MAGMA

KOBAÏA (1)

A la fin des années 60, un batteur issu du jazz et la soul, mais si étrange qu'on aurait pu le croire tombé d'une autre planète, crée Magma, un groupe qui joue une musique indéfinissable et raconte une odyssée métaphysique en une langue incompréhensible à aucun humain. Christian Vander, tel est le nom terrestre de ce messager, a assez d'énergie et de force de conviction pour rallier à sa cause quelques-uns des meilleurs musiciens de cette ère , au côtés du chanteur Klaus Blasquiz. La critique s'enthousiasme, le public aussi. Une pop-music française, qui ne soit pas une copie des modèles anglo-américains est donc possible.
Par la suite, des réticences se font jour, largement dues à des incompréhensions de l'aspect provocateur du groupe et de son leader qui ne ménage pas le public. Certains traitent Magma de fasciste. L'époque a changé. Dans un entretien serré avec Christian Victor, Claude Klaus Blasquiz, chanteur durant toute la décennie 70, revient sur toutes ces questions, explique et défend avec une passion toujours intacte la philosophie et la musique de Magma, qui a apporté au rock progressif mondial l'une de ses illustrations les plus originales. Indispensable pour comprendre le kobaïen ! Le groupe existe toujours et a fêté son trentenaire les 12, 13 et 14 mai 2000, au Trianon, à Paris.

KLAUS BLASQUIZ

Juke Box Magazine : As- tu vécu sur terre, avant Magma ?

- Klaus Blasquiz : Tout à fait. Je suis né à Paris dans le 17e, le 19 juin 1950. Je suis allé à l'école communale jusqu'à l'âge de treize ans à Fresnes, en banlieue sud, où nous avions déménagé, car mon père, qui travaillait au métro, était responsable sportif, et I'US Métro était à la Croix de Berny. Ensuite, après le collège, je ne suis pas allé au lycée, mais j'ai passé des concours d'entrée dans des écoles de dessin, et je suis allé aux Arts Appliqués que j'ai fréquentés jusqu'en 1970.

T'intéressais-tu à quelque chose en dehors du dessin : littérature, philosophie ... ?

- Oui, et encore maintenant. Mais je ne suis pas un littéraire, plutôt un technique. Je suis passionné par des sujets bien particuliers, par exemple pour le moment les microphones et, alors là, je vais chercher des informations pointues dans des livres ou revues. En littérature vraiment, j'étais plutôt attiré par l'écriture automatique, les fous furieux, Rimbaud, Verlaine.

Et la religion ?

- Plutôt que les religions, je me suis intéressé à l'étude des livres sacrés, à la Kabbale qui est la science de la Bible originale. Ça m'intriguait de savoir pourquoi un petit peuple de nomades, dans le désert, possédait une langue déjà très évoluée et un livre, une tradition, il y a très longtemps, l'Ancien Testament, dont le Nouveau Testament et le Coran sont des continuations, qui ont reconnu les prophètes. Sans m'attacher au dogme et au rite, ça m'a interpellé car nous sommes quand même dans une civilisation judéo-chrétienne. Alors d'où ça vient et quel est le message ? La langue hébraïque originale, l'araméen, est chiffrée, a une valeur numérique et, quand on la traduit en grec puis en latin, on ne fait plus que raconter une histoire, on ne donne plus cette valeur numérique, le sens originel. Je m'intéressais à ça très jeune, dès avant Magma.

As-tu une formation musicale ?

- Non, je suis autodidacte. J'avais le sentiment qu'il y avait une musique originale qui était créée dans une certaine réalité, dans un contexte, et les copies franchouillardes qui étaient faites sans comprendre l'essence de la musique, c'est-à-dire la pulsation rythmique, la justesse, l'harmonie et la vraie rébellion sociale, me paraissaient complètement ridicules.

BLUES CONVENTION

Et le rock anglo-américain ?

- Elvis Presley, il était un peu con comme Johnny Hallyday [commentaire facile qui n'engage que Klaus Blasquiz], mais il n'avait pas la connerie de la musique. C'était un chanteur fabuleux. Mais la première grande sensation que j'ai eue, c'est "I Saw Her Standing There "par les Beatles. J'ai entendu Doo doo doo doo doo, cette espèce de sauvagerie. Je suis vraiment venu à la musique par les Beatles, ce côté vocal qu'on n'avait plus, la mélodie, l'harmonie, le son, l'inventivité, le son du texte même si les paroles n'avaient pas beaucoup de sens.

Et tu as commencé à jouer ?

- Oui, dès 12/13 ans, je me suis retrouvé sur scène. Je chantais en yaourt, parce que mon anglais était approximatif, et Joël Daydé, qui habitait aussi Fresnes, m'accompagnait à la guitare. On jouait dans les MJC. C'était un peu n'importe quoi, mais j'avais déjà envie de la pousser. J'ai aussi bricolé de quelques instruments, mais je jouais aussi mal que les autres à l'époque, alors je n'ai pas insisté. Ce n'est que vers 35 ans que je m'y suis remis, à la basse et aux percussions. Tandis que le chant ça m'était vraiment naturel. Je n'ai jamais pris de cours mais j'en donne maintenant ! Il est vrai qu'au pays basque, dont ma famille est originaire, le chant est une tradition très établie, et quand nous y allions en vacances, en Traction, mes parents, mon frère et moi, nous chantions à quatre voix tout le long du trajet.

Blues Convention est le premier groupe connu auquel tu as participé ?

- Oui, pas forcément meilleur que les autres d'ailleurs. J'ai connu là Richard Pinhas à la guitare, qui venait du 16e, un milieu totalement différent de nous. Mais ce que j'aimais chez Richard, c'est qu'il avait un sens du son. Les gens jouaient du blues comme des balochards. Même s'ils étaient mieux en place, lui il avait compris ce qu'il fallait faire sonner et en plus il avait la Les Paul et tout le matériel adéquat. On a décidé de partir tous les deux parce que Blues Convention était nul, ils ne savaient pas jouer ce qu'on voulait. C'est moi qui ai trouvé le nom, avant ils s'appelaient autrement, c'était un orchestre qui faisait les mariages, les bals et qui jouait n'importe quoi. lis avaient dix ans de plus que moi. En plus, je m'étais acheté une petite sono Dupont avec mes sous et, quand j'ai voulu la récupérer, ils étaient quatre à m'attendre et je ne l'ai jamais revue, et eux non plus, depuis. Dans les disques de Blues Convention, il n'y a ni Richard ni moi. Puis, on a fait un groupe qui s'appelait Stuff .

Comment as-tu rencontré Magma ?

- La première fois que je les ai entendus, c'était lors d'une répétition de Stuff, au studio Delamare, vers 1968. On était au rez-de-chaussée et, depuis le studio en sous-sol, on entendait poum-poum-poum. Je me suis dis, tiens, il y a un batteur qui répète. En fait ils étaient dix à jouer mais on n'entendait que la grosse caisse. C'était Christian Vander. Je les trouvais très très mauvais. Il devait y avoir Zabu au chant, mais on ne l'entendait pas. J'ai dit à Vander, qui m'avait impressionné, qu'il devrait chercher un bon chanteur, sous-entendu moi je chante mieux. Il ne m'a pas donné de nouvelles. Et puis, un peu après, à un concert d'Alan Jack au Golf Drouot, je vois le groupe Omega Plus avec Marcel Engel à la batterie et Claude Engel à la guitare. Je trouvais Claude super, il faisait le blues vraiment comme il fallait avec le son, avec le groove, mieux que Richard Pinhas. Alan Jack me le présente après le set, et il me dit qu'il peut pas faire un groupe avec moi car il répète avec des mecs, mais m'invite à la répétition. Là je tombe sur des fous furieux. Il y avait le pianiste américain Eddy Rabin, Laurent Thibault à la basse, Zabu au chant. Je me dis, ouah ! ça c'est moderne! Je commençais à écouter Frank Zappa, du jazz, je ne voulais plus faire du blues, c'est ça que je voulais faire. Là ce n'était plus du baloche, c'était de la création. Mais il y avait déjà un chanteur, Zabu, très pris par ailleurs par ses activités de militant d'extrême-gauche. Il s'est retiré.

Comment se passait le contact avec Christian Vander ?

- C'était un personnage, un martien. Ce n'était pas un pote du coin de la rue, et ce n'est toujours pas un pote, c'était vraiment un martien. C'est quelqu'un qui a beaucoup souffert et souffre encore aujourd'hui du fait qu'on ne se soit pas occupé de lui pendant son enfance. Il était vraiment livré à lui-même. On lui donnait dix balles et une baguette pour une semaine. Sa mère était une chanteuse de jazz allumée. Par contre, il a été bercé dans le milieu du jazz, il a sauté sur les genoux d'Elvin Jones.

Et la musique de Magma, qu'avait-elle de si différent ?

- C'était le point de départ et non l'arrivée de quelque chose. Ça ouvrait les portes vers un univers, et l'histoire qu'on racontait c'était ça. C'était important cette histoire, ça nous aidait à nous accrocher. On partait comme des explorateurs, on disait il faut créer un univers. On avait des sentiments, des intuitions, on avait d'abord le besoin, le devoir, de ne plus faire du sous-rock, du yé-yé.

FUSION

Il y avait quand même des musiques que vous aimiez ?

- Christian était fou de John Coltrane. Moi j'écoutais plutôt Miles Davis, la fusion, le jazz binaire. Dès que j'ai commencé à chanter, j'avais la voix bien placée et forte, comme dans le chant traditionnel basque. Ce qui est important ce n'est pas la frime ou le texte mais le chant. C'est d'ailleurs ce qu'il fallait pour se faire entendre avec le matériel de l'époque. Dans un de mes premiers groupes, Blues Makers, le micro était branché sur l'ampli guitare. Donc, quand on a un son pourri à l'arrivée, il faut un son de base monstrueux pour que ça sorte. L'inverse ne marche pas, si tu as un son pourri au départ, même avec un super-micro à l'arrivée, t'auras de la variété française. Et tu n'auras pas de cohérence avec les musiciens. Alors que nous, nous considérions la voix comme un instrument de musique. Christian a accompagné Wilson Pickett et, comme moi, il aimait la soul. On écoutait aussi du classique, le groupe des Six avec Fauré, Debussy, Ravel, mais surtout la musique russe ou de l'Est, Stravinsky d'abord, Bartok, Borodine, Moussorgsky, Rimsky Korsakoff . On retrouve cette source dans certaines atmosphères chez Magma, mais ça se limite à ça, pour les formes et les figures on était plus proche du jazz, du funk. Le style de musique qu'on jouait, on peut l'appeler comme on veut, néoclassique, fusion, rock dévoyé, c'était Magma.

La mise au point du groupe a-t-elle été longue ?

- Assez, et pleine de péripéties. On est parti plusieurs mois dans une maison dans la vallée de Chevreuse entre fin 1969 et début 1970. Il y avait Francis Moze à la basse et Jacky Vidal à la contrebasse, François Faton Cahen au piano, Teddy Lasry aux cuivres et à la fin Richard Raux au saxo et Paco Charleri à la trompette. On avait eu la maison grâce à Karl Knutt, un pianiste classique très réputé qui était tombé amoureux de Christian. On habitait sur place. On se couchait à trois heures du matin et on était réveillé à sept heures par ceux qui travaillaient leurs instruments. On baignait à 1000 % de notre temps dans cette volonté de créer un nouvel univers, une nouvelle musique. C'était très intense.

LES KOBAÏENS SE PRÉPARENT

D'où venaient les musiciens ?

- Francis Moze était organiste, il avait passé l'audition comme pianiste, on lui a préféré Faton Cahen qui avait bien meilleur caractère. Mais quand on a voulu remplacer Laurent Thibault qui n'arrivait pas à assurer, il est revenu comme bassiste. Il en jouait au médiator comme un guitariste, il nous a soufflé. C'était un type à problèmes, incapable de discipline mais tellement doué, tellement musicien. Un félin. Il était tout de suite dans le coup et sans travailler, d'instinct, il faisait des trucs incroyables. Faton Cahen, Paco Charleri et Richard Raux étaient musiciens de jazz.

Qu 'est-ce que le kobaïen ?

- Ça découle du même désir de découverte, d'invention. C'était d'abord une langue musicale. D'instinct, Christian Vander voulait chanter dans cette langue. Il n'avait pas d'éducation, ni de notion de symbolique, de numérique. Il était inspiré par la mythologie germanique.

Et Uniweria Zekt ?

- C'était Christian et René Garber, le premier saxo de Magma, qui étaient à l'origine de ça. Il y avait le mot secte et le mot univers, c'est la tension entre les deux qui nous intéressait. Le mot secte n'avait pas la même lourdeur qu'aujourd'hui. Il s'agissait de réunir les bonnes volontés, pour créer des choses, des circuits, des lieux pour enseigner, éditer. Des gens comme Giraud, Jodorowsky étaient dans cette mouvance. Il y avait des atomes crochus entre eux et Magma, on a été très liés à cette période avec ces gens de la bande dessinée de science-fiction, Mézières, Druillet. J'ai fait moi-même des BD pour Actuel et j'ai enseigné la BD à la fac de Vincennes. Mais nous n'avions rien d'une secte. Magma, c'était la musique d'abord. Une secte, c'est un gourou et une pratique religieuse. Nous ce n'était pas du tout ça. On peut considérer que Christian était un gourou, mais musical, donc c'était un maître pas un gourou. C'est vrai qu'il y a des choses qui traînent, les vrais fans, on peut dire qu'ils sont toujours prêts à adhérer à une secte, et c'est vrai qu'il y avait parmi eux des gens pas très intéressants, sûrement proches des sectes. Mais, à ma connaissance, aucun des nombreux musiciens de Magma n'était proche des sectes, ni ne l'est devenu par la suite. Je me suis plutôt battu à l'époque pour éviter la politique dans le sens sectaire et les sectes dans le sens religieux. Même le bouddhisme qui est un humanisme et non une religion, s'il commence à chercher des adhérents, suit un mauvais chemin pour moi. Moi j'étais végétarien avant Magma et je le suis toujours. J'estimais que, concerné par le spirituel, je devais respecter le matériel, et que boire et bouffer n'importe quoi c'était en plus inefficace pour jouer notre musique. Beaucoup m'ont suivi dans le groupe, mais pas tous, on pouvait très bien être dans Magma sans être végétarien.

LA BOMBE POP

Et vous avez enregistré votre premier disque ?

- En avril 1970, on l'avait répété en long et en large, on n'a pas eu à faire de re-re. On a fait les prises, deux ou trois, les voix et terminé. C'était à Europa Sonor, rue de la Gaieté, l'ancien Week-End Club qui faisait studio la semaine. Jacky Vidal, notre contrebassiste, qui avait fait toutes les répétitions avec nous n'est pas sur les disques, ce n'était pas possible, on ne l'entendait pas. Ça a été déchirant. Laurent Thibault, l'ex-bassiste qui voulait rester dans l'aventure est devenu producteur et c'est par lui qu'on a obtenu un contrat chez Philips. On a passé des auditions et Lee Hallyday a craqué et nous a fait signer chez Philips. Mais il ne s'est pas du tout occupé de nous après. On faisait ce qu'on voulait. On était complètement inconnu et on avait signé pour un double album, pas en anglais pas en français. C'était un investissement assez lourd. Pourtant Philips ne comprenait rien à ce qu'on faisait. Ça nous a fait rire quand ils ont présenté "Kobaïa" comme la bombe pop. Ils ne nous ont pas beaucoup aidés. On était en licence, les producteurs c'étaient nous. On avait des avances de royalties avec lesquelles on achetait un camion, du matériel et on se débrouillait tout seul. Les maisons de disques, comme les éditeurs, c'est du racket, elles ne sont pas faites pour aider les artistes mais pour gérer des catalogues. Jamais un attaché de presse n'est venu nous écouter, même les disques je ne suis pas sûr qu'ils les écoutaient.

Les shows ont suivi ?

- Notre premier concert officiel, c'était à la Gaieté Lyrique, qui s'est appelée après le Théâtre de la Musique, puis le Carré Sylvia Monfort. Il y avait Moving Gelatine Plates et un autre groupe avec Alain Renaud en première partie. C'est Marcel Engel qui faisait la sono. On avait une console huit entrées, deux colonnes. On a fait aussi une télé le 19 juin 1970, le jour de mes 20 ans, Discorama avec Denise Glaser qui interviewait Christian qui faisait le martien, cherchait à échapper au cliché du groupe qui vient présenter son disque. Ensuite on n'a plus arrêté de tourner. On a fait l'Olympia en vedette, dès fin 1970. J'étais en robe de bure et les autres en peaux de bête déchirées. On est beaucoup passé au Golf Drouot et au Gibus. Teddy Lasry faisait des musiques pour le théâtre, et connaissait bien les gens du Café de la Gare et Ariane Mouchkine. On a donc joué là-bas, quelques soirs seulement parce que ça faisait trop de bruit, et à la Cartoucherie. C'est là que Coluche est venu nous voir et nous a proposé de nous mettre en scène. Je n'aimais pas trop ce qu'il faisait alors. Il n'était pas encore au point. Après, je suis devenu copain avec lui, quand je me suis rendu compte de la qualité de la personne.

GIORGIO GOMELSKY

Comment avez-vous été accueilli par la critique ?

- Plutôt bien. Dans chacun des journaux spécialisés qui existaient on avait au moins un vrai fan. Philippe Paringaux à Rock & Folk, Jean-Pierre Lentin à Actuel, Sacha Reins à Best. Yves Adrien a écrit son premier article sur nous. On était reconnu. Il y avait la qualité des musiciens, de l'exécution.

Et le public ?

- C'était pareil. Pour ceux qui ne nous connaissaient pas, c'était la surprise totale. On jouait des morceaux très longs, on ne disait rien, on ne caressait pas le public dans le sens du poil. On voulait les amener à partager tout le mystère, l'impalpable, l'immatériel de la musique, éveiller la conscience. On peut dire que l'univers est né de la vibration, du son. On touche la face de Dieu avec la musique, mais, directement, sans avoir appris la musique, c'est le message premier, c'est plus matériel que la matière. Quand on joue la musique avec ça comme principe, on va voir les gens pour partager. Une fois le concert terminé, on ne s'en allait pas. On discutait avec le public. On avait des choses à dire, ils en avaient à nous demander. Il est arrivé qu'on se produise pour dix personnes, on perdait de l'argent, mais, quand on revenait la deuxième fois, un des spectateurs qui avait adoré était devenu organisateur. On lui envoyait les affiches et il y avait 500 personnes, et la troisième fois il y en avait 1500. D'ailleurs, beaucoup de tourneurs qui font des tournées internationales aujourd'hui ont commencé avec Magma. C'est comme ça qu'en deux-trois ans on s'est fait un réseau qui est devenu Rock Pas Dégénéré.

L'organisation créée par Giorgio Gomelsky ?

- Et Georges Leton, l'un de ces gens qu'on avait rencontré dans le sud, qui était vraiment le tourneur. Il allait sur place réserver les hôtels, voir si le public, la presse étaient au courant, etc. On a fait les MJC, les centres culturels, mais aussi des endroits où il n ' y avait jamais eu de musique et surtout pas cette musique-là, des cours d'école, des hangars. Au départ c'était nous et Gong, les têtes d'affiche, mais ensuite des groupes comme Ange ont profité de ces lieux qui n'existaient pas avant. Giorgio Gomelsky était lui un fou furieux sur qui on ne pouvait pas compter, mais il avait été manager des Rolling Stones, des Yardbirds et on avait besoin d'un manager, on pensait qu'il pourrait nous apporter quelque chose. On est allé le voir et il a adoré Magma. On aimait bien l'idée du label Byg où il travaillait et à qui on est redevable d'avoir sorti certains disques à l'époque, d'avoir fait vivre des groupes. Mais on n'avait pas très confiance en Karakos le patron de Byg qui n'avait pas l'esprit très sain.

LA NEBULEUSE MAGMA

Qui était Loulou Sarkissian ?

- Notre premier fan. On l'avait connu à Chevreuse quand on répétait. Il travaillait dans un garage et venait nous voir très souvent, puis il est devenu notre road-manager. Il conduisait le camion, s'occupait du matériel. Il nous servait avec beaucoup d'affection. C'est lui qui faisait le son au début. Ensuite on a pris un spécialiste pour la sono.

Est-ce que vous fréquentiez d'autres groupes français de l'époque ?

- On avait des relations à titre individuel, mais pas plus que ça. On connaissait bien les gens de Gong et Nico qui tournait beaucoup avec nous. Elle était même dans le camion quand on a manqué un virage et qu'on s'est retrouvé dans un fossé dix mètres plus bas. Son harmonium a été endommagé. Un jour, Christian Decamps de Ange a dit dans une interview "Klaus, c'est une cathédrale", ça m'avait flatté, je l'appelle pour le remercier et il m'invite à un concert. La purge ! Je ne veux pas être méchant mais je n'aimais pas du tout ça. Et puis, il y avait quelques-uns qui faisaient du Magma. En fait plutôt des émanations comme Zao, Weidorje et Paga Group, la formation que j'ai montée avec Bernard Paganotti. Heldon de Richard Pinhas, c'était un autre univers. C'était à côté de la plaque comme nous, mais c'était un autre esprit. En fait, il y avait quelques groupes dans la mouvance, mais il n'y a pas eu le mouvement qu'on aurait pu espérer. Il est vrai que, nous-mêmes, on ne s'intéressait aux autres que quand on allait à la pêche aux musiciens. Des gens comme Benoît Widemann, Patrick Gauthier ou Didier Lockwood avaient 15 à 17 ans quand on les a recrutés et ils jouaient dans des groupes pas très connus qui se situaient dans notre mouvance et qu'on cannibalisait pour Magma.

Pourquoi tant de changements ?

- Les raisons étaient diverses. Il y avait les problèmes musicaux et ceux relationnels évidemment amplifiés par les tournées épuisantes.

Avant d'aborder la deuxième partie de la carrière de Magma, que sont devenus les anciens qui vous ont rejoint au fil des disques ?

- Presque tous sont encore dans la musique. Janik Top a beaucoup joué pour France Gall, pour "Starmania". Il a également été producteur de spectacles. Benoît Widemann est dans l'informatique. Teddy Lasry est toujours musicien mais il s'est aussi dirigé vers la religion, il doit être presque rabbin. Gabriel Federow, lui, est professeur. Et moi, j'ai écrit des articles pour Rock & Folk et, aujourd'hui, dans Sonovision, concernant le matériel et la technique. Dans Magma, c'était moi le responsable du matériel, j'achetais les baguettes de Christian Vander. En collaboration avec le Ministère de la Culture et les Musées de France, j'organise aussi des expositions temporaires, sur divers thèmes, les guitares électriques, les techniques d'enregistrement. J'ai réuni dans un local industriel, un maximum de matériel sonore et mon projet serait de créer un musée. J'ai même un concept architectural tout prêt. En attendant, je joue avec le groupe Maison Klaus avec lequel j'ai fêté mes 50 ans, le 19 juin 2000, au Cavern' Café.


MAGMA LES ANNEES 70 (2)

Christian Vander, nom terrestre de ce messager venu de la planète Kobaïa, en compagnie de Klaus Blasquiz, a su mettre toute sa conviction à l'élaboration d'une œuvre hors du commun. Pou cela, au fil des formations de magma, il réunit des musiciens exceptionnels comme Teddy Lasry, Claude Engel, Claude Olmos, François Faton Cahen, Janik Top, Bernard Paganotti, Didier Lockwood, etc. Tous créent une musique indéfinissable, servie par une langue totalement incompréhensible, racontant une odyssée métaphysique. Voici la deuxième partie de cette épopée.

L' aspect provocateur du groupe et de son leader Christian Vander entraîne des incompréhensions sur lesquelles Klaus Blasquiz, chanteur de Magma jusqu'à la fin des années 70, lève ici le voile. Il explique avec une passion intacte le contexte philosophique de leur musique, fer de lance d'un rock progressif ne devant rien ni aux Anglais ni aux Américains... mais aux Kobaïens!

1001° CENTIGRADES

On en arrive au deuxième album.

- "1001° Centigrades" devait s'intituler "Magma II" et c'était vraiment la suite du premier. On l'a enregistré au château d'Hérouville en avril 1971. L'ingénieur du son était Dominique Blanc-Francard. La musique était plus serrée, plus proche de ce qu'on voulait faire dans le premier. Il y avait un producteur, Roland Hilda, mais il est juste passé nous dire bonjour. Claude Engel était parti jouer avec Sylvie Vartan. Quand il nous a annoncé ça, je n'y croyais pas, je lui en ai voulu, pour moi il était tellement le guitariste de Magma. Paco Charleri et Richard Raux ont été remplacés par Louis Toesca qui avait 40 ans et avait accompagné Eddy Mitchell, tout comme Jeff Yoshko Seffer qui venait du jazz. Teddy Lasry jouait les saxos et arrangeait les cuivres. Un génie, il savait jouer de tout. Il n'avait pas de hautbois, il en a emprunté un pour Magma. Prodigieux ! On n'avait pas de guitariste. En fait, il y a deux grandes tendances dans la musique moderne, celle d'orchestre, le soul, le funk, le gospel, la fanfare qui a donné le jazz, et puis le blues, la chanson, le rock. Dans la première, le chanteur est dans le groupe, dans la seconde, le chanteur et la guitare sont très importants. Nous, on était dans le premier courant, jazz, funk. C'était du funk qu'on faisait, sauf que ce n'était pas toujours en quatre temps, mais c'était la pulsation d'abord. Qu'une guitare soit là ou pas. C'était d'abord le chant et la pulsation. C'est la musique, pas les instruments, qui doit donner des sensations. C'était évidemment satisfaisant pour nous de participer à cette magie. C'est en 1971 qu'on est passé pour la première fois au festival de Montreux. On avait à choisir entre jouer en matinée au casino où il n'y avait personne, ou en après-midi sur la pelouse, où les gens se faisaient bronzer. On a donc opté pour le plein air sous le soleil et ça a très bien marché. A l'automne, on a fait la fête de l'Humanité.

LES KOBAÏENS QUITTENT PHILIPS

Pourquoi avez-vous quitté Philips ?

- C'est Giorgio Gomelsky qui a négocié le changement. Je ne sais pas s'il y a ou rachat ou quoi. De toutes façons, Philips ne devait pas beaucoup tenir à nous, même si en 1972 est paru le simple inédit en album "Hamtaak" / "Tendeï Kobah". Quand on n 'a plus été chez eux, ils ont détruit les matrices. En fait ça s'est fait au mariage de Michel Magne à Hérouville où on jouait. Il y avait plein d'invités, beaucoup de musiciens dont le trompettiste Herb Alpert, le A de A&M, qui a adoré notre musique. On a donc signé chez lui, et c'était très intéressant pour nous car c'était un vrai label international. En France on était sur Vertigo, une sous-marque de Philips.

Et vous enregistrez le 45 tours "Mekanik Destruktiw Kommandöh" présenté par François Jouffa lors de Carré Bleu ?

- Oui, début 1973, avec une nouvelle équipe. A l'orgue il y a Jean-Luc Manderlier. Teddy Lasry est toujours aux cuivres avec René Garber à la clarinette basse. René était un musicien noir très fidèle à Christian depuis les premiers temps. Claude Olmos est à la guitare. Il s'est beaucoup impliqué dans Magma, trop même. Et après, Claude a tout lâché d'un coup, mais il aurait pu être Le guitariste de Magma. Et puis il y a Janik Top à la basse. Un génie. Avec "Mekanik Destruktiw Kommandöh", il y a une évolution. D'abord on ne faisait plus que la musique de Christian, et il a pu se laisser aller à faire des morceaux de 45 minutes. Il a toujours eu envie d'édifier une œuvre, il conçoit ce qu'il fait en trois parties et les met en relation entre elles. Je pense également que les musiciens de cette époque étaient plus impliqués que les précédents. Janik est quelqu'un de fabuleux. Dangereux aussi, mais il est entré dans Magma à 1000 %. Il est arrivé, on lui a donné les partitions, il les a mises au sol et les a jouées d'un bout à l'autre sans se planter. A jouer comme il jouait, il avait forcément l'esprit Magma. Avant, il était avec Troc, le groupe d'André Ceccarelli. La rythmique Janik / Dédé, c'était vraiment une merveille. Dédé est l'un des plus grands batteurs que je connaisse, il a toujours été en très bons termes avec Christian, malgré qu'on lui ait piqué son bassiste. Janik Top a créé un son, une manière de jouer la basse. Il est Premier prix de violon, directeur d'orchestre, agrégé de math, etc. En fait, il y a eu plusieurs versions de "Mekanik Destruktiw Kommandöh". Il y a la courte qui est sortie en 45 tours avec en face B "Klaus Kömbalad" qu'on ne trouve pas en album. Il y a une répétition au studio de l'Aquarium, en janvier 1973, pour un concert à Bordeaux, où il y ajuste les rythmes et les cœurs qui du fait prennent beaucoup d'importance. Dans celle-ci, ce n'est pas Janik mais Jean-Pierre Lambert qui est à la basse. Elle a été éditée plus tard sur un CD.

KOBAÏA AUX USA

Stella, chanteuse humoriste et contestataire des années 60 (Cf. " Le Folklore Auvergnat", voir JBM N° 144), est créditée dans les chœurs. Jouait-elle un rôle important dans Magma ?

- Oui, c'est la femme de Christian Vander. Elle tournait autour du groupe et puis elle est tombée amoureuse de Christian. D'abord, elle le faisait manger, c'est-à-dire qu'il vivait chez elle. Quand on n'avait pas d'argent, c'était elle qui gérait ça. Elle était musicienne, chanteuse, pendant des années, on la voyait mais elle ne chantait pas. Ensuite elle a fait les chœurs à partir de "Mekanik Destruktiw Kommandöh". Mais je ne veux pas m'étendre sur Stella Vander parce que, à mon avis, ce n'est pas le plus important. J'ai eu des problèmes avec elle, mais c'est vrai qu'elle a un rôle fondamental, elle avait sa place dans Magma et la tenait, avec volonté et hargne. Elle a apporté quelques chose au groupe et aussi des problèmes.

A la suite de ça, vous faîtes une tournée aux Etats-Unis ?

- Tournée est un bien grand mot. On a fait le festival de jazz de Newport, le Philharmonic Hall de New York et puis quelques petits concerts à New York. On n'avait plus de cuivres à l'époque mais Teddy Lasry était revenu pour l'occasion, et on a loué des musiciens sur place. On avait avec nous Randy et Michael Brecker aux trompettes et saxos et Bill Watruss au trombone. On n'avait jamais eu une section de cuivres comme ça. Vraiment des professionnels, ils savaient ce qu'était un son d'orchestre, un groove. Toujours en 1973, on est passé au festival de Reading. C'était énorme. Il y avait Nico, Ange. On a eu beaucoup de fans anglais grâce à Reading et aussi à la Roundhouse et au Marquée, à Londres. On a beaucoup tourné en Angleterre. On jouait parfois au fin fond des Highlands et des gens venaient en stop de Manchester pour nous voir. Ils nous suivaient. Je garde aussi un excellent souvenir du festival de Roskilde au Danemark, où il faisait très beau, c'était en 1976. Tout le monde était à poil.

Avez-vous eu des relations avec des musiciens célèbres ?

- Plutôt avec des gens dans notre mouvance comme Henry Cow, Hatfield & The North. On a très peu eu de contact avec les groupes allemands. Pour nous c'était trop le pétard, les synthétiseurs qui marchaient tout seuls, les rythmiques nulles. C'était trop différent de nous. On ne faisait pas de la musique planante. La drogue ce n'était pas notre truc. On a pourtant beaucoup tourné en Allemagne, en Hollande et en Scandinavie, mais encore plus en Angleterre. Moins en Italie et en Espagne.

KÖHNTARKÖSZ

Vous trouvez quand même le temps d'enregistrer " Köhntarkösz " ?

- C'était en mai 1974, au studio de Milou de la Tour, à la campagne, près de Valbonne. Il y avait alors dans le groupe Michel Graillier qui venait du jazz et Gérard Bikialo qui était un pianiste de bal et nous avait soufflés par son assise rythmique, sa solidité, sa facilité. Tous les deux aux claviers, c'était très bien. Ils étaient investis sur le plan musical plus que dans l'esprit. On a pris aussi, pour le disque seulement, un guitariste anglais, Brian Godding, un musicien intéressant mais un peu à côté. Dans cet album, Janik Top n'est pas arrivé pour jouer une œuvre existante, le disque a été créé avec lui. C'est le moment où la rythmique Vande r /Top donne sa plénitude. On ne l'entend pas tellement sur le 33 tours. Il y a des disques bis où on l'apprécie mieux. Un rouleau compresseur, cette rythmique.

Puis le groupe se sépare de nouveau ?

- Oui, on avait beaucoup de problèmes relationnels. Je crois que c'est à cause de cet album, qui est superbe, que Christian a cassé Magma en 1975-76. Sans raison. Il est un peu suicidaire, il pense qu'il faut souffrir pour que ça soit bien. Pour lui, s'il n'y a pas de problèmes, ça ne sonnera pas bien. Et c'est vrai que, quand on avait des problèmes avec Janik Top, ça collait bien. C'est pour ça qu'il a arrêté le groupe avec Bernard Paganotti. Ça sonnait bien, peut-être la meilleure formation qu'on ait eue, mais on n'avait plus de problèmes, on gagnait de l'argent, on commençait à vendre des disques. Christian se disait que, si ça allait trop bien, il n'allait pas retrouver son truc. Ensuite, fin 1976, on a refait un petit groupe qui a duré quelques mois avec Janik Top, Mickey Graillier, Gabriel Federow et Didier Lockwood. Mais ça ne pouvait pas revenir avec Janik. Entre lui et Christian, la communication, la vie quotidienne était trop difficile.

LES KOBAÏENS CAPTURES VIVANTS

Le groupe n 'est pas mort pour autant ?

- Non, on est reparti avec Didier Lockwood au violon, Jean-Pol Asseline et Benoît Widemann aux claviers, Gabriel Federow à la guitare et Bernard Paganotti à la basse. C'est cette formation qui a enregistré "Magma Live", en trois soirs à la Taverne de l'Olympia, au sous-sol de l'Olympia, début juin 1975. On avait le projet de le réaliser à la Roundhouse de Londres avec le mobile du Manoir où on avait fait "Mekanik Destruktiw Kommandöh". Il y a des bandes qui ont été enregistrées à la Roundhouse. Il est possible qu'elles soient sorties en CD d'ailleurs, mais je ne reçois pas les disques sur lesquels je chante... alors ! Ce disque est le premier à conseiller pour découvrir Magma. En studio, on a fait des erreurs de jeunesse, on n'a pas toujours ou les ingénieurs qu'il fallait, si bien qu'on a rarement atteint l'intensité des concerts. C'est l'album qui s'est le mieux vendu. Autour de 50 000 exemplaires, ce qui est énorme pour ce genre de musique.

Christian avait parfois des réactions violentes envers le public. On vous accusait de fascisme ?

- C'est arrivé très rarement. Et ce n'était jamais du fait de Christian ou du groupe. C'était toujours a priori. Des gens qui venaient et coupaient les fils de la sono. Ça eut lieu une fois à Poitiers, une autre fois à Nanterre où on se produisait dans un amphithéâtre bourré à craquer. Il y avait juste les frais à payer, 5 F. Les situationnistes se sont ramenés. Ils ont pété la tête du gars qui faisait l'entrée, pour passer sans payer, parce que pour eux la musique devait être gratuite, et ils ont bombé sur le tableau derrière nous "Les clowns sont sur scène, les veaux dans la salle, l'ordre pop n'est pas menacé". Typiquement situationniste. Une autre fois, on a eu un problème avec des ivrognes qui voulaient nous faire boire du pinard en jouant. Je me rappelle de ces trois fois, je ne crois pas qu'il y en ait eu beaucoup plus. Sinon, à chaque fois, on a rattrapé le coup, soit avec la musique, soit en discutant.

Mais quand Vander disait "Les gens qui ne ressentent pas la musique de Magma ne méritent pas de vivre" ?

- C'était au second degré. On peut nous regarder comme les héros d'une BD de science-fiction, on jouait des rôles, tout est représentation. On se disait, on a la haine, il faut qu'on choque. Comme le fait d'être en noir, de ne rien dire. On voulait prendre le contre-pied du flower power, tout le monde s'aime et tout ça, alors qu'en vérité personne ne s'aimait. La musique pour nous c'était la guerre, il fallait se battre, pas question de dire tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.

PIECES DIVERSES

Vous n'aviez aucun rapport avec l'extrême-gauche ?

- Bien sûr que si. On était humaniste. Mais des groupes comme Komintern faisaient de la politique et de la musique. Nous, on faisait de la musique universelle, de la musique d'abord. Mais on allait jouer devant les gens pour rien ou presque, ça c'est un esprit social. On ne faisait pas ça pour vendre des disques mais pour prêcher la bonne parole de la musique. On était en communauté, tout le monde gagnait la même chose. C'était l'esprit de 68. Un esprit révolutionnaire, mais pas comme les marxistes, situ et tout ça qui faisaient de la réaction, nous on faisait de la création. Ces histoires à propos du fascisme, c'était un malentendu, et monté par la presse. On avait pas mal de Juifs, Stella, Teddy Lasry, et de métis, René Garber, Janik Top, dans Magma. Difficile pour eux d'être fasciste. Non, notre musique n'était ni de droite ni de gauche, elle était kobaïenne, d'une autre planète.

Qu'en est-il de l'album "Tristan Et Iseult" ?

- On avait réalisé une maquette chez un éditeur qui avait un petit studio et Laurent Thibault a dû la faire écouter à un jeune cinéaste qui l'a utilisée directement pour un film qui est une horreur épouvantable. On est allé le voir, on est sorti avant la fin. Et, plus tard, en avril 1974, on en a fait un vrai disque sur lequel Magma est en formation réduite. Outre la batterie, Christian Vander (alias Zëbëhn Straïn Dë Geustaah) joue des claviers, Stella (Tauhd Zaïa) fait les chœurs et Janik Top (Wahrgenuhr Reugehlern Esteh) tient la basse et je suis au chant sous le nom de Klötsz Zaspïaahk. Dans la version du film, depuis diffusée en CD, c'est Jean-Pierre Lambert qui est à la basse. C'était juste après "Mekanik Destruktiw Kommandöh" et l'une des premières choses qu'a faite Janik Top, ainsi que les prémices de toutes les grandes œuvres à venir de Christian.

Il y eut aussi "24 Heures Seulement".

- C'était également un mauvais film. Une histoire d'amour qui se passait pendant les 24 Heures du Mans. On apparaît encore dans le film de Jean Yanne "Moi Y'En A Vouloir Des Sous". Au départ, ça devait être un gag, on devait faire un groupe minable qui faisait une messe pop. Au final, on a composé un morceau sur le champ, pour l'occasion. Sur la compilation "Puissance 13 + 2", il y a la première version de "Mekanïk Destruktiw Kommandöh". Laurent Thibault a créé son label, Thélème, et il voulait absolument faire du Magma et, comme on était sous contrat, on a enregistré un morceau sur ce double album où il y a également d'autres groupes. En 1972, on a également fait le 33 tours "Uniweria Zekt" sous le nom des Unnamables, pour Thélème, sur lequel il y a des thèmes qui n'étaient pas vraiment du Magma, plus jazzy ou plus rock. On était en petit comité, soit, autour de Christian et moi, Francis Moze à la basse, François Faton Cahen au piano, Teddy Lasry, Tito Puentes et Jeff Yoshko Seffer au cuivres.

KOBAÏENS FATIGUES

Et l'album "Inédits" en 1976.

- Christian et moi, on enregistrait tous les concerts, pour voir ce qu'on faisait et aussi pour garder des traces. J'ai des centaines de cassettes. On avait des chorus de basse, de batterie, on s'est dit on va sortir un LP chez Tapioca, c'est-à-dire chez Karakos. J'ai conçu la pochette, on a choisi les morceaux. C'était du live, des chorus, des choses totalement éphémères représentant diverses formations de Magma. Le son est médiocre bien sûr, car réalisé avec les moyens du bord, mais c'est Magma sur scène.

Le groupe repart au cours de l'année 1977.

- Oui, en décembre, on a enregistré un concert pour Antenne 2, sous le chapiteau de la Porte de Pantin, grâce à Antoine de Caunes qui nous aimait beaucoup et connaissait plein de gens à la télé. Il a été conseiller technique pour le film. Je n'aimais pas trop le Magma de cette époque, mais le document est intéressant. Il y a Benoît Widemann aux claviers, Jean de Antoni à la guitare et Guy Delacroix à la basse, tous deux avaient joué avec Alan Stivell. On a un deuxième batteur, Clément Bailly, et Christian Vander chante et joue du piano. Durant toute cette période, le groupe a une existence chaotique. Dès mai 76, quand on a enregistré le 33 tours "Üdü Wüdü" au studio de Milan à Paris, on n'existait plus vraiment. Bernard Paganotti et Janik Top étaient revenus spécialement pour l'album. Il y a trois claviers, Benoît Widemann qui joue les parties de synthétiseur, Mickey Graillier et Patrick Gauthier. On avait des cuivres extérieurs au groupe, Alain Hatot et Pierre Dutour. Ce n'est pas le premier disque à écouter pour quelqu'un qui ne connaît pas Magma. Il y a un morceau de Janik Top, "De Futura", qui est superbe, "Weidorje", composé par Bernard Paganotti, est très bien aussi, mais c'est un disque fait de bric et de broc, tout comme celui qui a suivi, à l'automne 1977, "Attahk", où Guy Delacroix est super à la basse. En fait, ces albums ne sont pas très représentatifs, ce ne sont pas réellement des disques de Magma. D'ailleurs ils ont été faits sur place. Christian a apporté les parties de piano et il fallait voir ce qu'on allait mettre après. Lui, il connaissait ses morceaux mais, nous, on ne les avait jamais répétés. Ça donne beaucoup d'improvisations de voix, ce qui n'est pas bon pour Magma.

Mais le groupe continuait d'exister ?

- Oui, mais je m'en rends mieux compte maintenant, ce n'était plus vraiment Magma. On essayait de trouver la formule, on avait des problèmes non de qualité, les musiciens étaient très bons, mais de cohésion. En trois ans, la quête sans fin pour retrouver quelque chose d'aussi fort que ce qu'on avait connu avec Janik Top ou Bernard Paganotti, avait prouvé qu'elle n'aboutirait pas. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai quitté le groupe. Et puis c'était très dur, on changeait de formule sans arrêt, pas d'argent, etc. Ça a quand même duré plus de dix ans pour moi.

Et 30 ans pour Christian Vander ?

- C'est vrai. Magma a célébré ses 30 ans en concert les 12, 13 et 14 mai 2000 au Trianon à Paris.
Pour cette occasion, tous les musiciens qui ont été dans le groupe ont enregistré des bouts de vidéo projetés avant les concerts.

Propos recueillis par Christian VICTOR
Juke Box n° 170 & 171 - Octobre et Novembre 2001

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