MES BASSISTES ET MOI : Christian VANDER


Presque tous les bassistes qui sont passés dans les rangs du groupe Magma sont devenus par la suite des mercenaires renommés. Des noms tels que Jannick Top, Bernard Paganotti ou Dominique Bertram sont associés aux plus grands chapitres de la variété française, des 80's à nos jours Christian Vander, batteur et cerveau du groupe revient sur ses " frères de rythmique "

Christian, quelles sont les qualités que tu exiges d'un bassiste ?
II faut qu'il sache se placer à travers les rythmes, et qu'il soit inspiré. Tenir le fondement de la musique est important, mais le choix des notes l'est également. Je n'aime pas les bassistes qui jouent « mandoline » !

As-tu apprécié tous les bassistes qui ont joué dans Magma?
Ceux qui sont restés longtemps, oui. J'avais des affinités musicales et spirituelles avec eux. Avec chacun d'entre eux, il y avait une histoire de coeur.


MAGMA

Parlons du premier bassiste de Magma, Laurent Thibault...
Nous étions en tournée tous les deux en 69 lorsque j'ai composé le 1er disque de Magma, Kobaïa. Je l'ai gardé à la basse, mais il s'est vite avéré qu'il ne pourrait pas faire l'affaire. C'est lui qui a suggéré Francis Moze pour le remplacer.

Cela a-t-il mieux fonctionner Françis ?
Oui, parce que j"étais plongé dans la musique d'Elvin jones. Dès que je jouais des contretemps, les bassistes ne comprenaient pas, et se mettaient à jouer à l'envers. Lui, il pigeait, et avait un grand sens du rythme. II a quitté le groupe par lassitude. Nous faisions 25 concerts par mois, dans des conditions très dures. Après son départ, il y a eu un bassiste de transition, Jean-Pierre Lambert.

C'est avec ce dernier, je crois, que tu as rencontré Jannick TOP...
Pas vraiment. II a fait toutes les répétitions de Ka, que nous n'avons pas enregistrées à l'époque. Je suis allé avec lui à un concert de Troc (groupe de Dédé Ceccarelli), et nous avons entendu Jannick Top pour la première fois. Lambert m'a dit : "C'est lui le bassiste qu'il te faut, c'est évident".

Avec Jannick tu as vécu des moments exceptionnels...
C'est le moins que l'on puisse dire. II apportait à Magma une dimension spirituelle supplémentaire. II avait ce sens mélodique incroyable, du fait de son passé de violoncelliste, et un vibrato saccadé que beaucoup de bassistes de Magma ont repris par la suite. II a traumatisé Stanley Clarke avec le son saturé et sale de sa basse (rires). Personne ne faisait cela à l'époque, il a été le premier. Jannick était capable de perpétuellement réinventer ses lignes. II est resté jusqu'en 75. Un jour, il m'a dit "Le navire ne peut pas être dirigé par deux capitaines". Je ne comprenais pas où il voulait en venir. Mystère! Je le revois depuis quelques temps, mais de l'avis de nombreuses personnes, il avait un problème d’ego par rapport à moi.

C'est là que Bernard Paganotti entre en piste…
Oui. Nous avions déjà joué ensemble de 65 à 67. C'était un challenge de trouver un bassiste après Jannick, et d'ailleurs, il a été obligé de se remettre à niveau. Bernard ne contrariait jamais le tempo, alors que Jannick était plus rigide et martial. II possédait également ce "chant" unique, un beau toucher, et beaucoup d'agilité. II est resté plusieurs années avec nous.

Tu n'as jamais été très élogieux concernant Guy Delacroix…
II n'a jamais voulu entrer dans le son Magma. C'était léger, et ça ne fonctionnait pas vraiment. Jouer avec lui n'a pas été une bonne expérience. J'ai créé les deux personnages Ürgon and Gorgo pour l'enregistrement d'Attahk, en 78, qui étaient supposés être incarnés par deux bassistes différents. II a tenu les deux rôles pour l'enregistrement. Fin de notre collaboration.

Tu as ensuite engagé les frères Hervé, dont le bassiste Michel. Etait-il un bon élément ?
Oui, avec une sensibilité très rock et un jeu généreux. Le groupe prenait un tournant R'n'B, car je voulais rendre hommage à d'autres références plus soul, comme Ray Charles et Otis Reading, et il aimait bien cette direction.

Le bassiste suivant Marc Elliard (aujourd'hui dans Indochine), a gravé l'album Merci (84). Un sacré personnage, n'est-ce pas ?
Oui, et une sacrée pointure ! Je n'avais jamais vu un gars avec une telle force intérieure. II avait beaucoup de choses à travailler, mais possédait un potentiel insensé. En studio, nous cherchions un son de basse "à la Motown". II a accepté de jouer la même ligne de 14H00 à minuit. Nous avons fait quelques concerts avec lui, et son alter ego guitariste, Jean-Luc Chevalier. C'était super!

Dominique Bertram est arrivé, quant à lui, un peu avant la période Bobino. En gardes-tu un bon souvenir ?
J'ai beaucoup de respect pour lui. II était précis, avec un tempo solide. Je lui demandais parfois d'adopter un son "à la Jannick". II n'a jamais accepté, par intégrité, ce que je comprends. II a amené en France ce jeu à la Pastorius, qui lui allait bien. II jouait à deux basses sur certains titres, avec Jean-Luc Chevalier, parce que c'était ma conception des choses.

Pourquoi cela, d'ailleurs ?
II fallait un bassiste "tellurique" et un bassiste "aérien". Jannick, lui, avait ces deux penchants en lui. Je dirais presque qu'il fallait deux bassistes pour le remplacer.

Et ton grooveur actuel, Philippe Bussonnet, est-il le bassiste idéal?
Je ne sais pas. II a encore énormément de choses à travailler et à découvrir, mais il évolue concert après concert. II peut avoir ce son sale qu'avait Jannick, et sa marge de progression est encore énorme. Nous faisons des expériences parallèles à Magma, comme avec le groupe Alien, en mélangeant le jazz avec la musique binaire. II y a clairement une osmose entre lui et moi.

Ludovic Egraz
Bassiste N°5 Mai 2006

Zïha Fred "Kohntarkotz”


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