Interview Christian Vander & Klaus Blasquiz" Magma, c'est du punk, mais différent "
" Magma et rock, même énergie "
" Je veux jouer pour le grand public, le public Clo-Clo à la limite "
C'est un Christian Vander détendu, ouvert, mais décidé que nous avons rencontré : un homme qui a médité et réfléchi pendant des mois pour savoir ce qu'il pourrait faire de plus fou que tout ce qui ce fait actuellement. Magma a construit une musique vraiment nouvelle. C'est le nouveau cycle de Magma ; un cycle de 7 ans. Aussi le groupe est reparti sur une base nouvelle : il s'est remis en question et s'est orienté vers une musique pour le grand public, pour la masse du public. Christian en a ras le bol de cette élite qui a voulu enfermer le groupe dans un ghetto, une élite stérile et snobe qui intellectualise toute chose.
Magma part à la conquête du public le plus large, c'est celui-là qui intéresse le groupe. Pour cette conquête du vrai public, Magma dispose d"une arme : " Attahk ",enregistré au château d'Hérouville. Le travail de studio a duré 2 mois. Voici les thèmes des 7 morceaux de 1'album, entièrement composé par Christian Vander : The last 7 minutes, Spiritual, Rindë, Liriïk Necronomicus Kahnt, Maahnt, Nono, Dondai.
Après l'interview, nous avons pu aller écouter la bande au château d'Hérouville. Rendez-vous donc à la fin de cet article pour vous livrer nos premières impressions éblouies et abasourdies.
R en S : Pourquoi s'est-il écoulé tant de temps entre Üdü Wüdü et le nouvel album (Attahk) ? Qu'est devenu Magma durant cette période ?
Christian : Euh… tu veux répondre Klaus ; je réfléchis là…
Klaus : La réponse est claire ; à chaque fois que l'on a recommencé une formule de Magma, on a continué sur la vitesse sur laquelle on était partis… des musiciens sont venus… mais on ne peut pas dire qu'il y ait un nouveau Magma ; et là depuis quelques mois, il y a eu un silence Magma, qui est volontaire, qui correspond à un pivot ; c'est un nouveau cycle de Magma au niveau de la musique mais aussi à tous les autres niveaux… dans la musique de Christian, dans sa vie. Alors, il fallait prendre le temps qu'il fallait, il fallait ne pas s'affoler, ne pas s'exciter… Un nouveau Magma se prépare avant, afin que le moment venu tout soit calme, tout soit prêt. C'est important. Alors quand le disque va sortir, c'est-à-dire très bientôt, on va comprendre pourquoi tout ce silence a été nécessaire. Mais en fait, on a pas pris tant de temps… car le premier Magma a mûri pas mal de temps…
Christian : C'est surtout avant qui compte, avant le premier. Le temps qu'il a fallu pour préparer le premier, on ne le connaît pas en fait ; lorsque l'on est arrivé sur scène la musique n'était pas prête, mais il y avait eu un gros travail de méditation avant. Donc ça a pris du temps avant. Là, c'est ce qui s'est passé aussi. En 1975, après le dernier groupe avec Paganotti… et les autres…, j'ai pensé c'était la fin d'un… truc. Je n'avais pas encore compris ce qui se passait ; tout ce que je savais, c'est que sur scène, normalement j'aurais dû prendre de plus en plus de plaisir à jouer, et là, j'avais plutôt tendance à stagner; je n'arrivais pas à monter plus haut. Que ce soit un bon ou un mauvais concert, j'avais tendance à descendre. A ce moment, nous étions alors en Suisse, et…
Klaus : ce fut la cassure…
Christian : la cassure, parce que je sentais pour ma part, que je ne pouvais plus remonter sur scène et jouer cette musique là. Alors la solution… je n'avais pas encore compris que c'était le nouveau cycle de Magma qui se préparait ; le nouveau cycle de 7 ans, puisque cela faisait cinq ans et qu'un cycle, ça se prépare au moins 2 ans à l'avance. Alors au début, on ne comprend pas ce qui se passe et puis au bout d'un an on dit mais oui, mais oui c'est ça ; mais on est enclenché sur autre chose et quand on s'en rend compte, on ne peut pas forcément arrêter net, et là précisément, il n'était pas question d'arrêter Magma pendant 2 ans. J'ai pensé que la solution c'était peut-être de reformer un groupe avec Janick. Donc. Üdü Wüdü a été fait à une période où il n'y avait pas de groupe en fait. C'est donc un disque de transition. Moi-même, je n'avais aucun morceau de prêt. Je n'ai pris que des extraits d'Emehntëht-Rê, qui pris isolément ne signifient pas grand-chose. On a donc enregistré Üdü Wüdü mais en fait ce n'est pas vraiment un disque, ni un groupe. Néanmoins, après on formé un groupe avec Janick Top. Mais ce n'était pas non plus la solution. Car Janick avait passé du temps à faire des choses qui l'ont un peu…
Klaus : traumatisé…
Christian : Non, mais il était comme une machine bridée. Il avait du mal à se débrider, il lui fallait un an pour se remettre. Mais ça n'allait pas assez vite, car les gens étaient habitués à des musiciens qui jouent "ouverts" (Magma Live)… j'ai pensé tout de suite que c'était une erreur, on a arrêté ce groupe. La solution ? Elle était tout simplement dans la musique. Il fallait arrêter ce cycle et préparer autre chose qui provoque un choc aussi grand que la musique de Magma il y a 7 ans (dans le contexte d'il y a 7 ans). Mais on ne pouvait pas arrêter le groupe et c'est reparti immédiatement sur autre chose ; il fallait méditer. Ça a pris 2 ans. Aussi des gens ont cru que Magma, ça plongeait légèrement, que c'était fini, etc. Mais ils se sont trompés.
R en S : Pour parler d'avenir justement, comment se présente le nouvel album? Ce sera des courts morceaux comme dans Üdü Wüdü ou des morceaux plus longs ?
Christian : Et bien, il y aura des courts morceaux et des morceaux plus longs aussi. Actuellement, je pense que l'on va encore conserver Mekanïk Destruktïw Kommandöh comme un cheval de bataille que l'on va essayer de travailler un peu différemment, mais pas trop. C'est un peu comme le " My favorite things " pour Coltrane ; il le jouait toujours, il l'a toujours joué. En fait, quelqu'un me disait récemment, Coltrane a joué toutes sa vie avec 5 morceaux dans son répertoire ; toujours les mêmes, et puis à chaque fois, ce n'était pas les mêmes. Et ça, c'est vraiment fantastique… Ce n'est pas ce que l'on veut faire non plus !! Mais si on trouvait cinq Mekanïk Kommandöh, on jouerait cinq Mekanïk Kommandöh ! Mais là pour l'instant, on a trouvé des morceaux aussi intéressants que Mekanïk, peut-être plus même, mais ils sont courts.
R en S : Donc des morceaux courts !
Christian : Oui, mais le disque, c'est une image de ce que l'on va faire sur scène, mais ce n'est pas vraiment ça, parce que tout a été un peu " châtré ". On a raccourci, ça n'a pas été développé ; le disque, il est tout frais, les morceaux ont été composés dans le studio, joués dans le studio directement et ça n'a pas eu le temps de mûrir complètement. Sur scène, tout va être développé, arrangé…
Klaus : Mais, c'est très bien pour le disque justement que les morceaux ne soient pas trop longs !
Christian : Oui, c'est très bien ; le disque est très bien ; sur scène, ce sera mieux au niveau du développement. Sur scène, les gens entendront ce qu'ils n'ont pu entendre dans le disque. Ils resteront un peu sur leur faim avec le disque, car il y a de très belles mélodies, mais à un certain moment, il faut bien arrêter. Mais moi aussi, j'aime bien rester sur ma faim lorsque j'écoute un disque. Ainsi je le réécoute de nombreuses fois… en résumé, on a décidé de refaire la même chose qu'on avait faite, il y a 7 ans, le même choc ; par rapport aux musiques qui se passent à l'heure actuelle.
R en S : Mais le monde a terriblement évolué par rapport à il y a 7 ans ! Il y a eu plein de choses nouvelles !
Christian : Et bien oui, il fallait donc assimiler tout cela, c'est pas tellement difficile finalement et se dire : " Voyons, qu'est-ce que je pourrais faire de plus fou que ce que j'entends maintenant ". Et ça a pris 2 ans. C'est l'exemple du clown le plus fou de la terre… s'il voit vingt clowns devant lui qui font des numéros complètement fous. Si c'est le meilleur, il va bien réfléchir, il va se mettre au milieu des autres et les gens verront que c'est le meilleur, mais dans le sens où c'est le plus drôle ; ils verront bien qu'il y a quelque chose de plus fou qui se dégage. Mais pour réussir son truc, il faudra qu'il le médite ; s'il monte sur scène et qu'il fait guili-guili, ça ne marche pas. Un coup, il faut que ça se médite. Or les gens qui jouent actuellement, ils jouent au jour le jour. Ils sortent un disque, ils sont pris dans un truc, ils n'ont même pas le temps de méditer, ils sont prisonniers. Et nous, c'est ce que l'on a failli faire. Mais on n'a pas été prisonniers. Finalement, tous les problèmes que l'on a eu, ça nous a bien arrangés… les huit mois d'embrouilles avec la maison de disques, et le reste, c'est huit mois de réflexion en plus. Le groupe aurait pu être monté cet hiver, c'était encore trop tôt.
Klaus : Finalement, quand on a des problèmes et que l'on est contraint d'arrêter, il faut en profiter ; il ne faut pas chercher tout suite à retomber dans la sécurité. Là, on a eu la chance d'avoir des problèmes de maison de disques, de finances et de musiciens… car quand il y a des problèmes de finances, il y a souvent des problèmes de musiciens… Et ça a permis de méditer, de se préparer, de voir les choses telles qu'elles sont, sans être pris par le courant. Là, on a mis un pied sur la berge et on a laissé un peu filer le courant.
Christian : Non, moi j'imagine des trucs fous ; les gens ont dû penser que Magma, c'était fini ou quelque chose comme ça !!!
R en S : Oui, c'est à peu près ça… Udü Wudü sort avec deux influences dessus, puis il y a "Inédits" qui est une compilation de trucs anciens… Finalement, on ne voit plus où ça va.
Christian : Il fallait donc bien expliquer ça. Il fallait ces deux ans, tu sais, il faut bien se méfier du calme.
Klaus : C'est le calme avant la tempête.
Christian : Oui, c'est ça… mais c'est l'habitude en France, ici quand tout est tranquille, ça devient plutôt le genre grand-père avec ses chaussons devant la cheminée… mais là, ce n'est pas du tout pareil.
R en S : Mais le nouveau cycle, quoi ? Par exemple, les recherches sur l'Egypte ont-elles été abandonnées ? Est-ce que le côté mystique… ???
Christian : Bah, le côté mystique, pour l'instant ça nous regarde, dans le sens où si on a envie de travailler là dessus et bien… Mais je pense que dans la musique on fera ressortir autre chose que ça. Le mystique sera forcément dedans, mais pour qui ! Je ne sais pas… Moi, j'ai envie que la musique soit jouée à la limite par des rockers. Car… oh et puis tant pis, je le dis car ça fait longtemps… je trouve que les gens qui jouent la musique progressive sont un peu précieux et que quand on prend un musicien qui a une certaine culture, classique ou autre, qu'on lui demande de jouer dans Magma, il a des problèmes. Le type, pour jouer dans Magma, il doit connaître le rhythm'n'blues, soul music et tout ça, le jazz, le classique… Mais quand un musicien connaît trop bien ou le jazz ou Ie classique, il ne veut jouer que du jazz ou que du classique. Il devient sectaire, spécialiste. Il est enfermé dans un truc.
R en S : Un peu méprisant pour les autres musiques ?
Christian : Voilà ! Alors qu'il faut être ouvert à tout et tout assimiler ; on fait une synthèse et après, on peut attaquer droit. C'est une musique comme le rock, Magma en fait; c'est la même énergie. Seulement, les gens quand ils jouent Magma, ils s'imaginent que ça doit être immédiatement intellectualisé, intériorisé,… alors je joue ma partie de piano… mais moi quand je joue, je casse un piano. Pourquoi le pianiste, il ne casse pas le piano quand il joue sur scène ? Si je jouais du piano, je jouerais du piano comme je joue de la batterie, donc il devrait y avoir un pianiste qui joue du piano comme je joue de la batterie, un bassiste qui joue de la basse comme je joue de la batterie, etc. Et ce serait comme un groupe de rock en fait. Et c'est ce qui aurait dû se passer depuis le début, mais trouver les lascars pour faire ça, c'est un problème. Et là on essaye de le faire. On essaye de trouver des mecs qui sont fous. Avant on s'imaginait que ça allait progresser, mais en fait, il n'y a pas de secret, le type qui est comme ça au départ, il n'évolue pas. Et on prenait toujours les mêmes tronches, des types un peu jazzy. Parce que c'est difficile ; un type qui ne joue que de rock, il… euh…
R en S : Il est limité techniquement ?
Christian : Oui, il est limité techniquement et rythmiquement, parce qu'il ne connaît qu'une chose. Or pour jouer dans Magma, il y a des choses qu'il faut connaître… Il n'y a que certains musiciens américains qui peuvent être à l'aise rythmiquement sur cette musique, sans être forts techniquement, bon et ce, parce qu'ils sont plongés toute la journée dans un milieu de musique… mais ici, en France, il faut qu'ils soient très forts musicalement pour assurer cette musique là. Et puis je ne vais pas aller chercher des musiciens US, car c'est l'inverse que j'ai envie de faire c'est-à-dire de construire quelque chose ici avant d'aller le présenter là bas. Car là-bas, c'est sûr que ça ne doit pas être trop dur, de trouver des musiciens. Donc, ce qui se passait, c'est que les gens étaient trop précieux ; c'est pour ça à la limite que j'avais envie de jouer avec des Rockers.
R en S : Voilà des paroles qui risquent d'en surprendre plus d'un !!!
Christian : Alors là, tant pis. S'ils n'ont pas compris à travers la musique que c'est comme ça que ça devait être…
Klaus : La vie est basée sur des principes d'harmonie. S'il n'y a pas la violence et l'action dedans et bien c'est la mort. Les gens qui sont uniquement intellectuels, ou uniquement physiques, ce sont des morts. Ce sont des cadavres qui bougent. D'un autre côté l'équilibre idéal, c'est la mort aussi : c'est la perfection et il n'y a plus tellement de vie dedans. La vie, c'est le mouvement.
Christian : Moi, je pensais que c'était évident pour les gens. Si je jouais comme ça, c'est que tout devait être joué comme ça. Cette musique devait être jouée à fond : une musique brute, physique, spirituelle… tout doit passer. En ce moment, j'essaye de trouver des musiciens à l'esprit rock.
R en S : ces dernières années, il y a des musiciens de rock qui ont fait des choses très violentes. Est-ce que tu as ressenti ce mouvement ?
Christian : Non,… non, je ne trouve pas que c'est violent moi. Je sais ce que c'est " violent ", et d'ailleurs, avec le disque on va bien voir ce que c'est… La violence, ce n'est pas la " new wave ", parce que c'est énorme et… grandiose. La violence dont vous me parlez, c'est un type qui se bat dans un bar parce qu'il y en a un qui a volé un oeuf dur. Mais ce n'est pas ça la violence ; la violence, c'est… Attila ou quelque chose comme ça. C'est colossal. Bon, mais là on va partir sur quelque chose de différent, avec toujours la même énergie, la même motivation…
Klaus : Il y a la violence aussi de la remise en question. Le début du nouveau cycle, c'est la violence à Magma. Il faut faire violence à l'image de Magma : on a été trop gentils.
Christian : Oui, on va appeler ça, l'" After punk " (rires).
R en S : Y aura-t-il deux batteurs ?
Christian : C'est possible, mais ce n'est pas sûr. Si on trouve deux chanteurs, c'est-à-dire Klaus et un autre chanteur, je joue de la batterie.
R en S : S'il y a un deuxième batteur, ça sera pour te permettre de faire quoi ?
Christian : De chanter… comme Mick Jagger (rires).
R en S : Et de jouer du clavier ?
Christian : Peut-être pas… mais chanter debout !!!
Klaus : II y a déjà deux claviers, alors ce n'est pas utile. Mais pour le chant, ça va être déterminé par la personne avec qui je vais chanter. On va monter quelque chose avec deux voix complètement soudées. De toutes façons, sur scène, ça va être du sport. On va faire quelque chose en trois dimensions, il faut absolument qu'il se passe quelque chose… dans l'espace. Pour cela, on va résoudre un certain nombre de problèmes techniques : il y aura des micros sans câble, de l'espace devant la scène. Ainsi, l'on pourra agir, bouger.
R en S : Donc désormais, vous allez bouger, vous déplacer !
Christian : Mais moi, j'ai toujours voulu bouger. Seulement pour ça il fallait déplacer des montagnes. J'aurais été le premier d'accord pour que le pianiste saute sur son piano, mais il l'a jamais fait… Maintenant, le musicien qui ne veut pas sauter sur son piano, il ne rentre pas dans le groupe, c'est tout.
R en S : Qu'avez-vous pensé de Kansas (Kansas avait émis le souhait de rencontrer Magma, et ça c'est réalisé grâce à CBS) ?
Klaus : Moi ce que j'en ai vu, sans porter de critique, c'est ce que j'ai vu des groupes depuis 15 ans que je regarde des groupes.
Christian : Ils font beaucoup de musique cassée. C'est pas très complexe ce qu'ils font, ils font ta tata tatatatatata. C'est intéressant de savoir que les gens peuvent s'accrocher à ça aussi. Kansas, ça ressemble un peu à ce que l'on faisait au début, dans le sens rythmique et les gens n'accrochaient pas.
Klaus : Kansas, c'est une succession de séquences dans le fond.
Christian : Ouais, succession de séquences ; avant les gens étaient paumés, tandis que maintenant ils peuvent. Seulement, maintenant faire une musique comme ça, ça n'a plus tellement de réalité. C'est un peu tard. Mais il ne faut pas être trop en avance non plus, parce que ça ne sert à rien. Le type qui me dit : moi, je ne fais pas de concerts parce que je fais une musique trop en avance, je n'y crois pas non plus.
Klaus : C'est l'argument du perdant.
Christian : Moi, je pense qu'il faut être une demi-marche avant, juste pour la pointe, mais c'est tout.
Klaus : Tu sais si la locomotive, elle est 15 km devant les wagons, elle ne tire rien.
Christian : Je pense qu'il fallait tenir compte de tout cela, et faire une musique qui soit juste à la pointe mais pas trop.
R en S : II y a 7 ans vous avez lancé quelque chose de très fort, et puis rien n'a bougé, les structures, les médias, tout est resté en place. Alors…
Christian : Y a pas que ça… on peut parler du public… non, je… je vais te dire ce que je pensais de l'élite.
Klaus : oui, ce n'est pas le public, c'est l'élite.
Christian : Depuis 7 ans… oui, parce que moi, je voulais faire la musique du peuple, des gens, je me suis aperçu qu'il n'y avait que des gens précieux qui aimaient cette musique là. Enfin les 3/4 du temps, c'était ça. Donc l'élite. Et puis, il y avait ces types qui venaient nous voir à la fin du concert et qui disaient : " C'était chouette ce soir ". Les types " glabros ", habillés en noir et tout. Au départ, on a joué le jeu de ça ; on a pensé que ça allait déclencher un truc monstrueux… que les mecs, la foi et tout…
Klaus : Que c'était l'avant garde.
Christian : Oui, et mettons que la première année, il y ait eu 1 000 personnes au concert, la deuxième il aurait du y en avoir 2 000, la 7eme 7000 etc. Si ça ne s'est pas produit, ça veut dire qu'il y a des gens qui ont décroché. C'est vrai. C'est qu'à partir du moment où la folie passe, soit à 20 ans, soit entre 20 et 24, on range ses pompes devant la cheminée, et c'est fini la folie. Donc, je ne crois pas qu'il puisse exister une élite qui puisse se consacrer à vie à quelque chose. Je pense que ça aide à passer un temps de leur vie, ils ont des problèmes avec une nana ou autre chose, c'est le problème de l'adolescence ou du début de la maturité, il se passe des trucs, alors on se donne un but, comme il y a des gens qui adhèrent à un parti et ça peut être un passage dans la vie car il y en a beaucoup qui sont déçus… ça passe aussi, chez certains ça passe jamais, mais ça c'est autre chose… pour Magma, c'est pareil ; mais comme ce n'est pas de la politique, on largue encore plus… on s'est bien éclaté dans un certain climat à écouter Magma, etc., et puis au bout d'un certain temps et bien on largue, et puis on retourne dans son bureau, dans ses pantoufles et l'on oublie. Et donc ces gens là… parce que qui est ce qui depuis 8 mois décroche le téléphone pour me dire : " Allô Christian, ça va Magma ? Tu es dans la merde ? Tu as besoin de réconfort, tu vas pouvoir le refaire ?… Personne. Quand ça décroche, c'est pour dire, espèce de salaud etc. ". Exemple d'élite : il y avait un type qui venait à tous les concerts de Magma, et un jour, je ne sais si c'était moins bien car on donnait toujours le maximum, il est venu et il m'a dit : c'était vraiment mauvais le concert. Alors ces gens là, cette élite, ils vont être totalement sacrifiés ; je ne joue pas pour eux.
R en S : Cette élite est négative parce qu'elle ne fait rien ?
Christian : Oui, eux ils ne feront jamais rien. Ils ne savent que pomper, et quand ils ne peuvent pas pomper, ils donnent des coups de pied ; et tout de suite, ils critiquent et ils vont ailleurs. Il n'y a que chez ces gens là que j'ai entendu dire du jour au lendemain : Magma, c'est de la merde. Tandis que les autres, plus sensibles, ont dit : " Tiens, pourquoi vous avez changé l'esprit ", ils cherchaient à comprendre, tandis que l'élite, elle est intransigeante, mais dans le mauvais sens. Alors, ces gens là, c'est fini : on je joue plus pour eux, on joue pour le peuple, pour les gens. Je joue pour les gens qui veulent agir, qui veulent bouger. Moi je vois : Claude François est mort et il y a des milliers de gens qui sont venus sur sa tombe ; ils ne l'ont pas laissé tomber, parce qu'ils vibraient pour quelque chose. Alors que l'élite, je n'y crois pas.
R en S : Vous allez recommencer devant 50 spectateurs !
Christian : Aucune importance, je m'en fous. Si demain, il y a 2 000 personnes de l'élite qui viennent au concert et seulement 20 personnes du peuple, ou de la masse du public, c'est pour ces 20 là que je jouerai. Les autres s'ils s'adaptent tant mieux pour eux, mais je pense plutôt qu'ils vont nous laisser tomber comme des vieilles chaussettes en disant : " Oh, ils ont changé !". Ce que veut cette élite, c'est découvrir. Elle prend son pied quand il y a 20 personnes au concert. Quand c'est admis, elle dit : " lls sont devenus commerciaux ", et elle va ailleurs. Et ça, c'est pas valable. Et les mecs qui sont bien dans notre public actuellement, ça leur plaira toujours ; les autres, ils s'en iront comme des mouches.
Klaus : Tu disais tout à l'heure qu'on allait jouer devant 50 personnes. C'est faux car le public auquel on s'adresse est majoritaire, alors que l'élite, elle est ultra minoritaire.
Christian : Le problème de l'élite dans un public, c'est qu'elle contamine. Elle parle, elle parle : ce sont des gens qui vivent avec le bout de leur langue. Et il y en a un paquet comme ça. Maintenant, on veut l'impact direct du musicien au public. On veut que les gens vibrent en même temps que nous. Nous, on se contentait de jouer, on s'imaginait que les gens allait tout ressentir… maintenant, il faut faire passer la rampe, il faut faire ressentir ce que l'on veut.
R en S : Mais vous n'allez pas avoir des problèmes au niveau des médias pour faire connaître cette musique à un vaste public ?
Klaus : C'est sûr, c'est pour cela qu'il faut parler. Si on veut que les gens viennent nous voir, il faut les aider, il faut leur expliquer ce que l'on fait. Si on parle pas, ce sont d'autres qui vont le faire, et sur le dos des gens.
Christian : II faut cesser de dire Magma ceci, Magma cela… il faut dire : Magma = rock, ou plutôt, Magma-rock = même énergie. Ne pas dire, c'est un peu à part… Blabla… Ce qu'il faut, c'est cesser de comparer Magma à des trucs d'élite. Il faut dire Magma c'est du punk, mais autrement.
R en S : Vous allez partir en tournée ?
Klaus : On attaque le 16 mai et l'on va parcourir toute la France et la Suisse. On va en Yougoslavie au mois de juin pour un festival. Et il y aura de plus, un concert à Zagreb.
R en S : Et tous les projets d'albums solos des différents membres de Magma, qu'est-ce que ça devient ?
Christian : Ça a été reporté car on a déjà tellement de problèmes avec Magma…
Klaus : Ça sert à rien de faire un disque pour sa petite satisfaction personnelle ; ça prend du temps, de l'argent, et ça sert qu'à mettre un peu de musique sur une bande.
Christian : Nous, on fait autre chose que de mettre un peu de musique sur une bande. Car un disque, c'est gravé à vie, c'est grave.
Klaus : Un objet, ça doit avoir une vie aussi il faut éviter de fabriquer des bâtards.
R en S : On peut écouter le disque ?
Christian : Oui, appelle Laurent Thibault à Hérouville (là où a été enregistré le disque) et il vous passera la bande. On parlait des musiciens : pour la basse, il y aura deux musiciens. Il y en aura un qui s'appellera Ourgon et l'autre qui s'appellera Gorgo. Ce seront deux personnages : les basses ne sont pas employées comme des basses. Elles sont vivantes : c'est comme deux personnages. C'est comme la continuité de parole, les basses. C'est comme des mots, les lignes de basse. C'est comme quand j'écoutais Coltrane, j'ai jamais écouté un sax, j'ai toujours entendu quelqu'un qui parlait. C'est très important ça d'une manière générale, toutes les lignes mélodiques dans Magma ont toujours été imposées. Or les gens ont dit que quand le groupe changeait, la musique changeait. Et ça, c'est faux. Évidemment, quand c'est joué par un violon et une guitare, ce n'est pas joué par deux sax ; mais la musique, elle reste la même. Les lignes mélodiques dans Magma sont trouvées à la voix, et c'est très chantant. Aussi, c'est très difficile de réaliser ça sur un instrument. C'est vital de parler de tout cela. En musique, les instruments n'ont pas leur véritable fonction. Pendant des années, on s'est figuré que la batterie c'était un instrument d'accompagnement, et puis on a découvert que ça pouvait être un instrument soliste. Maintenant, on en est arrivé à considérer que la basse et la batterie c'étaient des instrument d'accompagnement pouvant être soliste. Mais ce n'est plus ça, c'est dépassé. Maintenant la basse peut être un instrument vivant comme une voix. C'est une dimension. C'est pour cela qu'il y aura deux basses : il y aura une basse " terre " qui jouera très lourd, qui joue la fondamentale ; et une basse " air " qui fera le coté lyrique, et qui jouera fou, complètement fou. Et…
Klaus : et sur ce, il faut écouter le disque.
Dans le calme de la grande plaine du Vexin à la sortie du village, se dresse le château d'Hérouville. Laurent Thibault nous attend, toujours calme et affable. Il nous met la bande de " Attahk ". Et là, on prend un coup de poing fantastique. Magma a résolu avec ce disque la quadrature du cercle. Il a fait une musique populaire abordable, qu'un vaste public va ressentir. Et ce tout en restant profondément lui même. Il y a une richesse, une variété dans ces morceaux, absolument extraordinaires. Il faut écouter le disque une fois pour les basses une fois pour les voix, etc., et bien sûr une fois pour la batterie. Chaque instrument chante comme une voix. A la première écoute, on ne peut tout apprécier tellement il y a de choses ; et pourtant… pourtant c'est cette richesse qui fait que, même à première écoute, on prend un plaisir extraordinaire. Ce qu'il y a de formidable, c'est que c'est une musique riche, mais aussi une musique populaire. A quand " Dondaï " premier au hit parade ?
N'ayons pas peur des mots : au niveau composition, c'est un chef d'œuvre, mais comme tous les authentiques chefs d'œuvre, il est accessible à tous. Magma a réussi l'exploit de rester lui même tout en changeant la musique et en visant un autre public. Et quelle énergie !!! Il y a des rockers qui vont se sentir mollassons. Alors, bientôt 8-9-10 000 personnes pour voir Magma. J'y crois dur comme fer. La bande s'achève ; on essaye péniblement de digérer l'événement. Je dis : " les vocaux de Klaus sont impressionnants… Je ne trouve pas les mots ". Laurent Thibault sourit : " Ce n'est pas Klaus, c'est Christian qui chante, Klaus n'apparaît que dans les chœurs et, sur les morceaux, pendant quelques secondes seulement. Néanmoins, il chantera sur scène bien sûr, surtout si Christian ne prend pas un deuxième batteur. De toutes façons, sur les disques les noms des musiciens ne seront plus qu'en Kobaïen ; alors que ce soit x, y ou z qui chante, ça n'aura plus grande importance. Les musiciens passeront, les personnages de la musique resteront ".
Laurent Buvry - Jean-François Papin
Rock en Stock - Août 1978