Stella VANDER : une interview pour le Web
Stella accorde peu d'interviews. Ce fut pourtant le cas durant l'année 1999, où elle accepta de faire le point sur 30 ans de la vie de Magma. Cet entretien est par ailleurs disponible sur un site indépendant.
DD : Pouvez-vous nous parler de votre enfance : avez-vous évolué d'emblée dans un milieu où la musique avait de l'importance ? Quelles sortes de musiques écoutiez-vous ? Avez-vous eu très tôt la certitude que votre vie serait consacrée à la musique ?
Stella : j'ai eu la chance d'avoir un jeune oncle - nous avons 14 ans de différence - qui m'a fait découvrir le jazz vers l'âge de 8 ans. Il me faisait écouter Miles Davis, Dave Brubeck, Stan Getz , entre autres... Je n'ai jamais cessé d'écouter du jazz depuis. À l'adolescence j'ai écouté aussi beaucoup de rhythm'n'blues et j'étais une grande fan de la Tamla Motown. J'ai écouté aussi du classique mais je ne sais plus comment j'y suis venue ; je n'ai pas le souvenir d'y avoir été initiée par quelqu'un. Je ne me suis jamais dit "ma vie sera consacrée à la musique". J'en ai toujours fait. J'ai pris des cours de piano étant enfant puis vers l'âge de 12 ans, j'ai continué à travailler seule et j'ai eu envie de travailler d'autres instruments. Ce fut la guitare, puis la flûte traversière. Je n'ai jamais travaillé le chant avec un professeur mais je me souviens très bien des cours de musique à l'école primaire. Nous chantions en chorale dans la classe et je m'amusais à chanter par intermittence pour écouter la différence de son avec et sans moi ; je trouvais que la chorale sonnait mieux quand je chantais !!! J'ai revu une camarade de classe dans les années 70 qui m'a affirmé que, déjà à l'époque, je ne m'intéressais vraiment qu'à la musique. Je n'ai pas de souvenirs aussi précis ; je crois que cela devait me sembler normal.
DD : Vous avez eu, avant l'aventure Magma, une première carrière sous le nom de Stella. Trente ans après, quel regard portez-vous sur cette époque ?
Stella : Pendant des années, j'ai totalement occulté cette période. J'avais le sentiment de m'être bien amusée mais d'avoir fait des choses sans intérêt. Et récemment, j'ai rencontré plusieurs fans de la "Stella" des années 60 (y compris à Los Angeles et à New York !). Cela m'a donné envie de ré-écouter les chansons... et en fait , en se replaçant dans le contexte de l'époque, ce n'était pas mal du tout. C'était vraiment décalé et rigolo. En tous cas, c'est là que j'ai appris les bases de ce métier.
DD : Ces enregistrements semblent assez éloignés de la "Zeuhl" ; aviez-vous déjà à ce moment le besoin de participer à une expérience musicale plus aventureuse, plus absolue ?
Stella : C'est pour cette raison que, à l'age de 17 ans, j'ai stoppé cette carrière, qui allait ma foi très bien. J'avais beaucoup d'amis musiciens, ou plutôt, je n'avais que des amis musiciens, et j'ai continué la musique, pas le show business.
DD : Il me semble avoir aperçu récemment un CD regroupant ces enregistrements. Avez-vous été impliquée dans cette réédition ?
Stella : Pas du tout. Je l'ai reçue une fois terminée. J'étais très étonnée, je ne voyais pas qui cela pouvait intéresser. Apparemment, les chiffres de vente prouvent que cela intéresse pas mal de gens !
DD : Votre album solo, "D'épreuves d'amour", révélait chez vous une personnalité beaucoup plus "humaine", plus sensible aux émotions du coeur que ne le révélait votre présence dans Magma. Etait-ce une manière de dire des choses qu'il vous était impossible de retraduire à travers le groupe dans la mesure où ce dernier véhiculait un message beaucoup plus mystique, voire cosmique ?
Stella : Il y a tout dans la musique de Magma : une dimension mystique, cosmique, humaine. Tout ce qu'il y a de plus humain ! Pour moi on y trouve toutes les "émotions du coeur" du monde ! Dans mon album, j'ai essayé de réunir des choses différentes qui me touchent aussi. J'étais également plus exposée que dans Magma, où je n'avais pas vraiment un rôle de soliste.
DD : Quel regard portez-vous sur la production musicale actuelle ?
Stella : Quel désert ! Que des reprises, ou des trucs basés sur des gimmicks d'anciens tubes. Quelle manque d'imagination ! Et ils chantent tous de la même façon. Comment auraient-ils fait si Stevie Wonder n'avait pas existé ? Quant au jazz, ce n'est pas très gai non plus. Bien sûr il y a d'excellents musiciens, de formidables chanteuses. Mais je m'ennuie vite. Je suis ravie d'entendre un truc qui sonne mais malheureusement, ce n'est pas souvent. Où alors c'est un titre ou deux… rarement un album. Dans l'ensemble c'est "bien propre sur soi". On a envie que ça rue dans les brancards !
DD : En dehors des musiciens qui enregistrent sur Seventh Records et de leurs proches, quel genre de musique écoutez-vous ? Quels sont vos derniers "coups de coeur" ?
Stella : Je n'écoute plus beaucoup de musique à la maison. Des ré-éditions CD de ce que j'écoutais avant. Du jazz surtout. Mes derniers "coups de coeur" remontent à bien longtemps. Je les re-découvre.
DD : Comment s'est réalisée la connexion entre votre première "carrière" et votre entrée dans l'univers de Christian Vander ?
Stella : Il n'y a pas eu de connexion, j'avais mis un terme à cette carrière.
DD : Si l'on s'en tient à la seule discographie, vous n'entrez dans l'histoire du groupe qu'à compter de "Mekanïk Destruktiw Kommandöh". Mais vous étiez déjà aux côtés de Christian Vander. Quel était votre rôle lors de cette première phase ?
Stella : Je faisais, comme beaucoup de femmes de musiciens, bouillir la marmite. J'ai fait les éclairages pendant un certain temps. Sans matériel et sans aucune expérience de ce métier, mais avec la foi et un sens du tempo et de la mise en place qui forçait le respect !
DD : Un nombre incroyable de musiciens sont passés dans Magma : à quoi attribuez-vous ce "turn over" ?
Stella : Des raisons très diverses. L'envie de faire son chemin en tant que leader pour les uns, la fatigue et l'usure pour les autres ; l'envie de passer à autre chose d'une manière ou d'une autre.
DD : Il est assez souvent arrivé que des musiciens quittent Magma en claquant la porte ; est-ce si difficile de travailler avec Christian ?
Stella : Je n'ai aucun souvenir de musiciens quittant Magma en claquant la porte. Cela s'est toujours passé sans heurts. Souvent pas sans tristesse pour nous. Mais on s'habitue. Maintenant je suis blindée ! Les deux ou trois dernières fois, cela ne m'a fait ni chaud ni froid ! A part une grande fatigue... C'est toujours ennuyeux. C'est tout un travail qu'il faut recommencer avec un, ou une autre. Il n'est pas difficile de travailler avec Christian. Il apprend énormément aux musiciens qui travaillent avec lui. Il est très indulgent et privilégie toujours l'envie, la foi et la bonne volonté. Il laissera le temps qu'il faut pour faire ses preuves à un musicien s'il sent que l'envie est là et qu'il y a un potentiel. Il est très patient.
DD : Selon vous, quelle a été la formation la plus proche de ce dont Christian rêvait ? Et de ce que vous rêviez, vous ?
Stella : Le groupe avec Jannick, bien sûr. Puis le groupe avec Didier et Bernard. Pour Offering, la formation avec Simon, Guy Khalifa, Abdu M'Boup... C'était magique!
DD : Quels sont vos souvenirs les plus forts (bons ou mauvais...) dans toute l'histoire de Magma ?
Stella : Difficile question... En presque 30 ans, il y a des tonnes de bons souvenirs et quelques mauvais aussi... J'ai tendance, comme la majorité des gens je crois, à me rappeler plutôt les bons souvenirs ; les concerts d'abord (beaucoup de fantastiques concerts !) et les festivals comme Le Castelet, Reading en Angleterre, Roskilde au Danemark... et un concert à la Roundhouse de Londres ou le public hurlait si fort que l'on entendait même plus, sur scène à 2 mètres, la batterie de Christian... Et puis, en vrac, les nuits dans le camion, à rouler des centaines de kilomètres, craquant nerveusement de fatigue, ce qui débouchait toujours sur un fou rire général qui n'en finissait plus... L'enregistrement de Wurdah Itah, en 4 jours, l'enregistrement de Köhntarkösz chez notre ami Milou à Valbonne, avec le baffle de l'ampli SVT de Jannick enfermé dans un petit local au fond du jardin, et qu'on entendait à des centaines de mètres à la ronde... Les différents enregistrements faits au studio d'Hérouville aussi, où nous habitions, sur place, dans cet endroit génial, malheureusement à l'abandon aujourd'hui. Les mauvais souvenirs je préfère prétendre qu'il n'y en a pas.
DD : Avez-vous, à un moment ou à un autre, été tentée de "jeter l'éponge", car il est évident que le quotidien de la vie au sein de Magma n'a pas toujours été facile ?
Stella : Jeter l'éponge, non. Mais des moments de révolte ou de déprime, j'en ai eu souvent ! Pourquoi, encore aujourd'hui, est-ce toujours si difficile et pourquoi, systématiquement, se mettent des bâtons dans les roues. Nous finissons plus ou moins toujours à obtenir un résultat mais il faut en vouloir !!! Cela pourrait être simple parfois, mais pour nous, jamais. Comme si quelque chose s'acharnait à nous rendre la vie dure... Peut-être un jour, si nous ne craquons pas, nous aurons une récompense ; je préférerais que cela se passe dans cette vie...
DD : C'est peut-être au sein d'Offering que vous occupez la place la plus prééminente. Plus que vocaliste, vous y êtes chanteuse. Il s'agit par ailleurs d'une expérience musicale très forte qui, si elle n'a jamais attiré autant de monde que Magma, est pourtant très novatrice et très intense. Comment l'avez-vous vécue ?
Stella : C'était passionnant. J'avais, pour la première fois, beaucoup de place pour m'exprimer. Mais c'est quelque chose que je n'aurais pas pu faire 10 ans plus tôt, même si j'en avais eu l'opportunité ; je n'étais pas prête. Je comprends que cela n'aie pas attiré autant de monde que Magma à l'époque. Le public était un peu déconcerté de ne plus voir Christian à la batterie (ça c'est quelque chose que je ne comprends pas car il est un pianiste et un chanteur tout aussi impressionnant !!!) Aujourd'hui, il me semble que le public entrerait dans le climat d'Offering beaucoup plus facilement. Christian a amené beaucoup de gens à découvrir le jazz et Coltrane en particulier ; maintenant ceux-ci sont prêts à écouter Offering.
DD : Peut-on imaginer une nouvelle période Offering après la "renaissance" de Magma depuis 1996 ?
Stella : On peut tout imaginer... Nous aimerions beaucoup rejouer Offering. Mais c'est un gros travail et il faut des concerts nombreux et réguliers pour faire avancer la musique dans ce contexte. Si notre agent nous monte une tournée de 20 concerts, pas de problème, nous serons ravis !
DD : Dans une interview, Christian Vander disait que vous étiez à l'origine du projet des "Voix de Magma". Quelles étaient vos motivations ?
Stella : Christian compose toute sa musique en chantant au piano, le chant est l'essence de la musique de Magma. J'avais envie d'une formule qui mette cet aspect en valeur, qui montre que cette musique sonne merveilleusement, juste avec un piano et des voix.
DD : C'est avec les "Voix de Magma" que le nom de Magma lui-même est revenu sur scène, après une longue période d'absence, consacrée à Offering et au Trio. Le projet a atteint son apogée en octobre 95 à Epinay-sur-Seine, avec deux concerts célébrant les 25 ans du groupe. Pensez-vous, dans ces conditions, avoir été, directement ou non, à l'origine du retour de Magma en tournée à partir de décembre 1996 ?
Stella : Non, c'était l'idée de Bernard Ivain, agent artistique et ami de Christian. Par contre l'intervention de 100 enfants pour fêter les 25 ans de Magma était mon idée. Je n'avais aucune envie d'un anniversaire style "anciens combattants", même si une bonne partie du public, pour ne pas dire tout le monde, aurait été ravi. Pour moi, il est très important que Magma reste tourné vers l'avenir. Jouer des morceaux des années 70 reste l'avenir, car cette musique a toujours plusieurs longueurs d'avance.
DD : Le "nouveau" Magma joue les grands classiques du groupe. Et même si deux nouvelles (et courtes) compositions vont être intégrées au répertoire sur scène et publiées sur un mini CD, on attend tout de même une oeuvre plus consistante, qui soit à notre époque ce que furent "M.D.K." ou "Köhntarkösz" aux années 70. Y a-t-il d'après vous un "grand chantier" dans l'air ?
Stella : Le CD 2 titres a été fait également à la demande de Bernard Ivain, agent artistique. Il en avait besoin pour les professionnels du "métier". Ces derniers ont toujours besoin de quelque chose de nouveau à se mettre sous la dent pour daigner parler de vous ou bien vous programmer dans un concert. Je me demande comment font les professionnels qui programment des orchestres interprétant des oeuvres de Bach ou Mozart ; c'est curieux je n'ai pas vu de nouveau CD de ces compositeurs depuis un bon moment... Le grand chantier en cours est "Les cygnes et les corbeaux". Que cela s'appelle Magma ou non n'a aucune importance. C'est la musique de Christian, la suite de son oeuvre et il faut d'abord réaliser ce projet avant de faire quoi que ce soit d'autre. C'est un morceaux d'une durée d'environ 60 à 65 minutes que nous réalisons pratiquement seuls, Christian et moi (à part quelques parties de choeurs réalisées avec Isabelle Feuillebois, Julie Vander et Bénédicte Ragu),avec bien sur l'aide de Francis à la "mise en son". C'est un travail titanesque, je n'ai pas peur de le dire. Christian est un perfectionniste, cela prends beaucoup de temps. Nous avons entièrement réalisé environ 40 minutes de musique à ce jour (31/10/1999). Nous avons la base de 10 minutes supplémentaires qu'il nous faut orchestrer... et encore 10 à 15 minutes à réaliser entièrement. Cela prendra encore quelques mois car nous avons aussi des périodes de concerts... et de repos!
DD : Même si la réponse à cette question ne vous appartient pas en réalité, comment imaginez-vous le futur pour la musique de Magma et plus généralement de Christian Vander ?
Stella : Je suis certaine que de plus en plus de gens seront touchés par la musique de Magma. Ce serait simplement mieux que cela se passe du vivant de Christian. Que son talent soit reconnu à sa juste valeur, pas seulement par quelques milliers de gens, mais par le grand public.
DD : Avec Seventh Records, vous êtes en quelque sorte "chef d'entreprise" ; quelles raisons vous ont poussée à vous engager dans cette aventure ?
Stella : De multiples problèmes avec les différentes maisons de disques avec lesquelles nous avons été, à un moment ou un autre, sous contrat. Liberté de création d'une part mais aussi des raisons plus terre à terre comme des royalties jamais reçues, plutôt 2 fois qu'une ! La goutte d'eau a été le label qui avait sorti l'album "MERCI" (que nous avions produit avec l'aide d'Yves Chamberland, alors patron du studio Davout) et qui a déposé son bilan sans nous payer un centime de royalties ! Nous n'avons également jamais touché de royalties à l'époque sur les albums M.D.K, Köhntarkösz, Live, Udu Wudu et Attahk. Nous ne recevions que des relevés ou nous devions, nous, encore de l'argent à la maison de disques. Car toutes les dépenses, y compris celles engagées pour des réceptions où le gratin du métier et de la presse était convié étaient à notre charge. Idem pour les albums Kobaia et 1001° C dont des extraits figurent sur des compilations et pour lesquels nous recevons des relevés débiteurs presque 30 ans après... D'autre part Francis Linon dirigeait, à l'époque, une société dans l'audio professionnel, CYBORG. Nous avons donc eu la chance d'avoir une partie des locaux, ainsi que les installations - téléphone, fax, ordinateurs - le secrétariat et la comptabilité de cette société, à notre disposition gratuitement pendant le temps qu'il a fallu pour démarrer. Nous n'avons créé une structure totalement autonome qu'en décembre 1990. Nous n'aurions peut-être pas pu créer Seventh sans cela. Tout du moins pas aussi facilement.
DD : Etre indépendant est certainement le gage d'une liberté de création ; cependant, les très fortes contraintes économiques qui pèsent sur les "petits" labels ne limitent-elles pas votre production à un seuil inférieur à celui que vous pourriez souhaiter en tant qu'artiste ?
Stella : Bien évidemment. Et nous ne pourrons pas continuer à produire des artistes dont nous savons que les ventes vont culminer à 500 CD. Nous l'avons fait, car c'était l'idée de Seventh d'aider des artistes d'une même famille musicale, mais cela est difficilement viable économiquement. Nous ne pouvons pas vraiment nous permettre de perdre de l'argent trop souvent.
DD : Comment se prend la décision de produire tel ou tel disque sur Seventh Records ? Et qui prend cette décision ?
Stella : D'un commun accord entre les associés qui sont Francis Linon, Alain Raemackers, Christian et moi. Jusqu'à présent, nous avons toujours été tous d'accord immédiatement sur chaque projet. Christian et Francis se partagent le travail considérable que représente l'écoute des maquettes que nous recevons.
DD : Quel est le seuil de rentabilité d'un disque (car je suppose que vous êtes amenée à vous poser ce genre de questions, même si elles vous éloignent des préoccupations purement artistiques) et quelles sont les meilleures ventes du label ?
Stella : Les meilleures ventes du label sont bien évidemment MAGMA. Nous avons la chance d'avoir notre studio qui est donc partie prenante de chaque production (en fait une co-production entre Seventh et le studio). Le budget d'un album ne s'équilibre pas en dessous de 1000 exemplaires. Et il ne faut pas délirer sur la pochette... et bien sûr cela ne permet aucun budget publicitaire.
DD : Vous faites partie de cet ensemble de labels regroupés sous le vocable des "Allumés du jazz" : quels sont les objectifs de cette association ? Et avez-vous obtenu des résultats ?
Stella : Cette association reçoit une subvention annuelle du ministère de la Culture. Jusqu'à présent, celle-ci servait à une opération de promotion sur tous les labels des Allumés. On parle maintenant d' une démarche commerciale, je ne trouve pas que cela soit une bonne idée car le ministère ne continuera peut-être pas à subventionner une société commerciale ; cela devient plutôt un GIE. Ce n'était pas l'idée de départ.
DD : Christian Vander est très "pointilleux" sur la nécessité de rééditer les anciens disques de Magma de la façon la plus proche possible de la première sortie ; récemment, j'ai osé lui dire que la parution du CD "Simples" aurait peut-être pu être évitée par l'ajout de "bonus tracks" sur d'autres disques. Il m'a téléphoné lui-même, assez fâché au départ, pour me lister toutes les raisons "artistiques" qui l'avaient amené à agir ainsi. Est-ce qu'une démarche aussi stricte ne risque pas de rendre les choses encore plus compliquées du point de vue économique ?
Stella : Non. Economiquement il aurait été beaucoup plus coûteux de modifier toutes les pochettes et de refaire des masterglass pour rajouter un titre par ci, un titre par là sur des CD existants. Et même pour le public je trouve plus honnête de proposer un CD à 70 F, d'une durée de 20 minutes, regroupant 5 titres introuvables, que d'obliger, quelque part, un fan à racheter 120 ou 130 F un album qu'il a déjà, sous prétexte qu'il comporte un bonus track.
DD : Face à un nouveau projet de Christian, vous est-il arrivé de vous dire (et de lui dire) : "c'est génial, mais on court à la catastrophe" ?
Stella : Non, car si le projet n'est pas dans nos moyens, nous nous contentons de passer une bonne soirée à délirer dessus et le lendemain, on passe à autre chose.
DD : La collection AKT qui regroupe toutes sortes d'enregistrements live (de qualité sonore variable) vise un double objectif, semble-t-il. Proposer au public la retranscription de moments forts, mais aussi contrer la présence sur le marché de bon nombre d'enregistrements pirates. Ne risque-t-elle pas parfois de "brouiller les cartes" et de nuire à l'image de marque du label (cf par exemple le disques "Sons", qui reste une énigme pour beaucoup d'entre nous) ?
Stella : "Sons" représente un moment très fort vécu par Christian avec Jannick. Il avait envie de faire partager ce moment. Il est certain que sorti du contexte où cela s'est passé, au Manor studio, avec la vue sur le cimetière et l'ambiance surréaliste de cette nuit là, il est peut-être difficile de comprendre pourquoi Christian a un souvenir très fort de ce moment. Mais cela reste un moment d'exception. Nous nous sommes permis une petite"folie". C'est la seule à ce jour et je ne pense pas que ce soit suffisant pour nuire à l'image du label.
DD : A propos des enregistrements pirates : leur existence, si gênante soit elle, n'est-elle pas flatteuse ? Et ne traduit-elle pas un "besoin de musique" que l'actuelle production de Christian (plutôt limitée depuis plusieurs années) ne parvient pas à satisfaire ?
Stella : C'est vrai mais ces albums pirates n'apportent pas de nouveauté. Ce ne sont que des enregistrements de concerts qui la plupart du temps étaient ce qu'un concert doit être : un moment vivant. Seul l'artiste doit décider de publier ou non ce genre de document. Il doit y avoir à chaque fois quelque chose, même si ce n'est qu'un chorus de l'un des musiciens, qui justifie que ce concert soit publié. Je trouve inconvenant de passer outre la volonté d'un artiste. Dans un pirate, le public entend souvent plus que ce qu'il y a vraiment ; c'est l'aspect "interdit" qui charme toujours. C'est ridicule. Bien sûr, je ne dis pas qu'entendre le dernier concert donné par John Coltrane avant sa mort, même avec un son archi pourri ne m'a pas touché ; mais il s'agissait de son dernier concert... Et c'est une cassette qui circule simplement ; cela ne fait pas encore l'objet d'un commerce.
DD : Aura-t-on un jour la chance d'écouter des compositions qui n'ont pas vu le jour dans leur intégralité (je pense notamment au mythique "Ementêht Rê" qui, à l'origine, devait être publié sous la forme d'un triple LP) ?
Stella : Je ne pense pas. Il faut faire les choses au moment où elles doivent être faites. Et si il y a une impossibilité (en l'occurrence dans ce cas c'était un refus de la maison de disques de l'époque) parfois le temps passe et c'est trop tard. Christian est passé à autre chose.
DD : Au départ consacré à la musique de Christian Vander, Seventh s'est ensuite ouvert au jazz, à la chanson (cf le disque de Pierre-Michel Sivadier) : malgré les probables incertitudes liées à l'économie de la musique, pensez-vous d'ores et déjà à d'autres évolutions ?
Stella : Nous aurions aimé faire une "école de musique différente" ; cela me paraît impossible pour l'instant mais sait-on jamais... Il y a tant de musiciens autour de Seventh qui pourraient donner une autre approche de la musique...
DD : Avez-vous l'intention de signer d'autres artistes sur ce label ?
Stella : Pourquoi pas ? Il suffit de vraiment craquer sur un projet et l'on oublie, pour un temps, les contingences matérielles.
DD : "D'épreuves d'amour", votre disque solo, est sorti en 1991. Depuis, en dehors de Magma et d'Offering, on vous a retrouvé sur les disques de Patrick Gauthier ainsi qu'aux côtés de Lydia Domancich et Pierre Marcault. Pouvez-vous nous parler de cette expérience qui, si elle semble dans la lignée assez directe d'Offering, s'ouvre à d'autres influences musicales ?
Stella : Il est toujours enrichissant de collaborer avec des musiciens dont on apprécie le travail. C'est souvent une manière différente de travailler. C'est toujours un échange qui, pour moi, est indispensable à la musique. Mais on ne peut pas dire qu'en travaillant avec Patrick, Lydia ou Pierre, je m'éloigne totalement de mon univers de prédilection !
DD : Quels sont les autres musiciens avec lesquels vous aimeriez travailler ?
Stella : Je ne me pose pas la question ; je n'aurais, de toutes façons, pas le temps.
DD : Magma suscite une véritable fascination auprès du public, tant du point de vue musical que du point de vue humain. Le personnage de Christian fait l'objet d'un nombre incroyable de rumeurs plus ou moins ésotérique (la dernière en date étant celle d'une sorte d'élevage de jeunes batteurs...). Comment expliquez-vous cette passion et tous ses débordements (souvent hors-sujet) ?
Stella : Ceci n'est pas propre à Magma ou à Christian ; tous les personnages publics ont droit à ce traitement et plus particulièrement les gens qui font de la scène, musiciens ou comédiens. Nous sommes heureusement préservés, du fait d'être peu médiatisés, des débordements que l'on trouve dans les journaux type "Voici"ou "Gala" !
DD : Magma a toujours souffert d'un "déficit d'image" : parfois suspecté de véhiculer une idéologie extrémiste, traité de "facho" ici et là et ce d'autant que Christian Vander n'a jamais vraiment cherché à dissiper les malentendus. Comment expliquez-vous cette suspicion et comment vous situez-vous dans cet environnement ?
Stella : Au moment où Magma est arrivé sur la scène musicale française, il a suffit d'être habillé en noir, au milieu des groupes de l'époque qui, eux, faisaient surtout dans la débauche de couleurs, pour être assimilé à une secte et de préférence, d'extrême droite. Effectivement, Christian n'a jamais rien fait pour contredire ces affirmations, il en a même rajouté de temps en temps. Mais 30 ans après, il est toujours musicien et compositeur, il n'est pas à la tête (ni membre d'ailleurs) d'un parti politique. C'est ce qui est important. Je serais très déçue s'il abandonnait la musique au profit de la politique, mais cela n'arrivera jamais. C'est du folklore... Je me contrefiche de tout cela. Il m'arrive de m'intéresser à la politique, comme chaque citoyen, souvent pour pester contre les gens qui nous gouvernent et me dire que, décidément, ce n'est pas demain la veille que je vais voter à nouveau... J'ai aussi, comme tout le monde, des idées sur la manière dont on pourrait améliorer les choses dans ce pays. Mais cela s'arrête là. Chacun son métier. Celui que j'ai choisi me satisfait pleinement, je n'ai pas de manque.
DD : De nombreux "fans" de Magma sont aux antipodes des idées que l'on prête, à tort ou à raison, à Christian Vander. Selon vous, peut-on ressentir et aimer la musique de Magma même si l'on ne partage pas ces idées ?
Stella : J'adore la musique de Wagner. J'ai pourtant été horrifiée à la lecture de ses écrits! Cela ne m'empêche pas d'être toujours terriblement émue chaque fois que j'écoute, entre autre, l'ouverture de Lohengrin. L'orchestre symphonique d'Israël a remis Wagner à son répertoire depuis plusieurs années, c'est un bon exemple. Ce qui reste, c'est sa musique. Je ne confirme, ni n'infirme aucune rumeur sur Christian. Laissons les gens se prendre la tête, si cela les occupe mais je me demande bien à quoi cela les avance? On aime ou on aime pas, on vibre ou on ne vibre pas à l'écoute d'une musique ou à la vue d'un tableau. C'est le premier frisson qui compte.
DD : Y a-t-il au sein de Magma un espace pour échanger des idées entre musiciens ou bien, au contraire, l'acceptation, même tacite, d'une "vérité" est-elle un pré-requis pour intégrer l'univers du groupe ?
Stella : La seule chose que l'on demande à un musicien pour intégrer le groupe c'est de "faire l'affaire" comme on dit. Si en plus il est gentil, sensible, intelligent, équilibré et extrêmement professionnel, on ne s'en plaindra pas ! Il y a eu toutes sortes de tendance politique parmi tous les musiciens qui ont fait partie de Magma, y compris des communistes et des anarchistes. Chacun est libre. Il y a, bien entendu, des échanges d'idées, mais nous avons toujours trouvé mieux à faire que de s'engueuler au sujet des idées des uns ou des autres. En fait, nous parlons surtout de... devinez... de musique !
DD : Dans une récente interview (1997), Christian évoquait un "complot", parlant même de "falsification de l'histoire". Il dit également être parvenu, depuis 1987 et une certaine "révélation" à "dénouer les fils". De tels propos sont historiquement très mal connotés, car ils ont déjà été tenus par des personnages peu recommandables et ont souvent abouti à des bains de sang ou à des génocides. Je crois savoir que vous ne partagez pas son point de vue : est-il possible d'en parler avec lui et, si oui, avez-vous déjà réussi à infléchir ses positions ?
Stella : Je pense être une des rares personnes à qui Christian fait confiance et qui puisse trouver les arguments qui l'amènent à se poser certaines questions. Je n'ai plus envie de parler de tout cela, je ne veux plus, et Christian non plus, aborder de sujet qui puisse mener à un affrontement. Il y a trop d'amour et d'affection entre nous. De toutes façons chacun reste sur ses positions. Alors... Comme je le disais un peu plus avant, ce que je peux constater, c'est qu'il continue chaque jour à composer, à jouer... Si un jour il se met à haranguer les foules, je m'évanouirai dans l'espace... Mais cela n'arrivera pas. Il y a une bonne dose de provocation dans tout cela.
DD : Kip Hanrahan, un musicien américain, écrivait récemment : "Il faut simplement être habité par une intensité qui fasse que l'on ne peut jamais se reposer tant que cette musique intérieure n'est pas sortie." Est-ce une façon correcte de dire la manière dont vous vivez la musique ?
Stella : J'appliquerais aussi cette manière de fonctionner à la plupart des actes de ma vie quotidienne ; j'ai du mal à me reposer tant que tout n'est pas "en place". J'essaie d'apprendre à faire autrement car je me rends compte que cela à une influence néfaste sur ma santé...
DD : A contrario, cette intensité peut-elle nous autoriser à tout dire et à tout faire, sous le prétexte de la sincérité la plus absolue ?
Stella : On le croit un certain temps... il faut bien apprendre. Et puis après avoir pris un certain nombre de "claques", on mûrit, et on tempère. Plus on est passionné, sincère et entier, plus c'est difficile.
DD : A quand un deuxième CD sous votre nom ? Ou bien en collaboration avec d'autres musiciens ?
Stella : Un projet me tient à coeur depuis plusieurs années, basé sur des mélodies françaises du début du XXe siècle. Avec également des compositions originales. Cela se fera en temps et en heure. Il faut d'abord terminer l'énorme travail que représente l'enregistrement de : "Les cygnes et les corbeaux".
DD : Quelles seront les principales nouveautés sur Seventh Records en 2000 (et même après si vous le savez !) ?
Stella : En avril 2000, un AKT nouveau: une sélection de chorus de batterie de Christian, choisis parmi les meilleurs enregistrés dans les années 70. Puis à l'automne, j'espère, il le faut, "Les cygnes et les corbeaux".
Interview : Denis DESASSIS - du 31 décembre 1998 au 29 février 2000