De Vander à Magma

Trente ans de musique du bout de ses baguettes, trente ans d'éclatement musical, parcourant les scènes. De 1966 avec son premier groupe, les Wurdalaks, à Magma, en passant par Alien Quartet, Offering, à sa dernière formation Welcome, Christian Vander a marqué la musique de notre époque.
Magma, figure incontournable de la musique des années 70, Magma a bousculé les clichés d'une musique rock qui rêvait de peace & love et de flower power. Une musique qui a embouti plusieurs espaces sonores, le rock, le jazz et la musique classique, celle de Bartok et de Stravinsky. Le projet musical de Magma tient le temps et la route, une sorte de partition de la démesure, à grands renforts de cuivres, de voix et de batterie, cette musique nous amène sur un chemin fait de transes et d'énergie.
Tel un chaman, Christian Vander propulse la musique de Magma avec force et violence, le voir sur scène tapant comme un forcené sur sa batterie, référence ultime des batteurs, un jeu empreint de violence et plein d'invention.
Attention, Magma est de retour.

ENTRETIEN AVEC CHRISTIAN VANDER

Qu'est-ce qui vous fait monter encore sur scène avec Magma ?
CV : C'est un ami qui a décédé d'organiser cette tournée, Bernard Ivain, j'ai accepté d'emblée. C'était aussi, certainement le moyen de faire redécouvrir Magma, et pour moi l'occasion de pratiquer certains morceaux que je n'avais pas joués depuis une quinzaine d'années, "Köhntarkösz", "De Futura", des thèmes que j'aimais jouer et que je n'ai plus la possibilité aujourd'hui parce qu'il n'y a plus un groupe Magma existant réellement. Là, on a dû reformer un groupe Magma, pas spécialement pour l'occasion j'espère !

Justement à propos de musiciens, y aura t-il des musiciens des anciennes formations, sur cette tournée ?
CV : Au départ, j'avais pensé "peut-être qu'il y en aurait", et puis finalement, les choses ont fait que l'on a monté ce groupe qu'avec des gens qui aiment cette musique, qui sont plus jeunes, qui sont disponibles et prêts à foncer.

En 1969, quand vous arrivez avec votre musique, vous stupéfiez la scène rock, quelles ont été les réactions ?
CV : Initialement je pense que ça a dû être un choc pour les gens ! Ils étaient plus ou moins prêts à recevoir cette musique, mais de toute manière, on ne leur demandait pas d'être prêts ou non. Nous étions sur une scène et nous jouions ce qu'il y avait à jouer. Je crois que je ne me suis jamais posé de questions, pour moi, c'était la musique qu'il y avait à faire. Je venais directement de l'enseignement d'autres musiques comme celle de John Coltrane, sans pour autant l'avoir assimilée, bien entendu. Je précise que j'aimais ça, je ne pouvais pas jouer une pâle copie de la musique de John Coltrane. Des gens essayaient de faire du free-jazz, sans avoir non plus assimilé et digéré ces choses là, John, c'était loin d'être free ce qu'il faisait. Moi je pensais qu'il fallait au contraire, faire une musique où il ne fallait pas, contrairement à certains groupes de l'époque, s'éterniser sur une mélodie, mélodie entre guillemets, avec une réverb planante, qui faisait que les gens s'imbibaient d'un son. Pour moi, chaque note, chaque groupe d'accord était une mélodie, en fait on brisait en permanence la mélodie, pas dans l'esprit de casser la musique, mais dans l'esprit de passer d'une chose à une autre, puis à une autre, puis à une autre, sans interruption, comme "Mekanïk" qui a vraiment poussé cette idée au paroxysme. Les gens ont été surpris. Au départ ce n'était pas si clair, la musique venait, il fallait la distribuer de toute manière, c'était vital, c'était urgent, il fallait...

L'œuvre de Magma est faite de violence : "Le temps de la haine" ou "Mekanïk Destruktïw Kommandöh", c'est un cri d'alarme ?
CV : Je ne saisis pas ça pour dire oui, c'est un cri d'alarme. C'est le fait que ça tourne trop rond qui ne colle pas. Je suis un amoureux de la spirale, je ne suis pas pour la boucle qui boucle sans fin. Je suis pour les ouvertures, j'ai toujours senti qu'il y avait un malaise, c'est évident qu'avec le temps j'analyse différemment. Cette musique, je n'ai pas cherché à la faire de cette manière, les gens vivants que je voyais dans la musique, étaient des gens qui mettaient beaucoup d'énergie, beaucoup d'amour bien entendu, l'un ne va pas sans l'autre, et jouaient au paroxysme, donc pour moi c'était logique de jouer au paroxysme. Les gens voyaient ça comme de la violence, c'était de l'énergie. On ne regarde pas un volcan en disant c'est violent ! C'est fort, c'est puissant, mais ce n'est pas violent. A notre niveau, c'était un cri, c'est certain, dans le temps, rien n'a changé, mais je l'ai analysé plus en profondeur et essayé de développer au niveau de la musique plus en profondeur également.

Comment est né le kobaïen et pourquoi ne pas utiliser une langue existante ?
CV : Le kobaïen, je n'ai pas cherché à le créer, il venait parallèlement à la musique, je jouais des accords de piano et en même temps je chantais en kobaïen, sans chercher à analyser ce que voulait dire le kobaïen, ni même ce que c'était, j'appelais ça des sons. En réalité, je me suis rendu compte, selon les circonstances, que les mots semblaient revenir, selon les climats, les moments. Je leur ai donné un sens, sans aller jusqu'aux mots. Les notes ont un sens de toute manière. On la ressent comme une pulsion, une transe ...
La langue était en train de naître, d'éclore, on dit "tu enfanteras dans la douleur", c'est évident les sons sortaient, il fallait qu'ils sortent vivants.

Quelle est la part d'improvisation au sein de Magma ?
CV : Il y a toujours eu un moment, une plage d'improvisation dans tous les morceaux. Si on prend le premier titre "Kobaïa," on s'aperçoit qu'à un certain moment il y a un chorus de saxophone, puis en deuxième partie un chorus de guitare, dans "Mekanïk", il y a un chorus de violon, c'est en contraste avec la musique totalement écrite et martiale, une improvisation décousue qui part dans tous les sens, sans sens précis. L'improvisation dans Magma a toujours existé, c'est une tradition.

Votre activité musicale vous a porté vers d'autres horizons, notamment le Trio Vander et Offering. Il y a également "les voix de Magma", et plus récemment "Welcome" autre formation. Vous avez besoin d'aller vers ces univers différents ?
CV : C'est assez simple à comprendre, dans le trio et dans Welcome, ça me donne l'occasion de défricher les rythmes, de continuer, d'apprendre sur les rythmes, qui m'apportent beaucoup pour la mélodie. Plus on découvre de rythmes, plus on découvre de mélodies, sans faire de musique complexe pour autant. Dans Offering, ça me permet de développer le chant et le piano, dont j'ai toujours été frustré dans Magma.

Vous avez toujours baigné dans une ambiance musicale, outre vos références à Coltrane, Bartok et Stravinsky, quelles sont les musiques que vous écoutez ?
CV : Je continue de toute manière régulièrement à écouter John Coltrane, c'est lui qui est ma plus grande source d'inspiration, ou de calme, je ne sais pas, j'ai besoin d'écouter John Coltrane, est-ce que c'est lui qui m'inspire, je ne pourrais pas le dire, certainement ! En tout cas, je ne cherche pas à restituer sa musique, ça c'est évident, on a dû s'en rendre compte. Quand je joue du jazz, j'aime jouer sa couleur, mais je ne prétends pas apporter quoi que se soit, je suis quelque part un récepteur assez disponible pour restituer ce que je reçois. En réalité ce que je compose, c'est ma petite histoire, dans mes albums solos, c'est ce que j'essaye de raconter un petit peu, ma vie du quotidien, mon vécu. Ce que j'écoute comme musique ? J'écoute toujours des classiques, en l'occurrence, Jean-Sébastien Bach, Richard Wagner, Debussy, c'est difficile à dire, des choses un peu extrêmes comme Bert Aloïse Zimmerman.

Sans faire un parallèle on retrouve des traces de Wagner dans la musique de Magma ?
CV : C'est possible, ce serait totalement inconscient. J'aime Wagner, aimer cette couleur, ça m'évoque plein de choses, plein d'images. Je suis originaire de l'est, j'ai des résonances.

Bruno Pin
"…491" n° 11 - Décembre 1996

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