RENCONTRE
Christian Vander et la musique de Magma :
"Il faut trouver les fous qui soient toujours dedans"

QUIMPER - Huit ans déjà que MAGMA existe. Huit années jalonnées de quelques albums parmi les plus étonnants de la musique contemporaine. Huit années au cours desquelles le groupe français s'est forgé une démarche totalement originale. Quelque part du côté du rock, du jazz, mais aussi de Carl Orff ou Stravinsky. Musique de mutants, violente et fascinante, qui a influencé d'innombrables formations européennes. Après un long silence, MAGMA remonte au combat : cinquante concerts à travers l'hexagone (1). 1500 à 3000 personnes à chaque fois, attirées par les lumières de ce train fantôme qui crève la nuit à coups de percussions et de vocaux wagnériens.
A Quimper, le groupe étrennait de nouveaux musiciens, Artisans attentifs d'un opéra qui ne leur appartient pas. Guidés du haut de son olympe de toms et de cymbales par Christian VANDER, maître absolu d'une liturgie qu'il a voulue, pensée, imposés. VANDER que beaucoup considèrent comme un des meilleurs batteurs du monde. VANDER le quêteur d'absolu qui, toute fureur rentrée, mais le regard couleur d'acier, a accepté de s'expliquer une demi-heure durant. D'une voix un peu rauque, étrangement calme et sans passion apparente. Ce qu'il dit mérite attention. Sans commentaires superflus.

Question - Des tas de musiciens sont passés par MAGMA. Comment expliques-tu ce va-et-vient continuel ?

VANDER - C'est un problème d'énergie. Pour beaucoup de musiciens, ce qu'ils font n'est pas vital. Quand ils quittent la scène, c'est fini. Ils sont comme les autres gens. Ces autres-là, on ne le leur reproche pas. Ils font leur métier et vont se coucher. Mais un musicien devrait être dans la musique 24 h sur 24. Comme en Afrique où les types sont dedans constamment. Moi aussi je suis dedans. Il faut trouver les fous qui soient toujours dedans. Se mettre dans l'état de folie et y rester. Ce n'est pas facile ici où on est sollicités à droite et a gauche.

Q - Ton rôle de leader ne te pèse pas trop sur les épaules ?

V - Si je suis leader c'est par ce que je suis là depuis la départ. Parce que les autres ont craqué dans le sens de l'énergie. Qu'ils se sont dit au bout de 20 ou 50 concerts : c'est fatigant, ce n'est pas marrant de dormir dans !e camion. Ce n'est pas marrant, c'est vrai, mais il fallait le faire. Quand on a commencé, il y avait trois personnes dans la salle, c'était franchement dur. L'organisateur disait - les mecs, je ne peux pas vous payer. Il nous donnait 30 F et on se contentait d'un sandwich. Au bout de deux ans, alors que ça portait ses fruits, les gars ont craqué. Ou ils ont attrapé la grosse tête en pensant : je vais monter le meilleur groupe du monde. Et puis paf... Pas si simple.

« Donner sa vie pour un instrument »

Q - Est-ce que MAGMA a la place qu'il mérite ?

V - Non. Mais on travaille pour y arriver. Moi je suis parti du principe de Coltrane : la musique vitale. Donner sa vie pour un instrument. Or, les gens ne se sentent pas forcément concernés Ils viennent pour se détendre, ce qui n'a rien à voir. Donc il fallait reconstruire tout. Mettre autant de folie tout en comprenant que les gens avaient envie de détente. Leur donner en plus la détente tout en me motivant autant. C'était ça ce recyclage. Depuis deux ans je réfléchissais à une autre musique. On tournait un peu en rond. C'était bien mais trop complexe. Maintenant, il y a beaucoup de chant. Lorsque nous serons vraiment au point, il y aura un tas de petits morceaux qui viendront aérer le concert. Ce soir à Quimper c'était comme une boule d'énergie qui se déplace, mais ce n'est pas le but. Le but est qu'il y ait le maximum de respiration.

Q - Et les U.S.A. ?

V - Pour aller aux U.S.A., il faut que le groupe tourne comme une horloge. Pas question de débarquer en touriste. II faut aller là-bas et marquer le coup. Faire en sorte que les mecs ne s'en relèvent pas. Que partout où on aille, ce soit une victoire. C'est tout. J'irai quand le groupe sera resté assez longtemps ensemble pour qu'il y ait une cohésion. De toute façon, si une musique comme celle de Magma a marché en France où le public est très dur, je pense qu'aux Etats-Unis il n'y aura pas de problèmes.

" Si une musique n'est pas motivée, elle n'a pas de sens"

Q - Finiras-tu par trouver 7 ou 8 personnes avec des motivations identiques à la tienne pour pouvoir tenir ?

V - Coltrane en a bien trouvé trois : Jimmy Garrison, Elvin Jones et Mc Coy Tyner. Et c'était magique. Lorsque Mc Laughlin a créé Mahavishnu avec notamment Billy Cobham et Ian Hammer, le groupe était très costaud. Quand ils se sont séparés, c'était fini.

Q - Certains autrefois ont trouvé à ta musique des relents de fascisme...

V - On n'a jamais voulu faire une musique fasciste ou je ne sais quoi. On a pensé jouer à l'énergie. Je croyais que ca donnerait aux gens dans leur domaine l'envie de mettre aussi de l'énergie. Si je suis boucher ou fleuriste, je sors d'un concert Magma, je fais la plus belle boutique de la ville. Or, l'énergie a fait peur. Les gens se sont sentis agressés. Je ne comprends pas. Moi j'ai vu jouer Elvin Jones. Je me suis dit : jamais je ne mettrai les pieds sur une scène si je n'ai pas son énergie. Quand quelquefois je suis fatigué, je pense à Elvin.

Q - Donc l'image que certains renvoient de ta musique est fausse ?

V - J'ai toujours dit que la musique de Magma était un miroir. Chacun y voit ce qu'il est.

Q - Dans ce qui se fait actuellement, qu'est-ce qui t'intéresse ?

V – Rien. Pour moi si une musique n'est pas motivée, elle n'a pas de sens, même si elle est bien jouée. Je sais que ca claquera tôt ou tard, donc ce n'est pas absolu. Coltrane a joué, il est mort avec sa musique.

(Recueilli par Jean THEFAINE)

(1) MAGMA sera de retour dans L'Ouest pour deux concerts: le 7 novembre à Rennes (salle des Lices), et le 9 a Nantes (cinéma : Le Paris )

Source : un quotidien de l'ouest de la France - Fin 1978
Transmis par Jean François Loué.
Zeuhl Merci : Robert Guillerault

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