TOPÀ l'écart des modes et loin de la foule déchaînée, l'homme en noir bâtit dans l'ombre son oeuvre grandiose et solitaire.
JT : Je m'appelle Janik Top. Je n'ai jamais connu mon père, et ma mère était blanchisseuse. Ce qui veut dire que j'ai toujours dû travailler pour vivre, que je n'ai jamais été entretenu. Cela a été extrêmement important dans mes rapports avec la vie et avec des gens qui, eux, n'ont pas toujours été obligés de regarder la réalité en face. A cinq ans j'ai commencé à prendre des cours de piano au lycée musical de Marseille. A neuf ans j'ai attaqué le violoncelle, et un an après, la direction d'orchestre avec Maître André Lhéry, qui est peut-être la personne qui m'a le plus marqué sur le plan musical et humain.
Parallèlement, je suivais des études normales au lycée Thiers. En classe de seconde, j'ai arrêté la musique, parce que j'avais eu comme exemple des gens qui étaient arrivés à un très haut niveau dans le classique et qui crevaient la dalle... J'ai donc continué mes études, et la musique est revenue petit à petit, jusqu'à ce que j'abandonne complètement les maths pour elle, en troisième année de fac. Mais j'avais totalement abandonné l'idée de faire une carrière classique, ce à quoi je me destinais au départ. A ce moment-là, j'ai commencé à écouter John Coltrane et Miles Davis.MB : Avant, tu n'écoutais que du classique ?
JT : Oui, on peut dire que j'aime vraiment la musique classique, que ce soit Bach, Bartok, Stravinsky, Prokofiev, ou la musique contemporaine : Varese, Penderecki, A Marseille, j'avais aussi suivi les cours du groupe de recherche de Frémion, au Conservatoire. On faisait des études de sons ; toutes les définitions, la masse du son, le grain du son. On s'est avalé le solfège de Schaëffer, ce qui représente un boulot considérable. J'ai toujours été assez rigoureux avec le travail. J'aime vraiment ça. Pas le travail imposé, mais le travail personnel, l'amélioration de ses propres capacités.MB : Ça a dû être un choc d'écouter Coltrane pour la première fois, alors que depuis ton enfance tu étais plongé dans le classique ?
JT : Ça m'a plu tout de suite. J'y retrouvais certaines formes de la musique contemporaine, quoique ce ne soit pas tout à fait exact, je m'en suis aperçu plus tard : Coltrane avait développé toute une méthode très spéciale de travail, même si certains disent encore aujourd'hui qu'il fait du bruit dans un saxo. Et il y avait quelque chose de plus, qui dépendait du temps présent. C'était de la musique créée sur le moment avec une latitude beaucoup plus grande que dans les musiques classique ou contemporaine. Coltrane et Miles Davis m'ont vraiment montré ce que c'était que vivre le présent dans la musique.
MB : Comment en es-tu venu à jouer de la basse ?
JT : Justement en écoutant cette musique, j'ai immédiatement été frappé par la basse, je suis tombé amoureux de cet instrument. C'est à la fois un coussin très moelleux et quelque chose de dur, qui pèse des tonnes et sur quoi tout repose. A cette époque j'ai beaucoup écouté un disque de Miles Davis enregistré à Antibes avec Tony Williams, George Coleman, Herbie Hancock et Ron Carter à la basse. Ron Carter m'a vraiment assis, il y avait quelque chose de plus que les notes...MB : Dans quelles conditions as-tu appris à jouer de la basse ?
JT : Il y a eu un concours de circonstances. Du jour au lendemain j'ai dû remplacer un camarade dans un orchestre régional. J'ai appris le répertoire et j'y suis allé, et je n'avais jamais joué de basse avant. Après, je me suis retiré pendant deux ans tout seul à Aubagne pour travailler l'instrument. Un camarade m'avait prêté un cabanon que j'ai dû retaper pour y vivre, dans une grande propriété appartenant à sa famille.
Après, j'ai décidé de monter à Paris, mais avant de pouvoir le faire j'ai dû résoudre des problèmes matériels aussi stupides que passer le permis de conduire, acheter une voiture, un ampli, et résoudre un problème de cordes qui m'était tout à fait personnel. En effet, j'étais habitué au violoncelle qui s'accorde do-sol-ré-la, au début j'ai accordé la basse normalement mi-la-ré-sol, mais très vite cela a dégénéré en mi-sol-ré-la, qui est vraiment un accord hybride, jusqu'à ce qu'une maison de Lyon accepte de fabriquer un do grave spécialement pour moi. Depuis, j'accorde do-sol-ré-la. Et puis j'ai tourné quelque temps autour de Marseille avec des orchestres de bal pour rassembler quelques petites provisions financières, et finalement je suis arrivé à Paris avec 2 000 F en poche. Avec le recul, je m'aperçois que ça ne permet pas d'aller très loin. Mais enfin, ça s'est bien passé. Un camarade m'a hébergé pendant quatre mois à l'oeil, et un mois et demi après mon arrivée je jouais de la contrebasse et de la basse électrique à la Comédie Française dans l'adaptation du "Bourgeois Gentilhomme" de J.L. Barrault. Là, j'ai pris des contacts avec quelques musiciens. Echanges d'adresses. C'est toujours pareil quand on arrive dans une ville, on casse les pieds à tout le monde. On n'arrête pas de téléphoner parce qu'on tourne comme un rat mort dans sa pièce. De fil en aiguille, je me suis retrouvé à l'Olympia pour accompagner une vedette. Là je ne citerai plus de noms. Et puis au bout d'un mois j'ai craqué. Je m'attendais à tout sauf à ça, surtout après la période d'isolement et de travail intense que j'avais vécue. A la même époque je faisais un peu de jazz avec André Cecarelli, Henri Giordano, Jacky Girodo, et un soir j'étais avec eux à La Bulle quand Christian Vander est venu me voir pour discuter.MAGMA
MB : Tu connaissais déjà Magma ?
JT : Je les avais vus au festival de Chateauvallon, en 72. Ils avaient fait un discours qui m'avait énormément déplu à propos de gens comme Ron Carter qui, disaient-ils, étaient plus là pour faire un gala qu'un festival de jazz. Un certain manque de tolérance m'avait frappé. Aujourd'hui, je sais qu'à l'époque c'était à cause de Giorgio Gomelsky. Quand j'ai rencontré Christian il s'est vraiment passé quelque chose, c'est pour cela que je suis entré dans Magma. On a travaillé, et petit à petit se sont accumulés des faits qui, en eux-mêmes, n'avaient aucune importance. Mais il y avait une somme de malentendus que personnellement j'interprétais comme étant autre chose que des malentendus.MB : Comme étant quoi alors ?
JT : Quand je fais quelque chose avec quelqu'un, je considère toujours qu'il est là, en face de moi. Or, et là je parle de façon générale, j'ai toujours été frappé par l'égoïsme généralisé. Certaines choses m'avaient pas mal remué, j'ai donc arrêté ; on avait fait deux disques : " Mekanïk Destruktïw Kommandöh " et "Köhntarkösz", sur lequel il y avait "Ork Alarm", ma première composition pour Magma. Musicalement ça se passait bien, on a fait cinq tournées en Angleterre et ça déménageait. On aurait vraiment pu faire quelque chose s'il n'y avait pas eu de problème humain.
On peut dire, bien sûr, qu'il ne faut pas y attacher d'importance, que le public s'en fout et n'est là que pour la musique. C'est vrai. Mais dans le fonctionnement du groupe, pour moi, cela a une très grande importance. Sinon, on est ensemble pourquoi ? Moi, je réponds : pour rien. Je sais qu'il y a des groupes très connus où les gens sont tout sourire sur scène, et sitôt dehors prêts à se balancer des chaises sur la tête. Mais ça ne m'attire en aucune façon.
Alors j'ai continué à travailler de mon côté, et pour le festival de jazz de Nancy, Gomelsky m'a proposé de monter quelque chose. Ça tombait bien, je venais de composer "De Futura". Or, à Nancy, il a été annoncé: Utopic Sporadic Orchestra de Giorgio Gomelsky et Christian Vander, alors que je venais de passer six mois de boulot sur ce truc. Ça m'a donné une bonne leçon : j'ai toujours donné ouvertement ce que j'ai fait, mes idées. Jamais rien n'est sorti sous mon nom. Mais après on se retrouve "ayant donné", un point c'est tout. Or dans ce métier, beaucoup de gens connaissent et appliquent le célèbre proverbe chinois : "Quand il y en a pour deux, il y en a forcément pour un". Après ça je devais sortir un disque, mais il y a encore eu des magouilles sur lesquelles je n'ai pas envie de m'étendre. En février de l'année dernière, j'ai revu Christian et on a beaucoup discuté pour refaire Magma. J'oublie un petit peu trop vite ce qui se passe, mais je considère qu'il n'y a rien de statique, que chacun peut changer ses points de vue et revenir sur ses erreurs. Je fais confiance, et je ne le regrette pas. C'est une très bonne école, de même qu'essayer de voir les choses comme elles sont au lieu de divaguer dans des discours philosophiques hautement imbus de soi-même sur la connaissance. Or il n'y a pas de discours, ou du moins on les laisse à ceux qui sont faits pour en faire. Mais c'est une autre histoire.MB : Comment s'est déroulée cette deuxième expérience avec Magma ?
JT : Comme je le disais, tout s'était très bien passé au niveau de la discussion. Mais je me suis très vite rendu compte que quelque chose n'avait pas évolué dans nos rapports, à savoir que quand on avait décidé de faire quelque chose, il fallait que tout de suite le contraire se passe. Il faut prendre son temps quand on monte un nouveau groupe, agir avec parcimonie et raison. Les caprices ne changent rien à l'affaire.MB : Tu vises qui ?
JT : Encore une fois, je parle de façon générale. Mais si tu me poses la question précisément, je peux dire que Christian est très capricieux. Je ne voulais pas repartir sur des bases que je ne trouvais pas solides.MB : Au moment des concerts du Théâtre de la Renaissance, une grande partie du public semblait trouver la musique très dure... .
JT : Il faut dire qu'on a d'abord monté le répertoire dur. Personnellement je jouais aux claviers la " Musique des Sphères ", qui n'est pas une musique dure, bien au contraire. Mais il faut replacer tout cela dans son contexte. Si un producteur met sur le devant de la scène deux nanas habillées d'une certaine manière avec beaucoup de poudre, de lumière et de perlimpinpin, ça marche. Mais ça n'a rien à voir avec la musique. Pour passer en radio il faut faire des morceaux de 2'30, coulés dans le moule de la pub, pour que le rythme ronronnant et marchand ne soit pas brisé. Moi je crois qu'il y a de la place pour tout le monde. Si quelqu'un aime telle ou telle pop-star, je ne vois pas pourquoi il ne l'aurait pas. On n'a pas à frustrer les amateurs de mouchoirs et de limousines. Autrement on fait quelque chose d'élitaire, on dit qu'on va l'imposer, et que quelqu'un qui n'aime pas ça sera passé au four... Ce n'est pas ma conception. Mais je crois qu'il y a un public et une place pour la musique que j'aime faire. Ce sera à moi de le prouver, et c'est une chose à laquelle je vais m'employer. Les gens ne sont pas bêtes, même si on veut le faire croire. C'est quand même dingue qu'en privé tout le monde avoue que la radio est dégueulasse mais qu'il faut bien qu'elle soit comme ça à cause des autres... S'il y a de courts morceaux sur la face 1 de " Udü Wüdü ", c'est uniquement pour des raisons de ce genre.MB : Que fais-tu en ce moment ?
JT : Je travaille. Je compte réserver une surprise pour la rentrée, ou pour l'année prochaine, je ne suis pas pressé. Car j'ai pris la décision, après la cassure de Magma, de ne plus vivre de la musique, parce que cela amène à faire un produit, et que quand on a ce produit, il ne faut plus le lâcher. C'est devenu une image de marque. C'est triste. La chose fondamentale, c'est la remise en question permanente, et c'est incompatible avec le " marché ". Je vis donc d'un travail que je fais de mon mieux, mais qui est totalement dissocié de mes activités musicales.MB : Quel travail ?
JT : Je fais des séances d'enregistrement en studio avec des "vedettes". Je ne citerai pas de noms. C'est un travail. En marge, en prenant tout mon temps, je fais la musique qui me plaît, et , quand quelque chose sera prêt, je le porterai à la connaissance du public. D'ici quelque temps j'espère travailler avec Henri Giordano, que personne ne connaît, mais qui est vraiment une montagne, quelqu'un du calibre d'Hancock.MB : Tu as recommencé à jouer des claviers ?
JT : Oui. Dans ma musique il y a , principalement deux voix : une, ancrée dans le sol, qui rentre dedans, c'est la basse. Et puis il y a la voix du nuage, les claviers. Le mélange des deux va donner ce que je vais faire bientôt.MB : Quelle musique écoutes-tu en ce moment ?
JT : J'écoute de la musique par périodes. En ce moment je réécoute beaucoup Coltrane. Je déchiffre au casque tous les " Mikrokosmos " de Bartok. J'écoute un peu ce qui se fait, mais n'y trouve pas vraiment ce que je cherche. C'est trop une période d'engrenage, et pas seulement dans la musique. Le grand proverbe, c'est : " Plus vite, on n'entend rien ", ou bien " Plus fort, c'est pas assez vite " ! Tout est un peu gratuit. Weather Report est peut-être le seul groupe qui puisse à la fois jouer et créer un certain climat. Je dis bien un certain climat, ça ne va pas au-delà. Mais il y a un climat certain.MB : Et parmi les bassistes?
JT : Celui qui m'impressionne le plus, c'est Michael Henderson, le bassiste de Miles Davis. Pastorius et Stanley Clarke sont des instrumentistes fantastiques, mais je trouve que quelque chose manque au point de vue climat.MB : Les groupes de rock?
JT : J'adore certains trucs des Stones, qui ont vraiment décoiffé. Ils avaient ce que j'appelle le " grain ". Mais il y a longtemps que je ne les ai pas écoutés. Pink Floyd à un certain moment allait dans la direction du climat, mais je crois que maintenant ils se sont totalement reformés au moule commercial, avec quand même toujours un petit voile au loin, derrière, ce qui est étrange chez des gens comme ça.MB : Pourquoi des " gens comme ça " ?
JT : Ce que je voulais dire, c'est qu'ils n'ont aucune technique, mais il y a des gens, comme Hendrix, qui ont des choses à dire et qui le disent avec rien, avec aucune technique.MB : McLaughlin ?
JT : Des trucs m'ont plu, principalement quand il était avec Miles Davis. Après, j'ai moins aimé. J'ai trouvé ça très froid. Je crois qu'avec Shakti il se retrouve, j'ai de nouveau senti ce " grain " qu'il avait avant. Mais je voudrais revenir sur la technique : c'est un outil qu'on doit perfectionner au maximum, et c'est tout. Il ne faut pas l'utiliser en permanence au détriment du feeling et de la musique, il ne faut pas que ça devienne de l'acrobatie.MB : Magma ?
JT : On n'a jamais passé assez de temps sur un disque pour vraiment sortir le son. Dans tous les disques de Magma, il y a un voile sur la musique, qui filtre l'énergie. Mais il aurait fallu passer six mois sur chacun... Stevie Wonder a bien mis deux ans. Il faut dire qu'il a les moyens et que les carrières musicales sont aussi des carrières financières.MB : Tu aimes Stevie Wonder ?
JT : Je trouve ça un peu trop parfait, un maximum. Je parle du swing intérieur. Ceci dit, son domaine, c'est la chanson. Disons qu'il transcende un moule dans lequel je ne veux pas avoir à me couler.MB : Il y a une impressionnante série de disques de James Brown sur ta cheminée... ?
JT : Oui. Quand j'ai commencé à écouter Coltrane, il y avait aussi les premiers
éléments du rhythm'n'blues, avec là encore une place prépondérante de la basse. J'aime beaucoup James Brown. Par contre, ce que je ne comprends pas, c'est quelqu'un comme Hancock, qui se met à faire du James Brown sans James Brown. Ça ne veut rien dire. Surtout pour quelqu'un comme lui, qui a un toucher de piano incomparable. Au point où il en est arrivé, avec tous les contacts possibles dans le monde musical au niveau mondial, il pourrait tout se permettre. Mais s'il a fait tout ça pour en arriver là, je ne comprends pas. Enfin il y a tout un style de musique dont on ne sait pas très bien s'il est fait pour les boîtes ou pour les autoroutes : tous les temps à la grosse caisse, un bon petit riff de guitare, un thème facile que tout le monde va retenir très vite. Moi, dans ma bagnole, je peux écouter n'importe quoi. Mais on ne peut pas parler de la musique sans parler de ce qu'il y a autour, de la situation générale.MB : Parle donc de ce qu'il y a autour
JT : Là, on en arrive au fond. On commence à s'apercevoir que les fondements des théories qui avaient cours au 19ième siècle et qui ont fondé l'essor économique de l'Occident étaient faux : la terre n'est pas infinie et ses ressources ne sont pas inépuisables. Il faut très vite faire machine arrière, arrêter l'engrenage économique qui, aussi bien, se reflète dans la musique. Ce n'est plus un problème de répartition des richesses, mais simplement de vie ou de mort pour l'homme. Ça suppose une prise de conscience radicale qui doit partir de chacun. Quant aux moyens concrets de ce désengrenage, je ne les connais pas très bien. Mais je reste optimiste. Il faudra bien que quelque chose soit fait, même peut-être au dernier moment, sinon c'est la catastrophe.MB : Que penses-tu du mouvement culturel qui s'est greffé autour du rock, la drogue, etc. ?
JT : Toutes les sociétés ont eu leur dérivatif. Après la société du vin, peut-être va-t-on vers celle de l'herbe. C'est un problème d'individus. Je crois qu'à certains ça peut apporter quelque chose, à d'autres non. Le danger, c'est que les gens deviennent de plus en plus incapables de se donner une discipline personnelle. Beaucoup projettent ce qu'ils recherchent, c'est-à-dire la puissance, dans les autres, que ce soit une pop-star ou un gourou. C'est plus facile qu'essayer de se voir en face. J'ai très peu de connaissances historiques réelles. Ce qui m'a plongé dans ces considérations, c'est l'expérience de ma propre vie, et la découverte d'autre chose que le pur engrenage matériel, un certain travail sur soi, l'épuration des projections.MB : Alors que penses-tu des discours de Vander ?
JT : Chacun est libre de vouloir devenir le maître du monde. Il y a beaucoup de gens comme ça.MB : Le sens de ma question, c'était : est-ce que les gens qui étaient dans Magma à un moment donné partageaient tous sa conception des choses ?
JT : Non, bien sûr. Tu mets le doigt à l'endroit où il faut. Il y a eu un contact immense entre nous, malgré un désaccord total sur le fond. Il n'y a que Klaus qui soit dans la même histoire que Christian. Pour résoudre ce genre de problème, il faut se battre contre soi, et je souhaite vraiment à Christian de se rendre compte un jour.MB : Pour beaucoup de gens, la musique de Magma est une musique sombre, angoissée...
JT : On m'a beaucoup dit ça. J'ai traversé des périodes très dures aussi, et à ce moment-là ça devait bien correspondre à ce que je ressentais. Et puis on peut dire que depuis deux mille ans il y a toujours eu des gens qui percevaient une certaine vision de l'Apocalypse. Et ce sont quand même eux qui ont fait l'Art, plus que ceux qui parlaient des petites fleurs et des amours à l'eau de rose. De toute manière, la seule chose qui compte, c'est de dire et de faire ce qu'on sent, d'être en accord avec soi-même.MB : Pour " Köhntarkösz ", tu avais écrit " Ork Alarm ", pour " Udü Wüdü ", "Ork Sun ". Qu'est-ce que : Ork ?
JT : Pour essayer de faire comprendre un peu ce qu'était ma musique, j'avais imaginé qu'il existait une planète complètement mêlée à la nôtre : c'était Ork, dont les habitants étaient aux machines ce que les machines sont à l'homme. Mais comme ils vivaient dans une autre dimension, nous ne pouvions pas les voir. Bien sûr, la transposition de l'histoire, c'est que nous sommes les habitants d'Ork, que nous nous croyons hommes mais que nous sommes machines. C'est une histoire très schizophrène.MB : Tu m'as dit que tu ne sortais pratiquement plus de chez toi. Pourquoi ?
JT : Parce que dehors, c'est la folie, l'agression perpétuelle, Vous êtes en bagnole à 90, c'est limité à 80, et vous êtes talonné par des mecs qui multiplient les appels de phare, vous font des queues de poisson, etc.MB : Et tu es quand même optimiste ?
JT : Oui. Je crois que les gens réfléchissent plus que par le passé, même s'ils acceptent le conditionnement parce qu'après tout c'est beaucoup moins fatiguant. Et mon seul souhait, c'est que la paix règne dans les coeurs...AVERTISSEMENT : J'ai entendu les bandes secrètes de Janik Top. Le directeur de maison de disques qui refusera de lui signer un contrat, et ce à n'importe quel prix, commettra une grossière erreur.
IL SERA VIRÉ DANS DEUX ANS. - (propos recueillis par MICHEL BOURRE).Rock and Folk n° 124 - Mai 1977