MAGMA,
sa musique créative et sans concessions, reviennent et passent par Lille.


L'occasion de faire le point avec Christian VANDER.

II y a quelques années tu prônais un style de vie discipliné afin de t'élever spirituellement, "d'être" ; es-tu toujours dans cette quête ou as-tu atteint ton but ?
Christian Vander : Dans un premier temps il y a un but à atteindre, mais après il y en a toujours un second. C'est presque une quête sans fin, mais l'important c'est d'être en quête de quelque chose d'autre. D'abord il faut s'accomplir en tant qu'"homme" sur cette terre ; je mettrais le mot homme entre guillemets, je ne l'ai pas inventé et il ne me convient pas réellement. Je me sens plus proche des animaux que des hommes tels qu'on les conçoit aujourd'hui.

Les "hommes" d'aujourd'hui, semblent connaître une destination chaotique par la création d'un progrès technologique qui les plonge régulièrement dans une catastrophe écologique et par une économie qui appauvrit de plus en plus la population. Que penses-tu de cette situation ?
Christian Vander : Ce n'est pas la prédestination de l'homme. L'homme tend vers quelque chose qui semble lui échapper totalement, c'est un manque de conscience.

Comment vois-tu l'"homme" ou l'"être" idéal ?
Christian Vander : Dans l'idée, quelqu'un qui consciemment pourrait ne pas faire de mal en évoluant. Le problème c'est qu'aujourd'hui pour évoluer il faut briser, le cercle infernal, donc forcément il faudra faire du mal. Je ne pense pas que c'est dans le silence qu'on obtiendra la vérité malheureusement. Il faut toujours qu'on nous accule à faire une percée dans ce monde figé, bloqué. Pour moi je n'aime pas les redites, nous vivons dans un monde de redites. Ca fait un certain nombre d'années que j'habite ici et j'ai l'impression de vivre la même histoire, on me demande ce que je pense de la situation, effectivement il y a des évolutions, il y a des tentatives, et ouf ! Les gens s'essoufflent avec le temps, on les brise.

Une évolution, une révolution ?
Christian Vander : Je ne suis pas pour les révolutions, ça brise également, je souhaiterais une évolution de l'intérieur vers l'extérieur mais en puissance et en douceur. A partir du moment où l'on est puissant on bouscule gentiment. Tout part de l'intérieur de soi, je crois que c'est en étant, tout simplement, qu'on est conscient de sa place. Moi je fais attention à la personne qui est devant moi. John Coltrane, c'est une personne qui avance, je le regarde de dos, je ne prétendrai jamais regarder John Coltrane dans les yeux, ce n'est pas possible, il est devant. Et ainsi de suite, il y a quelqu'un derrière, dans la longue filiation. C'est une idée de continuité parce qu'il n'y a qu'un but pour un homme, et pour arriver à ce but il n'y a pas plusieurs solutions, il n'y en a qu'une pour chacun puisqu'on est un tout ; ça pourra prendre dix ans, mille ans, ce n'est pas un problème ; c'est comme une fourmi, si une fourmi arrive à comprendre que son univers c'est un morceau de sucre, le jour où elle aura trouvé, où elle aura compris que c'était un morceau de sucre ; il faut découvrir ça, quel est notre morceau de sucre. Sans jalousie, sans perdre de temps, en étant en fonctionnement. Je me demande très souvent si j'ai fait le bon choix en faisant de la musique, par rapport à l'énergie que j'ai mis dans la musique, je ne sais pas si j'aurai apporté beaucoup plus de choses, je ne sais pas si j'ai fait le bon choix.

Dans quelles autres activités aurais-tu souhaité faire quelque chose ?
Christian Vander : Ce que j'ai voulu dire c'est que... Je ne suis pas écologiste, mais j'aime beaucoup les rivières et les choses qui sont avant nous dans le temps, la rivière, les arbres et toutes ces choses. Et en retournant dans certains endroits de mon enfance, je me suis aperçu que ces lieux ont été maltraités. J'ai pensé que j'aurais dû rester là, j'aurais dû m'en occuper moi-même et un jour j'aurais rencontré quelqu'un qui était fait pour ça. Je lui aurais dit "peux-tu t'occuper de la rivière, je m'en suis occupé jusqu'à aujourd'hui et maintenant je vais faire un peu de musique". Or je n'ai pas fait ça ; et je suis allé jouer sur une scène croyant que quelqu'un s'occuperait de la rivière et ce n'est pas ce qui s'est passé. C'est ça qui m'a fait mal.

Ca rejoint l'album " A Tous Les Enfants " qui exprime ce retour à l'enfance et cette souffrance de l'homme en étant enfant ?
Christian Vander : Je parle des enfants qui sont partis et qui n'ont pas pu voir le monde tel qu'il devrait être, et puis de ceux qui ont combattu pour ça aussi et qui sont partis parce qu'on les a tués en toute connaissance de cause. Ce sont les enfants de la lumière. Ceux là échapperont au cercle infernal d'office. Il est brisé. II y a un thème dans le disque qui s'appelle la ronde de nuit. Et dans ronde de nuit j'ai substitué le mot "nuit" à "mort" que j'ai banni, donc ça veut dire que le cercle est infernal et à la fin on attend la ronde silencieuse...ment. Tout ce qui est rond ment. Premièrement la roue qui permet de tourner en rond, moi je brise la roue, je ne suis pas d'accord. Ce qui amène à la spire, d'ailleurs c'est très simple, il faut un point de rupture pour amener à la spire sinon ça reste rond ; c'est comme une pyramide leste un triangle, si on la regarde ou si on la visualise à quatre pentes c'est qu'on est un oiseau, le seul moyen pour nous de contempler quatre pentes c'est d'être à l'intérieur, donc c'est qu'elles sont faites de l'intérieur vers l'extérieur, et si on me demande de dessiner une pyramide je ferai un point qui mène donc à la spire forcément, un point se déplace. Dans l'idée, j'ai banni dans cet album les mots que je ne connais pas, en l'occurrence ce mot "mort". Je tend vers la vie.

1997, c'était le trentième anniversaire de la mort de John Coltrane. C'est une coïncidence si tu as refait surface cette année ?
Christian Vander : Je n'y avais pas pensé. Je célèbre John Coltrane à chaque instant. Je pense à lui souvent.

Le Kobaïen, langage organique, reprend beaucoup d'intonations germaniques ; c'est voulu, c'est pour le rythme ?
Christian Vander : Moi je suis originaire de l'Est, il y a des choses qui dépassent la mémoire de mon vécu, qui viennent plutôt de la mémoire de mon sang. Je n'ai jamais cherché à créer le kobaïen ; il est venu naturellement dans la composition en jouant du piano. Je l'ai appelé kobaïen car le premier mot que j'ai dit était Kobaïa. Je suis toujours un récepteur et ça oblige d'être prêt en permanence. Je n'ai jamais composé pour composer, donc quand ça sera mûr pour moi il arrivera quelque chose.

Te considères-tu comme un chaman, comme chez les sioux par exemple où il y a toujours un sorcier qui est capteur et qui utilise les chant et les danses pour entrer en vision et rechercher sa voie ?
Christian Vander : On me l'a déjà dit mais je ne vais pas analyser ça. Réellement je suis habité par cette chose, les moyens je les découvre par moi-même, je n'ai pas été initié, je devais tout découvrir. Qui je suis ? on le saura peut-être un jour ; pour l'instant je fais ce que je dois faire et c'est déjà pas mal.

Avec le recul, ne penses-tu pas que Magma est un laboratoire qui a permis à de nombreux solistes de jazz et de rock de se révéler ?
Christian Vander : Ca prouve déjà que c'était des gens qui cherchaient quelque chose d'autre, et après ils ont tait leur chemin. Mais l'idée de la musique c'est de ne pas se répéter, si ça forme des solistes c'est parce qu'ils ne voulaient pas se répéter, ça prouve que dans la musique de Magma on peut improviser, on petit interpréter des choses, jouer avec les notes ou jongler.

Interview réalisée en commun par plusieurs radios et magazines, notamment RCV et Radio Campus (Claude et Schnaps).
Source : Presto n° 25 - Hiver 1998

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