Dis, Papa, c'est encore loin, Kobaïa ?

Il nous aura fallu attendre plus de 20 ans pour voir Magma ressortir un album. Mais quel album ! Un chef d'oeuvre, oui! Digne des "Mekanïk Destruktïw Kommandöh" et autres "Köhntarkösz". Alors même si nous avons consacré un dossier complet à Magma il y a quelques numéros à peine, Koid'9 ne pouvait pas passer à côté de cet événement en allant demander quelques précisions à Christian Vander.

À l'écoute de votre récent opus, K.A., j'ai trouvé que la production était vraiment excellente. Et toi, que l'on sait si perfectionniste, qu'en as-tu pensé ?
Christian Vander : Et bien je vais te surprendre, mais la qualité de cet enregistrement va en effet au delà de mes espérances. Ça m'a d'autant plus surpris que toute la rythmique a été enregistrée il y a à peu près un an et demi et qu'à cette époque on ne maîtrisait pas encore toutes les structures du morceau.

On trouve curieusement des paroles en français sur "K.A", et pas uniquement en kobaïen et un peu plus loin le mot "Halleluyah" martelé à des dizaines de reprises...
Oui. Comme tu le sais, les paroles me viennent naturellement, sous forme de sons. Les sons qui sont venus là étaient du français, mais c'est un hasard. Pour "halleluyah" c'est pareil : c'est ce son qui est venu à ce moment là. C'est assez normal, d'ailleurs, puisqu'il s'agit de l'histoire d'un type jeune (Köhntarkösz NdlR) qui essaie de comprendre, qui se cherche...

K.A. (Köhntarkösz Anteria) n'est pas une nouvelle composition puisque son élaboration date de 1972, soit avant celle de Köhntarkösz.
Oui. Pour l'anecdote, un jeune homme du nom de Mike Oldfield assistait à nos séances d'enregistrement de "Mekanik destruktiw kommandoh" (MDK), en 1972. On répétait l'après midi et on jouait "la dawotsin". Ce jeune homme inconnu à l'époque écoutait avec attention et intérêt l'introduction de "la dawotsin". Et quand plus tard je suis allé au cinéma en Angleterre pour voir le film "L'exorciste", qui venait de sortir, ma surprise a été grande lorsqu'avec le fameux tube planétaire "tubular bells" ce sont les premières mesures quasiment copie conforme de "la dawotsin" qui ont résonné ! Du coup nous avons été obligés de nous réorienter et "K.A." a été remisé dans les cartons. Entre temps, j'avais aussi trouvé les accords de ce qui allait devenir "Köhntarkösz" et j'ai plutôt poursuivi dans cette voie. Ce n'est qu'en 93-94 que j'ai exhumé ces bandes et les ai faites écouter à des amis musiciens (les membres d'un groupe aujourd'hui disparu : Don't Die, NdlR). Je leur ai donné les bandes pour qu'ils le jouent et un jour ils m'ont envoyé une maquette. Avec James (Mac Gaw) et Philippe (Bussonnet), on a ensuite commencé à décrypter le truc, puis on a trouvé le mouvement, le son, la respiration du morceau. Ce que je n'avais en revanche pas compris en 1972 c'est qu'il s'agissait de la jeunesse de Köhntarkösz. Il cherchait, sans indication précise, il cherchait... et en fait il reçoit une illumination du même type que dans "Köhntarkösz"... il y a déjà tous les éléments, mais un peu dans le désordre.

Tu disais que K.A. était une sorte de chaînon manquant entre "Köhntarkösz" et "MDK". Mais ne fait-il pas plutôt partie d'une seconde trilogie ?
En principe il n'y a pas trois volets. En fait il existe un morceau du nom "d'Emëhntëht-Rê", qui pourrait bien constituer le troisième volet d'une autre trilogie, oui. "Hhaï", le morceau que l'on trouve sur le "Live", fait partie "d'Emëhntëht-Rê", de même que "Zombies", qui se trouve lui sur "Üdü Wüdü" ainsi qu'un autre extrait. Bref, si on met tout dans l'ordre, "Emëhntëht-Rê" complète se composerait d'une intro, de "Hhaï", de "Zombies" puis des trois mouvements de "Emëhntëht-Rê".

Vous disposez paraît-il de matière nouvelle pour réaliser une douzaine d'autres albums ; alors pourquoi ne pas sortir bientôt un nouvel album de Magma avec une composition récente ?
S'agissant d'un nouvel album de Magma, nous avons pour l'heure retenu deux thèmes et sommes en train de les développer. Le problème c'est que si j'estime qu'un morceau n'apporte rien de nouveau, aucune sonorité, aucun propos neuf, je ne le ferai pas. Mais je pense qu'aujourd'hui il y a de quoi faire. Cela dit c'est complexe tout de même : j'avance sur de nombreux fronts simultanément. Stella aimerait bien que je refasse un projet solo avec des chansons comme "Les cygnes et les corbeaux". J'ai déjà des textes et des thèmes. Et puis il y a encore d'autres choses anciennes de Magma à sortir, à travailler, à enregistrer, comme "Zëss". L'histoire traite du néant et du jour de la rencontre entre l'intégralité du cosmos et le néant. À l'endroit vers lequel TOUT converge tout le monde peut être tout le monde puisque c'est la fin.

Une sorte d'apocalypse, en quelque sorte ?
C'est un concept assez proche de l'apocalypse, oui. Le néant est quelque chose qui m'a toujours tracassé. Je suis sûr qu'il existe.

Et ce projet d'interprétation par un orchestre symphonique, il est toujours d'actualité ?
Oui. René Bosc, Directeur de la Création Musicale à Radio France, m'a appelé pas plus tard qu'il y a deux jours à ce sujet. Il pensait jouer du Magma en première partie des "Noces" de Stravinsky. Mais je ne sais pas si ça pourra se faire : les délais me paraissent courts, puisque ce serait pour la mi-février, je crois.

Qu'en est-il de "Morrison in the storm", ce morceau-hommage à Jim ? Aurons-nous la chance de le réécouter bientôt ?
On l'a joué en 77-78, oui. C'était une sorte de clin d'oeil, de remerciement, un peu comme ce qu'on avait fait pour Otis Redding. Mais non, je ne pense pas que ça fasse partie de nos priorités de le retravailler.

D'autant que vous avez une tournée Magma à suivre, avec ce nouveau concept de concerts sur trois soirs consécutifs que vous lancez. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
Il s'agit d'une série en trois volets, effectivement, trois soirs de suite dans la même salle. Le premier volet est baptisé "la genèse" parce qu'il recréée les conditions de composition de la musique de Magma : pour composer je m'installe en général au piano et je chante. Au cours de ce premier soir se produiront donc un pianiste et les 4 chanteurs et chanteuses. Je dois en ce qui me concerne intervenir au chant, au piano et aux percussions. "L'habillage" est le second volet du concept et permet de ne jouer la musique de Magma qu'en rythmique (claviers, basse, batterie). Quant au troisième volet, il s'agit tout simplement d'un concert "normal" du groupe.

Qu'attends-tu de cette formule ? Ne crains-tu pas que le public n'y adhère pas ? Qu'il se lasse ?
Il ne devrait pas se lasser puisque le répertoire sera différent chaque soir. C'est sûr que tout le monde ne pourra matériellement pas se libérer trois soirs de suite. Quant à avoir l'adhésion du public, je ne sais pas trop... tu sais, je m'occupe avant tout de la musique et surtout de la musique. Ce n'est pas moi qui ai imaginé ce concept, pas plus que choisi les endroits dans lesquels nous allons jouer. J'essaie d'en attendre le moins possible, comme ça il ne peut y avoir que des surprises positives le jour du concert.

Klaus Blasquiz avec qui vous venez de vous produire à Bruxelles, est-il susceptible de jouer avec Magma à d'autres occasions aussi à l'avenir ?
Ce n'est pas impossible. Peut-être même dès l'an prochain au Triton. Mais ça c'est à prendre très au conditionnel. Il n'y a absolument rien de sûr. Tu sais qu'il est question que nous nous produisions dans cette salle en 2005 pendant quatre semaines consécutives...

Tu en as trop dit ou pas assez, là... Peux-tu nous donner quelques précisions ?
Chacune des quatre semaines verrait se développer un répertoire différent, concernant à chaque fois une période historique différente de Magma. Disons que la première semaine concernerait la période 69-72, la seconde 73-76, la troisième de 79 à "Merci" à peu près et la dernière semaine les choses actuelles. Klaus, lui, serait évidemment concerné par la première semaine, puisqu'à l'époque en question il était le seul chanteur. Je ne sais pas si ça pourra se faire... ce serait un boulot monstrueux en termes de répétitions.

Tu as déclaré à Arte (pour l'émission Tracks diffusée le 25 novembre 2004) "On est pas encore en pleine maturité. Je pense que le meilleur reste à venir. " C'est vraiment ce que tu penses, après 35 ans de carrière musicale ?
Oui. On a encore beaucoup de choses à dire.

Propos recueillis par Benoît Herr - Photos : Serge Llorente (www.progpix.com)

Source : Koid’9 n° 52 – Janvier 2005
Zeuhl Merci : Benoît Herr

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