VANDER : MAGMA, GRETSCH, à la vie, à la mort…

C'est avec Christian Vander que nous inaugurons, dans ce numéro, une série d'articles qui répondra à bon nombre de questions que se posent les batteurs, à l'écoute de leurs musiciens favoris (disque ou scène). Ces interviews porteront sur les différents éléments avec lesquels les batteurs créent leur son propre (le pourquoi et le comment), mais également sur des considérations d'ordre musical, pour mieux " cerner " une forte personnalité du métier. Et pour débuter, quelle personnalité ! Vous apprécierez le personnage, entièrement consacré à sa musique, dont les affirmations péremptoires sont le reflet de " sa " vérité, apanage des grands talents musicaux. Percutemment vôtre.

DISC : Vous utilisez " Gretsch " depuis vos débuts, peut-on parler de " fixation " à cet égard ?

Christian VANDER : Absolument, j'irai même jusqu'à dire que c'est une marque avec laquelle je veux être lié à la vie à la mort, comme avec la musique d'ailleurs, et sans pour autant paraître excessif dans ce jugement. A cela certaines raisons qu'il m'est aisé d'expliquer. Issu d'une famille de musiciens, j'écoute du jazz depuis l'âge de 11 ans, par l'intermédiaire des grands batteurs de l'époque, c'est-à-dire : Art Blakey, Kenny Clarke et bien d'autres, qui tous, jouaient sur Gretsch. Je me souviens parfaitement de la retransmission radiophonique du premier concert de John Coltrane à Paris, où la batterie, sous l'impulsion d'Elvin Jones, pouvait sonner soit d'une manière musicale et mélodique dans les passages doux, soit d'une façon agressive dans les moments forts, selon l'impulsion donnée à sa frappe par le batteur.
Je ne connaissais pas alors la marque sur laquelle jouait Elvin Jones, mais quand j'appris par la suite qu'il s'agissait de Gretsch, j'ai compris tout de suite que ce serait celle-là, et aucune autre, qui répondrait un jour à rues désirs.

Cette pensée s'est d'ailleurs confirmée dans le temps, puisqu'après avoir essayé bon nombre d'autres matériels, je n'ai jamais pu retrouver, ailleurs que chez Gretsch, cette finesse et cette profondeur de son qui me sont indispensables pour m'exprimer à tous les niveaux sonores. Je dois ajouter que je suis particulièrement sensible au fait que les variations du son que l'on peut tirer des fûts, ne sont pas uniquement dues à l'intensité de la frappe, mais aussi à l'angle de frappe des coups portés, sur les peaux, avec ou sans utilisation du "Rim-Shot".

C'est ainsi qu'avec un réglage définitif de la tension des peaux, on a le loisir, toujours en fonction de la frappe, de trouver, tout en jouant, trois ou quatre profondeurs différentes, ce qui est appréciable dans toutes les nuances que la musique exige.
Petite anecdote : ce goût pour une utilisation mélodique des fûts m'est venu très tôt en écoutant, en 1960, un disque de l'organiste Lou Bennett intitulé "Amen" (R.C.A. 430.050) où, en compagnie de Jimmy Gourley et Jean-Marie Ingrand, Kenny Clarke suivait fidèlement sur ses toms, la mélodie de Donald Byrd, ce serait là pour beaucoup un excellent exercice à travailler.

Que demandez-vous à une batterie ?

Je lui demande surtout la possibilité de pouvoir m'exprimer aussi bien, avec tendresse (mais oui !) qu'avec dureté, et parfois même avec violence, ainsi qu'avec une agressivité que l'instrument doit retransmettre, en fonction des états d'esprit du musicien. Gretsch m'a permis d'atteindre toutes ces nuances, jusqu'aux extrêmes, et je ne pense même pas, aujourd'hui, avoir exploité toutes les ressources de ces fûts, tant la possibilité de "creuser" le son est infinie, tout en sachant pertinemment qu'une réserve est encore disponible. Pour imager, prenez l'exemple d'une voiture capable de monter à 300 à l'heure : vous pourrez toujours la pousser à 250/260 km/h mais après, le cœur risque de vous manquer pour emmener le compteur dans la boîte à gants ; vous relâcherez l'accélérateur à un certain moment.

J'ajouterais encore que le mélange de délicatesse et de violence que l'on obtient ici, est en quelque sorte le reflet de la vie actuelle.

Peut-on parler de certains "manques" dans la production de la marque ?

Oui, certainement, rien n'est parfait ! A tous les niveaux et dans toutes les marques. Personnellement j'ai changé l'attache de toms Gretsch pour une Slingerland, qui me semble beaucoup plus pratique. C'est finalement là un détail négligeable, pour un batteur qui ne devrait attacher de l'importance qu'à la sonorité de ses fûts. Les problèmes techniques ne m'intéressent pas du tout, je fais de la musique, il ne faut pas me demander comment est faite urne pédale Charleston, ou si tel ressort est préférable à tel autre. Beaucoup de batteurs cherchent souvent des palliatifs à certaines de leurs faiblesses musicales, en incriminant le matériel. Je dois dire que, lorsqu'on est vraiment motivé pour jouer, la fatigue qui résulte d'une telle gêne ne doit pas exister, même en faisant des "bœufs" sur un matériel qui n'est pas le sien. Cela dit, j'essaie de choisir des accessoires appropriés. Les pédales par exemple, drivent avoir une souplesse optimale pour que toutes mes impulsions soient respectées, grâce aussi à un réglage très tendu qui me permet d'obtenir le temps de réponse le plus court possible.

Quelles sont les marques d'accessoires que vous utilisez ?

La pédale charleston est une J. Capelle, mais avec un tilter Asba, le seul qui ne m'ait jamais lâché en plein concert, alors que très souvent, bon nombre de batteurs ont ce problème en cours de jeu. Je serre le tilter fortement avec une pince, et il ne bouge jamais. La pédale de grosse caisse est une Camco, qu'Elvin Jones m'a conseillée il y a bien des années, en m'assurant qu'elle était vraiment faite pour durer, ce qui s'est révélé exact à l'usage. Les pieds de cymbales sont des Tama.

Votre caisse claire actuelle parait être d'un type un peu particulier ?

J'ai toujours joué sur une caisse claire Gretsch, jusqu'au jour où, aux Etats-Unis, j'ai eu l'occasion d'essayer (et d'adopter) une caisse claire fabriquée par un artisan spécialisé dans les instruments de percussions classiques. Elle ne comporte que 6 tirants, mais de gros calibre, et en plastique, du même type que ceux qui équipent les tambours de Marching Bands. Elle est équipée d'un déclencheur parallèle de dessin original ; elle porte le nom de son créateur Inger, hélas aujourd'hui décédé. C'est une petite merveille dont j'ai deux exemplaires. Je crois savoir que Billy Cobham en possède une ou deux, et que Lenny White et Alphonse Mouzon en ont une également.

Quels sont les réglages que vous employez pour vos peaux ?

Sur la crosse claire, la peau supérieure est accordée afin de donner un Lab, quant à la différence de tension entre les deux peaux, elle varie très souvent en fonction du lieu où je dois jouer. Les réglages ne seront jamais les mêmes selon l'acoustique, la chaleur et l'humidité de l'endroit.
Par exemple, dans un club exigu, où beaucoup de gens se pressent, je tendrai plus les peaux, sachant que la batterie aura tendance à "descendre" au cours de la soirée. La peau de timbre est assez tendue mais un peu moins que la peau du dessus. Les peaux que j'emploie sont des "CS Remo", et l'accord, dont j'ai l'habitude pour les toms, est fonction d'un mode que j'appellerais "de John Coltrane". Comprenne qui voudra bien se pencher sur la question, et prêter attentivement l'oreille. Les peaux du dessus sont très tendues, celle du dessous également, mais avec une sourdine afin de toujours respecter le son du bois. Je trouve que les matériels devraient être tous équipés d'une sourdine inférieure, sourdine qui permet un son comparable à celui de Tony Williams par exemple, mais aussi à celui d'Elvin Jones, dont la perfection dans l'esprit des réglages m'a toujours inspiré.

Pour compléter, quelle est la composition de votre set de cymbales ?

J'ai, en tout, 12 cymbales sur pied, qui se présentent ainsi : 2 grandes chinoises de 61", chacune derrière moi, 2 autres sur les côtés de 55" et 45", 2 cymbales "Ride" de 51" à mi-hauteur de chaque côté sur le devant, au-dessus d'elles 2 cymbales "Crash Ride" de 45", plus à l'extérieur 4 autres cymbales "Crash", de diamètres variables, de part et d'autre du matériel. Ce sont toutes des Zildjian Avedis ou K, à l'exception des cymbales chinoises qui sont d'origine, et que j'ai achetées en Hollande.

Que pensez-vous de l'apport électronique sur les instruments, y compris dans le domaine de la percussion ?

En percussion, ça ne m'intéresse pas spécialement, le fût d'une batterie est et doit rester avant tout le Tam-Tam des origines", même avec l'emploi des matériaux et des moyens de fabrication modernes.
On ne pourra jamais, avec des synthétiseurs de percussion, imiter ou recréer l'esprit même de l'instrument acoustique, et le faire vibrer comme doit le faire tout musicien pris par sa musique. L'électronique produit des percussions qui vont vers une toute autre direction musicale. Seuls les instruments acoustiques sont capables de garder leur âme et leur côté originel. C'est ce qui fait leur force et leur intérêt depuis des millénaires.

Pour conclure, parlez-nous de votre carrière, et de la voie que vous suivez depuis plusieurs années déjà.

J'insiste sur le fait que, comme pour la marque Gretsch à laquelle je resterai fidèle, de la même façon, je serai toute ma vie lié à Magma. II ne s'agit pas seulement là d'une ligne de conduite bien définie, mais plutôt d'un état d'esprit, qui se prolonge aussi bien à la scène qu'à la ville. Pour moi la musique est vitale, elle est présente à chaque seconde de me vie. II vaut mieux s'attaquer à une seule chose à la fois, et tenter de la mener jusqu'au bout, en travaillant comme je le fais depuis des années. Le résultat final sera ce qu'il sera ; j'aurais toujours la satisfaction d'avoir tenté d'aller jusqu'au bout. Une vie entière n'est pas trop, pour mener à bien une telle opération. Cela dit, je définirais ma musique comme étant issue directement de celle de John Coltrane, le seul pour moi à avoir su exprimer ce cri de vie et de mort, qui, dans chaque note de chaque soli, reflétait la constante progression de ses sentiments. Cet état d'esprit dont je parlais, n'est bien sûr pas suffisant pour obtenir le résultat escompté. Cela demande une somme de travail très importante. C'est ainsi qu'un album comme "Köhntarkösz" a nécessité, comme la plupart des autres d'ailleurs, deux années de préparation. Un morceau comme "Zëss", que nous travaillons actuellement, représente également deux ans d'efforts, chaque phrase musicale est le huit d'un dur labeur.
Je déplore qu'en France, peu de musiciens aient cette foi dans leur musique, et dans la part de création que chacun devrait avoir profondément ancrée en soi.


Gretsch a réalisé spécialement pour Christian Vander un matériel personnalisé de couleur violet dégradé. Tout juste arrivé des Etats-Unis.

Le positionnement du matériel

Cliquez sur l'image pour agrandir.

La composition du matériel de Christian Vander

Les 7 fûts
- Grosse caisse 18" ou 20" Gretsch
- 2 toms médiums sur la grosse caisse, de 12" et 13" Gretsch
- 3 toms bass sur pieds, de 14", 16" et 18" Gretsch
- 1 caisse claire 6 ½ X 14" (marque Inger), à 6 tirants plastiques et déclencheur parallèle.

Les accessoires
- Attache-toms Slingerland
- Pédale Charleston J. Capelle, avec Tilter Asba
- Pédale de grosse caisse Camco
- Pied de caisse claire J. Capelle
- Pieds de cymbale Tama

Les cymbales
- Avedis ou K Zildjian, au nombre de 12 : 2 chinoises de 61" ; 2 autres de 55" et 45" d'origine ; 2 Ride de 51" ; 2 Crash-ride de 45" ; 4 Crash de différents diamètres.

Propos recueillis par Gérard Spiers.
Disc - Janvier 1981

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