Interview Jannick Top

Unanimement porté au pinacle des bassistes depuis bientôt deux décennies, Jannick Top le bien nommé, malgré un emploi du temps très chargé, a fort aimablement accepté de livrer quelques impressions à votre Bass Magazine favori.

Jannick Top commence la musique notamment sous l'influence de sa sœur, son aînée de dix ans et futur professeur de musique. Il étudie le piano au lycée musical de Marseille puis le violoncelle et la direction d'orchestre. Parallèlement, il poursuit des études de mathématiques qu'il mène jusqu'à la maîtrise bien que sa conviction de ne pas être fait pour cela se fasse de plus en plus forte.

Un jour, un ami lui propose de le remplacer au sein d'un orchestre, lui prête une basse électrique et Jannick plonge brutalement et avec aisance, vue l'étendue de son bagage théorique, dans un univers musical radicalement différent. Il découvre par ailleurs Miles Davis et John Coltrane qu'il place dans son cœur au côté de Stravinsky, Ravel et Prokofiev.

Marseille devenant trop petit pour ses rêves, notre héros, comme tant d'autres, monte à Paris, participe au groupe Troc avec André Ceccarelli et reçoit de plein fouet la secousse sismique que constitue la rencontre avec Christian Vander et l'aventure extraordinaire qui en découle au sein de Magma.

Sa collaboration avec des artistes français devient de plus en plus étroite notamment avec Michel Berger et par ricochet France Gall et Johnny Hallyday ; ce qui ne l'empêche pas d'être sollicité par des ténors de la scène mondiale comme Eurythmics pour le titre Missionary Man.

Les Victoires de la Musique récompensent plusieurs fois la démarche unique de ce bassiste de la terre, comme il aime à se définir lui-même et qui, loin des courants et des modes, ne serait-ce que par les instruments très particuliers qu'il utilise, appose sa patte à tout ce qu'il joue avec un respect constant des grands équilibres malgré une recherche d'évolution permanente, une conscience aiguë de la place que doit prendre la basse dans la musique moderne et un souci perpétuel de préserver quelles que soient les circonstance, la spiritualité de la musique.

La nouvelle version de Starmania dont vous êtes l'un des principaux artisans a-t-elle répondu à votre attente ?
C'était une grande expérience et un chantier ouvert pendant plusieurs mois ; il fallait que tout joue en temps réel et donc avec Serge Perathoner et Michel Berger qui passait tous les jours, nous devions faire ingérer une somme énorme d'informations à l'ordinateur. C'était un travail considérable et il est certain que nous aurions pu y passer encore deux ans tant les possibilités d'affinage sont multiples, mais tel quel le résultat nous satisfait pleinement.

Pouvez-vous nous parler de ce nouvel album de Johnny Hallyday sur lequel vous travaillez d'arrache-pied ?
Je m'occupe en effet avec Serge Perathoner de la réalisation de cet album au studio Gang et la difficulté réside dans le fait de trouver une puissance et une énergie sans tomber toutefois dans le gadget ou la House Music. Nous travaillons donc à partir de programmations que l'on remplace ensuite par un jeu direct qui nous procure une énergie commune et après s'il y a lieu on retouche.

Qui est le batteur ?
C'est Claude Salmiéri qui joue vraiment très très bien.

Comment définissez- vous le rôle que vous tenez auprès des artistes que vous accompagnez ?
Il est évident que le travail occasionnel a beaucoup changé, autrefois on arrivait à une séance en ne connaissant ni les tenants ni les aboutissants, pour jouer une partie écrite à la virgule près, alors qu'actuellement ce sont plus des équipes qui travaillent ; on peut donc amener autre chose au niveau de la recherche des sons, de la réalisation, des idées.

Concernant votre matériel, vous vous étiez fait confectionner par Jaccobacci des basses très spéciales constituées d'un manche de contrebasse fixé sur un corps et équipées de micros et de capteurs que vous pouviez combiner à souhait ; vous avez pris apparemment une nouvelle orientation ; qu'en est-il ?
J'utilise en effet Warwick que j'ai découvert récemment ; ce sont de très bons instruments. J'ai une 4 cordes frettée et accordée en quintes, Do, Sol, Ré, La (un héritage de mon époque violoncelle) et je prévois une 5 cordes qui, elle, aura une corde Mi aigu, ce qui donnera Do, Sol, Ré, La, Mi. Sinon je conserve bien entendu les Jaccobacci que j'utilise en parallèle.
Pour l'amplification, je reste un partisan convaincu du SVT Ampeg et aussi du Dynacord pour sa précision et sa fidélité ; ceci dit, en studio, je passe souvent directement par la table.
Au niveau des effets, j'utilise le matériel disponible en studio qui est la plupart du temps très performant.

J'ai vu votre nom au générique du film "Force Majeure" de Pierre Jolivet ?
J'en ai en effet signé la musique avec Serge Perathoner et c'était énormément intéressant dans la mesure où nous avions toute latitude pour créer des ambiances originales que Pierre Jolivet a ensuite sélectionnées et il s'est avéré que son choix était très proche du nôtre à notre grande satisfaction.

Est-ce une nouvelle direction pour vous ?
Cela dépend du contexte. Je ne me vois pas écrire la musique du "Gendarme de St-Tropez" (Rires), mais dans le cadre d'une certaine optique où je me sente impliqué et où je puisse développer certains climats, c'est évidemment très intéressant d'associer la musique à l'image ; c'est de la composition mais sans entrer dans un moule précis avec des impératifs modèle chanson.

Qu'advient-il de ce travail personnel d'écriture dont vous m'aviez parlé ?
Et bien, je continue dès que j'en ai le loisir et j'espère pouvoir le sortir dans un proche avenir. Ce sera sans aucun impératif commercial et sûrement par le biais d'un circuit confidentiel.

Nous restons vigilants ! Vous conciliez admirablement votre culture très classique avec un attrait prononcé pour les techniques de pointe. Comment pensez-vous évoluer ?
Je pense que c'est un éternel mouvement de balancier entre des tendances radicalement opposées, mais je pense aussi sincèrement que tout peut exister en même temps, autant que la recherche de l'acoustique la plus pure dans un esprit très classique que l'utilisation d'un sampler piloté par un ordinateur. Je dirais presque qu'il faut que tout puisse coexister.

Dans tout ce que vous avez eu l'occasion de poser sur vinyle, y a-t-il un ou plusieurs enregistrements qui vous tiennent plus particulièrement à cœur ?
Je pense principalement à ceux que j'ai fait avec Magma et puis aussi à des choses qui ne sont jamais sorties ; ce sont toujours les plus belles ! (Rires)

Ecoutez-vous certaines musiques en particulier ?
Non, j'ai des goûts très éclectiques même si j'accorde quelques privilèges à Prokofiev, Varèse, Stravinsky ou Miles Davis surtout dans la période 65-72 ; il a alors atteint des sommets ! Comparativement, on est des bûcherons maintenant ; je pense que c'est l'époque qui veut ça, l'étau rythmique est différent et laisse moins de marge à l'expressivité.

Avez-vous à nouveau éprouvé cette impression de rencontre déterminante comme avec Christian Vander ?
Ce n'est pas comparable. Les époques sont différentes et l'esprit de recherche, entre autres avec l'essor de la technique est tout à fait autre. Ce n'est vraiment pas du tout comparable.

A votre avis, quel était l'esprit de recherche à l'époque ?
Surtout déployer l'énergie et la puissance sur scène. C'était beaucoup plus instinctif alors qu'actuellement on passe par tout un processus de préparation et de programmation, ceci dit, c'est fantastique aussi d'arriver à dégager une puissance à partir d'autres éléments.

Y a-t-il des bassistes qui vous ont particulièrement influencé ?
Du fait de l'accord particulier de mon instrument, je me place sur un terrain différent qui m'oblige à chercher d'autres choses. De toutes manières, je ne suis jamais impressionné par le résultat technique sur l'instrument mais plutôt par l'esprit et les sensations qui se dégagent du jeu d'un musicien, c'est pour cela que John Coltrane qui n'est pas bassiste peut m'émouvoir au plus haut point. Sinon, je citerai Ron Carter et Eddie Gomez ; il me suffit de les écouter pour être à chaque fois complètement rechargé.

Que direz- vous à ceux qui veulent devenir musiciens ?
De faire beaucoup de yoga, de garder les pieds sur terre et les rêves intacts !

Belle formule ! Eprouvez- vous l'envie de revivre une expérience de groupe ?
S'il n'y a vraiment aucun impératif commercial, oui ! Sinon, ce que je suis en train de préparer en définitive ne pourra exister que si ça se joue ; rien ne remplace la scène et le contact avec le public, c'est certain.

Pensez-vous à quelqu'un en particulier ?
Oui, mais ça fait partie des rêves, alors je les garde intacts !

Paolo COCCINA
BASS MAGAZINE n° 2 - 1989

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