Entretien Klaus Blasquiz
Quel aboutissement pour un admirateur de MAGMA que de rencontrer en personne celui qui fut pendant plus de dix ans LA voix du fameux groupe qui étonne encore aujourd’hui par son identité musicale. Klaus BLASQUIZ, (actuel chanteur de groupe PAGA, percussionniste, professeur de chant, journaliste de presse musicale spécialisée, auteur d’ouvrages tels qu’une « histoire de la basse Fender ») dans le cadre d’un master class de chant à la MJC, est passé par Morlaix ; l’occasion était trop belle pour la rater. Voici en exclusivité pour Cipdev, quelques morceaux choisis d’un entretien magique, un vendredi soir devant la gare de Morlaix.
Quel sont les gens qui t’ont donné envie de venir à la musique ?
C’est divers. C’est à la fois peut être un prof de chant à l’école, ce que j’ai pu entendre quand j’étais môme, à la radio, sur les disques, de Ray CHARLES à Dario MORENO. Et puis aussi en famille (basque), on chantait beaucoup, à quatre, mes parents mon frère et moi. En plus des chansons, mon père nous apprenait aussi à harmoniser. A partir de là, tu mets le pied dans un domaine, ça fonctionne, tu touches à la magie, et tu finis par rechercher ça, par vouloir aller plus loin. Tu deviens accroc à une passion. Tout artiste peut trouver des raisons tangibles, certaines origines au fait d’être venu à la musique ; mais il restera toujours d’autres motifs indéfinissables. On se demande pourquoi, par qui ; on trouve ; mais en fait on a pas vraiment cerné le problème, c’est plus complexe. Pour ce qui est d’en vivre, dans les années 60, en faire un métier ne voulait pas dire grand chose. Je l’ai donc fait par passion, sans arrière pensée, sans préméditation (peut être pas assez d’ailleurs), sans calcul, sans préparation, en total autodidacte.Tu le regrettes ?
Au bout d’un moment je me suis quand même formé, mais personne m’a donné suffisamment d’informations, de directions, de conseils de départ. J’aurais aimé avoir des appuis, même si c’était pour découvrir des choses que j’aurais découvertes seul, j’aurais gagner du temps. Aller aux concerts m’a également fait progresser ; on ne va pas simplement à un spectacle, on se fait donner des leçons, il faut les prendre comme ça, comme des dons.Dans le piètre paysage musical actuel, à qui, à ton avis, revient la faute ? Au public qui manque d’exigence, ou aux maisons de productions qui ne cherchent plus la qualité, mais la rentabilité ?
De la poule ou de l’œuf ? Aucun. Mais ceci dit, on a le public et les maisons de disques que l’on mérite. Il n’y a pas de surprise.C’est tout de même étonnant qu’avec PAGA, vous soyez obligés de vous auto-financer. Etant donné votre parcours à Bernard PAGANOTTI et à toi, c’est étonnant que vous ne trouviez pas de producteur.
Ca me paraît en fait logique que dans l’état actuel des choses on en trouve pas (rires) ! ! ! Quand on est trop en dehors de cet univers dont tu me parlais tout à l’heure, c’est normal. Il y a une espèce de cercle vicieux qui fait que depuis une cinquantaine d’années, il y a mauvaise qualité, pas de formations, les profs enseignent à leur niveau ; ça a dégringolé du point de vue qualitatif, à tous les niveaux : qualité technique, qualité d’interprétation, intensité, justesse. Où qu’on regarde, c’est le serpent qui se mord la queue. Il suffit d’aller voir à l’Education Nationale, il n’y a pas de musique ! ! ! Quand il y a des salles, on dit aux gamins de ne pas toucher au piano, de ne pas faire de bruit, de se tenir droit ; tout ça n’est pas fait pour la musique. Dans les conservatoires, c’est une vraie tristesse ; bon, ça s’est un peu amélioré, mais ou est la formation, l’envie, la passion ? ! Du côté des musiciens ça va mieux, il existe de bonnes écoles où tu peux apprendre à bien jouer. Mais du côté des chanteurs il reste énormément à faire, et pourtant ce sont eux qu’on entend le plus. Effectivement, il y a aussi un calcul économique, on nous fourgue des produits. Et plus ils sont moyens qualitativement, plus on vend. Les responsables ne connaissent rien à la musique, d’où la double origine de cette mauvaise qualité : on ne veut pas produire de bonnes choses, et en plus on ne peut pas. Il y a pollution musicale, comme il y a pollution gastronomique ; on nous fourgue des hamburgers, du facile, du prédigéré ; et les gens en mangent puisqu’on leur a pas donner les moyens de faire autrement, ils ne connaissent pas autre chose, on ne leur a pas montré la différence, le plaisir.On assiste au retour de groupes comme ANGE, MAGMA, GONG, tu penses que c’est parce qu’une partie du public 20/25 ans n’a que cette alternative pour parer aux médiocres productions d’aujourd’hui ; on va chercher dans le passé puisqu’on ne trouve rien dans le présent ?
Il y a un public qui fonctionne comme ça, mais il est assez peu important en vérité. La logique voudrait qu’aujourd’hui on ait plus de musiques ; on a plus de musiciens, leur qualité moyenne s’est élevée. Alors, où est la musique ? On touche là le véritable problème. On fait nous avons cassé le lien qui existait entre nous et nos racines. En Bretagne c’est différent, mais ailleurs les musiques populaires ont disparu. Les jeunes sont déracinés musicalement, culturellement. On ne fait plus de musique en famille ; il n’y a plus de fêtes musicales ; Il n’y a plus de relation avec des fondements populaires. Même les fest-noz sont artificiels. Il n’y a plus de fête ni aux enterrements ni aux mariages. Alors on fait des concerts, mais ça ne résoud pas tout le problème ; c’est dans un lieu clos, on présente un spectacle ; tu n’as pas besoin de ça quand tu joues de la musique traditionnelle ou populaire. Le spectacle est inclus dans la musique. Quand tu crées un décor champêtre sur une scène, il faut l’aménager ; mais quand tu vas dans une forêt, tu ne l’aménages pas, il est là le décor, il n’y a rien à recréer. Nous, on a du béton avec des arbres en plastique. Il faudrait qu’on retourne à nos racines ; et il ne suffit pas de le dire, ce n’est pas aussi simple. Je crois que ça peut commencer en essayant de combler ces lacunes, en essayant de résoudre ces maux, ces problèmes, à savoir qu’on ne chante pas juste, pas en place, il n’y a pas de mélodie, on se sait pas ce qu’on chante, on ne travaille pas son timbre, on se sait pas respirer, on se sait pas ce qu’on a à dire.Dans MAGMA, les voix ne servaient pas un message, elles étaient plus utilisées comme des instruments à part entière.
Disons qu’on avait pas l’intention de faire une musique que tout le monde pouvait jouer, elle n’était pas bloquée à un message. On aurait très bien pu, si on avait continué Magma, chanter en français ; Quand Christian (Vander) écrivait des poèmes, c’était très beau, il y avait une sémantique. En fait on essayait de marquer une cassure avec la chanson française ; il fallait brûler tous les ponts derrière nous, passer à une autre planète. Ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas possible, aujourd’hui, de faire de belles choses avec la langue française, il y a des gens pour le prouver, de Nougaro à Cabrel, même si on n’aime pas.Vocalement, est-ce que c’était un défi à relever que de jouer Mékanik Destruktïw Kommandoh (1973) en scène, juste à deux voix, alors que la version studio comportait quasiment un chœur ?
En fait à l’origine, avant le disque, Mékanik Kommandoh n’a été crée qu’à partir de trois voix, celle de Christian, Stella (Vander) et la mienne. Par contre le challenge était de pouvoir chanter comme un chœur, de donner cette sensation, entourés de gens qui jouent à fond la caisse, sans retour… C’est aussi pour ces raisons que j’ai développé des techniques que j’essaie de transmettre. Musicalement, c’était impossible à chanter, ce n’étaient pas des parties vocales traditionnelles, mais plutôt des trucs de martiens ! ! ! On avait pas le temps de respirer, on jouait des mesures composées, des pièces de vingt minutes sans interruptions. On franchissait les limites sans arrêt. C’est un peu aussi ce que j’essaie d’enseigner ; ce sont les choix qui comptent. Le problème, c’est lorsqu’il y a non-choix ; le choix il n’y a pas d’erreur possible ; on fait exactement le contraire de ce qu’il faut faire, si on a le choix, si on l’a intégré, si on sait que c’est le contraire ; là on a gagné, on est juste, on a le droit ; tout est possible, il faut simplement le gérer, l’intégrer. Dans MAGMA, on allait jusqu’au bout de ce concept ; on jouait des choses impossibles à chanter, à danser, des mesures 7/4 battues en 2 (grimace) ! ! ! Et puis finalement, on arrivait devant un public complètement néophyte, et ça accrochait parce qu’on touchait à la magie. Ce n’est pas qu’une histoire de bons musiciens ou de belle musique. Souvent, c’était sur seulement un accord que quelque chose se passait, juste un riff, un moment étrange. Tout ça découlait du fait qu’il y avait investissement total de notre part dans la musique ; on investissait et on s’investissait complètement.Est ce que pour toi, comme pour Bernard PAGANOTTI, PAGA est votre façon de donner une suite à MAGMA, comme peut le faire Christian VANDER au sein d’OFFERING ?
Si on veut, mais en fait c’est surtout pour donner une suite à nous-mêmes ; on essaye en aucun cas de faire un « petit » MAGMA.Qu’est ce que t’apporte l’enseignement du chant ?
Je me sens le devoir d’enseigner, et en plus, ça m’enrichit énormément (pas financièrement hélas ! ! !). Les gens ont besoin qu’on leur offre des possibilités, des ouvertures, des méthodes. J’ai le plaisir de partager mes connaissances. De plus, il faut qu’il y ait cette continuation, cette transmission de savoir qui passe par moi. Je ne dois pas me rendre coupable de non-transmission. C’est comme un tuyau qui passerait au travers de moi et dont je boucherais la sortie, ce serait totalement égoïste. Il faut laisser ouvert le circuit, c’est un devoir naturel et également un plaisir.Comment travaillez-vous au sein de PAGA ?
On a l’expérience nécessaire pour travailler méthodiquement. On pourrait tout faire en prépoduction, composition, répétitions, enregistrement, de la manière la plus professionnelle, mais il se trouve qu’on a des activités diverses, et on en peut donc se consacrer à 100% à PAGA, comme on le faisait pour MAGMA. L’avantage, c’est qu’il existe déjà des fondations qu’il n’est pas nécessaire de reconstruire, elles sont là, et on les utilise pour travailler. De plus je me sens très proche de Bernard, il est comme mon frère. Déjà dans MAGMA, on avait plus d’affinités pour créer ensemble.Vous vous consacriez à 100% à MAGMA ?
Oui. Vers la fin j’ai commencé à écrire, à enseigner, mais avant, c’était du 100% ; tu es obligé, quand tu fais 200 concerts par an, plus les enregistrements de disques. Un exemple : pour préparer le 1er album (Kobaïa, sorti en avril 70), nous avons répété de septembre à décembre 69 sans nous arrêter, tous les jours. On composait, tout en faisant aussi quelques concerts, ça permettait de former le groupe. Entre les débuts de ce qui allait être MAGMA et la sortie du premier disque, on a connu de sérieux changements de musiciens ; on a même joué avec un bassiste et un contrebassiste, mais on s’est vite aperçu que ce n’était pas gérable en scène.Musicalement, Christian VANDER n’a pas tout composé de A à Z ?
Tous les arrangements, les diverses interventions, les structures, ont été fait en répétition. Christian a composé au piano les thèmes, certains enchaînements et structures. Sur le premier album, il n’a d’ailleurs pas tout composé. Mais bon, par la suite, c’est vraiment devenu SON aventure ; c’est tout de même lui qui est à l’origine de MAGMA ; c’est lui qui a eu la force, le génie, l’énergie, la volonté, la violence pour pouvoir avancer envers et contre tout, sans savoir ce qui se préparait, il a voulu le faire de toute façon, quoi qu’il arrive, et on lui est redevable de ça, c’est SA chose. Quand je l’ai rencontré pour la première fois, quand j’ai entendu l’ébauche de ce qui allait devenir le morceau Kobaïa (il y avait d’ailleurs déjà un chanteur à l’époque), j’ai compris que c’était ça que je voulais faire, c’était ça qui était moderne, d’avant-garde ; j’étais aux Beaux Arts à ce moment là, et pour moi, c’était cette musique qui incarnait vraiment le concept de modernité ; VANDER était un vrai créateur.Quelques souvenirs marquants ?
Des bons souvenirs, je n’ai que l’embarras du choix, avec MAGMA notamment. Le concert anniversaire en 90, à la Cigale (à Paris), était très mouvant ; ça faisait déjà dix ans que j’étais sorti du groupe ; le public était au rendez-vous ; quinze minutes d’applaudissements à l’intro de Mékanïk Kommandoh, j’en pleurais ; sans oublier la musique de Christian, jouée avec intensité, avec amour. Je garde un grand souvenir d’un concert de MAGMA à Colmar avec Mickey GRAILLER (claviers), Jannick TOP (Basse), Christian et moi, on a Mékanïk Kommandoh juste à quatre, c’était très intense. Il y a eu d’autres concerts mémorables, en Angleterre, au festival de Reading, au Marquee, à la Round House (un ancien échangeur de locomotives). Les pires souvenirs ; il y a eu des formations MAGMA pas très bonnes sur la fin, il n’en reste d’ailleurs pas de traces. Mais le pire souvenir le plus marquant, reste quand le jour où on m’a appelé sous les drapeaux ; je me suis retrouvé, sans comprendre comment, en Allemagne, dans un hôpital psychiatrique, à cause d’un dossier qu’un psy m’avait aidé à monter pour me faire reformer ; j’ai raté plusieurs concerts, mais ça s’est finalement bien terminé, après vingt jours chez les fous, à tel point que je me demandais si je n’avais pas réellement des problèmes moi même !(Morceaux choisis d’un entretien d’une heure trente)
N° 10 Gratuit Mai 98 - Cipdev
Zïha John Trap