Interview Patrick GAUTHIEREntre Bébé Godzilla paru au début des années 80, et ce nouvel album, il aura fallu attendre plus d'une décennie. Etait-ce volontaire de ta part ou non ?
P.G. : Je dirais que c'était inconsciemment volontaire. Durant cette décennie j'ai beaucoup travaillé au niveau de la musique, musique symphonique et musique de chambre notamment, mais c'était un type de travail tel que je ne pouvais pas la jouer : j'ai joué la musique de tas de gens pendant ces dix ans bien sûr, mais un beau jour j'ai eu envie de composer de la musique spécialement pour qu'elle soit jouée ; comme par hasard c'est au moment où j'ai pris cette décision que j'ai commencé à rencontrer les gens avec qui j'allais jouer, c'était vraiment des rencontres du type "attracteur étrange", comme on dit en physique. La musique s'est faite, aujourd'hui elle vit.Il me semble qu il avait été néanmoins question de la sortie d'un album vers le milieu des années 80 ?
P.G. : Absolument ! Yves Chamberland qui avait produit Bébé Godzilla m'avait pressenti pour faire un deuxième disque. Je suis rentré en studio, j'ai fait deux morceaux mais ça ne correspondait pas à ce qu'il voulait pour son label, c'était un truc très classique, sans basse ni batterie. J'ai donc mis ça de côté, mais c'est quelque chose qui existe et que je ne désespère pas de réaliser un jour.Si l'on se penche sur l'évolution musicale de Christian Vander qui est parti des délires électriques de Magma pour aboutir à la sérénité acoustique d'Offering, ta propre évolution, de Weidorje à ce nouvel album, est très similaire. Que peux-tu en dire ?
P.G. : je ne peux pas répondre à la place de Christian bien sûr, mais je sais, pour avoir joué à ses cotés, qu'il a toujours eu dans la tête à l'époque de Magma une musique très acoustique, très naturelle au niveau du timbre. Je me rappelle que quand Benoît Widemann et moi avons amené les premiers Moogs dans Magma, ça ne lui a pas fait peur parce qu'il n'a peur de rien, mais il était quand même très curieux de savoir ce qu'on allait en faire, il a été vite rassuré car on n'a pas trop abusé de la chose. Pour ce qui me concerne, le seul changement que j'ai vraiment dans ma musique, hormis le fait que j'espère qu'elle s'est améliorée, c'est la dimension vocale puisque le premier album était entièrement instrumental.J'allais justement y venir, alors pourquoi cette présence du chant sur le nouvel album ?
P.G.. : Tout simplement parce que j'aime les voix. Evidemment j'avais écouté le chant grégorien, les cantates de Bach, le travail vocal de Stockhausen, Stravinsky, Bartok et bien d'autres, mais je dois reconnaître qu'à ce niveau Magma a beaucoup compté pour moi et m'a fait découvrir ce qu'était vraiment un ensemble vocal. J'ai des souvenirs, à l'époque où je jouais dans le groupe, de frissons lorsque les voix attaquaient ensemble, c'était comme magique. Les voix c'est comme le piano, ça dégage tout de suite une masse sonore qui vit par elle-même, c'est vraiment de la vibration pure. Et puis j'aime beaucoup la musique dans sa conception verticale, je suis très intéressé par tout ce travail au niveau de l'harmonie dans le dispositif à plusieurs voix, il s'en dégage une magie très spéciale.Qui sont les chanteurs dans ton nouveau groupe ?
P.G. : Tout de suite il y a eu Alain Bellaïche, un ami d'enfance, ensuite nous avons travaillé avec deux filles en plus car je pensais que le rapport un garçon /deux filles était le plus efficace. Après avoir essayé plusieurs duos de filles qui fonctionnaient d'ailleurs tous très bien, le choix définitif s'est porté sur Julie Vander (la fille de Christian et Stella) et Bénédicte Ragu qui chantent toutes deux dans Les Voix de Magma. Le résultat est très satisfaisant.On note la présence de Stella Vander sur le disque. Je suppose qu'elle est là en tant qu'invitée ?
P.G. : En effet et j'en suis très heureux car elle chante très bien ; elle perçoit rapidement les choses et les reproduit très vite, elle entend les choses une fois et peut les rechanter immédiatement. Julie aussi est comme elle.Quant au reste du groupe, peux-tu nous les présenter ?
P.G. : II y a Antoine (le fils de Bernard Paganotti) ; à l'époque de Weidorje je l'ai tenu sur mes genoux, aujourd'hui il a vingt ans. Un soir à la fin d'un concert des frères Guillard j'ai eu l'occasion de faire le buf avec lui, quand j'ai entendu le son de sa cymbale je me suis dit qu'il y avait tout dedans, la chaleur, le swing, la précision. Il était naturel que nous jouions ensemble. Marc Eliard, j'avais joué avec lui dans Magma et j'en avais gardé un très bon souvenir, je me souviens d'ailleurs d'un très beau solo de basse qu'il devait jouer et que je doublais au mini-moog. Par hasard il a eu Antoine au téléphone, il m'a ensuite appelé et je lui ai dit de nous rejoindre ; tout était fait, je crois, depuis le départ.Quart à Pierre Marcault, je suppose que comme Stella il est venu en tant qu'invité sur le disque ?
P.G. : C'était le cas au départ, mais comme ça l'a bien éclaté il a décidé de rester avec nous ; nous en sommes tous fort ravis car c'est un musicien formidable.Bien que ce nouvel album soit présenté comme un disque de Patrick Gauthier, j'ai le sentiment que tu tiens beaucoup à ce qu'on le considère comme le disque d'un groupe.
P.G. : Je vais te répondre sincèrement, si ça s'appelle Patrick Gauthier c'est tout simplement parce qu'on a pas réussi à trouver un nom de groupe qui fasse flasher tout le monde ; même si c'est moi qui ai écrit toute la musique de l'album, nous fonctionnons comme un véritable groupe. Depuis le départ, il y a eu un questionnement réciproque sur la manière de jouer, on est arrivé à des synthèses assez perméables, assez actives, c'est je crois ce qui rend le disque vivant. II faut que le travail soit synthétique sinon ça n'a aucun intérêt.Tu as écrit la majeure partie des textes de l'album, du français à l'anglais en passant par le grec ancien, je suppose qu'il s'agit de ta première expérience dans ce domaine ; peux-tu rare en parler ?
P.G. : Ecrire des textes demande une technique particulière c'est pourquoi au départ j'avais demandé à des gens de le faire à ma place. Pour l'un des morceaux ça a marché, mais pour les autres il a fallu que je me lance, c'était périlleux car je ne l'avais jamais fait de ma vie. N'étant pas spécialiste de ce genre de choses j'ai choisi une forme poétique, mettant l'accent sur la résonance et la sonorité des mots plutôt que sur leur signifiance.Peux-tu néanmoins brièvement nous éclairer sir la signifiance de chaque titre ?
P.G. : Pour le morceau intitulé Les Flots Verticaux qui donne aussi son titre à l'album, le signifiant, au départ, n'est pas tout à fait éclairant. II s'agit en fait d'un texte sur la drogue et qui fait référence à un ami cinéaste de 75 ans qui a joué avec sa vie et qui en est mort ; quand on sait ça on comprend mieux la signifiance des mots. Sur les flots verticaux on peux rêver, flotter et en même temps se noyer. Le titre Les Pygmées dans la Ville m'a été inspiré par une discussion avec un zaïrois alors que j'étais en tournée en Afrique avec Higelin ; celui-ci me disait qu'en Afrique un pygmée n'a pas le droit de regarder un autre africain dans les yeux, il est obligé de baisser le regard ; c'est une idée que je trouve absolument insupportable d'autant plus qu'on connaît et qu'on admire la musique des pygmées depuis très longtemps. Quelque part, pour nous, c'est un peu la même chose, nous sommes des pygmées dans la ville qui subissons des lois terribles, hiérarchiques, politiques, lois de contrôle social, lois de pression... Le Train Fantôme est une métaphore sur le rêve d'Icare, un texte un peu dadaïste de Michael Fantucci, un américain installé à Florence, ancien acteur de théâtre shakespearien, qui ressemble d'ailleurs comme deux gouttes d'eau à Orson Welles ; je lui ai fait écouter le morceau, il a écrit les paroles tout de suite, dans l'esprit de la musique, avec une technique incroyable pour faire résonner les mots. Pour Zawinul le titre est suffisamment parlant, j'ai voulu écrire un texte à la gloire de ce grand musicien pour lequel j'ai une véritable passion.Quant à Eleutheren qui est un texte écrit en grec ancien, pourquoi le choix de cette langue ? Quel en est le contenu ?
P.G. : Eleutheren en grec signifie liberté. J'ai travaillé le grec ancien au lycée et à la faculté, je continue d'ailleurs toujours à en faire depuis plus de vingt ans. Si j'ai choisi cette langue c'est parce que je la trouve très belle et parce qu'elle sonne bien, donc essentiellement pour des raisons d'acoustique et de sonorité. Quant au contenu, ayant pris cette langue comme base de départ j'ai été forcément obligé de me plonger dans l'esprit grec ancien, c'est pourquoi j'ai écrit un texte d'imitation des vieux textes pré-socratiques dans lequel je parle de l'être et du non-être, question qui préoccupait beaucoup les grecs.Propos recueillis par Alain Juliac à l'automne 93.
SundïaPS : Depuis la réalisation de cette interview quelques changements sont intervenus dans la composition du groupe. Philippe Bussonnet tient désormais la basse, la soeur d'Alain Bellaïche et celle d'Antoine Paganotti chantent à la place de Bénédicte Ragu et Julie Vander.
Après un passage dans Schizo, le groupe de Richard Pinhas, Patrick Gauthier rentre dans Magma en Septembre 75 pour remplacer Jean Pol Asseline. II reste dans le groupe jusqu'à l'été 76. II rejoint ensuite Bernard Paganotti dans Weidorje où il signe plusieurs compositions tout en jouant régulièrement avec Heldon et Richard Pinhas. II enregistre son premier album solo en 1980 et 1981 et reprend du service dans Magma du printemps 82 à l'été 83. Par la suite il joue avec Jacques Higelin et tourne avec le guitariste Pierre Cherèze. II remplace Pierre-Michel Sivadier pour une série de concerts des Voix de Magma à Paris en Octobre 92 et sort un nouvel album chez Seventh à l'automne 93.
Sundïa n° 1 - Juin 1995