qu'il y a au bout…
Je crois qu'on peut lui faire confiance pour ça. La musique, c'est son arme pour la vie; pour la rendre belle, folle et belle, et apprendre peut-être aux habitants trop sages des villes de plastique et d'ennui ce que Délire veut dire. Le violoniste ivre déverrouille les serrures, et l'ange fou penché sur la porte regarde derrière son étoile qui monte.
Propos recueillis par Michel BOURRE
Rock & Folk N° 122 - Mars 1977
Issèhndolüß Akhazhïr