MAGMA :
Interview de Christian VANDER

Vous fêtez les 25 ans de Magma. Pouvez-vous tirer un bilan de ce quart de siècle consacré à la musique ? Qu'en avez-vous appris ?

Christian Vander : C'est une question difficile. Mais tout d'abord, ce que j'ai appris c'est qu'il y a toujours à apprendre ! Cela m'a fait découvrir que la musique était infinie... et j'ai trouvé intéressant de mener une carrière sur 25 ans sans faire de concessions, sans trop dériver d'un plan de travail initial : j'ai fait quelques expériences, c'est vrai, mais d'une manière générale, j'ai véritablement continué sur la voie que je m'étais tracée, à savoir la découverte de la Vie par l'Esprit.

Quel plus beau souvenir gardez vous de ces 25 ans de concerts, d'enregistrements, etc... ; avez-vous des regrets ?

C.V. : Le plus grand souvenir, c'est cette période où Magma fonctionnait véritablement bien bien, quand on jouait très souvent. Il y a aussi ce concert d'Offering au Bataclan, qui n'a d'ailleurs pas été enregistré. Quant aux regrets, ce sont justement tous ces moments qui n'ont pas été captés sur bande, et qu'on ne pourra plus jamais refaire de cette manière.

Pouvez-vous me parler de la genèse du Kobaïen ?

C.V. : C'est difficile. Au départ, j'ai conçu un langage parallèlement à la musique, et instantanément, quand je composais, je chantais en kobaïen. Ensuite, j'ai analysé progressivement les sens que pouvaient avoir certains termes car je les répétais en fonction d'une certaine ambiance : c'est quelque chose qui vient de plus loin, qui est dans mes gènes.

Qu'est-ce que le Cri ?

C.V. : Ce que j'ai appelé au départ le Cri, c'était une sorte d'état vibratoire, une onde qui passe par soi-même, une sensation qu'il faut éprouver au moins une fois, pour ensuite la restituer vers l'extérieur. C'est quelque chose qui vient de l'intérieur et qui va vers l'extérieur et que j'appelle "l'en-delà" : cela m'a permis d'avoir une nouvelle approche de la musique.

Vous êtes considéré comme l'un des plus grands batteurs mondiaux. Pourtant, vous n'avez jamais profité de cette réputation élogieuse. Aucun de vos chorus de batterie n'a été édité à ce jour, même pas "Ptah". Pourquoi ?

C.V. : Longtemps j'ai estimé pouvoir faire mieux. Je suis assez exigeant s'agissant de mon propre travail et puis je n'aime pas les redites. Il y a déjà tellement de chorus de batterie fantastiques... comme ceux d'Elvin Jones ou d'Art Blakey, tous ces musiciens qui apportèrent énormément à la pratique de l'instrument. J'ai le droit de faire un chorus de batterie, mais de là à pense apporter quelque chose, je n'en suis pas sûr. Pendant des années j'ai réellement cherché à développer quelque chose à l'intérieur du chorus : j'ai essayé de traduire ces étapes où l'auditeur ne distingue pas encore le rythme jusqu'à celles où les rythmes naissent et en forment d'autres. Tout cela pouvant correspondre à l'utilisation progressive de tous les éléments d'une batterie (les fûts, puis intégrer la caisse claire, la charleston, les cymbales puis ensuite le tout mêlé avec toutes les combinaisons possibles). C'était à peu près l'idée de "Ptah", tout en essayant, à l'intérieur de cela, de raconter une histoire. Un jour ou l'autre, peut-être, je l'enregistrerai. Mais j'ai l'intention de sortir, sur AKT, 7-8 solos qui m'ont particulièrement plu.

Vous avez peu à peu abandonné la batterie au profit du chant. Les possibilités offertes par la voix sont-elles plus étendues ? Pensez-vous pouvoir aller plus loin grâce au chant ?

C.V. : J'ai toujours favorisé la mélodie ; pour moi, le batteur doit toujours servir la mélodie. Je ne peux pas passer des heures à écouter un solo de batterie. Donc je continue à me perfectionner à la batterie tout en jouant avec le trio, mais le chant a évidemment une grande place dans ma vie puisque j'ai toujours composé des mélodies. J'ai joué de la batterie dans Magma, mais très souvent je ne savais pas quoi jouer alors que j'avais composé toutes les parties, piano, cuivre, tous les arrangements. Je n'ai jamais composé pour la batterie. Il fallait que j'adapte mon jeu à la musique que je composais, de façon à ne pas la dénaturer, de même que je l'ai fait pour des musiques que je n'avais pas composées.

"Les Voix de Magma" et "Offering" semblent évoluer dans le même sens. Y a-t-il véritablement une différence entre les deux groupes ?

C.V. : C'est vari, on peut pratiquement mêler certaines choses, c'est-à-dire qu'Offering fait une musique beaucoup plus sur la corde raide, il y a une plus grande part d'improvisation, donc plus aléatoire, mais si quelqu'un est en méforme un soir, ça peut avoir des répercussions catastrophiques : ça peut friser la magie comme le désastre permanent. Quand ça fonctionne, c'est génial, sinon ça n'atteint pas une certaine dimension que Magma peut atteindre régulièrement parce que toutes les mélodies sont bien encadrées : on arrive toujours à obtenir pratiquement le meilleur dans la mesure où on a beaucoup travaillé avant aussi.

Vous avez, semble-t-il, beaucoup d'oeuvres en chantier : "Emënteht-Re", "Les Cygnes et les Corbeaux", "Cosmos"... Peut-on espérer les voir gravées un jour sur CD ?

C.V. : J'avais l'intention d'enregistrer "Zëss", la version définitive. Pour "Les Cygnes et les Corbeaux", c'est le prochain morceau que je dois terminer. Quant à "Cosmos", j'ai toujours eu en tête de le développer, mais ça prend du temps, je ne peux pas aller plus vite que la musique, il faut que je l'ai assimilée. "Les Cygnes et les Corbeaux" m'ont pris beaucoup de temps, on l'a pratiqué énormément sur scène ; je le travaille depuis 1984 et là, je pense être proche de la version définitive. Pour "Emënteht-Re", je ne pense pas y revenir. Il y a un mouvement d'"Emënteht-Re" que j'avais commencé à travailler et à cette époque-là, Weather Report a sorti un disque qui s'appelait "Mysterious Traveller" et à l'intérieur de ce disque il y a un morceau qui s'appelle "Nubian Sundance" et ce thème était très proche de ce que j'étais en train de travailler : j'ai trouvé qu'ils l'avaient vraiment bien fait. Moi, je l'avais développé plus lentement, plus en longueur, avec d'autres idées bien entendu ; mais sur le moment on m'aurait peut-être reproché d'avoir plagié : je n'y pouvais rien, mais je me suis abstenu. Je ne sais pas si je le remettrais en chantier mais on arelié tous ses mouvements, c'est déjà pas mal.

Si je vous demande de choisir, dans toute votre discographie, trois albums, lesquels seraient-ils et pourquoi ?

C.V. : "Mëkanïk Destruktïw Kommandöh", sans aucun doute, car c'est mon "My Favorite Things" à moi, c'est vraiment l'un des plus clairs ; ensuite c'est difficile : j'aime beaucoup l'idée qui est véhiculée dans un album, meme si l'album n'est pas encore représentatif de l'idée, telle qu'elle sera développée dans l'avenir. Il y a beaucoup d'idées dans "Cosmos" et "A Fiïëh. En fait, mon favori serait "Les Cygnes et les Corbeaux", celui qui sera enregistré, s'il est enregistré ; sinon "To Love" et "A Tous les Enfants".

"A Tous Les Enfants", "Baba Yaga La Sorcière" : le monde de l'enfance pourrait-il devenir une nouvelle direction musicale parallèle ?

C.V. : Oui, bien sûr. A partir du moment où les enfants sont motivés, qu'ils ressentent cette musique, ce qui peut les amener à quelque chose d'autre, ce qui est intéressant car ils découvrent au travers de "Baba Yaga", avec des mots qui leur sont familiers, des sons nouveaux, des ambiances nouvelles et des sensations différentes ; pourquoi ne pas les amener à chanter "Köhntarkösz" !

Quels sont vos projets dans l'immédiat ?

C.V. : il est question de sortir les "Inédits", ainsi que les fameux chorus de batterie. A part ça, j'ai de quoi faire 10 à 12 disques (NDR : !!!). On l'intention de faire un disque avec le trio plus des voix, peut-être aussi un disque en trio avec des ballades, plus un disque de Magma, "Magma Aeterna", qui prendra du temps, car c'est un travail de studio uniquement.

Dernière question : viendrez-vous nous rendre visite en Bretagne ?

C.V. : avec plaisir, avec joie... Quand vous voulez ! ...

Propos recueillis par Stéphane OILLIC
ZEF n° 20 - du 8 au 22 novembre 1995

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