Masterclass de Christian Vander

Le Florida - Agen - 10 Décembre 2006


Intervenant :
-Après le concert d’hier soir, Christian Vander se propose donc de vous faire découvrir un peu plus l’univers de Magma et sa perception de la musique avec l’instrument de la batterie. Ça se fera tout naturellement, tranquille. Donc je pense qu’il va jouer mais il ne faudra pas hésiter à lui poser des questions, et à échanger avec lui, c’est aussi ce qu’il attend.

Christian Vander
-Bon, on vous a un petit peu expliqué comment ça pouvait se passer. Mettons que, pour ce qui est de la batterie, ce que je pense faire c’est jouer quelques thèmes, et autour de ça, on pourrait poser quelques questions, ce serait bienvenu. Parce que, pour ce qui est de la batterie, je dirais “technique” toutes ces choses, on peut les trouver aujourd’hui dans tous les livres de musique qui peuvent exister. Je crois que je vais surtout vous parler de la “batterie mélodique”… la musique de la batterie. Ce qui est pour moi important, peut-être essentiel. Donc il ne s’agit pas d’une démonstration, il s’agit d’essayer de jouer quelques thèmes qui ont une structure et de travailler à l’intérieur de la structure. Il y a quelques thèmes qui s’effectuent en trente deux mesures, un autre en trente huit mesures, etc. Mais on peut essayer de suivre tout au long du dévelopement, la structure, qui évidemment continue.

Je vais commencer par un thème de John Coltrane : “moment’s notice”.

- Il joue le thème à la batterie durant 5”05 -

Voilà, ça c’était une intervention.

- Applaudissements nourris et le sourire qui se dessine nettement sur le visage de Christian Vander -

Pour ceux qui ne connaissent pas tous ces thèmes, c’était un thème John Coltrane au début de sa longue aventure qu’on aurait espéréee plus longue encore.
Si quelqu’un veut parler de quelque chose, de la musique qu’il aime, d’une idée. Si quelqu’un à envie de dire quelque chose, sinon je poursuis…

Une personne du public intervient :
-Bonjour Christian. On peut observer que tu joues la batterie à même le sol et tu disais tout à l’heure que tu allais nous parler la batterie mélodique. Je comprends ce que tu veux dire par là, et en même temps le fait de jouer sur le sol, même à cette distance-là, la perception de la batterie n’est pas la même. Elle me donne en tout cas des ressentis, au niveau sonore, au niveau des vibrations, qui s’approchent pour moi de ce qu’est la mélodie. Et je sens plus la batterie, par le fait qu’elle soit à cette proximité-là. Est-ce que c’est un choix que tu fais tout le temps ou est-ce une assurance sur ton jeu. Comment tu sens les choses ?

Christian Vander :
-Disons qu’il m’est arrivé de jouer sur une estrade avec un contrebassiste qui était lui en dessous, au sol, et c’était pratiquement impossible d’avoir une cohésion, quelque part, on ne peut pas travailler dans la même matière, c’est évident. Donc d’une manière générale je préfère être à la terre. Et puis de toute manière, c’est le commencement… marcher… Les rythmes viennent de cette manière, les temps, les contretemps… Quelque fois on disait à des gens qui avaient tendance à accélérer ou à pas trop sentir le truc, on disait : marche sur le truc ! (il se lève et marche en swingant sur place tout en chantant : Pipoudoudeh dadoukepkan ! Alors évidemment, à moins de faire un faux-pas, on sent tout de suite les articulations, notamment les contretemps, les choses… c’est une bonne… démarche (rires)… Bon je ne sais pas si j’ai répondu ?

Personne du public :
-Oui oui tout à fait. Si tu veux pour moi, tout ce qui est pour moi “élévation” amène parfois sur des fréquences basses, sur des choses qui nous sont parfois désagréables ou non désirées, quand on a fait un choix de timbre de réglage et autre. Et parfois c’est vrai que ça peut-être vachement emmerdant parce que ça amène des choses dont on n’a pas envie.

Christian Vander :
-Pour les fréquences tu veux dire ?

Personne du public :
-Oui, sur le plan fréquence, oui.

Christian Vander :
-Mais alors… parce que tu disais “élévation”, qu’est-ce que tu…

Personne du public :
-Je voulais dire le fait de surélever la batterie.

Christian Vander :
-Ah oui ! l’élévation dans ce sens-là !

Personne du public :
-Oui ! Pas dans le sens spirtuel !

Christian Vander :
-Voilà oui oui oui, c’est ça ! C’est pas ce que je pensais ! (rires)

Personne du public :
-Le fait d’avoir les cymbales qui sont plus à hauteur humaine… on peut entendre plus les vibrations aussi…

Christian Vander :
-Oui alors là j’ai appris un truc je ne sais pas si c’est vrai mais ça semble être de source sûre… beaucoup de batteurs aujourd’hui, bon je ne critique absolument pas parce que les techniques ça n’appartient qu’à la personne, mais beaucoup de gens jouent à plat et j’ai appris que c’était le manager, au départ, de Ringo Starr, le batteur des Beatles, qui lui avait dit : écoute, tu mets tes fûts trop haut et trop inclinés, on ne te voit plus. Donc tu les mets à plat et les cymbales à plat, pour qu’on puisse avoir les quatre Beatles en photo… (Rires)
Bon je ne sais pas si tout vient de là mais il y a quelque chose qui est vrai c’est à dire que pour jouer un ride de cymbales, j’ai l’impression quand même que la jouer avec les cymbales à plat, c’est moins facile que dans un mouvement naturel, vous voyez. Il faut dire que très peu de gens aujourd’hui jouent une ride de manière suivie à la batterie, c’est simplement pour jouer quelques syncopations quelques ponctuations. On utilise beaucoup moins cette cymbale qu’elle était utilisée auparavant, les batteurs ne jouaient pratiquement qu’avec deux cymbales.
Il y a aussi une chose c’est que la qualité des cymbales a changée.
On peut en parler de ça ? Ça intéresse quelqu’un ?

Le public :
-Ah oui ! Allez-y !

Christian Vander :
-Je ne sais pas, parce que moi je ne fais pas trop ce genre de choses en réalité, j’essaie toujours d’être dans la musique. Alors qu’il y a des batteurs qui sont des spécialistes, moi je ne suis pas un spécialiste, je parle surtout musique.
Donc auparavant, les cymballes étaient travaillées d’une autre manière. Les meilleures qu’on ait pu trouver, c’étaient les fameuses cymballes turques “KA”. Les Ka. Ka d’harmonies… Et plusieurs personnes travaillaient sur la même cymballe. Un qui la fondait, un qui la tournait, un qui la martelait, voyez, c’était plusieurs personnes. Après, quand ces cymbales ont été reproduites aux Etats-Unis, on m’a dit : oui mais tu comprends tous les gars de Turquie sont aux Etats-Unis. Oui mais c’était un gars par cymbale, et non pas toute une équipe qui travaillait pour une cymbale. Donc on a obtenu progressivement des cymbales qui ne pouvaient pas tout donner. Donc on a ajouté des cymbals “crash” alors qu’il faut penser que certain disque, notamment dans le jazz, un batteur joue sur une cymable et on entend keukash ! Teukash !, mais il le joue sur la même cymbale avec un geste du poignet. Notamment Tony Williams, Elvin Jones, des gens comme ça… Moi-même quand j’ai commencé la batterie, les cymbales n’avaient plus cette qualité. Et j’ai pensé… là ce n’est pas le cas… mais j’ai pensé mettre une crash sur le côté, elle était très proche de la ride, ça me donnait l’impression d’être toujours dans le même geste. Et non pas aller chercher une crash je ne sais où. Dans l’intention du mouvement rythmique.
Bon évidemment, ça concerne plus les batteurs.
Aujourd’hui, les cymbales sonnent aigus, mais ça on peut en parler plus tard, du problème du son de cymbale et comment on peut accorder la cymbale avec l’instruumentiste, même si la cymbale n’est pas extraordinaire. C’est surtout une question de présence et d’être à l’intérieur de la musique par rapport au soliste, c’est ce qui forme le son et non pas avec un exercice de style, comme les gens jouent… par exemple un chabada linéaire… ça c’est vide de sens. Le problème c’est que chaque impulsion est travaillée au cosme, est vivante et a sa nuance. Donc c’est ce qui accorde progressivement la cymbale avec le soliste, même si ce n’est pas une excellente cymbale.
J’ai fait une petite parenthèse mais ce que je voulais dire c’est les cymbales, actuellement, sont fabriquées pour les jeunes qui ont entendu des cymbales dans les disques. Et il faut dire que, très souvent, hélas, le son des cymbales n’a pas touours été bien restitué. Très souvent, les ingénieurs du son, certains, même beaucoup !, ont une tendance à mettre beaucoup trop d’aigu dans les cymbales. Avec une cymbale qui sonnait quelque fois comme un véritable chaudron, je dis ça dans le bons sens… Bêêêêm ! (son grave et profond venu du ventre), avec une matière insensée. Et le gars à l’arrivée donnait à ce son de cymbale un tililing tidiling ! Ce qui fait que quand les jeunes écoutent les disques ils se disent : ah je veux le même son de cymbale que ce batteur que j’aime bien ! Mais en fait ce son de cymbale n’existe pas, il a été fabriqué en studio. Et le batteur qui a joué avec, avait beaucoup plus de matière. On dit : qui peut avec le moins, peut le plus. C’est ce que je dis moi en tout cas… Mais quand même, il y a des limites ! Je veux dire que là, on ne peut pas inventer une cymbale grave s’il n’y a que les aigus. On a même fait des cymbales vernies, tous les batteurs le savent, et il n’y a rien à creuser à l’intérieur, on ne peut pas travailler cette matière. Ça vient de ça l’erreur. Après on a fabriqué les cymbales pour ceux qui avaient entendu un batteur qui, peut-être, avait ce son. Il suffit de demander à ce batteur ce qu’il en pensait de ce son. Lui ce qu’il voulait c’était du matériel et des matériaux pour pouvoir travailler. Les charlè d’ailleurs c’est pareil, ils se réduisent comme peau de chagrin. Moi j’ai encore une quinze en dessous. Tony Williams jouait des quinze, Art Blakey que vous ne connaissez peut-être pas, jouait avec des seize inches. Maintenant on travaille jusqu’à des treize, pourquoi pas des douze ? Je dis : un jour on ne pourra plus poser le bout de la baguette sur la cymbale… (rires)
Ce n’est pas un problème d’inertie parce que je pense qu’on peut jouer aussi vite avec une cymbale lourde. D’ailleurs la cymbale du dessous ne bouge pas. Donc il faut une bonne cymbale, minimum quatorze, pour pouvoir la jouer. Sinon elle a un son euh… je ne sais pas si vous avez déjà… On peut la considérer également comme une cymbale.

Bien, je vais jouer autre chose peut-être, à moins que vous ayez une question avant. De toute manière vous savez, c’est aussi important de développer certaines choses en musique, peut-être des petits mystères dans le temps, qui n’en sont pas vraiment, que de jouer une batterie et puis fnalement ok, pourquoi pas, mais c’est aussi important d’avoir quelques réponses. Si j’en ai.

Une personne intervient :
-Pourquoi vous avez supprimé un tom médium depuis pas mal d’années ?

Christian Vander :
-Eh bien là je suis justement en train de réfléchir à la question parce que je vais avoir une nouvelle batterie bientôt… Et je vais prendre un tom dix également, donc dix-douze… mais je ne sais pas encore si le tom dix je ne le mettrai pas de ce côté (à droite) puisque je garde l’attache sur la grosse caisse, parce que je préfère.

Une personne intervient :
-Pourquoi l’attache sur la grosse caisse ? Parce que on dit que (inaudible) résonne mieux, etc

Christian Vander :
-On dit ! Mais alors là c’est encore un autre problème. Moi j’ai une batterie qui est montée avec une attache, une vieille Gretsch, pas celle-ci. On a un problème avec les batteries, c’est comme tout d’ailleurs : les peaux. Gretsch avait été fabriqué avec une peau qui lui convenait totalement, c’est-à-dire la peau permatom, mais pas les peaux permatom qu’on utilise aujourd’hui qui sont trop mates. C’était une peau qui se situait par rapport à la Remo, pour ceux qui connaissent, entre l’ambassador et la diplomate. Donc elle avait de l’harmonique et du grave qui venait tout de suite. On pouvait jongler avec les fûts. À la limite deux tours de clés et on avait un son. Que là, on joue quelques mesures et il faut sans cesse retendre, retendre… chercher une petite harmoniques, pour ceux qui cherchent un peu de résonnances ou de notes, il faut sans cesse être à l’affût… tendre… et donc le tom dix, ou douze-treize, nous obligent à jouer trop loin de la cymbale ride, ou du moins à une position qui n’est pas naturelle pour moi. Il faut s’appeler je dirais Elvin Jones, une allonge insensée pour jouer tranquillement une cymbale qui se trouve ici. Moi j’ai une allonge qui ne me permet pas d’aller si loin. Donc je trouve une solution, celle-ci, pour être bien dans ce mouvement de ride. Plutôt que vers un tom ici, je serai obligé de mettre la cymbale là et à ce moment-là, au niveau des dômes, ça devient difficile à bout de bras de maîtriser en continu je veux dire, on pourra jouer un coup isolé, mais une performance d’afro pendant une demi heure comme ça, ça me parrait insensé. En tout cas pour moi. C’est la raison pour laquelle je fais ça.

Une personne intervient :
-Au niveau de l’accordage justement de la batterie…

Christian Vander :
-Bon actuellement je ne cache pas que cette batterie je ne l’accorde pas spécialement. J’accorde à l’oreille des sons, des sons qui conviennent à l’harmonique du moment. Quand la peau a plus trvaillée, plus souffert, je cherche un autre accord, je module, au jour le jour. Par contre quand je suis optomal… là je vais retravaillé sur un accord à nouveau, bientôt. Et à ce moment-là je sais quel accord j’utiliserai bien entendu.

Une personne intervient :
-Tu utilises un accord spécifique ?

Christian Vander :
-Ben, là j’utiliserais un accord spécifique, oui. D’ailleurs un accord qui est très souvent utilisé dans le jazz. Mais il fonctionne à peu près partout, ce qui n’est pas mal… Donc, là je ne sais pas… bientôt. Il faut la stimulation. Là ce que je m’amuse à faire, c’est plutôt à m’accorder limite entre deux tons. Si on pose la baguette d’une certaine manière on peut avoir la tonalité orale et dessous on monte un peu, on joue un peu comme d’un instrument non tempéré. Ce que je n’aime pas c’est un accord parfait, ça je trouve que c’est la tristesse au plus au haut point. C’est toujours fini, le son est toujours fini. On sait exactement la note qu’on va sortir. Moi j’ai vu des batteurs, faut pas citer toujours le même, mais lui c’est quand même un phénomène… Elvin Jones changer de tonalité sur un même tom… mais comment c’est possible ?, changer une note ! Où il a tellement accordé, il a saisi l’harmonique, qui a fait qu’on avait l’impression qu’il changeait rigoureusement de tonalité. Ça, ça frise la magie quand même hein ? Mais on peut essayer.

Une personne intervient :
-Tu veux dire que tu es acordé entre deux tonaiiltés ?

Christian Vander :
-Oui, bon, pas forcément là c’est… enfin vous voyez ce que je veux dire… (rires). Non, ce qu’il faut comprendre c’est que ça marche aussi par la pensée… Moi je sais qu’en effet Elvin n’accordait jamais ses fûts… il donnait deux trois coups de clés… mais c’est ce que je disais, on avait les peaux permatom, chaque son était magique… Alors un jour il était accordé comme ça, le lendemain comme ça. C’est sûr qu’à partir du moment où sa femme Keiko lui rendait service, je crois que pour lui c’était une galère en moins. Accorder les fûts pour lui ça le dépassait complètement. Au début en tout cas. Mais il entendait un son, il le restituait, il le jouait, et on avait franchement l’impression que c’était harmonisé. Il y a quelque fois, c’est évident, où il a dû faire un accord quand même. Sur certains thèmes obsessionnels où on entend la grosse caisse résonner avec le sax, je ne crois pas que ça frise le hasard à ce point… Il a dû par moment mais je pense qu’il ne s’est jamais donner cette peine à cette époque-là. On entend quelque fois la batterie complètement détendue d’un jour à l’autre. Même aucun effort pour régler la caisse claire… mais ça sort… ça il aurait pu jouer sur n’importe quoi… c’est un cas… mais bon il faut en parler aussi… parce que les autres… nous… pas tous mais bon… Tony Williams par exemple avait un accord particulier… J’ai eu la chance un jour de jouer sur sa batterie… on m’a donné en fait sa batterie, moi j’étais en contrat Gretsch et on m’a donné sa batterie après un concert de Tony. Et il a un son très bois, très jungle. Et on se demandait comment il obtenait ce son… Alors comme vous êtes là, je vais vous dire tout ce que j’en sais… Il avait des sourdines en dessous, sous la peau de timbre qui peut-être aujourd’hui ne se fait plus. Il utilisait des peaux CS noires, avec le rod noir. La peau du dessous était très très très tendue comme du bois, et la sourdine. Et assez tendue au dessus, mais ouverte… Et c’était un son de bois et de jungle insensé. Et le mystère il est ça. Par contre, impérativement, il jouait sur les petits cercles noires. Et moi après le concert j’ai observé, j’ai regardé sa batterie, il y avait peut-être trois petites marques sur le blanc de la peau, tout le reste était centré. Comme un tir parfait dans une fête foraine… je veux dire franchement… Mais c’est son truc aussi il avait choisi ça, ça oblige à un jeu bien particulier… Moi je préfère un jeu plus sale, plus lâché. Ça n’empêche pas la rigueur. Mais pouvoir pêcher les sons un peu partout, voilà c’est plus ce que j’ai choisi.


Une personne intervient :
-Tu veux dire par là que tu ne te donnes pas de règles.

Christian Vander :
-Non. Oh et puis c’est mieux… enfin pour moi… je veux dire qu’on a l’impression de pouvoir chercher des sons de partout, d’avoir un milliard de ressources. Mais je crois que Tony il avait un milliard de ressources. Mais il a fait parti de ceux qui avaient une invention phénoménale. Moi je conseille à ceux qui connaissnent ou qui ne connaissent pas Tony Williams mais qui s’intéressent à la batterie, écoutez un disque qu’on doit trouver certainement, un disque qu’il a enregistré avec un tromboniste Gracham Moncur III. Ce disque s’appelle “évolution”. Et ils jouent un thème dessus qui s’appelle “The coaster”. Et pour moi c’est une symphonie de batterie. C’est un chef d’œuvre de l’accompagnement, de la justesse, du choix des sons, de l’anticipation également. Il est partout. Il a ces fameuses cymbales KA également. On entend une batterie Gretsch au niveau qu’on ne peut plus connaître aujourd’hui pratiquement hélas, j’espère que ça reviendra mais… c’est une merveille, voilà… Je vous dis ça parce que moi je l’ai écouté, je l’ai écouté, et encore… je l’ai conseillé déjà à des amis et franchement pour ceux qui aiment la batterie et même ceux qui aiment la musique simplement, une des plus belles choses que l’on puisse au niveau drumming.

Voilà je vais donc poursuivre. Je ne vous cache pas que c’est une improvisation complète. Je vais jouer un thème de “McCoy Tyner - For tomorrow”.

- Le thème dure 7”28 -

Christian Vander :
-Merci à tous. Un peu peut-être à vous maintenant. Vous voulez échanger

Une personne dans le public :
-Je voulais savoir, quand tu joues un thème comme ça, est-ce que tu essaies de le jouer le plus fidèlement possible ou est-ce que tu essaies de le faire évoluer de la façon dont tu le vois en fait ?

Christian Vander :
-En réalité, on évolue chacun à sa manière, c’est évident, on est libre. Par contre, au niveau des mesures il faut respecter la forme du thème, la structure, les mesures. Donc le chant subsiste toujours. On chante autour de la mélodie en réalité, qui continue à défiler. Ce n’est pas : “exposition du thème et puis ensuite free”… ça peut !, mais en l’occurrence là, ce n’est pas l’idée. L’idée c’est de respecter la structure du thème donc on peut sur l’improvisation continuer à chanter le thème, quand on le connaît bien-sur. Mais le principal intéréssé en principe doit le connaître. Par contre, il y a des thèmes sur lesquels on peut jouer – c’est un choix de toute manière - un certain nombre de structures et puis ensuite partir librement… et revenir à nouveau sur la structure pour réamener les solistes qui doivent réattaquer. Si on joue avec un saxophoniste avec un pianiste, il faut à moment donné donner un signal pour reprendre la structure. On sait qu’on fait deux ou trois tours et que là, bon, évidemment, on est en plein dans la structure. Mais on peut aussi partir librement. De toute manière, c’est un problème de respiration. Là, c’est développé, par exemple “For tomorrow” assez simplement. On arrive à suivre tranquillement cette mesure à trois temps. Je n’ai pas cherché à partir à l’aventure, tout en conservant la structure. Parce que ce n’est pas le but tout à fait pour ce thème. Il ne s’y prête pas vraiment. Il est vu un peu comme une ballade en effet. Et moi je préfère garder sa rondeur d’une certaine manière. Par contre, sur un thème que je jouerai après, bon là je peux plus simplement partir à l’aventure. Tout en respectant la structure, puis ensuite la quittant et revenant.

Une personne dans le public :
-Tu dis souvent que tu pars à l’aventure. Est-ce que tu t’es débarrassé du côté technique pur ou est-ce que tu penses encore à te dire qu’est-ce que j’utilise, qu’est-ce que je fais là ? Quelle mesure ?…


Christian Vander :
-La technique pure on n’en est jamais débarrassé. Je pense que pour quelqu’un qui s’attache à la tecnhique, on peut y passer, c’est certain, toute sa vie, et bien plus… Je pense qu’il ne faut pas se sentir gêné. Moi je travaille plutôt la souplesse pour ne pas me sentir gêné dans mon expression. Je pense beaucoup en termes de phrases musicales plus qu’en termes techniques. Pour ne pas analyser. De toute manière, ce n’est pas tout à fait juste. Qu’est-ce que c’est un triolet ? Ce n’est pas vrai ça un triolet ? Si on commence à jouer un triolet, c’est franchement ridicule. On a compris et on ne le refait plus jamais de sa vie. Je veux dire ce n’est pas tout à fait un triolet, ou ce n’est pas tout à fait ça… c’est ça le mystère de la musique. On est quelque part mais on ne peut pas le définir. À partir du moment où on peut le définir, ça n’est plus la peine, on a compris que des gens jouaient des choses comme ça. On a essayé de relever aujourd’hui tous les phrasés de certains batteurs qui ont crée des magies. Alors on le vend et on s’aperçoit en effet que qu’est-ce qu’il a mélangé là dedans ? Il a fait un je ne sais qu’est-ce, mélangé à un je ne sais quoi. Euh, oui d’accord mais est-ce que lui il a véritablement analysé ça comme ça ? Le problème est que très souvent, ces gens l’ont sorti spontanément, dans l’impulsion de ce qu’il se passait à ce moment-là, dans l’élan, et également parce que la musique était là et le demandait. Et puis ce n’était pas des gens ordinaires, ce n’était pas des gens qui se disaient : tiens dimanche je vais jouer un peu batterie… Ce n’est pas ça. C’était des gens qui étaient tombés dans la marmite et qui ont progressivement fait évoluer la musique. C’est immense la musique. On peut passer sa vie. Moi je connais des gars qui ont voulu, qui a des moment ont pris des cours de batterie pour se perfectionner, et puis finalement ils sont devenus profs. Ce qui est très bien, mais ils sont entrés dans ce fonctionnement et puis ils ont toujours des choses à découvrir, ça c’est sans doute infini. La pratique en direct, moi je dis “au charbon”, c’est autre chose. C’est une autre approche encore. Je ne sais pas, on a besoin d’échanger des choses, certainement. Je crois que ça serait intéressant si, et je pense que les bons profs doivent le faire, ils se mettaient à nu, au charbon… un peu à la découverte… et non pas travailler comme systématiquement un exercice, chaque croisé, ou dire voyez là, laissez-moi un break de huit mesures ou de sept mesures et demi. Ce n’est pas comme ça que ça marche. Ça va plus vite que ça. D’ailleurs les grands musiciens disent souvent, il faut penser après. On pense après. Et c’est ça qui est terrible. Si on s’arrête sur une note, si on dit : tiens cette note est extraordinaire ou ma cymbale qu’est-ce qu’elle a bien sonnée dans le truc, c’est trop tard, la musique continue à défiler et on est trop tard. Il ne faut pas s’arrêter sur une chose qui nous a semblée belle de ce qu’on a pu jouer, c’est trop tard. Il faut être dans la musique, avancer, ce truc ne s’arrête pas. Elle nous échappe plutôt. Donc l’idée c’est dêtre “en” musique pour ne pas être propulsé “hors”. Il faut suivre le fil à vitesse de la lumière, et ce n’est pas la pensée.

Une personne dans le public :
-Est-ce que tu considères la batterie ou toi tu te considères comme un danseur un peu ? C’est-à-dire comme travailler la souplesse…

Christian Vander :
-De toute manière je pense que pour vivre les rythmes il faut les danser, de toute manière. Même si la musique n’est pas forcément une musique de danse. Mais je pense que dans toutes les bonnes musiques on doit pouvoir sentir la danse. Mais quelque fois c’est tellement profond et je dirai même, pourquoi pas, spirituel, que la danse elle est incluse. Mais on n’a pas envie de danser, on a envie d’écouter. Et pourtant ça danse ! À certains moments, en écoutant cette musique à un autre moment, dans un autre état d’esprit ou d’état d’âme, on peut soudainement dire : ah ça swingue, ça swingue ! Et puis soudainement on entre en profondeur et puis là, le swingue… bien-sûr ça swingue mais on est parti sur la musique intérieure, je dis la spiritualité puisque bon il y a quelque chose comme ça. Mais c’est sûr qu’il faut danser. Il faut les vivre. C’est une danse.
Bon, ça va je peux parler de batterie ? Si ça ne vous ennuie pas trop ?

Le public :
-Non, non, non

Christian Vander :
-Non je dis ça, parce que finalement en parlant de batterie on parle de musique forcément.

Il y a une autre chose importante je crois, moi j’ai découvert ça dans le temps et surtout en regardant et en essayant de comprendre certains musiciens que j’ai eu la chance d’entendre… Le problème de la colonne vertébrale. Très souvent, moi c’est ce que je vois, les batteurs ou les musiciens, c’est pareil… saxophoniste, pianiste… dans l’ensemble, jouent en pensant leur colonne vertébrale dans ce sens… voyez… dans le sens comme ça. Or, la colonne se pense dans l’autre sens. Voyez… Au début c’est fastidieux. Je ne peux pas jouer comme ça… Or le geste il est vraiment… la colonne était comme ça d’ailleurs, vers le bas… la puissance vient là, si on pense en avant la colonne on est cassé en deux.

=> S’ensuit une démonstration technique de batterie-musculaire-sensorielle à l’appui d’exemple joués que je ne peux expliquer ou détailler ici puisque je n’ai plus le visuel pour le faire, seulement la bande-son.

C’est comme si on était le souffle coupé. Donc il n’y a plus de puissance parce qu’on ne travaille qu’avec la jambe, par exemple. Mais le haut idem, qu’avec les bras. La puissance vient de l’intérieur de la colonne. Et d’ailleurs le son change. Si vous jouez avec la jambe, vous n’allez pas pouvoir contrôler la grosse caisse ou changer de son. Par contre là, on est en flexion sur la peau, donc on peut réduire l’attaque de la grosse caisse presque au niveau du charlè… comme ça, voyez… et on change le son… C’est par la pression et les doigts des pieds. Idem pour la charlè… Tout ça c’est un travail intérieur. Evidemment, les gens regardent les chaussures… Tout se passe à l’intérieur… Là c’est une grosse caisse qui est assez tendue. Mais on la pense nous comme une grosse caisse qui est réglée plus large, plus grosse, eh bien le coup n’a pas fini d’exploser que vous avez joué un chabada qui sert de pal. Si vous voulez faire tchiga tchiban tchiben… Vous pouvez faire tchigonguedin… tchigonguedin, tchigonguedin, vous pouvez faire tout faire… Et c’est la colonne ! C’est un mouvement de tension arrière qui donne cet effet de colonne à cet endroit, dans ce sens.Ça c’est un travail. J’explique ça parce que moi ça fait des années que je pratique cette chose. Au début, ça a été difficile. Je ne pouvais même plus jouer un tom, j’avais l’impression de ne plus savoir jouer. Par contre après, c’est l’inverse qui s’est produit. C’est fatiguant de jouer avec la jambe musculairement, on travaille trop musculairement. Il y a une autre chose aussi, par exemple Tony Williams, c’est important. J’avais lu que Tony Williams donnait des cours et que son premier cours de batterie c’était “le posé de charleston”. Je me disais : voyons, voyons, un cours pour le posé de charlè ! Plusieurs ! C’est tellement facile, il va gagner des sous Tony ! Je rigole mais en fait, je n’avais pas compris, le truc c’est que l’impulsion de la charlé ne se donne par une impulsion musculaire. Parce qu’on remarquera qu’on a un “fa”… la cymbale, la charlé tombe avant qu’on arrive. Donc l’idée c’est de poser la charlè. C’est un peu déséquilibré ce qui se passe mais quand on la vit !… Là l’explosion est au centre. Mais par contre ça n’exclue pas, en couleurs, de s’amuser à jouer des choses plus marquées… ça c’est autre chose, mais simplement vous articulez tout mieux. Vous vivez tout chaque fraction de seconde.


Une personne dans le public :
-Quand tu dis posé. C’est moins un geste musculaire.

Christian Vander :
-C’est clair. Posé c’est vraiment posé. Moi je voyais même Elvin ou Tony poser le charlè. Il y avait le tsssshak ! Vous voyez ce que je veux dire… tsssshak ! Nous on est là : tchak ! Tchak ! Bien-sûr ! Mais c’est tsssccha ! Donc on entend tsshakadada ! C’est comme s’il y avait tscsscch ! Voilà ! Et il touche le fond à un moment. Et c’est là qu’en effet, ça fait travailler la cymbale. Sinon vous verrez, essayez, progressivement, parce qu’au début moi aussi je l’ai tenté et je n’arrivais plus à jouer la grosse caisse. C’est évident. Parce qu’évidemment, quand je vous chante ça, je suis en appui sur la jambe droite. Mais en réalité il n’y a plus d’appui, on tient que par la colonne. Donc, voilà. Ceux qui ont eu le chance d’observer des gens en effet comme Tony Williams on s’aperçoit qu’ils ne touchait pas le sol en réalité.

Une personne dans le public :
-Le pied droit ce n’est pas la même technique. Avec la grosse caisse je veux dire.

Christian Vander :
-Ah ce n’est pas la même technique ! La grosse caisse, c’est un balayage. Là c’est plus souple mais ça n’empêche pas la puissance. Bon voilà pour ça, si vous avez une question.

Une personne dans le public :
-La position du siège. Ça vient de là, du fait d’être stable ou pas ?

Christian Vander :
-Alors là ça c’est compliqué. Plus ça va plus les sièges sont larges et confortables. Je dirais même pourquoi pas un fauteuil Louis XVI (rires)… je veux dire… là ça c’est sûr que tu ne vas pas bouger. Moi je trouve que la musique ce n’est pas confortable, au contraire. Avant je jouais sur un ancien siège, peut-être qu’il y a des gens qui ont connu ça… un petit ludwig trépied, avec une toute petite semelle. Ce qui fait que je pouvais jongler et faire danser le pied. Pour moi il n’y a rien de pire qu’un pied qui est statique et qui ne peut pas bouger. Parce que justement, on peut être en déséquilibre on peut jongler avec le siège, on fait danser le siège également, on fait corps. Que là si le siège est figé, est obligé de jouer des positionnements à plat, ce qui est intéressant pour certaines choses, mais pour un musique qui doit voler, bouger, c’est très difficile, une musique mouvante… Ça nécessite d’avoir un siège très rapide également… Alors ça c’est un gros problème. Après, la hauteur. Moi au début j’étais complexé par le fait qu’Elvin Jones faisait au moins un mètre quatre vingt dix et moi je n’étais pas aussi grand. Donc pour dominer la batterie j’avais mis mon siège haut, et je jouais sur une batterie avec des cymbales très bas. Mais c’était un déséquilibre compet. Il faut le trouver, ça c’est une chose très personnelle, on ne peut pas trop donner de conseils là-dessus. L’idée c’est qu’il ne faut pas être cassé, pas trop bas, ça c’est sûr… médium ? Je ne sais pas, c’est difficile à expliquer ça. Voilà voilà. Bon je n’ai pas répondu là ?
(Rires)

Une personne dans le public :
-Comment tu travailles la respiration de ton instrument, en fonction des morceaux, entre les tempos.

Christian Vander :
-Ouais, alors en fait…

La personne dans le public :
-Yoga ?

Christian Vander :
-Non, non mon yoga à moi, c’est la musique… Quand on respire à l’intérieur de la musique, on n’est plus concentré sur sa respiration. C’est la musique qui demande et on est là pour entrer à l’intérieur de la musique. Si on pense en terme de respiration, à ce moment-là on s’épuise. C’est comme essayer de faire la musique et non pas être dedans. C’est ce que j’ai déjà dit : faire la musique c’est comme frapper des coups d’épée dans l’eau. C’est comme frapper sur une mare de boue. C’est impossible de pénétrer à l’intérieur. Je crois que c’est la respiration de la musique qui nous faire respirer. Moi je suis incapable d’expliquer où je respire. Par contre, je respire certainement… (rires)… Et puis ça dépend aussi des sensations, des mouvements musicaux. On peut entendre dans la musique, par exemple, des notes qu’on a entendu toute sa vie positionnées de cette manière et soudainement on a un déclic et on dit : mais bon sang ! Mais il ne joue pas dans ce sens-là… il joue dans l’autre sens ! Ou découvrir dans le temps, il suffit ne serait-ce que de prendre la batterie ou un autre instrument, et puis de se dire : ah mais j’ai toujours pensé cette phrase dans ce sens, et puis finalement elle est dans ce sens ! La respiration ne s’effectue donc pas de la même manière. Moi je donne un exemple : John Coltrane. J’écoute beaucoup de disques et je continue encore. C’était avec ma mère qui m’a fait découvrir John, par chance, très jeune. Et on écoutait ses phrasés. Il jouait à bâtons rompus et on entendait quelque fois Wwouiiipapala… Woouabapala et nous quand il jouait “woouabapala” nous on faisait “Haa !” (grande inspiration) On respirait à ce moment-là. “Whaa !” (grande inspiration) Oui, on respire… Mais après je me suis dit : oui mais lui non (rires)… Ça paraît fou ! Il m’a fallut des années pour comprendre ça. Je dis mais là, il ne respire pas. Donc où est-ce qu’il respire ? La phrase elle est construite comme ça parce qu’il respire ailleurs. Donc à ce moment-là, j’essaie de l’écouter. Là il ne respire pas… Wwouiiiaah talaptilpa… et j’entends tout le travail autre… un peu comme les musiques indiennes ou ces choses-là… ces musiques, selon l’état d’esprit ou peut l’entendre… Est-ce qu’on entendra un jour l’essence qu’il a voulu donner ? Ça c’est autre chose. Mais on découvre avec le temps, des sens qu’on ne soupçonnait pas toujours. Moi j’écoute souvent John. Quarante après, j’attends son dernier disque (rires)… Ouais mais c’est fou quand même.

Une personne dans le public :
-Qu’est-ce que tu penses des batteurs actuels, stars qu’on entend Thomas Lang, Manu Katché ?

Christian Vander :
-L’autre, à la fin ?

Une personne dans le public :
Je parle de tous ces batteurs qu’on entend…

Christian Vander :
-Moi j’ai l’occasion de les voir, et puis notamment là, comme j’ai été au salon… il y avait des batteurs… Ça, techniquement les batteurs ont de belles techniques et tout ça… après, il faut voir à l’intérieur d’une musique… et puis surtout une musique qui raconte quelque chose, c’est ce qu’on cherche, parce qu’un batteur sans musique, il est condamné à faire des démonstrations, voyez. Ce qui est important c’est d’avoir une musique, servir une musique. Avant de rencontrer John Coltrane, Elvin Jones allait jouer à droite à gauche avec des gars… on n’aurait jamais entendu son art de la musique, c’est John, qui a permis à Elvin, de faire entendre, ressentir sons art. Et vice-versa…

Une personne dans le public :
-Christian, est-ce que tu aurais pu être batteur de studio ?

Christian Vander :
-Honnêtement, la vérité : non. Je ne critique pas, mais moi j’aime bien improviser. Même d’ailleurs à l’intérieur de la musique de Magma, je n’ai jamais eu de parties de batterie définies. Tout était à peu près réglé… et à la fin je disais oui mais moi qu’est-ce que je vais jouer ? Et ça a été le problème. Parce que j’avais choisi la batterie mais en plus, je ne savais pas que j’allais composer un jour, et comme je composais au piano, il y avait tous les ryhmes qui y était, tout ce que j’avais envie d’entendre y était, mais pas où positionner la batterie… il a fallut inventer quelque chose pour que je puisse jouer. Et j’aime improviser. Donc tous les soirs, il y a des petites choses qui bougent, des choses comme ça. J’aime bien ce sens de l’improvisation. Si j’accompagnais un chanteur, ou je ne sais qu’est-ce, et qu’il me dise bon bah là tu vois c’est ça… Non c’est un choix, si on décide de le faire, je le ferais bien mais je n’ai pas décidé de faire ça…

Une personne dans le public :
-Et qu’est-ce que tu penses de la démarche de types comme Jean-luc Ponty qui sont parti aux Etats-Unis parce qu’il expliquait qu’en France c’était pas possible d’exister, à une certaine époque. Qu’est-ce que tu en penses de ça

Christian Vander :
-De toute manière, même aujourd’hui. Il n’a pas tort quelque part. Il a essayé. C’est vrai que pour un musicien de jazz c’est très difficile ici. Moi je connais beaucoup de gars, d’ailleurs les trois quart que je connais n’ont absolument pas de boulot. Donc quelle issue ? Aller aux Etats-Unis ? Pas forcément. Des gars tentent, mais qui réussit forcément ? Bon, on fait une école de musique et après ? Il y a beaucoup de musiciens. Et pas de travail, même pour les grands, les plus grands. J’avais appris qu’il y a encore quelques temps, McCoy Tyner, pianiste de John Coltrane, avait fait du piano bar… ou alors chauffeur de taxi… ou bon… Et puis bon je ne sais pas ce qu’on peut apporter, surtout, aux Etats-Unis. C’est le fief d’une certaine musique. Moi je pense que l’idéal c’est ici, au contraire. Faire un partir une forme musicale autre… Magma, c’est Magma, mais en fait au départ, on n’est pas entré dans le système. C’est sûr que c’est plus compliqué que ça… Mais ici, si quelqu’un joue du rock, il va écouter du rock, très souvent. Il va dire : ce guitariste il est génial, etc, et je veux jouer comme ce gars-là. Ou batteur. Mais qui il écoute ce guitariste de rock ? C’est ça qu’il faut savoir. Un gars s’évertuait à me faire écouter Eric Clapton à l’époque des Cream et moi j’essayais de lui faire écouter John Coltrane. Elle me faisait écouter Clapton et je lui disais : tu sais, il a un son, il a un esprit, il a quelque chose de fort, mais je me lasse au bout d’un quart d’heure, je préfère rentrer dans les phrasés de Coltrane qui m’emmènent plus, je ne sais où, mais bon… Et dans le temps, j’ai découvert que Clapton s’inspirait de Coltrane. Après il avait choisi de faire ce blues, cette chose, mais dans sa tête il écoutait beaucoup John Coltrane. Ainsi que le batteur des Cream qui s’appelait Ginger Baker à l’époque, qui faisait des phrasés d’Elvin mais très binaire… Dung ! Dung ! Dunng ! Très droits comme ça. Et moi je me disais : c’est étrange qu’il joue ces phrasés, à l’époque personne ne jouait la grosse caisse en l’air. Il écoutait Elvin Jones… Et donc c’est important d’aller à la source, d’aller s’informer véritablement, savoir qui écoutent ces gens finalement. Ça c’est important. Et non pas dire c’est du rock, la source elle est là. La source elle est ailleurs. Miles Davis écoutait même Debussy, Bartok… donc il faut absolument chercher la source des choses, à la source…


Une personne dans le public :
-Quelle est l’apport du rock et du jazz justement dans Magma ? Parce que tu sembles mélanger un peu les deux.

Christian Vander :
-Moi je ne vous cache pas, je ne suis pas très rock.

Une personne dans le public :
-J’avais un peu compris. (rires)

Christian Vander :
-J’avais tous mes copains qui écoutaient du rock quand j’avais quatorze quinze ans, c’est sûr. Même après. Et moi, j’écoutais du jazz. Mais les fous, hein, attention… et j’y trouvais tellement plus de choses. Après, ça n’exclue pas… moi je jouais du rock pour me détendre avec mes copains qui de toute manière ne jouaient que ça. Par contre, si j’avais envie de jouer un thème autre “My favorite things” de John, ou quelque chose comme ça je me trouvais seul, ici. C’est dommage. Je ne sais pas, franchement, au niveau des rythmes en tout cas, je suis absolument certain que tout vient pratiquement du jazz. Pour la musique binaire, Tony Williams, ou même beaucoup de gens qui venaient du jazz jouaient très bien binaire. Tony jouait très très bien binaire. Mais c’était un choix aussi. Il ne voulait enter dans le système binaire. Parce que de toute manière le système ternaire est plus large. Binaire on a inclus de toute manière dans des doubles, des triples ou quadruple croches. Ternaire il y a un côté triolet qui fait qu’on a un espace autre. On est plus mouvant, on est plus souple. Il n’y a pas une seule musique qui swingue où le batteur joue deux fois de suite la même chose. Subtilement, ça bouge. Et faite l’expérience, mettez un disque que vous connaissez. Même un disque de jazz… vous avez l’impression que le batteur il fait vraiment… tchinguiling ! tchinguiling ! aux balais… alors oui, trois mesures… et puis soudainement on sent qu’il glisse légèrement la charlè… elle est un peu plus en arrière, un peu plus en avant, le balai tire un peu plus, il est à la mesure. Vous retirez les balais, vous entendez le piano ou le bassiste. Ça ne tourne plus ! C’est un déséquilibre complet… Ça prouve que le tempo, c’est donné par un ensemble. Un ensemble mouvant. Et c’est ça qui se passe. Quelqu’un qui joue, je dirais, aveuglément un tempo mais comme s’il était définitif. Comme ça : ba…da…da…deu…da ! Ça, non. Talala…balala…babeula… peut-être. Il y a toujours un “peut-être”, mais il faut aller vite. On est toujours à l’affût. Mais pour que ça sonne et pour que l’ensemble du groupe sonne, il faut être à l’affût de l’impulsion. Si on est aveuglément, bah moi aussi je peux faire pareil… et puis à ce moment on est en “fla” et ça ne résonne pas. Pour que ça résonne il faut être sans cesse très très proches dans la musique. Evidemment l’effet extérieur donnera balalaleu houndi houndidouda… Bon. Ça sonne. Mais le mystère il est dans l’écoute. C’est ça qui fait la musique : l’écoute. J’ai un peu expliqué ?

Une personne dans le public :
-Ouais.

Christian Vander :
-Ce n’est pas suffisant. Je sais qu’on peut un choix de faire du rock tout sa vie. Moi je ne critique absolument pas.

Une personne dans le public :
-Est-ce que le rock ce n’est pas un moyen de faire de la musique sans avoir une grande technique ?


Christian Vander :
-Ce n’est pas un problème de technique. Moi j’ai vu des batteurs de jazz qui n’avaient aucune technique. Le gars il est là, il fait trois trucs, et là où il faut… Non non au contraire, c’est très souple le jazz pour ça. C’est passionnant au niveau mouvement. Justement on apprend à pêcher les rythmes dans l’espace. Miles Davis disait : il n’y a pas de blue note. Ça veut dire : il n’y a pas de fausses notes. Pourquoi ? Parce que quand il envoyait peut-être un couac… peut-être !… Il le regroupait tout de suite avec d’autres notes pour en faire de la musique. Et ça, il avait la vitesse qu’on appelé ces gens les chats. Les chats, ça veut dire l’agilité. Donc l’agilité musicale, c’est ça. Par exemple, on fait un impair drumming. Bon, un coup qui part là… si on le laisse isolement ou voire, si on ne l’accompagne pas, on ne le fait pas jouer. On va dire : tiens, là il s’est planté. Je ne parle pas d’un accrochage de fûts, de choses comme ça, je parle franchement d’un impair. Eh bien cet impair, tout de suite il faut l’entendre là où il tombe, et en faire de la musique… Ça implique qu’il n’y ait pas une note qui nous échappe dans l’espace. Et ça, ça veut dire que la division interne rythmique, elle n’est pas en double croches, ni en triples. Elle frise le domaine vibratoire… Zzz’ !… voyez ?!… Moi au bout d’un moment, si je joue : tchen…guê…dêh… dedans c’est : zzzza…gêh…deugeûh !… Voyez ? On va l’extérieur c’est : nin… layêh… tzzzz… tadgllllllâk… Comme ça… tzzzzz’ !… C’est ailleurs !

Une personne dans le public :
-C’est vraiment du domaine du ressenti ?

Christian Vander :
-Ce n’est pas du domaine du ressenti, c’est de la matière. Sauf qu’on ne la voit pas… C’est une matière vivante. D’ailleurs il y a des choses qu’on n’explique plus à partir de ce moment-là. Quand on joue avec des gens qui travaillent dans cette matière, on n’est pas obligé de montrer les breaks. On n’est pas obligé de se regarder. Moi je vois des gens qui se regardent quand ils vont mettre une pêche qui semblerait un peu lointaine ou out, ils sont là… bon ça niet… Il faut penser aux aveugles quand on est musiciens… on n’a pas besoin de se voir… donc c’est vibratoire… Donc là on joue… tada…tadatchiji… weuuuuu…euh…paâh ! Et si on divise… Te te tchetadedededededede… bon plus c’est serré à l’intérieur, plus on est proche…

Une personne dans le public :
-Serré dans quel sens ?

Christian Vander :
-Serré au niveau des cosmes de temps.

Une personne dans le public :
-D’accord.

Christian Vander :
-Si on part à la double, on exploite moins de temps que si on part à la triple… Et plus on est près de la barre… l’amplitude du son est bien plus large…

Une personne dans le public :
-Est-ce que le risque ce n’est pas d’être devant le temps à force ?

Christian Vander :
-Ah bah non justement, c’est pas ça. j’allais y venir. C’est que ça c’est pour expliquer, bon, comment entendre un son : zzz !… Mais en réalité, il y a un cap supplémentaire. Après c’est le lâché… Alors, la musique s’effectue à l’intérieur. Cette chose a été vécue, elle fonctionne. Et à l’extérieur, il n’y a plus rien. Ce travail s’effectue, mais plus dans cette tension, elle est pénétrée dans le corps. Et il n’y a plus que lâcher. Choisir simplement là où on pose ses éléments. Avec un déséquilibre total, quelquefois à la limite du décrochage. D’ailleurs j’ai tellement quelquefois essayé de le pratiquer que c’est sûr, on fait la culbute arrière. Quand on réécoute la bande on dit ohlà ! Il faut tout essayer, il faut oser, il faut oser jouer sale, il faut oser se planter, il faut se planter, se planter, se planter… un gars qui joue et me dit ah moi je veux pas casser mon son, je veux pas faire un couac, même s’il a trente ans, ou plus, il ne faut hésiter… Il faut se remettre en question et se dire : bon, là j’ai ma limite, maintenant je vais la dépasser à nouveau, tant pis, on va me prendre pour un débutant, mais j’y vais. Comprenez ce que je veux dire ? Ça c’est essentiel ! Par contre, cette histoire de double, de triple, de quadriple, etc, ça se gagne progressivement, il faut la penser en permanence jusqu’à ce que ce soit complètement imbibé. Moi je marche même… ’Nlâ ! … et après dans le posé des choses n’importe quoi… Vous prenez un verre pour boire, il n’y aura plus de gestes disgracieux. Et on ne l’oublie plus après. On est en fonctionnement en permanence. C’est important hein, ça je crois ! Je vous le dis parce que c’est vrai, si je ne le vivais pas, je le dis, je l’ai vécu. Je veux ça et je veux continuer et je veux aller plus loin encore. Très loin.

Une personne dans le public :
-Votre travail, c’est de systématiquement le penser ?

-Le vivre ! Le vivre, quand on a commencé à toucher à ça, tout ça ça passe par la colonne. Bon, au bout d’un moment on y est, dans la marche, on parle à quelqu’un, on n’oublie pas, ça… Tout ça ça fait partie d’un fonctionnement. C’est comme un gars qui dit : bon faut être prof, faut être un peu écolo je suis en train de fumer, il est déconcentré par ce que c’est pas un (inaudible)…
Eh bien ça doit être naturel de se dire… voilà je dis ça pour ceux qui fument encore, je donnais cet exemple il y a vingt ans pour (inaudible)… Mais il y a un geste naturel d’être prof mais à tous les niveaux. Moi je ne fais pas un discours sur un plat d’immondices sans sentir. Parler d’apesanteur et le gars était placé sur des mégots, dans un parc. Je crois qu’il faut s’imprégner à tout les moments de cette chose. Voilà, c’est ça le plus important. Comment ? Chacun sa vie, je ne peux pas expliquer. Mais tout doit être fait en souplesse. Mais ça vient assez vite. Et après, il ne peut pas y avoir de retour arrière. C’est disgracieux, même mal au ventre, franchement. Je dis ça, c’est essentiel pour la vie. Moi je vois un batteur, un pianiste, un saxophoniste, en une seconde, je sais où il en est. Grosse technique ou non ! Je veux dire le problème n’est pas là. Pose… ’Nlâ !… Oui ou non. Et après, ce n’est pas une question de voir, parce qu’on peut heurter, on peut faire exactement à l’inverse de ce que je dis, mais il y a cette chose qui est à l’interne, qui existe, on le compense intérieurement, on le vit, moi si mon impulsion elle est trop vive sur une cymbale, je la vis jel’analyse et je la travaille dedans pour projetter les impulsions suivantes, etc, ou pas, et j’attends que le cycle se poursuive, ce n’est pas un problème.

Bon je vais continuer un peu. (rires)

S’il y a une question…

Une personne dans le public :
-Quel est ta vision du couple basse-batterie ?

Bon c’est sûr qu’au niveau connivence, au niveau entente, un bassiste et un batteur, il y a toujours une petite complicité, ça c’est un peu naturel. Mais c’est toujours la même histoire, il faut pouvoir servir une musique aussi. Mais il n’y a pas que ça. Moi je jouais avec un bassiste, Janik Top par exemple, un bassiste électrique. Et lui il joue plus de la matière à la limite. On n’est pas à cherhcer ensemble à jouer des rythmes ensemble. C’est surtout travailler dans la matière. On ne pense plus en terme de tempo. On entend, voyez, cette espèce de vibration justement… Ptiptoull’ou… pam !… Tiptoulou, dam’ ! Bon on sent le décrochage du bout. Et non pas à se dire : tidoum…pa, poudou…doum… On est dans la matière. Comme si, bon, on le sent vivre ça… alors là c’est fantastique ! Mais bon ça c’est pas tous les jours… mais je crois que c’est ce que je cherche. Il y a une note, elle doit s’accrocher… Hmmm’ta ! Comme ça de cette manière. Bon là ce que je demande c’est dans les cas travail à jouer un groupe. Evidemment, je ne suis pas là pour ça, moi je suis là pour jouer, vous voyez ce que je veux dire… Et je vais jouer donc un thème de John Coltrane, je n’aime pas le terme jouer aussi. Un thème de John Coltrane qui s’appelle “impression”. C’est un thème ou on reprend les mesures, à forme A-A-B-A. Huit mesures, huit mesures, bon : B, huit mesures, huit à nouveau. Très souvent quand les gens jouent ce thème-là, moi je sais que c’est parce qu’ils ne pratiquent pas trop cette musique-là, auront tendance à faire : A-A-B-A, A et B. Evidemment il y a au bout d’un moment, trois A qui se suivent…


- Le thème dure 08'34 -

Intervenant :
-Merci beaucoup Christian, je crois que, nous avons malheureusement, c’est affreux de couper comme ça, mais quelques contraitens techniques et logistiques pour faire les balances pour le concert de tout à l’heure. Donc, voilà. Un petit mot pour la fin ? Merci beaucoup pour cette générosité.


Christian Vander :
-Merci beaucoup. Ça me touche au cœur de savoir qu’il y a des gens qui s’intéressent à la batterie je dirais plus musicale, plus mélodique, c’est important, dans le temps. Voilà. Merci à vous d’être venus. Merci.

Zïha Stéphane Rochais pour la retranscription

Issèhndolüß Akhazhïr

 

 

 

 

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