Jean-Luc Chevalier - MAGMA
"Hendrix, je l'aurais très bien vu dans Magma !"Magma a donné en juin dernier à l' Olympia trois grands concerts de six heures chacun ; ce fut, comme nous y a habitué ce groupe, l'occasion de moments musicaux d'une rare intensité. Le guitariste du groupe, Jean-Luc Chevalier parle de la conception et du travai1 de la guitare dans cette formation précise et percutante.
Un entretien avec Jacques Barial et Philippe Godelle"Dès qu'apparaît un intellectualisme un peu précieux dans la musique, ça met des barrières. Il n'y a pas ce genre de pollution dans Magma, il n'y a pas de "masturbatio", c'est très physique, très animal".
Le Guitariste Magazine : Ton arrivée au sein de Magma a-t-elle été fortuite ?
Jean-Luc Chevalier : Ça fait trois ans que je joue dans le groupe. Ce n'est pas un hasard, je pense avoir toujours eu l'esprit pour jouer cette forme de musique.A quand remonte ton rapport professionnel à la musique ?
Il y a longtemps, j'ai commencé comme presque tout le monde par faire des bals puis ce fut Zig-Zag, un groupe à deux, aspects où nous jouions d'une part dans les bal, qui nous permettaient de vivre et d'autre part pour des concerts que nous donnions principalement pour notre plaisir : cela nous a permis de faire quelques radios dont le Pop Club de José Artur. Parallèlement je travaillais la guitare, je donnais des cours et j'en prenais aussi. Je travaille d'ailleurs toujours énormément.Zig-Zag est resté ignoré des maisons de disques
Oui, commercialement ça n'intéressait personne.Tu n'es plus un musicien parisien
Je ne viens pas souvent à Paris, si ce n est pour les répétitions de Magma ; ou bien comme cette année pour le Salon de la musique où j'ai joué avec Marc Eliard (Marco) à la basse et Jean Chevalier (Popoff) à la batterie.Peut-on parler de toi comme d'un musicien qui fait des séances de studio ?
J'en ai fait, mais cela ne me plaisait pas. Je déteste parler affaires dans un studio j'en suis incapable.Claude Alvarez-Péreyre nous parlait de ce problème dans le numéro précédent du Guitariste
Je connais bien Claude, il y a trois ans en Angleterre, nous avons fait un 33 tours ensemble pour René Werneer. Tu lui donnes une partition avec les arrangements et il commence direct très fort ! J'étais employé comme guitariste-bassiste et Popoff comme batteur, c'était très intéressant de travailler sur des morceaux à sonorité médiévale, A cette occasion on a " fait le buf " avec le groupe irlandais New Celeste. D'excellents musiciens dont j'aime bien l'esprit. Claude nous a aussi employés, Popoff et moi pour un album de Jacques-Emile Deschamps : il fallait écouter un album de Joni Mitchell et jouer dans esprit : c'était intéressant comme expérience.Comment composes-tu ?
Disons qu' auparavant je composais vraiment pour me faire plaisir et trop au hasard. Maintenant je frappe avec plus de précision, je fais plus attention : toute chose qui manque un peu d'énergie, de force, où je sens un relâchement, je l'élimine. Je travaille beaucoup de gammes, d'accords, de phrases et d'exercices ; mais, composer ça ne se "calcule" pas, c'est par période que ça se passe. Tiens, regarde, un morceau comme Guardian Angel de John Mc Laughlin, pour moi, ça s'est créé dans la transe avec l'énergie du moment. J'en viens à parler de "l'esprit" Magma, et de gens comme Jeff Beck, Jaco Pastorius, Christian Vander ou Hendrix qui ne sont pas précisément des "intellectuels de salon". Ils ont énormément d'énergie et de sensibilité à transmettre, c'est pour cela qu'ils jouent si bien. Par contre, dès qu'apparaît un intellectualismc un peu précieux dans ta musique ça met des barrières. Il n y a pas ce genre de pollution dans Magma. La musique est bien jouée, c'est tout, il n y a pas de " masturbation ". C'est très physique, très animal. Le principe : se donner à fond. De toute façon, ce n'est pas la simplicité ou la complexité qui importent, c'est l'énergie et le feeling avant tout. J'en donne pour exemple les trois accords tout simples qu'Hendrix utilise dans "All Along the Watchtower". Ce morceau, Marc, Popoff et moi nous l'avons joué au Salon juste après avoir joué un morceau de Magma et l'enchaînement collait parfaitement, l'énergie est la même. Il n y avait pas de relâchement .Comment vois-tu l'apprentissage musical ? Tu as une formation dite "classique", Hendrix n'avait pas cette formation
Hendrix était un bluesman et un rythmicien, c'était aussi un redoutable guitariste de séances "Tamla", la formation classique n'était pas nécessaire dans son cas. Le Rhythm'n'Blues en revanche était très important pour lui, et cette musique-là s'apprend dans la rue, le plus souvent en jouant avec les copains. Le "gros son" d' un ampli ça ne s'explique pas, ça s'apprend sur le tas. De même, il y a plein de doigtés et de positions jazz ou classique avec des accords et des gammes que tu apprends comme tout le monde, que tu travailles au métronome etc. Mais il y a aussi et surtout tout ce qui s'apprend en jouant avec les autres musiciens, même dans les bals.Avec Magma, comment travailles-tu et que peux-tu y exprimer ?
Avec Christian, nous travaillons rythmiquement "à la noire" pour savoir où nous placer vis-à-vis des autres instruments, pour savoir par rapport à la batterie ou à la basse où se trouve la réelle mesure, Si c'est un 3 1/2 ou un 7 1/2. Ils sont vraiment sentis à leur réelle valeur et surtout pas à la croche car dans ce cas, on marcherait carrément sur des ufs "baba-cools " ! C'est vraiment toute une école différente du Conservatoire. J'ai une amie qui a enregistré les Petites Liturgies d'Olivier Messiaen, j'ai vu que là, par contre, tout était écrit à la phrase, ce n'était que changements continuels de cadences 2/8, 5/4, 6/8, etc. Initialement, c'est difficile d'expliquer "scientifiquement " ce qui se passe quand tu travailles avec Magma. Il faut avant tout aimer les musiques à émotions fortes, excessivement fortes. C'est la folie quoi. C'est difficile à expliquer, j'ai toujours aimé ce genre de musique, Hendrix par exemple, je l'aurais très bien vu dans Magma. Avec Marco, Popoff et Noby Clarke (sax), nous faisons aussi une musique à haute énergie, il y a des concerts qui marchent bien, d'autres un peu moins, parce que ce que nous jouons n'est pas du tout commercial, il faut aimer les sensations fortes ! Et mon côté Magma, ce sont ces émotions fortes, une face cachée de moi, il y a une certaine folie dans tout ça.Lorsque tu joues, tu as un regard assez dévastateur !
Tu sais, ce n'est pas dans ces moments-là que je pense pour autant à taper sur la figure de quelqu'un ! J'ai de l'énergie à donner. il y a une certaine transe qui s'installe, de la passion, du fanatisme, bref, c'est tout cela qui crée cette folie mais ce n'est pas de la haine du tout ; ça me permet quand il y a un passage pas évident à jouer qui se présente de ne plus penser à rien et ça passe avec l'énergie. Après coup, lorsque j'écoute et que je réalise ce que j'ai joué, je suis heureux, alors autant jouer naturel et tant pis pour le rictus ! Regarde Pierre Fanen quand il joue le Blues, il " chiale son truc ", le fond est le même, seule l'attitude change.C'est encourageant de te voir aussi passionné...
Ah ! moi je suis toujours aussi emballé que quand j'avais dix ans, tu vois ce que je veux dire. La même envie que quand je commençais à huit ou dix ans. Obligé ! Autrement tu perds en vérité, tu joues linéaire, il n'y a plus de sensibilité...Quels sont les modes et les harmonies qui t'intéressent plus particulièrement ?
Tout m'intéresse. J'aime beaucoup jouer dans les modes arabes avec des percussions, les folklores m'intéressent aussi. Par moments, par certains côtés de Magma. j'ai l'impression de jouer du folklore hongrois, c'est super ! J'aime beaucoup de choses, beaucoup d'instruments m'intéressent, je ne suis pas uniquement branché sur la guitare et la basse ! Tout est intéressant à partir du moment où ça a une bonne odeur... J'utilise des modes curieux, regarde Mc Laughlin lorsqu'il joue dans Shakti avec des Indiens, il respecte totalement les modes utilisés : ce sont vraiment les notes du mode. Prend par exemple les sept modes grecs, si tu joues en fa dièse Locrien et si tu en as assez d'évoluer dans le mode, tu peux utiliser trois pentatoniques mineurs : mi, la. si. La totalité des notes des pentatoniques est égale aux notes du mode ; mais, pris séparément les pentatoniques donnent un timbre différent, d'où quatre possibilités en fait : le mode grec plus trois pentatoniques, cela permet de changer le climat tout en respectant les harmonies.Joues-tu encore acoustique ?
Dans Zig-Zag j'ai joué très longtemps en guitare acoustique (classique) avec deux percussionnistes et un saxophoniste flûtiste (Noby). Je jouais essentiellement avec une technique classique sans jamais utiliser de médiator, je ne touchais plus la guitare électrique... J'utilisais une Ovation branchée directement sur la sono. C'est la seule guitare qui me convenait car elle permet d'avoir un son très amplifié sans larsen. Quand tu amplifies une acoustique normale, tu as tout de suite un ronflement puis du larsen.Quels amplis et quelles guitares utilises-tu ?
Actuellement un Ampeg SVT pour la scène et un Vox D125 pour jouer dans les clubs. J'ai joué auparavant sur un AC 30 puis sur un Marshall, mais pour Magma le Marshall est devenu insuffisant étant donnée la puissance du jeu basse/batterie... et puis cet ampli était vieux et fatigué ; mais il avait un beau son... Comme guitares, j'utilise ma vieille Stratocaster dont j'aime beaucoup le son ainsi que l'Ovation avec laquelle j'ai joué au Salon de-la musique. J'ai joué aussi il y a quelques années sur une Gibson Birdland mais ça n'allait pas parce que j'attaquais très fort , même problème un peu plus tard avec une Les Paul Standard.C'était assez impressionnant la rétrospective Magma. Tu as dû aimer...
Ah oui, ça a saigné jusqu'au bout ! Sacrées soirées ! Mais question radio ou télévision il ne s'est pas passé grand chose cette année, ce n'est pas la grande folie. C'est le même problème pour les musiciens de jazz on ne les y entend pas assez.Où peut-on t'écouter en ce moment en dehors de Magma ?
A Nantes avec Marco, Popoff et Noby, ce sont d'excellents musiciens et nous jouons dans la mesure du possible tous les mardis soirs à la Bourse. Il ne s'agit pas de "concerts", puisque nous invitons à venir "faire le buf" qui en a envie.Le Guitariste Magazine n°2 - Décembre 1980