Christian Vander
L'énigme Magma...Un nouvel album, K.A (Köhntarkösz Anteria), et un Olympia cet hiver à guichets fermés : trente-cinq ans après sa création, Magma revient dans la lumière. Comète inclassable d'une musique singulière et habitée, rôdant aux frontières d'un jazz secoué de fulgurances rythmiques et d'envolées vocales surréelles. Rencontre avec son maître des sons, l'énigmatique batteur et chanteur Christian Vander.
Christian Vander a 21 ans lorsqu'il crée Magma, en 1969 : la concrétisation d'un rêve d'absolu musical pour le jeune homme aux yeux de braise, foudroyé à 13 ans par la découverte de My favorite things – un album du saxophoniste John Coltrane : « Pour la première fois sur les disques de jazz – mais était-ce encore du jazz ? - on entendait un morceau de plus de treize minutes... alors que jusque-là les thèmes n'étaient pas exploités au-delà de quatre minutes ; j'étais sidéré par cette musique qui me semblait infinie et dont j'aurais voulu qu'elle ne se termine jamais. J'ai tout de suite pensé : c'est ça la voie ; composer et aller au bout. »
Christian Vander a de qui tenir puisqu'il est le fils du pianiste Maurice Vander qui fut, entre autres, l'un des compagnons préférés de Claude Nougaro.Et c'est Chet Baker, un ami de la maison, qui lui offre sa première batterie. Toutes antennes dehors, il écoute aussi Prokofiev, Wagner, Stravinsky, Bach, du rythm'n'blues, Bartok et Carl Orff. Un vaste paysage sonore dont il se nourrit pour mieux bâtir son propre projet. Pour la petite histoire on retiendra qu'avant Magma, la grande aventure de sa vie, Vander fit partie de groupes aux noms déjà « autres » : les Wurdalaks et les Cruciferius Lobonz, notamment.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que les premiers spectacles de cette Uniweria Zekt Magma Composedra Arguezdra – qui, quelques mois plus tard, deviendra Magma – secouent les foules. Il faut dire que la dominante d'alors est plutôt babacool et doucement planante. Christian Vander et les chiens fous de sa meute initiale – Laurent Thibault (claviers), Francis Moze (basse), Zabu (chant), Claude Engel (guitare), Klaus Blasquiz (chant), Richard Raux (saxo), Jacky Vidal (basse), René Garber (saxo) et François Cahen (piano) – font carrément peur à certains, tellement l'énergie/violence qui se dégage de leur musique est inconfortable. Dans Rock & Folk, Philippe Paringaux parle de « voyage halluciné et hagard ».
Inclassable et intemporel
C'est en 1970 que paraît l'éponyme Magma, un double vinyle qui pose le genre. Suivront 1001° centigrades, en 1971 et surtout la fameuse trilogie composée de Mekanïk Destrüktiw Kommandöh (1973), Kôhntarkösz (1974) et Udu Wudu (1976). Les concerts de Magma atteignent alors une intensité exceptionnelle. Les spectateurs sont de plus en plus nombreux... Mais la tension monte autour du groupe où la ronde des musiciens (Didier Lockwood et Jannick Top seront notamment de la fête) n'arrête pas. Ce qu'aujourd'hui Christian Vander explique ainsi « Pour les groupes du début, surtout, il ne faut pas oublier l'usure. On faisait des centaines de kilomètres pour aller jouer dans les MJC. Parfois, il fallait se contenter d'un sandwich, l'organisateur n'ayant rien prévu. Il nous est arrivé, également, de dormir dans ou sous le camion... faute d'hébergement. Ça fatigue les plus solides ! »
Dans la première moitié des années 70, Magma est à son zénith. Lorsqu'on lui cite une déclaration qu'il fit alors (« Lorsque je mets une pêche sur une cymbale, j'ai comme l'impression de tuer la personne qui est en face de moi »), Christian Vander sourit : « C'est vrai que j'ai dit ça. Mais à cette époque, on était sans cesse agressés sur l'image qu'on renvoyait. Par exemple, au lieu d'écouter notre musique, et de chercher à comprendre en quoi elle était différente, les gens nous demandaient pourquoi on s'habillait en noir ! Or, pour moi, le noir, était un signe de silence et de concentration... Sur scène, pour éviter que les gens focalisent sur les chaussettes jaunes du bassiste, on avait très peu de lumière : un spot vert pour la première partie, un rouge la seconde ou vice-versa, c'est tout. Et puis j'avais encore John Coltrane plein la tête. A l'écoute de sa musique, il m'arrivait d'imaginer qu'il jouait dans le noir. Jusqu'à ce que je lise qu'un photographe raconte qu'avant sa mort ce n'était pas facile de prendre des images de lui. Il fallait attendre qu'il se mette dans un coin de la scène et qu'il allume son cigare pour arriver à tirer une photo ! Je ne me trompais donc pas... Cette sorte de recueillement s'entendait dans sa musique. »
Extraterrestres
La volonté d' « embrigadement » qu'on lui prêtait alors ? Christian Vander balaye la remarque : « On inquiétait... parce qu'on n'était pas conformes, pas formatés. On avait l'air vivant, quoi. Tiens, ils ne sont pas morts, ceux-là ? Ils lèvent la tête ? (rire) Sûr que ça faisait désordre en ce temps de « Peace and love, tout va bien, mec ». En plus, je crois que, dans le groupe, certains ont trop parlé, fait des déclarations qui ont entretenu l'ambiguïté. On n'a jamais intérêt à vouloir trop expliquer les choses... »
En 1976, la machine Magma est sur orbite internationale. Les USA, notamment, sont mûrs pour accueillir ce groupe d'extraterrestres... Soupir de Christian Vander : « Tous les ingrédients étaient là. Une grande tournée, qui aurait dû être le couronnement de notre boulot, était prévue... Crevé, j'ai plongé dans la déprime ! Je ne réagissais plus. Je regardais les spectateurs comme des fantômes. J'ai tout laissé en plan et suis rentré à la maison... En plus, il se trouve qu'en 1976 le groupe n'était plus à son optimum et que le star-system nous guettait alors que je n'en voulais pas. Les lumières s'allumaient à peine dans la salle que les gens applaudissaient ; comme si cétait gagné d'avance. Ils avaient perdu l'esprit critique et ça me minait. »
Magma aurait pu sombrer dans la tourmente. Malgrè plusieurs éclipses, malgrè les chemins parallèles explorés par Christian, il a régulièrement refait surface, toujours aussi inclassable et intemporel. C'est Bernard, un ami de Vander, qui est à l'origine de la énième reformation : « Il y a sept ou huit ans, il m'a dit : si je te trouve une série de concerts, est-ce que tu es prêt à reprendre la route ? Il en a déniché une quinzaine. J'étais au pied du mur. Depuis trois ans, le groupe sonne vraiment bien ; comme un seul homme, je dirais. Il est digne des meilleurs qui ont existé auparavant... Pourquoi avoir eu envie d'enregistrer un nouvel album studio, alors qu'il n'y en avait pas eu depuis vingt ans ? Parce que des amis auxquels j'ai fait écouter les bandes de K.A m'y ont poussé. Ce thème n'est pas nouveau puisqu'il remonte à 1972. Je l'ai composé entre Mekanïk Destrüktiv Kommandöh et Köhntarkösz. Il était resté dans les tiroirs. Avec l'aide de mon guitariste, James Mac Gaw, et de mon bassiste, Philippe Bussonnet, j'ai reconstitué le morceau dans sa forme originelle. Je l'avais alors trouvé décousu, mais après analyse, je pense qu'il s'est bonifié avec le temps. C'est une pièce-charnière que l'on a agrémentée en multipliant les voix et en changeant les tessitures, mais à la structure de laquelle on n'a pas touché. »
Dans le livret de cet album, Christian Vander a tenu à glisser les paroles des trois parties qui forment K.A (voir le site www.seventhrecords.com). Une suite d'onomatopées empruntées au très obscur « Kobaïen », la langue – imaginaire – dans laquelle s'exprime Magma depuis ses débuts : « Je me suis dit : si les gens ont envie de chanter, autant qu'ils aient les bonnes paroles. Les bons sons, plutôt. Encore que quelquefois, à force de les répéter, dans certaines circonstances, j'arrive à leur donner un sens, voire plusieurs par mot. De toute façon, ce n'est pas un langage fini puisque, dès que je compose quelque chose de neuf, d'autres sons arrivent, parallèlement à la musique. »
Un récepteur
Après l'odysée de K.A, Christian Vander compte s'attaquer à la « reconstitution » d'un autre thème, en sommeil depuis 1975. Histoire de donner cohérence à ce qui de toute évidence forme une œuvre. « Je ne compose jamais pour composer. Surtout la musique de Magma, que j'appelle la musique zeül. Car c'est une musique que je ne décide pas. Il faut que je sois disponible pour la recevoir, afin de la restituer au mieux. Parfois, elle jaillit d'un seul tenant. Parfois, il y a un trou que j'ai du mal à combler. En réécoutant ce que j'ai noté, il m'arrive de ne pas comprendre et d'avoir à revenir dessus des mois ou des années plus tard. Je me considère comme un récepteur. »
A 57 ans, le feu qui couve dans le regard de Christian Vander s'est un apaisé. Mais le guerrier n'a pas baissé les bras : « L'aventure de Magma reste un combat. Physique, mais aussi très intérieur. Une manière de se remplir. Un travail sur l'esprit. Sur l'en-delà. L'esprit qui dérive en l'esprit. Les deux sont totalement liées... A moi de m'exposer suffisamment, sans pour autant aller au désastre, pour me mettre au diapason de la musique. Plus j'évolue en musique et mieux j'évolue dans mon existence. Ne serait-ce que dans la manière de marcher, de poser un verre. Question de conscience permanente. Conscience de tout et du tout. (Sourire) On peut appeler ça une ascèse, oui. L'important est de se tenir prêt à chaque instant. » Parole de Zebëhn, le pseudo de Christian au sein de la tribu.
Source : Chorus n° 51 - Printemps 2005 - Jean Théfaine
Zeuhl Merci : Alain Juliac - Olivier Jouan - Fabrice Journo