Conférence à Carmaux le 4 Février 2005

Christian Vander, Stella, James Mac Gaw et Michel Besset


Michel Besset (Animateur) : On pourrait peut-être, pour commencer, rappeler un petit peu les origines du groupe : quand est-ce qu’il est né, de quoi il est issu aussi parce que je crois qu’il y avait quelque chose avant Magma… peut-être que Christian pourrait commencer comme ça…

Christian Vander : Le groupe a été conçu, si on peut dire, en hiver 1969. Mais il faut dire qu’il a été enfanté dans la douleur, aussi. Parce que c’est à la suite de la perte cruelle de John Coltrane qu’est née finalement l’aventure Magma. Parce que John Coltrane est parti en 1967. C’était un peu la personne qui guidait mes pas... à chaque instant... pour les meilleurs moments, le bonheur je dirais, et puis surtout pas mal de douleurs aussi. Donc, il m’a aidé, pendant des années. Puis le 17 juillet 1967, il est parti… comme il est venu. Une étoile filante. Et… ça a été pour moi dramatique. J’ai même pensé euh… quitter cette Terre si on peut dire, ou en tous cas, cet espace… et partir quelque part dans l’Univers, à sa poursuite. Donc je peux dire que j’ai fait le deuil de John Coltrane pendant près de deux ans. Et un matin, j’étais à Turin, c’est-à-dire… ça pouvait être n’importe où faut dire, en Italie, j’ai eu comme une sorte de révélation. La ville était comme illuminée. Je ne savais même pas ce qui m’arrivait. Je suis allé dans une pharmacie. J’ai dit « écoutez, je ne me sens pas très bien… et je ne sais pas pourquoi ». On m’a dit « attendez-nous là cinq instants… cinq moments… je ne sais pas… je vais chercher vos cachets ». Et puis finalement non, je me suis relevé, je suis allé vers la gare. J’ai quitté l’Italie, comme j’y étais allé. Et je me suis dit « non, John Coltrane n’a pas fait ça pour se laisser mourir de cette manière ». Donc, c’était une seconde naissance à la fois. Et sans savoir pourquoi donc, je suis rentré à Paris. Et là, tout s’est imbriqué naturellement. J’ai rencontré des musiciens. Je ne savais pas pourquoi j’étais rentré. (Soupir)… J’ai pas tout dit hein !...

MB : Ça c’est Magma… mais avant Magma ?

Christian Vander : C’était avant Magma ça… encore avant. Et bon je suis parti avec des musiciens, bon il y a eu beaucoup de choses entre temps, mais enfon bon… j’ai fait une tournée. J’étais engagé par un groupe pour faire une tournée sur la Côte d’Opale, une tournée des casinos. Et on n’avait pas de nom, je ne sais plus trop bien… tu te souviens peut-être du nom qu’on avait, non ?... (rires) … (intervention d’une personne de l’assemblée) … Voilà, il y avait sur les affiches « avec le formidable Vander ». Et un jour, je me suis retrouvé sur une plage… bon, on avait été certainement virés du casino parce qu’on faisait une musique un petit peu trop violente pour les gars qui buvaient leur petite coupe, tranquilles, de champagne. Et un gars était à côté de moi avec une guitare sèche, acoustique. Je lui ai demandé s’il pouvait me la prêter. J’ai fait trois accords, sur la plage. Je ne savais pas jouer de guitare. Et une mélodie est née, spontanément… c’est-à-dire « Kobaïa ». Enfin les premiers mots étaient « Kobaïa ». C’est de là que vient d’ailleurs le nom « Kobaïa ». Ça va là ?

Michel Besset : Oui, ça va !

Christian Vander : Ça va pour l’instant, voilà.

Michel Besset : (s’adressant à l’assemblée)… Par rapport à ces origines, vous avez quelques questions ?

Intervenant 1 : J’ai vu sur Muséa qu’il y avait un album avec tous les musiciens de Magma, mais c’est un nom américain, « The Unnamables ». Est-ce que cet album a été fait avant Magma ?

Christian Vander : Non, il a été fait, je crois, en 1971. Un an après la sortie du premier album Magma, à peu près ou dans cette période. « Les innommables ». Pourquoi on l’a fait ? C’est Laurent qui nous l’a demandé, Laurent Thibault. Il s’était occupé à une époque du groupe Magma. Et puis il y avait pas mal d’amis qui travaillaient dedans, notamment le chanteur Lionel Ledissez. Donc on a fait un disque d’amis… amical.
Stella Vander : Oui, parce que Laurent Thibault, qui avait été le tout premier manager de Magma, créait son label.

Michel Besset : Pour la rencontre justement avec tous ces musiciens qui sont passés dans Magma, ça s’est fait naturellement aussi ?... De Jannick à… Jannick évoluait dans quel univers avant Magma ?

Christian Vander : Je ne sais pas trop…

Michel Besset : Ça va peut-être un peu trop vite ceci dit ?

Christian Vander : Non... On parlait du début de Magma, c’est vrai que… bon Stella pourrait peut-être m’aider à un moment… Tous les musiciens à Paris se plaignaient parce qu’il ne se passait rien, ils en avaient marre d’accompagner des vedettes comme on disait, faire de la variété, le travail en studio… « il ne se passe rien dans ce pays, il faut faire quelque chose ». Et un soir, on a organisé une rencontre de musiciens, dans un club. Tout le monde était prêt à partir sur une aventure, peut-être. Il y avait une vingtaine de musiciens de pointe, de la place de Paris. Finalement, au bout d’une demi-heure, il ne se passait strictement rien. Les gens buvaient leur petit verre de vin en discutaillant, en faisant des petits groupes déjà, à droite à gauche. J’étais au milieu. Bon, j’avoue que je m’ennuyais, sérieusement. Au bout d’un moment, comme il ne se passait strictement rien, je suis monté sur la table et j’ai dit : « Vous êtes tous des cons ! ». Et là tout le monde me dit : « Qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que tu nous veux ? ». Et j’ai dit : « On était là pour parler… finalement… » « Oui, mais de quoi ? »… Il fallait les réveiller encore une fois. J’ai proposé aux gens de monter un groupe, qui n’avait pas de nom. Partir à l’aventure. Tout le monde était OK…. on a juste eu le droit à un petit détail : « Ouais, c’est super, c’est une belle idée, on va faire un groupe, on va partir… mais, c’est payé combien ? ». « C’est pas payé voyons. On commence… il n’y a rien. Même pas de producteur. L’aventure ». Et là, plus personne n’était d’accord. Il y avait d’excellents musiciens…
« Comment vais-je faire ? »
Et finalement, pendant cet été 1969, quelque temps auparavant, j’avais joué avec Francis Moze qui à ce moment-là était plutôt organiste. Et de temps à autre, après le peu de concerts qu’on avait faits, on se retrouvait tous les deux à faire le bœuf, c’est-à-dire à jouer ensemble. Lui jouait un peu de guitare et moi je jouais la batterie. Et il comprenait bien mon jeu de batterie qui à l’époque était, bon je dirais, plutôt nouveau. A la grosse caisse, jouer des contretemps plutôt que de jouer les temps forts. Et en général, tous les bassistes se mettaient à l’envers, croyant que je jouais le temps fort alors que c’était un contretemps. Et Francis Moze comprenait très bien toutes ces syncopes. Donc on passait un moment à jouer… un genre de bossa-nova, comme on disait à l’époque, qui dégénérait en un espèce de bœuf rythmique. On pouvait partir dans tous les sens. Donc j’avais repéré d’une certaine manière Francis Moze, mais… quand on a monté le groupe, François Cahen avait appris que je jouais dans un club de jazz. Il était venu me voir et il m’a dit : « Je suis pianiste. Moi aussi j’ai envie de faire quelque chose. J’ai entendu dire que tu voulais faire un groupe ». J’ai dit : « Ok, passe demain matin à 10h à la maison faire une répétition. Alors François Cahen a brassé le piano de haut en bas trois, quatre fois. Je lui ai demandé : « non écoute, ce n’est pas si compliqué, tu peux jouer les accords de Aïna, juste les accords, rythmiquement ». Bon, ça semblait aller. Je dis : « Ok, pas de problème ».
Et quant au bassiste, j’ai pensé à Francis Moze. Je me suis dit après tout, s’il comprend bien les choses rythmiquement, il n’y a pas de problème, il doit pouvoir jouer de la basse. Il m’a dit : « Pourquoi pas ? ». Et bien après, quand on a fait le premier concert Magma, beaucoup des musiciens qui n’étaient pas entrés dans le groupe à cette fameuse soirée, qui en fait avaient refusé, m’ont demandé : « mais qui c’est ce bassiste !? ». Ils l’avaient trouvé extraordinaire. Et je dis : « Francis Moze ». Mais je ne leur ai par contre jamais dit qu’il n’avait jamais joué de basse auparavant.
Enfin entre autres… après ça, les musiciens… Klaus, alors là c’est encore une autre anecdote, mais c’est long… En fait, bon… Klaus… On avait un chanteur au début de Magma, qui était un gars bien gentil mais hélas n’avait pas un sens du rythme extraordinaire, et c’était un peu compliqué. On devait faire une maquette, la première maquette de Kobaïa et le chanteur, ce chanteur, était absent. Donc on a joué uniquement la rythmique, plus une section de cuivres, qui étaient des amis passés pour l’occasion. Et à la réécoute des bandes, j’entendais une voix, au fond, qui n’était pas prévue, qui chantait la mélodie de Kobaïa, mais… juste, et avec une ambiance incroyable . Et je demande à un copain à moi qui était là, Stühnder, René Garber : « qu’est-ce que c’est que cette voix qu’on entend au fond ? ». Il me dit : « mais c’est Klaus »… Klaus Blasquiz. Et en fait il était derrière le piano, il chantait pour lui et il avait été repris par les micros piano. C’est de cette manière-là que j’ai entendu sa voix. Parce que Klaus m’avait été présenté quelque temps auparavant et j’avais été discuter avec lui. On m’avait dit « oui, c’est un super chanteur etc… ». Or là, il n’avait pas chanté dans le café, il m’avait raconté des blagues. Il avait sorti un espèce de carnet de blagues, et il m’a raconté ses blagues. Je les ai trouvées tellement pas drôles que j’ai dit : « non, ce gars ne peut pas rentrer dans le groupe ! »… et en fait… Bon bref, il a fallu ce…

Intervenant 2 : Klaus Blasquiz fait partie de Magma. J’étais à l’Olympia il y a huit jours.

Christian Vander : Oui, toujours !

Intervenant 2 : Ça, c’était beau !... Sympa ! Merci !
Moi, j’ai un petit message à vous délivrer. Je peux peut-être continuer, comme ça, ça vous fera une petite pause. Si la recherche du Cri est votre voie, c’est aussi la mienne. Depuis la nuit des temps. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais, vous avez été toujours là. Merci à vous, humblement, de votre présence, de votre offrande. Aux intacts. Si c’est un relais que vous avez tenté de me passer, je le reçois volontiers. Je vous aime. To be continued, to be transformed. Merci.

Christian Vander : Merci.

Intervenant 3 (mon ami Patrick) : Moi, je voudrais faire une petite remarque. Au niveau du groupe, on parle de Klaus, on parle des anciens musiciens. Bon moi, ça fait quelques années que je suis le groupe, et j’en suis très heureux. Ce que je peux dire, c’est que le groupe actuel… bon, il y a James qui est là… moi je trouve que c’est un groupe qui est fabuleux. Les autres groupes étaient bons aussi hein ! Loin de là !... Mais je veux dire, je n’ai pas du tout la nostalgie des vieux groupes anciens. Moi, ce que je vois sur scène, je vois quelque chose qui se passe. On a souvent reproché à Magma une certaine froideur, du moins au début. Et moi, ça, je ne le ressens absolument plus. Je vois des musiciens qui ont l’air de se connaître, de s’amuser, et surtout qui nous font plaisir. Je voudrais le dire pour les jeunes. Qu’ils n’aient aucun complexe, parce que vraiment, il n’y a pas à en avoir. Enfin, c’est mon avis… et je ne suis pas Christian ! Enfin, je veux dire que le groupe actuel, c’est fabuleux ce que vous faites !

(James MacGaw intervient et lui tend un billet)… Rires

Intervenant 3 : Oui, euh… tout à l’heure ! Philippe doit me donner pareil aussi !... Non mais je ne sais pas ce que tu en penses Christian. Enfin… je crois savoir, il n’y a qu’à te voir jouer avec eux…

Christian Vander : Ah bah oui ! Oui oui !

Intervenant 3 : Ça faisait longtemps qu’on ne sentait pas cette communion, c’est intense quoi !

Christian Vander : Pour moi c’est pareil.

Intervenant 3 : Et nous, ce que je veux dire c’est que, c’est que nous, en tant que spectateurs, en tant que public, on le ressent. Ça fait plaisir de vous voir !

Christian Vander : Oui, et puis le groupe évolue de jour en jour. Ce qui veut dire que c’est vraiment un groupe. On avance comme un seul homme. Ce qui n’est pas arrivé depuis très longtemps.

Intervenant 4 : Quand vous parlez des premières années, des années 67, 69, est-ce que déjà, avant la création, vous aviez le désir de faire quelque chose d’aussi atypique, d’aussi original ?

Christian Vander : Non.

Intervenant 4 : Vous vous situiez par rapport à ce qui se faisait autour à ce moment-là ? Ou c’était vraiment "je fais ce que j’ai envie…"

Christian Vander : Non, moi j’avoue, jusqu’à… toujours d’ailleurs… après encore… J’écoutais John Coltrane. Pour moi, c’était le musicien le plus important. J’ai eu la chance de le découvrir très jeune, grâce à ma mère. Je l’ai découvert dans le milieu des années 50, avec Miles Davis. Elle m’a dit « écoute le son de ce gars-là ». Et puis, sans savoir que ça allait nous amener dans une aventure pareille. Comme je l’ai dit, c’est vrai que je suivais à peu près l’évolution ou la progression de tous ces musiciens, qu’on écoutait tous à l’époque : que ce soit Miles, Cannonball, enfin tous ces gens du jazz. Et soudainement, John Coltrane s’est quelque part détaché. Il semblait raconter quelque chose. Il m’emmenait dans sa chose. Il devenait indispensable pour ma vie. Progressivement j’écoutais moins, j’avais moins le temps, je baignais dans cette musique-là. Quand il est parti, c’est sûr, c’était le trou noir… tout s’effondrait. Après… bon, il avait ouvert tellement de voies, tellement de choses. Bien des musiciens s’y sont engouffrés. C’était la porte ouverte bien sûr au free-jazz… mais aussi la porte ouverte à n’importe quoi. Et on sentait vraiment des musiciens qui n’avaient pas vraiment la compétence de ce qu’on appelle vraiment un musicien digne de ce nom, plonger dans cette chose et jouer n’importe quoi. Ca (fait des bruitages et chantonne), ça c’était de la musique. C’est en écoutant un jour un orchestre de Noirs-Américains répéter dans un club de jazz, de musiciens free, et soudainement avoir une petite mise en place à jouer de quelques mesures, d’une simplicité dingue (chante une phrase musicale) et ne pas pouvoir le mettre en place pendant au moins une demi-heure, que je me suis dit quand même : « escroc, es-tu là ? ». Donc, ce que je voulais dire par là, c’est qu’on n’est pas tombé dans le piège du free. Au contraire. Tout ça s’est effectué naturellement. Il n’était pas question d’essayer de toucher à la musique de John, qui avait été faite, et bien faite. Et à la fois, quelque chose venait. Moi j’ai toujours dit : je suis plutôt récepteur et aussi, je compose mes manques. Donc, des choses me manquaient musicalement. Il y a tellement de choses, comme je dis, à écouter dans le Monde. Mais, il y a des choses que je n’entendais pas. Ces choses-là, j’essayais de les composer, ou plutôt elles venaient en moi. J’avais en tous cas l’impression que c’était différent, ou nouveau. Et on a commencé presque par des tempos de marche, je dirais… ce qui m’a semblé au début étonnant. Mais en réalité, ces tempos nous amenaient véritablement à saisir ce qu’était un temps fort, pour qu’un jour naisse à nouveau une syncope, et la vivre véritablement soi-même, plutôt qu’au travers des cahiers de musique où on pourrait lire des syncopes, des doubles, des triples-croches mais sans les vivre intérieurement, vraiment les sentir au fond de soi. On a évolué progressivement de cette manière. Et la musique aussi, certainement.

Intervenant 5 : L’identité Magma. Je dirais tout ce qui relève du symbolique, au-delà de l’aspect purement musical. C’est quelque chose qui est existait aussi avant, en vous ? Ou est-ce que ça s’est construit ?

Christian Vander : On sentait que c’était quelque chose de différent. Mais ça, pourquoi ? Peut-être que c’est, en effet, ancien, ancien.

Intervenant 5 : Et vous pensez que des groupes d’aujourd’hui pourrait avoir la même audace pour créer quelque chose d’aussi extraordinaire ?

Christian Vander : Moi, je pense que oui. Il faut simplement… Bon, moi j’avais évidemment des exemples évidents: John Coltrane laissait un chemin d’une clarté… enfin, c’était limpide son histoire, d’une certaine manière. Chaque disque était une aventure. Chaque disque lui-même était un climat. Il y avait une ambiance dans chaque disque. Il y avait une tenue, il y avait… C’était un véritable son. Comme certains beaux disques aussi. Bon, je donne toujours l’exemple d’un disque de Miles Davis, par exemple « Kind Of Blue » qui est devenu un classique, mais il a une unité, il a un son, il raconte une histoire en lui-même. Et ça, dès Magma j’y ai pensé. Bon, toute proportion gardée bien sûr, je me suis dit : « Il faut garder une unité dans un disque, qu’il y ait une ambiance, qu’il y ait un esprit ». Parce que ces gens m’avaient donné l’exemple.

Intervenant 2 : Oui mais l’exemple… Pardon. L’exemple, moi je vous le donne aussi : la première fois que j’ai vu Magma, c’était en 73 à Coursin, un petit village, c’était la fête du Parti Communiste, c’était en plein air. Et bon, je n’étais pas musicien, j’ai commencé très tard la batterie, j’ai commencé à 17 ans. Très tard. J’ai jamais acheté de baguettes depuis, malgré que j’ai commencé tard. Et ce jour-là… bon j’écoutais toute la musique : Pink Floyd, Santana… j’écoutais aussi Ennio Morricone… Mais je n’étais pas musicien pour un sou… si, du pipeau à l’école !...
Bon j’étais là pour ça, pour cette fameuse fête, c’était un peu le petit Woodstock, le Woodstock du coin. C’était un peu mon pays. Donc on partait camper là trois jours.
Il y avait Magma qui était là, et je me souviens qu’il y avait Lockwood, Didier Lockwood… et vous mettiez en place deux, trois choses. Après vous avez joué Mekanik Kommandoh. Et là j’ai dit : « Demain, je me mets à la batterie ! » J’ai acheté une batterie. Enfin bon, pas le lendemain… J’ai commencé à l’énergie. Après, j’ai commencé un peu à m’intéresser à autre chose. Donc le relais, il est passé… c’est pour ça que j’en parlais tout à l’heure. Mais... Coltrane, merci. Coltrane s’inspirait de quelqu’un d’autre. Ça c’est évident que je fais pareil de ma place.
Mais, le choc que j’ai subi ce jour-là, je ne suis pas le seul… puisqu’ il y a quand même des gens présents ici. C’était pour moi, pas forcément que vous, l’ensemble quoi !...
Je me souviens aussi à Riviera 76, il y avait Santana. Et je me rappelle, le batteur de Santana avait dit : « C’est un truc dur de passer après Magma ». Donc, il y avait quand même une sorte de… Donc au-delà d’un relais… C’est pour ça que ce relais-là, il ne faut pas le laisser tomber. Ça c’est bon. Continuez. Mais bon après, je n’explique pas tout… heureusement ! Il faut qu’il reste toujours un peu de mystère.

Christian Vander : D’ailleurs, on a écrit : « Magma, à vie, à mort et après… »

Intervenant 2 : Comme d’habitude. Comme toujours.

Intervenant 3 : Mais le relais, je pense qu’il passe. Puisqu’on voit de plus en plus de jeunes. Enfin, il y a toutes les générations. Chez les musiciens et chez les auditeurs.

Christian Vander : Oui. Le relais, ça veut dire aussi… L’idéal, c’est de connaître la case départ des choses. Bon, si on me demande à moi, quels sont mes musiciens favoris… bon je donnerais comme exemple, bon évidemment là John Coltrane et des gens comme ça. Aller directement à la case départ. C’est ça qui est important. Je me souviens, à une époque, on jouait dans un club… ce n’était pas Magma, c’était Fusion… voire Alien Quartet, ou Quintet ou Sextet selon les époques. Et on jouait pas mal de thèmes de jazz aussi. Et le public Magma venait vraiment en masse, très nombreux. Et à la fois il était déçu de ne pas entendre la musique de Magma jouée par tous ces gens qui avaient participé à Magma. Ils nous demandaient : « Mais qu’est-ce que vous avez joué là ? Qu’est-ce que c’est que ce thème ? ». « Alors ça, je dis, bon ça c’est un thème de… bon… de Miles Davis, ça c’est un thème de McCoy, ça c’est un thème de… Et progressivement ils découvraient tous ces musiciens. Moi j’étais étonné de savoir que le public Magma ne connaissait pas ces gens-là. Donc on les a initiés un peu à ces musiques aussi. Nous, à notre manière. On leur a indiqué un peu, je dirais, la case départ des choses. Je pourrais dire qu’il y a encore bien des choses… comme la musique Tamla Motown qui est très peu connue…. mais qui est passionnante pourtant, qui a servi aussi à... Donc je pense qu’un musicien aujourd’hui doit connaître toutes ces choses-là.

Intervenant 2 : Puis il y a des gens qui sont sourds. Des gens qui sont sourds... qui n’entendent pas.

Christian Vander : Ça c’est au moins pour les musiciens.

Intervenant 2 : Et pour continuer sur ce que disait le Monsieur, je crois qu’actuellement il y a un ras-le-bol un peu, un laxisme dans la musique actuelle, enfin moi je l’entends comme ça. J’écoute de tout moi : du classique…

Christian Vander : C’est-à-dire que ça vient du même problème souvent. Ce n’est peut-être pas forcément une volonté de faire n’importe quoi, mais sans s’en rendre compte, les gens font des redites. Parce qu’ils écoutent des gens qui écoutent des gens qui ont écouté des gens. Et loin, loin, loin derrière il y a la case départ. C’est un peu, comme je disais, les musiciens rock d’ici qui n’écoutent que du rock. Alors que les musiciens, je dirais anglo-saxons, n’écoutent pas que du rock. Ils se nourrissent de musique classique, de musique contemporaine, de jazz, de toutes sortes de formes musicales.

Intervenant 6 : Vous avez été influencé par Stravinsky, non ?

Christian Vander : Je dirais plutôt que ça a résonné en moi, forcément. C’est une musique très marquée par les folklores de l’est. Et moi je suis originaire de l’est aussi, donc… pas de… d’Auxerre ! (rires)

Intervenant 7 : Vous parliez de son tout à l’heure, en discutant de la personnalité emblématique de certains leaders dans les groupes. Vous en êtes un. C’est un élément mais… au-delà de ça, qu’est-ce que vous voyez vous dans un groupe, pour que justement il ait un son, quelque chose qui constitue ce son.
Bon, vous avez cité le quartet de Coltrane qui est un bon exemple et… personnellement, il me convient.
Mais bon, qu’est-ce qui fait, quoi, ce fameux son ? Je crois que ce n’est pas non plus… ce n’est pas seulement dû au leader. Il y a une espèce d’alchimie ou de magie qui se passe. Comment vous voyez ça vous en tant que leader ?... par rapport aux gens qui ont joué avec vous… c’est quoi le son d’un groupe ?

Christian Vander : Oui. Euh… C’est-à-dire, quand on a fini… enfin… La période où on interprète simplement la musique, où les gens jouent des notes, connaissent les notes, ça c’est le commencement. Connaître un morceau. Bon, c’est-à-dire qu’on connaît la structure, on connaît les notes. Après, la magie, c’est les vivre, et les vivre ensemble, à plusieurs. Et le liant, c’est cette espèce de vibration… qui est une matière invisible mais palpable quelque part. Dans l’espace, qui existe, ce liant fait que… que le son s’effectue ou non.

Stella Vander : Moi, si je peux ajouter quelque chose... Je pense que le son d’un groupe devient, comme vous dites, à partir du moment où l’ego de chacun est relégué et que c’est le son du groupe qui prime… et non pas le son de chacun, individuellement. Et ça… ça prend plus ou moins de temps, selon les personnalités. Et je crois qu’il n’y a qu’à partir de ce moment-là que… non ?

Christian Vander : Ah oui, oui, oui…

Intervenant 7 : Est-ce que c’est quelque chose qui peut arriver comme ça tout à coup ou qui s’est inscrit aussi dans la durée ?
J’veux dire est-ce qu’à un moment donné… (inaudible)… quand on voit, bon, le groupe qui ressort…
Il y a du chemin qui a été fait ensemble. Musicalement, humainement, c’est…
Donc vous, par rapport à votre vécu, sachant que dans les différents groupes que vous avez… je ne sais pas quel mot il faut employer… impulsé… il y a eu quand même beaucoup de mouvements au niveau du personnel… il y a quand même un son qui reste… donc… Quand on écoute Magma, on entend bien qu’il y a un son.

Christian Vander : Il y a des gens avec qui ça s’effectue plus ou moins vite. Il y a des groupes… en six mois… trois mois, il y avait un son ! Quelquefois on était moins nombreux aussi. Ça dépend… c’est difficile…. Il y a des gens qui entendent très vite… le son… qui doit être donné sur une scène par exemple, qui comprennent tout de suite comment se positionner au niveau du… niveau, de l’intensité… et des gens pour qui il faut plus de temps. Mais si on sent que ces gens progressent, tôt ou tard… tôt ou tard, ils y arrivent.

Stella Vander : Mais vous disiez le son Magma qui reste, ça vient d’une part de la composition et puis d’autre part, de ce que Christian explique individuellement à chaque musicien. Il les met quand même sur une voie. Ce n’est pas… ça n’arrive pas par hasard si le bassiste joue dans cet esprit… ou un guitariste ou un pianiste. C’est quand même toi (en s’adressant à Christian Vander) qui donne toujours la voie.
C’est pour ça que le son Magma, d’un groupe à l’autre, qu’il y a des choses qu’on retrouve identiques.

Intervenant : (inaudible)

Stella Vander : Non mais je réponds à la question je pense…

Intervenant : (inaudible)

Christian Vander : Chacun… Enfin, pour chacun, il y a eu différentes manières d’aborder la chose. C’est… il n’y a pas de règle. Ça se passe dans le quotidien, ça se passe à des moments, même en parlant d’autre chose. C’est… c’est difficile… Ça, ça fait partie des choses qu’on ne peut pas expliquer, ni avec des mots, ni avec un papier.

Intervenant 2 : Il y a une différence entre ceux qui se servent de la musique et ceux qui la servent. Ça c’est sûr…

Christian Vander : De toute manière, au départ, ce sont des gens qui aiment ces musiques-là qui travaillent… avec qui je travaille. Forcément. Il n’y a pas vraiment de mercenaire.

Intervenant 8 : Vous parliez tout à l’heure de voir la première inspiration pour essayer de s’approcher d’un… d’une ligne directrice de composition. Mais, est-ce que la meilleure composition qu’on pourrait faire ne serait pas celle qu’on fait quand on est complètement isolé ?

Christian Vander : Complètement isolé ?

Intervenant 8 : Complètement isolé… de musiques qui puissent vous perturber.

Christian Vander : Je ne me sens pas perturbé. J’écoute les musiques. Voilà, ça passe… Mais ça ne me perturbe pas… puisque je ne compose pas en fonction des choses que j’entends. Je ne sais pas… (inaudible)

Intervenant 8 : Oui, mais on a quand même des règles qui sont plutôt établies. Par exemple, le temps fort sur la grosse caisse si on parle technique.

Christian Vander : Non mais ça, c’est pour expliquer des choses simples, comme marcher. C’est une image, mais en réalité…. Moi, je n’ai pas de règles… ce que la musique demande.

Intervenant 9 : Dans votre processus de composition, vous partez… vous n’écrivez pas… Bon, au départ, c’est l’idée. Comment est-ce qu’il se passe ce processus ? Est-ce qu’à un moment donné, c’est vous qui allez écrire pour que les musiciens puissent derrière… entrer, ou est-ce qu’on part d’une dynamique… (inaudible)… une dynamique de groupe…et l’écriture est inutile, je veux dire après elle n’existe pas. Moi, je suis autodidacte, et en musique… dans votre processus, on a l’impression que ça part de vous… effectivement, sur un piano ou… ou sur… et après… (inaudible)… Et pour arriver à… (inaudible)… cette fusion extraordinaire qu’on voit sur scène, cette précision que vous avez… sur par exemple la fin du concert d’hier, on se dit mais « ce n’est pas possible quoi ! Si c’est un truc autodidacte, à un moment donné, ça ne passe pas, ils ne peuvent pas faire ça. Et si c’est écrit… bon c’est peut-être anachronique avec le reste… mais moi, je n’arrive pas à comprendre !

James MacGaw ou Christian Vander ??? : J’comprends oui !...
(Rires)

Stella Vander : C’est peut-être parce que pratiquement toujours dans Magma, il y eu un savant mélange entre des gens autodidactes et pas autodidactes.

Intervenant 9 : Par exemple pour James, quand tu joues une ligne, est-ce qu’elle est écrite ou… (inaudible)

James MacGaw : Bah elle est chantée d’abord. C’est Christian qui la compose, et me la chante… et après on l’adapte… en fonction de l’instrument, en fonction aussi de ce qui sonne le mieux sur l’instrument. Si ce n’est pas écrit… tu demandais « comment c’est possible d’écrire quinze voix en même temps en cinq minutes » (inaudible)… Après, ça, c’est la particularité de Christian, il est capable de faire sans papier, parfois avec… (inaudible) mais, c’est rare. Et bon après, chaque partie est vue au mètre ??? c’est-à-dire qu’ il faut que ça sonne sur l’instrument. Ça peut sonner avec la voix, mais pas avec l’idéal ??? donc on va changer un petit peu dans le phrasé, une inflexion ou une note qui ne passe pas, alors qu’elle est jouable mais dans le résultat, ça ne sera pas ce qu’on cherche. C’est toujours ce que disait Christian : la seule règle c’est… c’es la musique…tout à fait… et pas comment on fait la musique.

Intervenant 10 : Quel est le message de Magma ?... Comment dire, ce que vous voulez faire passer à travers Magma, vraiment, pour nous. Quel est le message en général ?... Parce que ça fait trente ans qu’on vous suit… malgré le fait qu’on ne comprenne pas les textes … (brouhaha)

Christian Vander : On ne comprend pas tout…

Intervenant 10 : Je voulais savoir parce que je cherche de temps en temps à… à un moment, ça m’a aidé à surmonter une période difficile quoi et je voudrais savoir ce que vous voulez faire passer.

Christian Vander : Euh…

Intervenant 2 : Je pense que ça ne s’explique pas. C’est comme un tableau. Ou t’accroches, ou t’accroches pas. Que tu saches qu’il ait été fait… peut-être que le mec il a quinze ans de Beaux-Arts, peut-être qu’il l’a fait dans la rue... mais si ça te plaît, ça te plaît. Moi je pense qu’il ne faut pas expliquer… (inaudible) je parle des vrais artistes, il n’y en a pas beaucoup… (inaudible)… enfin moi je le vois comme ça. C’est très difficile d’expliquer la musique… comme la peinture.

Intervenant 3 : Et puis je pense qu’il doit y avoir autant de ressentis que d’auditeurs. Je veux dire chacun ressent… chacun y pioche… toi, t’as une période… tu dis ça t’as servi. Je crois que tout le monde… enfin, la musique de Magma est importante dans la vie de chacun.

Intervenant 10 : Moi, j’écoute de tout, vraiment… du funk, du blues, du hard, du métal, du jazz, du free jazz… mais cette musique est ce qui m’a permis vraiment de me sortir d’une galère et j’ai jamais compris pourquoi. Je voulais savoir quel était profondément le message de Magma. Ce que vous voulez exprimer à travers…

Christian Vander : Moi j’ai écrit « oui à tout, non à rien », et aussi… l’idée c’est de rester vivant, dans un monde qui se meurt.

Intervenant 10 : (inaudible) vous êtes arrivé toujours à garder la tête saine ??? malgré la difficulté ou la pauvreté de la musique en général.

Christian Vander : Oui

Intervenant 10 : Est-ce que c’est difficile ?

Christian Vander : Quelques fois on est aidé. Alors là, on rentre dans autre chose. Moi je dis toujours « j’ai l’impression que quelqu’un pense à moi ». Dans les moments difficiles, j’ai toujours été aidé, mais il ne faut pas attendre… il ne faut pas attendre. Il faut le faire et… quelquefois c’est terrible. Des fois, le silence, la solitude… peut-être on l’a bien cherché aussi ?...

Intervenant 10 : Est-ce qu’on vous rend heureux, nous ?

Christian Vander : Ça… je ne sais pas… non, on verra…
(rires)

Stella Vander : « Vous », c’est « le public » ?

Intervenant 10 : Oui, parce que nous… (inaudible) de vous voir heureux… parce que vous êtes…

Intervenant 3 : Est-ce que c’est important le public ? Non, parce qu’à un moment donné, tu disais « vous ne seriez pas là, on jouerait quand même », et ça je le crois tout à fait…

Christian Vander : Mais on l’a fait…

Intervenant 3 : Mais oui. Mais est-ce que le fait d’avoir un public quand même fidèle, est-ce que ça compte ?

Christian Vander : C’est sûr, ça fait du bien… ça donne du baume au cœur.

Intervenant 10 : Le fait qu’on tienne à vous quoi, est-ce que…

Christian Vander : Bien sûr, ça donne de l’espoir…

Intervenant 10 : Est-ce qu’on sera un jour orphelins de Magma… ou est-ce qu’il y aura une continuité ?

Christian Vander : Non mais il y a toujours…

Intervenant 11 : Comment vous le voyez, dans cinquante ans… pour vous, votre projet, c’est qu’il y ait un groupe qui s’appelle Magma qui soit… (inaudible)… 10 mecs sur scène qui pourront jouer ça et on sera dans le même registre…

Christian Vander : Ce qui est important dans une musique, ce n’est pas forcément la forme musicale ou autre, c’est le courant qui est à l’intérieur… une énergie insituable. Le fait que les musiques on les écoute quelquefois, c’est cette espèce de nerf intérieur, cette vibration… qui existe… qui fait qu’on fait la différence avec autre chose qui nous semble assis… et plutôt… mort. Non mais c’est sérieux hein… Moi j’écoute un musicien, en cinq secondes, ça me paraît même très long… je sais tout de suite s’il a la chose ou non. Il peut jouer très très bien, ça peut être très élégant, très technique, très ceci cela… mais la vibration… on ne peut pas, on ne peut pas expliquer. Ça ne se quantifie pas… quelque part. Sur une partition, si vous voulez écrire la musique de Magma… de la manière dont elle se passe à l’intérieur… à la vitesse où ça se passe, je pense que les gars diraient « c’est pas possible de lire une chose pareille ». On écrirait deux temps forts, avec la division… je crois que les gars auraient peur. Ça ne sert à rien. Si si pourtant ! C’est relié par un fil. Ça va au-delà d’une division… je dirais mathématique.

Intervenant 11 : Ça c’est l’intérêt que le groupe existe encore dans cinquante ans

Christian Vander : Il y a des musiques… il y a des musiques comme ça… mais on l’entend. Il y a cette espèce de tenue

Intervenant 11 : Est-ce que cette vibration c’est un peu comme quand on fait du sport. On fait une demi-heure de sport et pendant deux jours on en a les bienfaits On vient vous voir peut-être une fois tous les deux ans, et pendant deux ans, on a cette espèce de vibration qui continue. Si elle s’éteint…

Christian Vander : Ouais mais c’est vrai… mais, le gars qui court le 100 mètres en 9 secondes ou moins, pourquoi pas… à vingt ans ou un peu plus, il n’est peut-être pas capable de le faire plus tard, beaucoup plus tard. Cette vibration, de musique, qu’on doit certainement retrouver dans d’autres domaines, elle est… elle est… infinie.
C’est une chose qu’on ne peut pas transmettre. Je crois qu’il faut vouloir… moi j’ai cherché longtemps cette chose-là et je mettais beaucoup sur l’énergie, l’énergie physique, que j’avais. Et je jouais, avec la force et la puissance des muscles… jusqu’au moment où un jour, j’ai senti cette chose entrer en moi. Et là, ce n’était plus tout à fait pareil. Je ne faisais pas de la musique… j’essayais d’être en musique. Et là c’était infini… même au niveau de l’énergie. C’est la musique qui nous donne de l’énergie, ce n’est pas moi qui essaye de… donner des coups d’épée dans l’eau je dirais. C’est épuisant de vouloir faire de la musique. Faire la musique.

Intervenant 11 : En tant que batteur, vous avez dit récemment que vous aviez du mal parfois à trouver votre place sur une composition. Est-ce que pour le dernier album, pour K.A, est-ce que vous commencez à trouver cette place ? Et est-ce que peut-être vous ne regrettez pas de ne… comment dire… par rapport à l’évolution de votre musique, de ne pas l’avoir enregistré, de ne pas l’avoir senti sur le moment, au moment de l’enregistrement.

Christian Vander : Non, moi je pense que le disque a été enregistré d’une certaine manière en temps et en heure. Je pense qu’à l’époque, on n’aurait pas pu l’enregistrer et le réaliser de cette manière. Ca nécessitait beaucoup de voix, beaucoup de passages chorale et on avait un seul chanteur à l’époque. C’est peut-être une des raisons aussi pour lesquelles j’avais mis cette composition dans les cartons. Sur scène, on n’était pas suffisamment nombreux… pour réaliser cette musique. Là, on a aussi profité du fait qu’on était en studio et pouvoir faire des recordings, ce que je n’aime pas toujours… je me suis dit, on va se venger, on va agrémenter. Et on a ajouté des voix. C’est-à-dire, sur scène actuellement, il y a quatre chanteurs, là on en a mis douze, peut-être parfois plus… dans le disque. Et on lui a donné sa dimension. Je pense qu’on n’aurait pas pu réaliser ce disque à cette époque-là.

Intervenant 11 : Est-ce que vous pensez que le plus important en studio, hormis la composition, c’est votre spontanéité ? Est-ce que la première prise n’est pas bien souvent la meilleure ?

Christian Vander : Si ! Parce qu’on enregistre comme on dit « live » des fois en studio. Et ça j’aime bien. Il ne faut strictement rien retoucher. Par contre, il faut l’accord de tous les musiciens.

Stella Vander : La première prise est souvent la meilleure, et quand ce n’est pas la meilleure parce que… parce qu’on n’a pas tous été les meilleurs sur la première prise, il en faut parfois beaucoup, beaucoup, beaucoup d’autres. Il faut passer par toutes les étapes avant de revenir à cette spontanéité. Et parfois c’est très long. Mais quand c’est la première la meilleure, c’est bien !

Intervenant 11 : Est-ce que pour vous maintenant au niveau de… au niveau technique, est-ce que la batterie, pour vous, c’est accessoire ? Est-ce que ce n’est pas la musique qui compte le plus ?

Christian Vander : C’est toujours la musique qui a compté… le plus… qui compte le plus. Pour moi, la batterie c’est un instrument qui sert la musique. C’est pour ça que… si on note ce qui se passe…

Intervenant 11 : Vous disiez que, physiquement, chaque coup quand vous jouez…

Christian Vander : Oui, avant, pendant et après. Sans… sans écouter. Parce qu’il ne faut pas être rivé sur ce qu’on est en train de faire. C’est dangereux. C’est… comme par exemple jouer un son de cymbale qui sonne particulièrement bien avec l’ensemble et continuer à l’écouter alors que la musique défile. Ça c’est la mort… fatale.

Intervenant 11 : Quand le coup est joué il est mort après il faut passer à autre chose…

Christian Vander : Oui, on voit souvent des musiciens presque… écouter leur son, rêver… mais pendant ce temps-là, on n’est pas en train de… bon, la musique défile, il n’y a rien à faire. On ne peut pas aller plus vite que la musique, et il faut déjà essayer d’être dedans. C’est l’écoute de la musique, ce n’est pas…

Intervenant 11 : Est-ce que pour vous il faut toujours raconter une histoire ?

Christian Vander : Pour moi oui. Mais ce n’est pas forcément valable pour tout le monde. Pour moi oui. J’aime bien raconter une histoire.

Intervenant 12 : Vous parlez d’écoute là, depuis tout à l’heure. Dans un bon quotidien local, récemment, vous avez dit que, pour le dernier disque vous aviez eu envie de le réécouter (inaudible) ce qui était très rare.

Christian Vander : Oui. Parce qu’en fait, on a passé pas mal de temps en studio… bon, je dirais… entre le moment où on a enregistré la rythmique, assez rapidement je dirais, indépendamment du son… mettons trois jours. Après pour les chants, on a dû prendre des périodes… ça a duré en fait sur un an et demi. Quand on a terminé un disque… bon, je peux dire, je connais la moindre impulsion du disque, le moindre coma, la moindre chose… donc j’ai du mal à réécouter le disque tout de suite, je n’ai pas la surprise que j’aimerais avoir, forcément. Or là, j’ai écouté le disque, et comme je disais « les cordonniers les plus mal chaussés », il y avait pas mal de copains qui m’avaient téléphoné en me disant « j’ai écouté le disque, il est fantastique. C’est peut-être le meilleur disque de Magma… », je dis « oui, oui, bon, je le connais… » et j’ai posé le disque en me disant « bon, je vais écouter si les basses ne sont pas trop remontées, les aigus pas trop aigres, etcetera… s’il n’y a pas eu trop de rétrécissement de la stéréo après le mastering ». Finalement, je l’ai écouté intégralement et j’ai pris beaucoup de plaisir. J’ai failli le remettre une seconde fois.
Je me suis dit « bon quand même, il n’y a strictement rien à dire là-dessus ? … Non ! » ... ce qui est rare ! … soit il me faut deux ans pour écouter un disque.

Stella Vander : Petite parenthèse : la période d’un an et demi sur laquelle on a enregistré les voix après la rythmique, ça s’est fait par bribes parce qu’on avait des concerts, des tas de choses… mais c’est vrai que quand on se retrouve à chaque fois après un break, il faut un petit temps d’adaptation pour se remettre dedans… et puis aussi, ça a pris plus de temps pour faire les voix que le reste parce qu’il faut avouer que Christian a des fois 250 idées à la minute et que tout ce qui est prévu au départ, c’est rarement ça qui est fait et que… il est toujours en train d’en rajouter… de trouver un nouveau truc… qu’il faut qu’on apprenne sur le tas, qu’on enregistre cinq minutes après… parfois c’est un peu plus long.

Intervenante 13 : Par rapport à Offering, je voulais vous poser la question… pourquoi ça s’est arrêté Offering ? C’était tellement beau… moi ça me peine beaucoup.

Christian Vander : Je suis assez d’accord.
(rires)

Stella Vander : On a refait une série de concerts l’année dernière pour la sortie du coffret. On avait remonté cette semaine de concerts d’abord parce qu’on en avait envie nous et puis aussi pour voir quelle serait l’adhésion du public… parce qu’à l’époque où on a fait Offering, on ne peut pas dire qu’il y ait eu une adhésion du public extraordinaire.

Intervenante 13 : Pourtant… c’est tellement la continuité de Magma. C’est tellement fort, c’est tellement beau…que j’ai du mal à comprendre.

Stella Vander : Ça n’a pas été l’avis de tout le monde malheureusement à l’époque. On a perdu beaucoup de public à cette époque-là. Et on s’est retrouvé dans des périodes assez difficiles… des périodes de survie difficiles, parce que les gens ne comprenaient pas la musique d’Offering, étaient déçus de ne pas voir Christian à la batterie. Et donc il y a eu vraiment une grosse désaffection du public. Je pense qu’aujourd’hui… tout ce qui s’est passé depuis, tout ce que les gens ont écouté, par Magma ou d’autres, depuis… fait que le public de Magma aujourd’hui serait probablement plus massé.

Intervenante 13 : Parce que moi, mon musicien fétiche, Christian Vander et le groupe Magma, c’est depuis que j’ai l’âge de dix ans… donc il y a très très longtemps. J’étais tellement enchantée d’entendre Offering, enfin la suite quoi… donc j’étais vraiment une…

Stella Vander : Heureusement ! Il y avait un petit peu… il y avait des gens comme vous aussi ! Mais c’est vrai qu’il y a une partie du public de Magma qui n’a pas compris… à l’époque ! Ça ne serait probablement pas le cas aujourd’hui.

Intervenant 3 : Au début d’Offering, il y avait aussi quand même un problème de communication au niveau de… bon, il n’y avait pas tous les médias qu’il y a maintenant avec internet et tout ça, on peut se passer les infos. Moi je sais que mon premier concert d’Offering, j’ai failli le louper parce que sur l’affiche il y avait écrit « Offering », je ne savais pas ce que c’était… et ce n’est qu’après, en voyant Christian Vander et tout ça, donc j’ai dit « mais purée ! »… et bon j’y suis allé, et je n’ai pas regretté !

Stella Vander : Ce n’était pas écrit ce que c’était parce qu’aussi on voulait être honnête par rapport au public. On ne voulait pas écrire Magma sur l’affiche sachant que ce qu’on faisait était complètement différent.

Intervenant 3 : Non mais… c’est vrai aussi mais bon… par exemple, Welcome aussi, ce n’était pas évident. C’est une expérience qui a été fabuleuse ça, moi je trouve. Et ce n’était pas évident de savoir que ça avait un rapport même lointain ou comme ça… mais avec…

Stella Vander : (inaudible)… communiqué !...

Intervenant 3 : Non mais… vous communiquez mieux en tous cas !... je trouve. Et puis c’est vrai que… bon il y a quand même beaucoup plus de facilités au niveau des communications maintenant.

Stella Vander : C’est vrai…

Intervenant 3 : Avant, c’était surtout… Dès qu’on voyait un disque sortir, il fallait l’acheter de suite parce que sinon, on attendait la réédition quoi, hein ! Et puis, ce n’était pas toujours…

Christian Vander : Non mais il fallait procéder comme ça. Offering c’est Offering, Magma c’est Magma. Même au début, on ne se comprenait pas tout à fait hein !

Intervenant 3 : Bah si déjà vous, vous ne vous compreniez pas ! Nous, en tant que public, ce n’est pas évident !

Christian Vander : Non mais c’est vrai, il y a une différence. Et Welcome c’est Welcome… je veux dire… c’est une expérience… d’abord ce n’est pas du tout le même contexte musical.

Intervenant 3 : Ouais… mais c’est aussi intéressant.

Christian Vander : Mais que mettre ?... Pas mettre Magma… on ne pouvait pas.

Stella Vander : C’est vrai qu’il y a des musiciens qui ont fait le choix d’appeler le groupe de la même manière ou sous le nom d’un leader… par exemple comme Chick Corea à une époque qui avait un groupe acoustique puis un groupe électrique et ça s’appelait la même chose avec juste le sous-titre « acoustique » ou « électrique », c’était une manière de voir les choses, de présenter les choses. Nous, on a donné un autre nom au groupe.

Christian Vander : Et puis personnellement, je n’ai jamais voulu placer mon nom en avant. Parce que… au départ on avait fait un groupe : Magma. Et il n’y avait pas de nom, c’était « Magma ». Et dans le temps… je suis un des seuls à être resté… dans ce groupe.

Stella Vander : Non et puis on n’a pas fait l’erreur… on n’a pas voulu… on a complètement séparé les choses. Et à cette époque, on est allé tourner en Allemagne, on y allait souvent, et le promoteur de la tournée n’a pas voulu appeler ça Offering parce que… bah parce qu’il s’imaginait bien que les gens ne feraient pas le lien etcetera… et donc il a fait des affiches en mettant Magma, et nous on jouait du Offering et ça a déstabilisé beaucoup de gens. C’était une erreur.

Intervenant 14 (Issèhn) : Un des concerts d’Offering avait été filmé je crois il y a un an ou deux. C’est prévu une sortie DVD un jour ?

Stella Vander : Je ne suis pas sûre… parce que j’ai vu un bout de ce concert monté… il y a une partie qui a été montée et ça ne m’a pas emballée.

Christian Vander (à Stella) : Tu parles de quel concert ?

Stella Vander : Offering… au Triton.

Christian Vander : Ah ? C’est pas bien ?
(rires)

Stella Vander : Non... ce n’est pas.... La musique n’est pas mal mais… (inaudible)… peut-être que…

Christian Vander (à Stella) : Bah j’sais pas, montez-le…

Stella Vander : (soupire) On n’a que ça à faire !.…

(Petite discussion « en interne » entre Christian et Stella)

Stella Vander : Il se trouve que ça a été filmé le jour où… le dernier jour. Et euh…. chaque jour, on avait un invité… ce jour-là, c’était Simon comme invité et… c’était intéressant pour le public d’avoir un invité chaque jour, même si ce n’était pas parfait parce que c’était… on ne s’était pas vu depuis des années… on avait envie de ça. On avait proposé ça aussi bien pour le public que pour nous. Mais ce n’était pas forcément optimal au niveau de la cohésion et donc… Peut-être que ça sortira !... Difficile à dire aujourd’hui.

Intervenant ? : (totalement inaudible)

Stella Vander : Oui

Intervenant ? : (totalement inaudible)
(rires)

Stella Vander : Non. Tout le monde regarde son carnet en disant. Han !.... Mon Dieu !

Intervenant 15 : Vous dites « être en musique tout le temps ». A cet instant, est-ce que vous êtes déjà dans le concert de ce soir ?

Christian Vander : Non, je ne suis pas dans le concert de ce soir, je suis dans la musique. Chaque chose… je viens d’ailleurs de poser…. Voilà. Marcher… tout… tout est musique ! Voilà. Moi je dis on peut m’appeler à 3 heures du matin, me dire « Christian, 3, 4… waw ! » il faut m’annoncer le titre quand même… (rire du public) Mais bon, « blam ! », je suis prêt !

Stella Vander : Surtout à 3 heures du matin !
(rires)

Intervenant 16 : Pour la création en elle-même, est-ce que vous ne vous obligez pas à avoir une condition, propice à cette création-là ? Dans le quotidien, est-ce qu’on n’est pas obligé de mettre des choses en…

Christian Vander : Dans le temps, je sens quand les choses commencent à naître… donc je me prépare. J’essaye, comme je dis souvent, de ne pas être trop loin d’un piano à ce moment-là. Il m’est arrivé de composer en voiture… mais…

Intervenant ? : (totalement inaudible)

Christian Vander : Oui. Très jeune, j’ai voulu faire de la musique. Dès l’âge de 4 ans ou 5 cinq ans. Je savais que…

Intervenant ? : (totalement inaudible)

Christian Vander : Pas constamment. Hélas !... Mais bon, c’est longue histoire… Et donc, j’ai su tout de suite que j’étais fait pour la musique. Je ne sais pas… Ma mère m’a amené très jeune dans les clubs de jazz… à l’âge de 4 ans, 5 ans, moi j’écoutais Blakey, Kenny Clark, des gens comme ça…. au Club Saint-Germain. J’étais assis à côté de la batterie… et déjà, les cymbales me fascinaient. Là, c’est des gens qui jouaient vraiment ! Le son, les cymbales… d’abord ! Et puis tout s’est imbriqué…. bon, c’est difficile… puis c’est une longue histoire. Ça ne passionne pas tout le monde…

Intervenant 3 : Si, il y a quand même un truc… (inaudible)… je l’ai entendu une dizaine de fois, vous avez expliqué Coltrane, le symbole, tout ça… enfin on l’a entendu, je pense… mais chaque fois que vous dites ça, je suis sidéré parce qu’on a l’impression que c’est un processus émotionnel très lourd. Coltrane, j’ai l’impression que c’est presque…. je me pose la question…vous me connaissez, je n ‘ai pas la réponse… il me semble que vous étiez bercé sur ses genoux, un moment donné… c’est une relation... Bon, ce que vous dites… la façon dont vous le dites… on a l’impression que ça a été un choc émotionnel immense, on a du mal même quand on est à fond dans le truc. Quand on connaît votre musique… on se dit « mais c’est énorme ! ». On a l’impression qu’il y a un choc émotionnel tel…. Je ne sais pas…. Moi ça me laisse… je ne sais pas s’il y a une réponse… ça me laisse toujours pantois quand vous dites ça.

Christian Vander : De toutes manières, quand John Coltrane est arrivé avec son quartet… je ne pense pas que quelqu’un, enfin en tous cas ici pouvait comprendre ce qu’il faisait vraiment. Moi, simplement, j’ai plongé dans cette musique et ça m’a touché sans comprendre forcément ce qu’il jouait. Le son… les notes… me hantaient.
Et c’était ce que j’attendais. Je sentais qu’il y avait un cri… un cri ! C’est ce que je dis : le cri, le cri. Et c’est vrai qu’avant, j’écoutais beaucoup Ray Charles, jusqu’à l’âge de onze ans. Et dans Ray Charles on entend… il ne faut pas penser Ray Charles à partir d’une certaine époque plus… je dirais « sirupeuse »… avec ces thèmes « Rosetta », « Maria », « Nancy », tout ça… un peu avant ! Des thèmes comme « Full for you », des choses comme ça où on entend véritablement un cri. On entend quelque chose et bon, quand il est entré dans cette période tout de suite John Coltrane a pris le relais et j’entendais la même chose mais… poussé… C’est ce que j’attendais ! De toute manière je ne peux même pas dire que j’entendais un saxophone. Je dis souvent : « j’entendais une voix ». Et… je peux même dire que… bon ça je l’ai raconté mais bon, peut-être qu’il y a des gens qui ne le savent pas… moi je sais qu’en 1964, j’avais entendu dire qu’il était parti… de la Terre. Et… je n’y ai pas cru. On m’a téléphoné… je ne sais pas comment ça s’appelait à l’époque… bref… on a eu Daniel ??? qui faisait une émission de jazz à ce moment-là et qui nous a dit : « non, pas du tout, j’ai encore eu le manager de John Coltrane aujourd’hui, il est bien vivant… ». Ça j’en étais sûr ! Il ne pouvait pas nous laisser comme ça. Et en 1966, quand j’ai entendu l’introduction de « My Favorite Things » au Village Vanguard de Vienne, j’ai entendu dans ses premières notes de soprano, notamment une particulièrement, c’était comme un genre de ces « coucous » ???… et là j’ai dit : « là il va mourir », il dit qu’il va mourir. Il est parti quelques mois après. Et ça je l’ai entendu. C’est comme s’il me l’avait dit.

Intervenant 3 : Vous l’avez rencontré ?

Christian Vander : J’ai eu la chance de le voir sur scène. C’est vrai que… ma mère était très amie d’Elvin Jones et on connaissait Elvin Jones avant qu’il joue avec John. C’est le saxophoniste-flûtiste Bobby Jaspar qui était le meilleur ami lui-même d’Elvin qui présenté à ma mère, qui était sa meilleure amie, Elvin Jones en lui disant : « un jour on entendra parler de ce gars-là ».

Intervenant 2 : Mais Elvin Jones avait Coltrane en lui. Moi je l’ai vu dans un petit village près de Montpellier. Coltrane je l’écoute tous… bon, j’écoute un peu de jazz comme ça… Elvin Jones, il dégage… y’en a qui l’ont, y’en a qui l’ont pas, lu il a des mains comme des battoirs ??? Il a une présence qui est… énorme. Et il y a du Coltrane en Elvin Jones.

Christian Vander : Non mais Evin Jones, c’est une force de la nature. Moi la première fois que je l’ai vu jouer, j’ai pensé : « un jour, je jouerai plus fort que lui » (rires du public) « … ou aussi fort ». Non, c’est resté… Il faut imaginer une mine immense déjà… debout, heurtant les cymbales… mais c’était insensé… C’est ce que la musique de John demandait. On n’imagine pas aujourd’hui. Pour les gens qui jouent du jazz… comme Simon, on jouait sur un disque vous voyez « tching guiling tching guiling »… on ne peut même pas imaginer. Les gens comme Phily Jo Jones, tous ces gens, un chabada simplement… « tchang ga ga », avec l’amplitude… au bout de 5 chabadas, on a le… on est mort ! Honnêtement. J’essaye ces temps-ci de reprendre ce truc parce qu’on ne peut pratiquement plus jouer ça dans les clubs de jazz, on dit : « Oh la la ! C’est trop fort ! ». Mais il n’y a pas de son. Les gars ne développent pas de son. Ils ont un son… à un mètre du sax, on n’entend plus rien. Or ces gens jouaient avec des gens qui ont un son énorme. Il fallait garder le son. En jouant un tempo lent ou en jouant un tempo rapide… garder le son d’abord.

Intervenant 3 : Pourquoi vous n’avez pas eu une carrière de musicien de jazz plus classique ? Avec un quartet où on improvise sur une grille d’accords… (inaudible) Parce que… vous parlez d’une passion pour des musiciens qui… je sais que plein de musiciens de l’âge que vous aviez auraient aimé rentrer dans cette espèce de sérail qui est le jazz.

Christian Vander : Oui oui, moi j’avais commencé comme ça. Dès 14-15 ans, j’allais faire le bœuf dans les clubs de jazz. Mais bon… J’écoutais déjà un peu aussi Tony Williams, des gens comme ça… qui jouaient plus binaire, mais d’une manière ternaire les choses et (inaudible) à l’époque me disai(en)t « Allez ! Viens jouer Christian, tu vas nous faire un peu de twist ». Et franchement, ce n’était pas toujours évident.
(inaudible)
(Applaudissements)

Intervenant 3 : Tu as une période préférée de John ? A partir du moment où le quartet mythique s’est séparé, quand il y a eu Rashied Ali et tout ça… est-ce que tu aimes autant que la période du quartet avec Elvin…

Christian Vander : Moi je peux répondre vraiment facilement. A l’époque… Bon c’est vrai qu’il y a eu d’abord ce disque « Meditation »… avec les deux batteurs… Mais l’autre ? Il y avait encore McCoy… La transition s’est effectuée naturellement. Quand John Coltrane a commencé a joué avec Alice Coltrane et Rashied Ali, on ne s’est même pas posé la question. Moi je me suis dit « c’est ce que sa musique demandait ». Des couleurs à nouveau nous surprenaient. C’est vrai qu’on sentait un flottement dans le… pas… nous, on n’avait pas pu l’entendre à l’époque. Parce qu’il n’y avait pas de pirate. Mais John avait certainement dû sentir ce flottement. On le sent maintenant à l’écoute de certains disques qui sont sortis ensuite, comme « Sun Ship » ou des choses comme ça… où on sent… les gens… dans ce flottement… les gens essayaient… enfin, McCoy, tous ces gens essayaient d’aller au-delà de ce qu’ils pouvaient donner, et à la fois on sentait des trous béants. Tout n’était pas accompli comme dans un disque comme « A Love Supreme », « Brazilia » où tout le monde était… sonnait comme un seul homme. Le groupe semblait se désagréger après. Il y avait besoin d’autre chose. Je pense en effet… John a tenté de jouer avec les deux batteurs mais au bout d’un moment, ça ne s’est pas… ça n’a pas pu s’effectuer. Peut-être qu’Elvin ne tenait pas à jouer avec quelqu’un d’autre. Ce qu’on peut comprendre aussi. Mais je pense que Rashied Ali est arrivé en temps et en heure… J’ai du mal à dissocier les périodes. Mettons que… ça dépend, quelquefois je (incompréhensible) beaucoup la période 66-67 et la période 64-65 que j’aime beaucoup. Et après tout on revient toujours sur les premiers, même pourquoi pas les « Prestige ». Quand John est là de toutes manières, la musique est toujours (inaudible)…

Intervenante : Voilà une belle conclusion !

Public : Merci !

(Applaudissements)

Afin de ne rien "déformer", les propos ont été retranscrits "brute de fonte" par Eric Monnier . Zïha Eric !
Issèhndolüß Akhazhïr


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