MAGMA & Golem
Entretien avec Philippe Bonnier, réalisé par Patrick Boeuf, le 21 juillet 2000
Patrick : C'étaient les trente ans de Magma, cela a donc commencé dans les années 70 ?
Philippe : Quand je les ai côtoyés, cela fait un peu plus de 25 ans maintenant, c'était plutôt au début, pas à leur tout début en 69, 70, je ne les ai pas connus immédiatement, je les ai d'abord découverts par les disques dans les années 72, 73, par l'intermédiaire d'un ami, Jean-Claude Vandeville. Nous montions des spectacles de théâtre, très influencé par la scène théâtrale de l'époque, comme le Living Theater On utilisait des musiques de "Magma", du premier LP notamment, dans nos spectacles. J'avais 16 ans, on utilisait la structure associative municipale de la MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) de la Celle-Saint-Cloud. La jeunesse de l'époque était plutôt de gauche, le maire, bien qu'étant de droite, a toujours soutenu, paradoxalement, les activités de cette MJC. Cela a son importance, au début nous faisions du théâtre amateur, et au fur et a mesure des années nous clôturions l'année scolaire avec un spectacle plus important, puis nous avons commencé à faire jouer des groupes musicaux amateurs de cette banlieue et d'année en année, cet événement s'est transformé en festival sur la durée d'un week-end, vers la fin juin. La MJC était dans une villa avec un grand parc où se déroulait la manifestation. En 1974 nous avons fait jouer "Ange" (groupe de rock français) le premier soir et le suivant, "Hatfield and the North", groupe mythique avec entre autres Pip Pyle et Dave Stewart. A cette époque, on a sympathisé avec cet individu qui s'appelle Assad, et qui était le représentant français de Richard Branson, le boss de Virgin naissant. "Tubular Bells" venait de sortir, et Branson n'était qu'en route vers la fortune. Virgin France, tenue par Assad, s'était établi dans une ex-boulangerie et c'est par son intermédiaire que nous avons pris contact avec le rock business de l'époque. Nous aimions "Magma", allions à leurs concerts et nous avions très envie de les faire jouer. En 74, donc, on avait utilisé leur musique, et en 75 après le concert de "Gong" le premier soir, il y eu donc notre premier concert de Magma. Et c'est à partir de là que nous avons commencé à collaborer avec eux et cela a duré environ jusqu'à 1977. Cette soirée de juin 75, il faisait très beau, ils avaient joué assez tard et nous avions d'ailleurs eu des problèmes avec la police, un très beau concert, Vander avait créé pour la maladie de sa fille, actuellement choriste au sein du groupe, ce morceau, qui je crois, s'appelle "Vivant" et dont je ne me rappelle plus le nom en kobaïen (note : Hhaï), une sorte de ballade très douce avec un long solo de batterie, chanté par Vander lui-même.
Patrick : Il a joué ce morceau en rappel, pour le concert anniversaire au Trianon à Paris ?
Philippe : Tout à fait. On l'avait entendu là pour la première fois. Magma était entouré de gens atypiques, comme par exemple leur roadie Loulou Sarkissian, dont on croise le nom sur les premières pochettes de leurs vinyles, un personnage haut en couleurs, le type même du mauvais garçon, un fanatique absolu de Magma et de leur musique, à la fois dangereux et le cur sur la main dès qu'il vous accordait son estime. Un mélange étrange, d'un côté Blasquiz, assez cool et de l'autre Vander, finalement, plutôt difficile d'accès, plutôt dans son monde, pas vraiment le prototype du baba cool contrairement aux membres de "Gong" qui passaient leurs journées défoncés à tirer sur des joints. Il y avait déjà ce bruit qui courait, concernant le groupe, certains trouvaient l'ambiance fascisante, il y avait, d'ailleurs parmi le public, de drôles de types habillés tout en noir qui avaient créé cette aura sectaire qui planait autour de Magma, bien sûr, perdus au milieu de cette jeunesse chevelue. En parlant, à l'époque, avec Blasquiz, nous l'avions trouvé, à la fois, amusé et ennuyé par cette réputation qui ne correspondait pas du tout à ses idées, cela soulevait des polémiques extra musicales. Il y avait dans le groupe, outre Vander et Blasquiz, Stella au chant, le plus souvent Jannick Top à la basse et parfois Paganotti. Au clavier, cela tournait beaucoup. Il y avait, la plupart du temps, Michel Grailler et puis sont arrivés des gens comme Benoît Widemann En même temps, c'était comme la fin d'une première époque, il y avait encore des cuivres, entre autres Richard Raux, peut-être pas à ce concert là d'ailleurs. Il devait même y avoir Faton Cahen qui était entrain de monter "Zao".
Il y avait deux personnes par lesquelles nous passions pour les problèmes d'organisation, l'un s'appelle Georges Leton, un petit bonhomme un peu fuyant, pas vraiment antipathique, un drôle de mec ; au dessus, il y avait Gorgio Gomelsky, à la fois producteur et découvreur de talents, une figure emblématique du Rock'n'Roll. Lui on l'a peu croisé, je me souviens d'un rendez-vous dans un immense appartement avec baie vitrée donnant sur la Seine dans la banlieue ouest, la rencontre avec un nabab en quelque sorte, j'avais 17 ans. Jean-Claude, lui, en avait 25 et face à nous Gomelsky devait approcher les 50 ans, un bel homme qui en imposait, il avait tout de même produit les Rolling Stones. En même temps, tu avais le sentiment d'avoir affaire à un parrain, un drôle de personnage, l'époque n'était pas au marketing des majors, ces gens là avaient une passion, probablement une oreille, ils aimaient la musique, il fallait, finalement, un certain courage pour découvrir et travailler avec Magma, un obscur groupe de rock français. A l'époque, nous le considérions comme un suppôt du grand capital, mais avec le recul je pense qu'il y avait une part de passion à faire son métier de producteur. Les rapports avec eux ont d'ailleurs été très corrects et tant du côté production que du côté des musiciens qui exigeaient le respect de leur musique et de leurs conditions de travail, mais qui en retour étaient très professionnels. Gomelski fut remplacé par un type, dont je ne me souviens plus du nom, qui habitait rue Beautreillis dans le Marais, un appartement avec un ascenseur arrivant directement chez lui (il était dans un fauteuil roulant), c'était plutôt un homme de loi qu'un producteur. Lors d'un rendez-vous, nous avons rencontré pour la première fois la nouvelle génération de musiciens de Magma dont Didier Lockwood qui, à l'époque, sortait à peine de l'adolescence, c'était tellement étrange de se retrouver là avec Vander, Blasquiz tous habillés de noir avec la griffe comme boucle de ceinturon.Patrick : J'ai souvenir d'un concert de cette époque ou Lockwood, très doué par ailleurs, jetait des regards à Vander comme s'il avait affaire à Dieu le père !
Philippe : Ce garçon, qui aujourd'hui fréquente les sommités du jazz mainstream et tourne dans monde entier, n'était à l'époque personne, et Vander a eu le talent de le trouver. Apres ce festival 75, qui a très bien marché, a germé l'idée, à partir du noyau actif issu de la MJC de la Celle-Saint-Cloud et de personnes extérieures rencontrées sur le parcours, de créer une structure "Golem" pour organiser des spectacles, mais aussi pour permettre le développement de toutes activités artistiques de ses membres, et c'est là que tu nous a rejoins. Outre le théâtre, nous faisions aussi du cinéma dans cette MJC, nous avions commencé en super 8, puis la mairie a acquis pour nous une caméra 16mm. En reprenant mes vieux agendas pour cette entrevue, je réalise que nous avons tourné énormément de films, dont beaucoup que j'avais oubliés, c'est ça qui nous a motivés, Olivier Rechou et moi, à tenter le concours d'entrée de l'Ecole Nationale Louis Lumière de Cinématographie, où nous nous sommes rencontrés. Golem a donc été créé en octobre 1975, nous voulions commencer notre activité avec un événement autour de Magma.
Le 16 janvier 1976, nous avons organisé deux concerts de Magma au Palais de Chaillot, l'un en matinée et l'autre en soirée dans la salle de concert qui contenait de 7 à 800 personnes et pour annoncer cette manifestation, nous avons réussi à les faire jouer, en formation réduite, le 12 décembre 75, au "Pop Club" de José Arthur, une émission radiophonique de France Inter enregistrée à la Maison de la Radio à Paris. Il y avait Yves Montand, probablement venu présenter un des ses films. Quelques jours avant le concert, le 7 janvier 76, ils sont aussi passés pour un mini concert de promotion à la FNAC Montparnasse. Le concert de Chaillot a très bien marché, la salle était pleine aux deux séances et les deux prestations magnifiques. Juste avant, il avait enregistré le double live, enregistré à la Taverne de l'Olympia, où j'étais présent, et c'est la première fois que l'on a pu voir la formation avec Lockwood, Widemann, je pense que c'était Paganotti, peut-être Top (note : c'était Paga), les rapports Top, Vander étaient très compliqués, un peu tendus, Blasquiz servait en fait de porte-parole, Vander n'étant généralement pas très causant, c'est un musicien avec un univers particulier, mais pas vraiment un communiquant. Klaus, lui avait une façon de parler. Il était très important. Lors du concert anniversaire, je regardais le jeune homme qui tient sa partie au sein de la formation actuelle (note : Antoine Paganotti), il a repris toute la gestuelle de Blasquiz, Klaus avait un mouvement d'épaule qui marquait le tempo et ce garçon reprenait le même mouvement. On ne peut savoir si c'est à l'initiative de Vander, ou s'il a vu Blasquiz le faire, mais c'était très frappant, bien que physiquement et au niveau de la tessiture de la voix, il ne donne pas dans le même registre, Blasquiz a un champ plus étendu. Pour revenir à Top, face à Vander maître d'uvre, Top était un peu l'alter ego. Il y avait certes des affrontements, mais Vander le laissait créer des morceaux, il prenait des chorus monstrueux (je me souviens de ses chorus au Théâtre de la Renaissance), non seulement c'est un grand instrumentiste, mais un individu avec un univers musical original, il faut aller voir du côté des grands bassistes pour trouver un équivalence, ce qui rend d'autant plus désolante la suite de sa carrière dans la variété française. A l'époque, on ne pouvait jamais être vraiment sûr que ce soit Top à la basse, c'est donc Paganotti qui le remplace, évidemment dans le cadre d'un style de basse propre à Magma, au tout début il avait Francis Moze, d'ailleurs, qui a très vite disparu, ce qui est dommage car c'est un bassiste très intéressant.Patrick : Pour revenir à Blasquiz, il me semble que pour ce qui est de l'idéologie, de la cosmogonie, si l'on peut dire, il en était un des créateurs ?
Philippe : Tout à fait, au niveau visuel, on peut dire qu'il a tout conçu, pas la griffe, bien sûr, mais à partir de là, étant dessinateur d'origine, il a une approche esthétique qui s'étend du look sur scène au design des pochettes. Il a mis au point une gestuelle, accentuant le côté machine. Encore maintenant quand je mets un disque de Magma sur ma platine, je revois ces images, cette gestuelle, cette scénographie qui lui est due, il avait aussi un grande influence sur les textes. Il y avait donc une sorte de triumvirat, en sachant que si l'on veut faire une comparaison à la trilogie catholique, puisque tu évoques l'idée de cosmogonie, Dieu restait Vander.
Trois jours après les concerts de Chaillot, le 19 janvier 76, Magma et Golem se sont réunis autour de l'idée d'un film sur le groupe, une série de réunions ont suivi, le 3 février, Vander, Blasquiz, Alain Thuillier et moi nous nous sommes retrouvés pour parler plus spécifiquement de technique et d'esthétique cinématographiques. Il n'y avait eu jusqu'alors que peu de films musicaux, Woodstock, bien sûr, ou Pink Floyd's The Wall. Scorsese n'avait pas encore tourné The Band. Nous avions eu l'idée, plutôt banale maintenant, de montrer le groupe au travail, de l'élaboration des morceaux à la scène, en les suivant en tournée, par exemple. Sans tomber dans la fiction, l'idée était de retrouver au niveau de la structure et de l'esthétique du film, la couleur et l'état d'esprit de Magma. Nous n'avions pas perdu d'argent sur les concerts de Chaillot, mais nous n'en avons pas gagné beaucoup non plus. Chaillot était plus une opération de prestige, la salle étant très chère. Nous n'avions donc pas de liquidités, pour amorcer la production de ce film. Aujourd'hui, avec les cameras DV, dont la qualité est quasi professionnelle et le coût relativement économique, filmer un concert parait relativement simple, mais à l'époque cela exigeait la location de matériel professionnel 16mm et cela pose des problèmes pour synchroniser les cameras, pour gérer l'alternance des cameras efficaces (un magasin de films en 16 mm ne dure qu'onze minutes) afin de ne rien perdre des morceaux. Face au problème posé par le financement, est venue l'idée, assez dans l'air du temps, de lancer une souscription auprès du public de fans (une idée déjà utilisée par Jean Renoir pour son film "la Marseillaise", en 1936) afin qu'ils achètent leurs places de cinéma par avance, ce qui nous aurait permis de dégager une amorce de finance pour la production. Il n'y avait en France que trois chaînes de télévision d'Etat auxquelles il était absolument impossible de vendre un film sur Magma, pas d'appui de ce côté là, nous ne pouvions envisager que l'exploitation en salle, les grands circuits de distribution n'étant, par avance, pas intéressés, il ne reste que les circuits de distribution plus marginaux, qui bien que favorables à la diffusion d'un tel film, n'étaient pas prêts à mettre le moindre centime au départ. Une fois l'idée de souscription lancée, il a fallu le faire savoir, ce que nous avons fait lors des concerts. Par ailleurs, Rock'n'Folk, le journal de rock le plus en vue a l'époque, à l'aide d'articles et d'annonces, a lancé la souscription. Herve Muller, l'un de leur principaux critiques, nous a beaucoup aidés. On a eu des réponses, les fans ont très vite envoyé de l'argent, chacun au niveau de ses moyens, un billet pré- acheté s'élèverait, aujourd'hui, au prix de cent francs, mais la source s'est rapidement tarie et l'argent accumulé n'a jamais permis d'engager le projet (pour la petite histoire, chaque souscripteur a été scrupuleusement remboursé) et Magma était reparti sur d'autres routes, pour d'autres concerts. Le projet a fait long feu et c'est dommage, le film aurait au minimum eu une valeur de témoignage, mais cela demandait une infrastructure technique et humaine beaucoup trop lourde, en comparaison des moyens nécessaires actuellement, le tournage autour du concert anniversaire le prouve.
Parallèlement, Golem continuait d'organiser des concerts, Klaus Schulze, en avril 76, à la salle Pleyel, le 8 juillet 1976, nous sommes fiers d'avoir fait venir Sun Ra and his Arkestra pour un concert à la Mutualité. Olivier, qui avait vécu enfant aux Etats Unis et était donc bilingue, fut envoyé à New York, pour les ramener. Pour l'anecdote, le bassiste de l'Arkestra, une armoire à glace, n'a jamais voulu laisser partir sa contrebasse en soute et ne l'a pas quittée du voyage. A peine sortis de l'avion nous avons traîné ces pauvres garçons probablement épuisés, au même "Pop Club", cite précédemment.A la rentrée scolaire 1976, nous avons eu l'opportunité d'avoir pour trois semaines, le Théâtre de la Renaissance, un vieux théâtre du XIXème siècle à l'italienne de 800 places, avec orchestre, balcons et fauteuils rouges à l'ancienne. Golem s'est engagé, malgré le délai très court entre la décision et la disponibilité, a constituer une programmation pour cette période d'une vingtaine de jours. Ce fut un échec financier en raison même de la brièveté du temps imparti à la promotion. Mais cela nous a permis de faire jouer Magma dans ce théâtre pendant dix jours a partir du samedi 23 octobre 76, précédé la veille d'un après-midi de répétition. Ce furent dix jours assez fabuleux, même si nous les avions vus très souvent auparavant en concerts et festivals, la rencontre de cette musique et de son public avec cette salle bonbonnière était assez anachronique. Ils ont joué Mekanïk Destruktïw Kommandöh et Köhntarkösz, ces grosses machines musicales, il y avait cet immense solo de basse électrique de Top en fin de première partie, si mes souvenirs sont bons, basses qu'il accordait comme un violoncelle, solo qui sortait soudainement de l'univers magmaïen pour rentrer dans un monde bruitiste. Il y a eu cette mémorable matinée du dimanche 24 octobre, où nous n'avons eu que 70 personnes dans la salle, chiffre que nous avons réussi à pousser jusqu'à 780 pour les meilleurs soirées, pour une moyenne de 400 personnes par soir, ce qui jusque là n'était pas si mal. Mais il nous restait dix jours de programmation à assurer, et c'est là que les problèmes ont commencé. Avec l'aide de Georges Letton et d'Hervé Muller, dans les petits bureaux du théâtre, nous sommes partis désespérément à la recherche d'artistes, ce qui a entraîné une programmation totalement baroque. Dans l'urgence et sans politique de programmation cohérente, nous sommes passés de la chanson à texte à la chanson folklorique, Tri Yann, groupe breton qui existe toujours, par exemple. On a eu Art Zoyd et pour les deux derniers soirs, cerise sur le gâteau, Henry Cow, pour lesquels nous n'avons eu que 280 personnes par soir, ce qui rétrospectivement parait peu, vu la dimension mythique qu'a pris ce groupe.
Patrick : Je me souviens très bien qu'à l'époque chaque musicien avait, sur scène, son fauteuil club et son lampadaire. Et ils ont refait la même installation, un peu plus tard au Théâtre des Champs Elysées, en compagnie de Robert Wyatt. Cela donnait un cadre, une atmosphère intimiste à la musique de ce groupe qui partait dans toutes les directions !
Philippe : tout cela nous laisse, bien sûr, de bons souvenirs, Magma, Art Zoyd et Henry Cow, ce n'est pas rien, mais financièrement, ce fut catastrophique, certains soirs nous n'avons trouvé personne à produire et les frais de structure, eux continuaient à courir, et ce fut notre chant du cygne. Golem s'est alors retiré sur ses bases, à la Celle Saint Cloud. Il y a eu un concert du groupe Zao, un de la chanteuse Nico en mai 77 que l'on attend toujours, la dame ne s'est jamais présentée au concert et nous avons dû rembourser 300 personnes, ce qui fut catastrophique pour nous et provoqua la fin de Golem. Parallèlement se profilaient les débuts du mouvement Punk, des désillusions politiques et l'entrée de ces groupes et de ses labels précédemment novateurs, comme Genesis ou Virgin, pour ne prendre qu'un exemple dans chaque domaine, dans le monde de l'argent, une année charnière en quelque sorte ! De cette époque, j'ai retrouvé une note sur un concert de Magma à Saint Quentin en Yvelines, le 19 février 1977, en grande banlieue : "Magma à Saint Quentin ? Nouvelle formation ? Bizarre, bizarre ? Décevant".
Patrick : Il me semble que le Magma de cette époque avait, à nos oreilles, une couleur plus jazz rock.
Philippe : Oui, c'est peut-être ça, après on a plus suivi Vander dans ses incursions jazz avec Offering. En 1983, j'avais alors monté une maison de production cinématographique avec des collègues, nous avions produit le premier court métrage de fiction, "Fric" d'Alain Thuillier, nous avons demandé à Vander de nous faire la musique, il a joué avec Albi Cullaz à la basse, Michel Grailler au piano et un saxophoniste dont je ne me souviens plus du nom, une variation sur le thème "Equinox" de John Coltrane, une musique assez belle. Alain doit encore avoir les bandes ou du moins une copie optique de la musique. On avait enregistré dans un petit studio de la banlieue parisienne, je me souviens de Vander arrivant dans sa Ferrari rouge, comme il se doit, râlant sur les risques qu'encourait sa voiture dans ces banlieues mal famées, cette Ferrari que l'on voit sur la pochette du disque "Fusion". On ne peut pas dire qu'il frimait, c'est un ferrariste pur et dur, prêt à manger des pommes de terre à longueur de mois pour pouvoir se l'offrir. Pour revenir à la musique, je me souviens de conversations passionnées sur la musique de Coltrane, sur certes l'aspect mystique, mais aussi sur le sincère investissement du musicien, ne pas l'avoir vu jouer en concert reste un des grands regrets de sa vie, Coltrane et Bartok restent deux influences majeurs que l'on sent dans sa musique. Pour rester dans le cinéma, avec mes amis Jean-Claude et Olivier, nous avions écrit, scénarisé et découpé un long métrage, il y avait un rôle pour Christian, un rôle de valet de ferme, le rôle principal aurait du être joué par Patrick Dewaere (acteur français très prometteur, ami de Depardieu et de sa stature, rapidement décédé d'une overdose). Christian était non seulement d'accord pour jouer, mais aussi pour faire la musique. Il avait déjà fait la musique du film Tristan et Iseult, le deuxième mouvement de Theusz Hamtaahk, une très belle musique pour un film assez consternant, une sorte de pré-clip. J'aurai aimé entendre ce qu'il aurait pu faire pour un film plus social, moins esthétisant et voir cet affrontement de personnalités, de gueules qu'aurait pu être le face à face Dewaere / Vander. Et une fois de plus, nous avons pêché par la finance.