MAGMA
"Attahk"

Chronique d'Antoine DE CAUNES
Rock & Folk n° 137 - Juin 1978

Il en coulait, des bruits sur Magma…
Certains n'hésitaient pas à préparer déjà la fosse qui devait, disait-on, accueillir les dépouilles ; d'autres commençaient à se lasser des nouveaux changements de musiciens, guettant une hypothétique menace sur un mûrissement compromis. En deux mots, tout ce beau monde se frottait les mains à s'en arracher la peau.

Pendant ce temps, Vander méditait son attahk. Depuis deux ans exactement, se demandant s'il n'existait pas quelque part ces musiciens introuvables, capables de donner à Magma la folle somme d'énergie qu'il réclamait, observant les musiques ou les absences de musique autour de lui, et ne trouvant que peu de choses propres à le satisfaire. Dans la même fièvre que celle qu'il avait connue huit ans auparavant, il tissait, note après note, une décharge après l'autre, la trame d'une matière explosive qui ferait claquer les oreilles trop alanguies par la prolifération d'une production discographique ronronnante. Il ne voulait plus qu'après la mise à feu de la nouvelle détonation les gens continuent de comparer sa musique à celles, précieuses certes, mais peut-être trop, de groupes comme King Crimson. Enfin, débordant, jour après jour, de cette frénésie dont on oublie trop souvent qu'elle peut effectivement déplacer les montagnes, il polissait dans la fièvre qu'on lui connaît la musique qu'il délivre - au sens propre du terme - aujourd'hui. Et 1a " chose " arriva...

Enregistré à Hérouville à la fin de l'année 77 avec les musiciens du dernier groupe connu, et dissous depuis (Widemann, Delacroix, Stella, Liza de Luxe et Klaus, le survivant acharné), " Attahk " est le manifeste du nouveau cycle de 7 années qui s'ouvre pour Magma (sept années de bonheur). Un manifeste écrit et joué avec une énergie tout simplement démente, qui rappelle celle déversée par Vander et ses sauvages en 70, à l'occasion du premier double.

Avant que l'aiguille n'ait commencé à extraire la première note, le climat est déjà donné, avec une superbe pochette conçue dans les tons bucoliques par Giger, et qui dévoile les deux charmants personnages dont Vander a décidé de faire les piliers spectaculaires d'un show présenté à partir de la prochaine rentrée. Nous voulons parler de Urgon et Gorgo, deux massacreurs qui auront pour charge d'être respectivement l'air et la terre de la musique scénique, en exécutant deux parties de basse complémentaires, c'est-à-dire en conflit ouvert. Personnages-clés de la nouvelle aventure qui s'amorce, leur figuration n'est donc pas fortuite. Elle est très exactement le trait d'union entre la musique du disque, vive et ardente, mais contenue par la force même de la cire, et celle de la scène dont Vander veut bien avouer qu'elle sera " cent fois pire " (on sait ce que signifient de tels mots dans une telle bouche).

Fait de morceaux courts, concentrés, et non plus des longues incantations auxquelles nous avaient habitués les " Mekanïk ", " Köhntarkösz " et autres " Mekanïk Zaïn ", " Attahk " présente sept compositions inédites, d'une force incroyable, ramassée et déjà bondissante aux gorges que viennent contraster dans la douleur deux musiques d'un cœur éperdu.

Comme une obsession, le chiffre sept ouvre l'entaille du disque avec " The Last Seven Minutes ", description paniquée d'un moment d'apocalypse. Dès les premières notes, l'incompréhension tombe dans les têtes. Il y a là un acharnement convulsif des musiciens à jouer chaque partie qui dépasse tout ce que l'on pouvait imaginer, acharnement qui vint à bout de tous les nerfs, lors des sessions d'enregistrement. Si l'on en doutait encore, ce morceau est la preuve de la permanence d'une musique noire Magma (comme il est des romans noirs), cri constant d'une vision intolérable. Le chant déchiré, interprété ici par Vander lui-même, rappelle encore ses injonctions les plus acérées du premier album, un désespoir qui ne pourrait faiblir. Ni son antidote du reste, comme le montre " Spiritual ", hommage vibrant à la musique noire (américaine, cette fois-ci), à laquelle il adresse son sourire de forcené. Musique de danse et de swing également ce " Lirik Necronomicus Kanht ", conclusion épanouie d'une méditation tendre (" Rindo "), mais danse de la magie Magma certifiée, dans l'esprit des " Troller tanz ". Ainsi s'achève une première face superbe.

" Maahnt ", en seconde face, figure un conte guerrier au cours duquel un sorcier, soutenu par les chants d'exorcisme de sa horde, va provoquer en duel un démon des cavernes. Après quelques instants de provocation, la lutte s'engage, scandée par les chants de la tribu, pendant que les métaux font jaillir le sang et que le démon prend possession du combattant, en lui volant son chant. Mélodie d'envoûtement, les " pires " accents de la musique Magma se retrouvent dans " Maahnt " : fixation sur une idée, montée de la tension jusqu'à ce que le rythme s'installe, intouchable, pour l'accord des pas sur les routes les plus longues. Quand vient "Dondaï", après l'épreuve de force, c'est alors la véritable consécration d'une passion d'amour dont on sait avec Vander qu'elle se moque de toutes les contingences, fussent-elles les plus mortelles. A son tour, " Dondaï ", par l'épuration du jeu de batterie, légèrement décalé par rapport au temps, est un hommage, spécifique cette fois, au batteur d'Otis Redding, AI Jackson, auquel Vander voue une admiration bien précise. Enfin, " NoNo ", que certains auront pu entendre en public, fin 77, et qui s'avère être la plus représentative d'une nouvelle forme de la musique Magma. Mélopée circulaire, se refermant sans cesse sur elle-même pour éclore à la seconde suivante, harmonie démultipliée appuyée par un tempo syncopé plus efficace que mille exhortations pour faire lever les foules, et, en rappel, cette fameuse note/onde finale qui venait projeter les dernières vibrations de " Mekanïk " dans un espace immuable. En fermant le disque, " NoNo " donne le ton de l'esprit qui fonde le nouveau cycle. Une sorte de bonheur parfait, extrêmement violent, servi par des musiciens rares, et le désir manifeste de Vander de toucher de son chant magnifique, de sa batterie magnifique, de sa musique magnifique enfin, les publics les plus ouverts et les plus disponibles, sans trahir la foule des passionnés. Là où d'autres ont noyé leurs vœux de pureté farouche, lui réaffirme avec force le génie d'un artiste qui sait que la folie, la tendresse et l'humour sont les remparts ouverts sur un monde qui écrase à longueur de journée ses trésors les plus précieux.

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