Entretien avec Klaus Blasquiz

Compagnon de Christian Vander au sein de Magma durant la décennie 1970/80,
Klaus Blasquiz est aussi percussionniste, bassiste, journaliste, graphiste et professeur de chant, mais surtout musicien. Du blues à la Zeuhl en passant par le Grand Blues Band, il est aujourd'hui membre du groupe Paga. En attendant la tournée française, Klaus nous parle du passé, du présent et de l'avenir.

Gnosis

T.M. : Peux-tu nous parler de la nouvelle orientation de Paga, du concept de l'album Gnosis ?
Klaus Blasquiz : Ce n'est pas un concept. Je n'ai rien contre les concepts lorsqu'ils sont utilisés comme pour Magma. Je suis même tout à fait pour. Mais les concepts comme le rock français où il n'y a pas de musique, pas de musicalité, cela n'a rien à voir avec Paga. Dans le rock français, il y a une idée de départ qui est littéraire, je dirais même de bavardage, qui est le résultat de tergiversations.
Du point de vue de la nouvelle orientation, il y a deux grandes raisons pour lesquelles Paga a changé. D'abord, le changement de personnel. Il y a un nouveau batteur qui change complètement la couleur…

T.M. : Par rapport à Claude Salmieri ?
K.B. : Complètement, c'est un autre univers. C'est toujours Paga, mais c'est un autre Paga comme il y a eu des Magma différents.

T.M. : Moi j'ai trouvé Gnosis intéressant dans le sens d'un retour aux sources, avec un côté, entre guillemets, moins hanté, moins possédé.
K.B. : Peut-être… Moi je trouve ça plus proche de l'idée que je me fais de Paga, non seulement avec François Laizeau, mais aussi avec Eric Seva au saxophone. À priori, c'est une formation jazz rock, et la musique n'est ni du jazz, ni du jazz rock.
Je pense que l'on assiste un peu au même phénomène que ce que l'on a pu voir avec Magma au début. C'est-à-dire que ce n'est pas le groupe qui se cherche, ce sont les amateurs qui cherchent le groupe. Quand ils auront trouvé le groupe, ce sera facile pour eux, mais le groupe, lui, s'est trouvé.
Je crois qu'il faut bien écouter la musique et non se laisser emporter. Il faut écouter comme on écoute de la musique classique, entre guillemets. Il y a des choses qui sont posées depuis très longtemps. Cette musique n'est pas le fruit du hasard. Ca n'est pas un concept. C'est très profond.
Il faut venir nous voir jouer. Il faut bien écouter la musique en profondeur. Il ne faut pas se laisser aller à des écoutes superficielles. Dans ce sens-là, il y a un revirement. Je ne dis pas que la musique était superficielle avant, mais elle était en gestation. Pas la musique, le groupe. Le groupe est un peu plus mûr maintenant, je pense.

Racines

T.M. : Il y a quelques années, dans Notes, tu parlais d'un album solo. Est-ce que c'est en cours ? Est-ce que c'est un vieux rêve ? Est-ce que cela sortira tôt ou tard ?
K.B. : C'est tout à la fois. Il n'est pas fait. Ce n'est pas un rêve parce qu'il suffirait de le réaliser. Mais réaliser des rêves pour rien, pour donner des coups d'épée dans l'eau… J'ai fait assez de disques pour avoir satisfait une bonne partie de mon ego. Avoir mon nom sur une pochette en disque solo, cela n'a pas d'intérêt. L'intérêt serait de me faire travailler sur les compositions qui sont au rencard depuis des années.
Mais, je fais tellement d'autres choses que je me suis rendu compte qu'il valait mieux que je me concentre sur les "trop de choses" que je fais déjà.

T.M. : Justement, parle-nous de tes activités musicales ?
K.B. : J'ai fait un album avec un autre groupe qui s'appelle Le Grand Blues Band. C'est la musique que je faisais avant Magma, que je n'avais pas faite depuis vingt-cinq ans et que j'aime toujours faire, même si je ne la ferai pas à cent pour cent de mon temps. C'est-à-dire que si je n'avais pas Paga, j'aurais du mal à ne faire que ça.
Je trouve que c'est une musique de racines qui est intéressante et je préfère faire ça plutôt que de chanter derrière un chanteur, même si je le fais de temps en temps. Le blues c'est plus mes racines que la chanson française ou le rock français.

Muselec

K.B. : Par ailleurs, je continue à écrire sur les sujets qui m'intéressent, la musique, la technologie, dans plein de journaux. Et puis, je fais un peu d'informatique, de P.A.O. (projection assistée par ordinateur) ; j'écris des livres sur l'histoire des instruments de musique.
J'ai aussi un musée qui commence à devenir conséquent, et qui concerne tout ce qui a mis en rapport l'électricité et la musique. Cela s'appelle MUSELEC. Actuellement, je stocke, dans un local de cent trente mètres carrés, des dizaines et des dizaines de produits, de documents. J'ai des instruments de musique, de la Hi-fi, de la sonorisation, des magnétophones, des consoles… Je répertorie et je mettrai ensuite le tout en valeur quand j'aurai et les moyens et le local, qui va être construit à Alfortville dans le cadre de "La Cité du Spectacle". Pour l'instant, c'est à l'état de projet.

Graphisme

T.M. : Peux-tu nous parler de tes activités graphiques ?
K.B. : J'ai ressorti des choses que j'avais faites il y a quelques temps. Notamment la pochette pour un disque de Magma qui n'a jamais été fait. Il s'agit de Ptah et Christian (Vander) va certainement l'utiliser. Et puis je fais beaucoup de recherches graphiques. J'ai fait des logos pour pas mal de sociétés dans lesquelles je travaille ou non.
Je fais aussi des pochettes de disques pour d'autres personnes, des sigles, mais surtout des logos, des lettrages. Je travaille sur ordinateur.

T.M. : Sur un Macintosh ?
K.B. : Oui.

T.M. : Tu utilises Quark ? Illustrator ? Photoshop ?
K.B. : J'utilise Illustrator, Photoshop, X Press. Je scanne et je travaille au pixel, à partir de choses qui sont déjà proposées ou des choses que je dessine moi-même ou que je récupère sur des docs. Tout est bon. Il n'y a pas d'outil privilégié et il n'y a pas d'outil à bannir. Je pense que le tout informatique est dangereux, car on perd souvent des notions au niveau du graphisme. On perd la notion de la matière.
Je travaille aussi en 3D. Je me rapproche de ce que je faisais à la main. Je le fais toujours à la main, mais avec un autre outil.

Outil et démonstration

T.M. : De toute façon, l'ordinateur doit rester un outil.
K.B. : Voilà. J'ai souvent vu beaucoup de choses que l'on a laissées faire par l'ordinateur. C'est-à-dire que l'on a une idée de départ et puis on se laisse esbroufer par des belles choses, des belles images comme le faisaient les hippies avec les bulles et les belles couleurs. Il faut que cela se structure. Il faut qu'on choisisse.

T.M. : Le même problème s'est posé avec l'aérographe.
K.B. : Oui, parce que c'était de l'aérographe avant d'être un art plastique. Ceci étant, pourquoi pas le tout aérographe. Ce qu'il faut éviter, c'est de tomber dans la démonstration technique. Parce que c'est trop facile. C'est une technique assez pointue et une fois qu'on a acquis cette technique, on peut très bien, sans savoir dessiner, donner des choses.
C'est comme le synthétiseur. On peut faire "pouet pouet" au synthétiseur, mais
on ne peut faire que du synthé.

T.M. : Tu veux dire qu'il faut rester physique, organique de toute façon ?
K.B. : Oui, parce que ce n'est pas le synthétiseur qui joue, c'est nous qui jouons. C'est nous qui dessinons, ce n'est pas l'ordinateur. Lui est là pour nous aider, pour nous donner des facilités. Il est là pour nous faire gagner du temps, pour nous donner des matières différentes, des couleurs, des rendus différents. C'est nous qui devons faire le choix.

T.M. : Est-ce que tu as des projets d'expositions ?
K.B. : Oui. Il y a une fille qui avait déjà fait des expositions pendant plusieurs concerts d'Offering, et qui m'avait pris des choses que j'avais faites à l'époque de Magma et des choses plus récentes. J'ai des cartons à dessins pleins de choses quasiment abouties. À terme, il faudra que je les utilise.
J'ai l'intention de faire un livre sur Magma qui serait un agenda très précis, avec beaucoup de photos et d'illustrations. J'utiliserai beaucoup ce que j'ai fait.

Welcome to Offering

T.M. : En ce qui concerne la musique d'Offering, que penses-tu des démarches actuelles ?
K.B. : C'est très simple. J'ai suivi Offering de temps en temps depuis la formation du groupe. Je n'ai pas toujours aimé. Il y a plein de choses que je n'aime toujours pas. Mais ce que j'ai vu au Bataclan, ça commence à mûrir sérieusement. Par contre le Trio j'aime beaucoup.
Le groupe Welcome qu'a fait récemment Christian avec Simon (Goubert) et les frères Belmondo, c'est fabuleux.
Les Voix de Magma au Bataclan, c'était superbe. J'avais écouté le disque qui est très bien aussi. J'y allais avec un bon esprit, mais en me disant ils chantent ce que j'ai chanté, et donc ils n'apportent pas grand chose. En fait, c'est vraiment bien. Ils apportent plein de choses. Il y a plein de choses qui passent.
C'est évidemment moins risqué de faire Les Voix de Magma que de faire Offering, parce qu'Offering c'est beaucoup d'improvisations et cela dépend des circonstances. Pour moi Christian est plus Magma qu'Offering. Mais j'ai beaucoup d'estime et de respect pour ça, et je trouve qu'Offering n'a jamais été aussi bien que maintenant.
J'ai des projets avec Christian notamment pour chanter des ballades avec le Trio ; je le ferais plus volontiers que d'aller chanter dans Offering. À la rigueur, j'irais chanter dans Les Voix de Magma, mais ils n'ont pas besoin de moi. Je le dis en toute humilité, en toute sincérité, c'est magnifique. Je n'irais donc pas pour améliorer la chose, mais pour le plaisir d'être dedans parce qu'il n'y a pas besoin de l'améliorer.

T.M. : Verra-t-on bientôt Paga en tournée ?
K.B. : Quelqu'un travaille enfin à la tournée. Dans l'immédiat, il y aura des concerts, notamment des festivals en juillet et début août. La vraie tournée commencera en mars 1995 avec un nouvel album en chantier.

Entretien réalisé à Malakoff en mars 1994 par Thierry Moreau
Crystal - Automne 1994

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