Interview Christian Vander

Je n'avais pas entendu Christian Vander depuis longtemps, lorsqu'en mai dernier, il était à l'affiche du Déjazet avec sa dernière formation "Offering". Fragile, sobre, je notais pourtant l'utilisation d'un lutrin qui trônait là juste en guise de clin d'œil ou pour son esthétisme même. Il m'avait en quelque sorte re-séduite.

En décembre, je l'ai retrouvé au hasard Balthazar, au Cithéa, sous l'initiative de Jean-Jacques Gilles qui menait une action désespérée pour tenter de faire exister une programmation intelligente dans une salle trop exiguë pour être rentable. Il était en trio avec Emmanuel Borghi et Frédéric Briet (piano, contrebasse, batterie et Coltrane…).

"Paris Swing" : La formation du trio, Emmanuel Borghi, Frédéric Briet, Christian Vander, est-elle une juste position d'équilibre, une façon de revenir aux sources ?
Christian Vander : C'est une façon de mieux se comprendre, de partir dans une aventure musicale sans direction précise, alors que dans "Offering" par exemple, tout y est presque indiqué de par la structure… C'est sûr qu'en tant que musicien, on aimerait concrétiser tout de suite la musique que l'on joue ou en tout cas sembler, donner l'impression d'être cohérent. Je préfère jouer avec des gens qui jouent une musique qui m'apporte plus, et en ce moment, j'ai ce rapport-là avec Emmanuel et Frédéric.

PS : Le choix des thèmes ? Toujours Coltrane ?
CV : En ce moment oui, c'est toujours apprendre plus à l'intérieur de cette musique-là. Disons que c'est un prétexte pour mieux se rencontrer… C'est un choix que nous faisons ; se chercher dans ce répertoire-là… On s'attaque à des œuvres délicates. Je peux même presque dire que je préfère écouter Coltrane, que de le jouer… En fait, l'idéal ce serait de jouer le thème et la coda… S'il n'y avait pas eu John, je n'aurais pas autant aimé le jazz, je crois que j'aurais écouté un peu de Bach, un peu de Bartok, Mozart plutôt que Beethoven, Stravinsky et toutes sortes de folklores en passant par la musique du Burundi. John a ouvert le Jazz à toutes les musiques, à toutes les formes…

PS : C'est en cela que certains considèrent Coltrane comme l'ancêtre du Free ?
CV : II n'y a rien de free dans la musique de John, non le père du Free c'est Ornette Coleman, disons que Ornette a eu l'éclair comme Eric Dolphy, une impulsion de génie. Et c'est difficile d'assumer, d'assimiler l'impulsion. Des fois tu l'as, mais la vivre… Non, il n'y a rien de Free dans la musique
de John, on a son tenant et son aboutissant, il a commencé et fini son travail. Il a su rester proche de choses simples, comme le folklore jusqu'à une forme qui peut sembler proche du Free… Certains musiciens ont une chose, savent proposer une chose, mais où est le travail ? Comment ? John a su garder le lien. Sinon le reste c'est poétique, abstrait, les poètes ont des éclairs, ils savent où sont les choses, John, lui est concret.

PS : Quelles sont les perspectives musicales de "Offering" par rapport à "Magma" ?
CV : "Offering" par rapport à "Magma", c'est la fragilité. Dans "Magma", il y avait une structure musicale très définie, chaque mesure et le son aussi étaient très définis. Alors que là, il y a une idée globale de se déplacer avec plein de mystères. Ça permet le risque, et si on n'assume pas, on perd quelque chose. Mais ça permet aussi d'analyser la note qui finalement résonne. La structure de "Magma" est immuable, alors que "Offering" n'est pas immuable. C'est une autre approche. Tout est passionnant, il faudrait aussi avoir un Big Band qui pourrait sonner comme un seul homme, ce serait une idée de la Fusion…

PS : Parle-nous de tes projets pour 1988…
CV : "L'idée, c'est un disque avec Michel Graillier, Alby Cullaz, Emmanuel Borghi et Frédéric Briet, notamment avec un thème de Mickey "Dear Mac", dédié à McCoy Tyner. Ce n'est pas encore fait, nous y travaillons, chez "Seventh Records"…

Propos recueillis par Véronique Vellard
Paris Swing - Janvier 1988

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