Christian Vander :
Batterie de Feu !
A l'heure où la mode est à l'électronique, à l'informatique, un batteur français forme un groupe acoustique : Offering, qui puise son inspiration dans l'uvre du seul musicien qu'il se reconnaisse pour maître : John Coltrane, ce batteur c'est Christian Vander : " enfant terrible de la batterie ", " star maudite " du Rock français, et surtout leader du groupe Magma. Il est sans doute celui qui a soulevé les passions les plus extrêmes, mais aussi suscité le plus grand nombre de vocations. Il nous parle ici de son parcours original, de son approche très particulière de l'instrument, et surtout de la passion qui le consume depuis près de trente ans. Un regard sincère sur la longue marche solitaire d'un musicien instinctif épris de spiritualité, un personnage méconnu et attachant
BATTEUR MAGAZINE : Te souviens-tu de ton premier contact avec l'instrument ?
CHRISTIAN VANDER : Oui, c'était au Club St Germain, je devais avoir cinq ou six ans. C'était Kenny Clarke qui jouait, et j'étais vraiment impressionné. Après le concert, je suis allé près de la batterie, toucher les cymbales et les faire résonner. C'était quelque chose de rugueux, d'étrange, des métaux un peu magiques.BM : Ton milieu familial t'a-t-il encouragé à devenir musicien ?
CV : Pas du tout. Mais très jeune j'étais déjà à la recherche de quelque chose, j'écoutais de la musique, dont Stravinsky - il y a beaucoup de rythme dans Stravinsky - et je dansais en m'accompagnant d'un tambourin. D'ailleurs lorsque je jouais aux cow-boys et aux indiens, j'étais toujours le sorcier avec un tambour à la main dansant autour du feu bien sûr ! Et pour mes soldats de plomb, j'inventais des musiques pour chaque situation, dans ma tête. Puis j'ai commencé grâce à ma mère, vers l'âge de dix ans, à fréquenter le Club St Germain, le Chat qui Pêche, tout ce milieu là.
J'ai rencontré Elvin (Jones) qui jouait avec J.J. Johnson à l'époque. On se comprenait par gestes, il se faisait bien comprendre surtout. A douze ou treize ans, Maurice Vander à un professeur de tambour, mais je travaillais déjà seul sur des disques, accompagnant tous ceux que je trouvais. Malheureusement, je n'avais pas de batterie complète, juste une caisse claire et une cymbale prêtée par des copains. Chet Baker a dû voler pour moi ma première vraie batterie trois ans plus tard, j'avais les huissiers à la maison. J'ai continué jusqu'à dix-huit ans, en passant parfois la journée entière à travailler, j'avais déjà la même vitesse de " frisé " qu'aujourd'hui.BM : Qui étaient les batteurs que tu écoutais ?
CV : J'étais pris entre deux " feux " : Tony (Williamns) et Elvin que j'écoutais mais que je n'avais pas assimilé : Tony était plus proche de moi, plus " jouable ". Maintenant je reviens à Elvin, qui a beaucoup plus abouti le langage ternaire que l'a fait Tony avec le binaire, sans doute parce qu'il n'a pas trouvé les musiciens pour le faire.BM : Jouais-tu souvent dans le club ?
CV : Très peu, d'ailleurs j'avais des problèmes avec les musiciens de jazz à l'époque : Charles Saudrais m'a dit un jour, me laissant " faire le buf " : " Fais-nous un peu de Rock ", simplement parce que je jouais la cymbale un peu comme Tony, plutôt binaire, mais personne ne le connaissait encore ! Cet état d'esprit n'a malheureusement pas beaucoup changé, les " jazzmen " sont pour la plupart très fermés. C'est dommage, aux Etats-Unis les musiciens qu'on aime jouent toutes les musiques. Ici, ils pensent que pour faire du jazz, il ne faut rien faire d'autre, la musique en souffre. Et puis on ne respecte pas la personne des musiciens, on dit : " Toi, là, joue comme Max Roach ", ou bien encore : " Fais un truc à la Art Blakey ! " Celui qui t'engage doit le faire pour ce que tu es, tes qualités et tes défauts, et ne pas te contraindre à changer de personnalité. De fait, il faut apprendre à se connaître, et à connaître sa place.BM : En 1967, tu es parti pour l'Italie ?
CV : Oui, j'avais monté un groupe avec Bernard Paganotti qui s'appelait " Chinese " et qui fonctionnait très bien, mais à la mort de Coltrane, j'ai ressenti un grand vide, tout s'écroulait, j'ai voulu changer d'endroit. Je suis donc parti deux ans en Italie, où j'ai joué avec pas mal de groupes de rhythm'n'blues, beaucoup de binaire, c'était paradoxal car je n'écoutais que Rashied Ali. Au printemps 1969, je suis rentré à Paris, je me suis mis à la limonade et au riz pendant six mois, et j'ai rencontré les gens qui allaient faire le futur " Magma ". En même temps, j'ai joué avec des musiciens américains, notamment John X, qui m'a proposé d'aller jouer aux Etats-Unis avec Ron Carter.
Mais j'avais quelque chose à faire ici, je ne me voyais pas recommencer une expérience de jazz.
Je n'ai pas, comme on pense fondé Magma. Je n'ai jamais voulu être le leader du groupe. Il s'agissait de faire une musique à plusieurs, même si l'on n'a pas réussi à composer en commun. Pour moi, jouer était suffisant, ce sont les gens qui ont fait que je suis devenu le leader. D'ailleurs, un jour, j'ai même été viré Mais tout est rentré dans l'ordreBM : A partir d'un certain moment tu as été pratiquement le seul à composer pour le groupe. N'éprouvais-tu pas de difficultés à jouer sur des morceaux comme " Mekanïk Kommandöh " ou " Köhntarkösz ", plus proches du folklore et de la musique symphoniques que du jazz ou du rock ?
CV : Il fallait trouver une solution, il fallait jouer. Je ne me suis jamais considéré comme un batteur mais comme un compositeur. Je donnais les parties à l'orchestre, et je jouais ce qui me passait par la tête, sans avoir préalablement travaillé. Je ne me suis jamais posé la question, je crois que je trouvais presque tout de suite les rythmes qui servaient la musique. Dans Magma, tout le monde est batteur, les rythmes sont partout. A l'époque, il y avait très peu de batteries obsessionnelles, à part dans le rhythm'n'blues, j'écoutais donc Coltrane, Ray Charles et Tamla Motown, j'ai simplement fait un amalgame de tout.BM : Dans Magma, tu t'es souvent adjoint les services d'un second batteur, pour pouvoir chanter, et dans " Merci " ton dernier disque, tu ne joues pas du tout de batterie. Pour quelle raison ?
CV : Si ne je joue pas dans " Merci " où la batterie a un rôle différent, moins " soliste ", c'est que je pense que ça n'apporterait pas grand chose que ce soit moi plutôt qu'un autre qui joue. On s'est mis d'accord, François (Laizeau) et moi, on a élaboré les parties, et j'étais en cabine uniquement pour vérifier que tout était bien rigoureux, bien régulier.BM : Aux débuts de Magma, les années 70, c'était l'époque de jazz-rock. Ecoutais-tu cette musique ?
CV : Pas vraiment. Je crois que j'ai aimé une phrase de John Mc Laughlin. Le reste, c'était sympa. Je n'ai pas aimé Cobham, quand il est arrivé, mais j'ai vite senti qu'il y avait un esprit qui se dégageait, qu'il avait la bonne impulsion de batterie, la " batterie de feu ". Ca, c'est l'école James Brown Mais après Mahavishnu, il était trop en avance rythmiquement pour jouer avec des soufflants et autres qui n'étaient pas à son niveau . En tant que batteur, il est très doué, il est intéressant à écouter et à voir jouer, mais en tant que musicien il ne m'intéresse pas vraiment. Quant à Lenny White, il est fluet, il joue sur des ufs. Les grands batteurs sont " Strong ", ils ont une tenueBM : Steve Gadd ?
CV : Steve Gadd, c'est très joli, mais ça ne me fait ni chaud ni froid. Je comprends qu'intellectuellement, un batteur puisse se mettre là-dedans, mais il en restera là. Je n'aime pas les gens qui ne prennent pas de risques. Beaucoup de gens aiment Al Jarreau, moi je n'aime pas Al Jarreau. Il chante très bien, mais il sait d'avance de quelle manière il va moduler chaque note. Dans cette vie, on n'a pas le temps de peaufiner, d'affiner quelque chose, il faut être vif. Une fois que le coup est joué, il est mort, il faut passer à autre chose. En musique, les gens sont trop souvent assis, ils sont aussi comme ça dans la vie.BM : Tu parlais d'avance rythmique ?
CV : Oui, aller plus loin dans la conscience rythmique, la triple ou la quadruple croche par exemple, ce n'est pas aliénant, au contraire. C'est une façon de poser les notes à l'intérieur d'une musique vivante, sans soucis. Quand tu assimiles ces débits, cela devient un état d'être, tu as un poids terrible. Il faut se libérer rythmiquement, c'est important. Quelqu'un qui joue bien du piano n'a pas peur de jouer des notes isolées, même en solo. Keith Jarrett, par exemple, sait tellement où se situe rythmiquement chaque note qu'à l'écoute il te tient, c'est physique ! Les autres musiciens devraient connaître la batterie. D'ailleurs, la plupart des saxophonistes américains jouent de la batterie, et souvent très bien. Dans l'avenir, cette ouverture rythmique dont je parle, peut servir à proposer des musiques nouvelles avec des impulsions différentes.BM : Quelle est selon toi la meilleure façon d'aborder le rythme ?
CV : Je ne pense pas qu'il faille s'appliquer, au départ. Juste essayer de faire tourner un rythme avec des choses simples, sans chercher à rajouter des coups pour que ça swingue. C'est ce qu'on oublie très souvent, au début. C'est ce qui nous fait plaisir chez les batteurs qu'on aime, ils jouent vite, bien et surtout ça swingue.
Il faut apprendre à faire swinguer les coups qu'on joue, et à les assumer. La batterie doit être " strong ", ce n'est pas un truc léger, c'est pas du tricot, enfin je pense. Chaque coup a une valeur rythmique qui a un sens, il n'existe pas de " chabada " par exemple qui doive être jeté en l'air, comme une chose sans importance, parce que c'est un " chabada ".BM : Parle-nous de ta conception du tempo
CV : Jouer un tempo qui ne varie jamais, je l'ai fait, c'est souvent au détriment de la musique, de ce qui se passe autour. Il faut nuancer le tempo, le moduler, fluctuer comme dans un orchestre classique. La vrai difficulté est de trouver, à trois, à quatre ou à dix, dans le même état d'esprit, la même respiration pour être souple dans le tempo, ensemble.BM : Dans tes propos la notion de musicalité revient sans cesse : est-elle déterminante dans le choix de ton matériel ?
CV : Je joue depuis très longtemps sur Grestch, Gretsch c'est la liberté ; c'est un instrument qui donne plein de résonances, qu'il faut contrôler, mais qui sont passionnantes. D'un soir à l'autre le son est toujours différent, plein de surprises.
Il faut chercher le son qu'on aime, chercher à bien faire résonner sa batterie, être vigilant sur le son de chaque coup. Pour un batteur qui aime vraiment les peaux, la Grestch reste la plus proche du tam-tam des origines.BM : Depuis toujours tu as préféré la grosse caisse de 18'' aux autres diamètres et ce quel que soit le contexte.
CV : Je ne dis pas que ce soit satisfaisant tout le temps, mais par rapport à ce que je joue, c'est la solution optimale. Une grosse caisse de 22'' serait plus " efficace " dans certaines situations, c'est sûr, mais me laisserait moins de liberté. Sur la grosse caisse de 18'' on peut trouver quinze sons différents, par exemple de compression en laissant la batte collée à la peau après la frappe. On peut l'utiliser aussi d'une façon plus originale, en changeant le son de la cymbale, l'accompagnement de coups de grosse caisse à peine résonnants qui se fondent dans la cymbale sans qu'on les entende. De plus je trouve que la petite grosse caisse favorise un jeu plus vivant, à la fois plus incisif et plus aérien.BM : Tu as un jeu de grosse caisse très rapide, quelle pédale utilises-tu et avec quels réglages ?
CV : J'ai plusieurs " Camco " à chaîne que je règle à la vitesse du pied, pour obtenir le meilleur temps de réaction possible mais il y a toujours un problème là-dessus. Je joue en rebond, toujours prêt à refrapper, comme avec les mains, pas de coups arrêtés.BM : A ce propos, tu te sers de plus en plus souvent, pour la main gauche, de la prise " tambour ". N'est-ce pas un handicap pour la puissance ?
CV : J'ai pensé un moment donné que la prise " droite " était la plus puissante, mais tu peux avec l'autre position, en donnant des " baffes ", avoir un son impossible à obtenir autrement. On peut, si l'on est à l'aise avec cette prise, trouver un geste qui permet de jouer excessivement fort, comme Al Forester par exemple. Quand j'ai commencé, c'est cette position qui m'est venue naturellement, même pour jouer du rock. C'est comme ça que je me sentais bien. Mais c'est personnel, tout le monde n'est sûrement pas comme ça.BM : Tous ceux qui t'ont vu jouer ont justement été impressionnés par ton geste, tes gestes, aussi amples que précis ?
CV : En fait je les ai cherchés sur scène lorsque la musique demandait un geste plus large, plus en rapport avec le son recherché. Mais c'est aussi un moyen de vivre le tempo ; entre deux coups il n'y a pas de vide, il y a le mouvement, le geste qui sous-entend le rythme qui défile.BM : Un jeu puissant et ample comme le tien peut poser des problèmes physiques ?
CV : Bien sûr, si tu dois jouer cinq heures, il faut apprendre à respirer, il faut aussi attaquer doucement le concert et faire monter progressivement.
Au début, j'ai joué " plein pot ", pensant qu'il n'y avait pas de limites ; au bout de dix minutes, plus de sang dans les muscles, plus de circulation ! Même James Brown, " Mr Dynamite ", connaît ses limites, il sait agencer son énergie pour aller jusqu'au bout. Ce n'est pas manquer de spontanéité, c'est juste, par la connaissance de soi, se donner les moyens de s'exprimer d'une façon totale. Pour ce qui est des poignets, j'ai simplement l'habitude de prendre les baguettes une demi-heure avant le concert, pour m'assouplir et m'échauffer.BM : En ce qui concerne les cymbales, on peut parler chez toi d'une véritable passion
CV : Oui, j'ai toujours aimé les cymbales, surtout les vieilles " K ", elles ont un mystère Elles sont très difficiles à jouer, à manier Il ne suffit pas de prendre telle marque de cymbales et telle marque de baguettes pour obtenir le son qui te plaît, il y a tout à faire après. Pendant longtemps j'avais peur de jouer sur de mauvaises cymbales, plus ça va plus je pense qu'il y a toujours quelque chose à faire, à chercher. Je retravaille le son de la cymbale en ce moment, j'essaie de garder une certaine balance, de ne pas " casser " le son. Quand tu écoutes de grands batteurs, tu fais rarement attention à cela mais chaque coup est pratiquement ajusté dans le son de l'orchestre, tu peux y retrouver tous les accords !
Chaque coup peut être creusé d'une manière différente en fonction des impulsions de l'orchestre. Je pense que cela devient naturel lorsque l'on joue souvent, le malheur c'est qu'ici c'est une lutte permanente pour pouvoir jouer, essayer de faire de la musique d'où la difficulté à vivre à l'intérieur de la musique.BM : La charleston tient une place très importante dans ton jeu : quels modèles de cymbales utilises-tu ?
CV : J'ai joué longtemps sur des Zildjian 14'' New Beat pour leur précision indispensable sur scène avec Magma. Pour les clubs je préfère employer des 15'' dont le son est plus large, plus ouvert. Le charleston au départ, c'est un peu barbare, il est excessivement délicat de fermer agréablement un charleston, d'ailleurs lorsque Tony donne des cours, la première leçon est uniquement consacrée à la fermeture du charleston.BM : Utilises-tu une cymbale cloutée ?
CV : Oui, je trouve ça très beau pour les ballades. Sur une cymbale normale, j'ai parfois la sensation d'un vide, de me trouver au bord de l'abîme, tout seul.BM : La disposition de tes cymbales autour de la batterie est toujours sensiblement la même, précise au centimètre près.
CV : Quand tu n'es pas très grand, le problème est d'arriver à se mettre à l'aise. Si les cymbales " Ride " sont hautes, et que tu n'as pas des bras démesurément longs, le seul fait de les garder levés est une fatigue inutile, mes deux " Ride " sont donc placées le plus bas possible juste au-dessus des toms. La " Crash " que j'ai à droite au-dessus du tom basse me permet d'avoir juste à baisser le bras pour frapper, gagnant ainsi beaucoup de puissance. La logique est d'avoir la cymbale à la hauteur naturelle de la main, sans être gêné par des mouvements inutiles. Pour ce qui est des cymbales placées au-dessus, je les dispose en fonction des gestes que je ressens le mieux corporellement.BM : Quel type de caisse claire utilises-tu ?
CV : J'ai deux caisses claires pour orchestre symphonique fabriquées par un artisan américain, Hinger. Elles sont en fibre et possèdent un timbre en nylon, ce qui leur donne une précision incroyable. Pour la musique de Magma, elles sont parfaites mais sont pratiquement inutilisables en club tant elles sont puissantes, ou alors tu es contraint à un certain jeu toute la soirée, obligé de te freiner. J'ai donc une Grestch 6 ½ en bois, plus adaptée aux musiques acoustiques, permettant un jeu plus nuancé.BM : Quels réglages utilises-tu ?
CV : En général, je joue la caisse claire assez tendue, mais il m'arrive de commencer un concert avec une peau très tendue et de la laisser se détendre au point d'en devenir pratiquement injouable.
C'est parfois très excitant, j'aime bien " salir " le son ; c'est une technique que j'emploie les jours où les poignets sonnent trop " clean " lorsque tu as envie de jouer " sale " et que ça sonne toujours propre, alors il faut s'aider.BM : Tes solos en batterie sont toujours un moment fort des concerts, comment sont-ils construits ?
CV : Cela m'a toujours hanté, monter un chorus de batterie, c'était prétexte pour développer une certaine conception de l'instrument, raconter son histoire. Je procédais toujours de la même façon : d'abord les toms, ensuite caisse claire et fûts, puis les cymbales, enfin tous les éléments réunis. A l'époque, j'enregistrais tous les concerts ou presque et ne les réécoutais que pour fixer les choses qui m'avaient échappé et pour éviter aussi les redites et les clichés. Je connaissais la direction, le développement, à l'intérieur de ça j'essayais chaque soir d'aller plus loin. Vers 1975, je suis arrivé au bout de l'histoire, je tournais en rond. J'ai donc arrêté. Comme le public voulait à tout prix un solo, j'ai dû chercher d'autres motivationsBM : Tu as enregistré plus de dix albums, aucun solo de batterie ne figure sur ceux-ci : pour quelle raison ?
CV : Simplement parce que j'estimais que cela n'apportait pas suffisamment à la musique. Par contre dans le prochain disque d'Offering, je ferai un chorus. J'ai pris le parti de le faire en une prise " one shot ", c'est une question de dignité, il sera tel quel , il y a toujours des défauts. Ce sera sur le thème de John Coltrane " Out of this world ". Il sera l'expression d'une douleur, un chorus pour Coltrane.BM : Parlons un peu des batteurs que tu écoutes en ce moment ?
CV : Toujours Elvin et Tony, pour le reste je constate qu'il y a des batteurs qui jouent bien, mais pour moi la batterie est tellement liée à la musique que si les deux ne s'intègrent pas mutuellement, la batterie c'est alors un peu comme une pièce rapportée
Tu ne peux pas servir la musique si tu n'as pas un jeu qui soit en accord avec elle. En France il y a Aldo (Romano) que je respecte beaucoup, il est aux antipodes de la technique, mais c'est un musicien, c'est ça qui fait plaisir. Si je veux passer une bonne soirée, je vais l'écouter, il y a toujours un grand moment de musique.BM : Tu ne parles que des batteurs de jazz. Tu sembles ne t'être jamais intéressé à une musique plus commerciale, la variété ?
CV : Je ne vois pas l'intérêt d'aller jouer un rythme pauvre derrière un truc qui raconte encore moins que ça. J'aurais toujours envie de jouer les coups qui manquent, j'aurais tendance à compenser. Quand j'ai commencé la musique, je voulais faire du jazz, je n'ai jamais voulu faire d'affaires. Au contraire, pour moi c'était un honneur de ne pas avoir d'argent, ça faisait partie de l'état d'esprit. Je ne te cache pas que je n'ai pas tellement changé, je ne peux pas m'emmerder en faisant de la musique.BM : Quelle musique écoutes-tu en ce moment ?
CV : Coltrane bien sûr, mais aussi des choses plus surprenantes, par exemple Frank Sinatra. Surtout depuis que je chante, je commence à comprendre le poids que peut avoir un chanteur tel que lui.
Dans le disque " Le concert Sinatra ", il tient tout l'orchestre dans sa voix, c'est quelque chose dont je ne prends conscience que maintenant. J'écoute aussi des gens comme Lily Boulanger, Duthilleux, mais aussi beaucoup de musiques de films des compositeurs comme John Williams, Jerry Goldsmith, Lalo Schiffrin et Philippe Sarde en France.BM : Y a-t-il, pour finir, quelque chose que tu souhaites ajouter à l'intention de ceux qui jouent de la batterie ou songent à le faire ?
CV : Oui, ça tient en un seul mot : CROIRE !!!Matériel :
Batterie Grestch : toms 12'', 13'', toms basse 14'', 16'', 18'', grosse caisse 18''
Caisses claires : Hinger 6 ½ en fibre, Grestch 6 ½ en bois, 5 ½ en métal
Cymbales : 2 " ride " K Zildjian dont une cloutée, 3 " crash " Zildjian, 3 " chinoises " de Taiwan, 1 paire de charleston 15'' Zildjian
Pédales de grosse caisse Camco à châine
Pédale de charleston Capelle à chaîne
Baguettes Pro-orca CecarelliPropos recueillis par Stéphane Planchon et Cristof Dejean
Batteur Magazine n° 2 - Octobre / Novembre 1986