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"Une musique, ça ne se joue jamais du bout des doigts"


Le batteur Christian Vander était notre invité lors d'un tchat le 31 octobre. Voici la retranscrïption de sa discussion avec les internautes.

altaï : Quelle est la signification de l'emblème de Magma présent depuis le début de l'aventure ?

Christian_Vander : C'est un symbole solaire. En fait, c'est moi qui en ai eu l'idée, je l'ai dessiné. Il était prévu de le porter en plastron, mais c'était tellement difficile à réaliser, qu'une amie me l'a réalisé en pendentif. Magma représente bien sûr aussi le feu. Cela n'a pas été totalement voulu. C'est arrivé parallèlement à la composition de la musique, au langage et au nom.

ludo : Comment est venue l'idée de créer Magma et tout le concept autour ? La mort de Coltrane a-t-elle été un catalyseur ? Longue vie à Magma qui, au même titre que Pink Floyd, John Coltrane, Miles Davis, est le groupe de référence du XXème siècle et qui sera le groupe de référence du XXIème siècle !

Christian_Vander : Le groupe est né à point nommé. Il y avait un manque musicalement. Quand Coltrane est parti, j'avais envie de suivre sa trace, mais c'était impossible, surtout à ce moment-là. Personne n'était prêt pour tenter cette aventure. Il fallait un certain temps pour assimiler cette musique. J'avais pensé jouer du jazz, car je suis issu d'un milieu de jazz. Mais personne ne jouait ces couleurs ou ces ambiances musicales à l'époque. C'était au printemps 1969. Quand Coltrane est parti, j'ai pensé le suivre... J'ai eu la chance d'avoir une révélation. Un jour j'étais à Turin, en Italie, j'ai vu la ville illuminée, je me suis dit : "non, ce n'est pas possible de se laisser mourir. Coltrane nous a plutôt donné la vie". Et j'ai pris la décision de rentrer à Paris.

Finalement, tout s'est imbriqué. J'ai rencontré dans une tournée des musiciens avec qui on pouvait s'entendre. A l'époque, j'avais un jeu assez nouveau, assez moderne, car j'étaiss fou du batteur Elvin Jones. Il a révolutionné la batterie, d'une certaine manière. J'étais très influencé par ce musicien. Hélas, les gens ne comprenaient pas du tout ce que je jouais. Les gens jouaient beaucoup sur les temps forts, et Elvin jouait tout à contretemps.

Puis j'ai rencontré tous les gens qui avaient envie d'autre chose, et parallèlement à ça, j'ai commencé à composer. Cette année-là, j'ai eu une proposition d'un grand pianiste américain qui voulait m'emmener à New York enregistrer un disque en trio avec le bassiste Ron Carter. Il s'agissait de John Hicks. Il est devenu un peu après le pianiste de Pharoah Sanders.


oliverstoned : Quelle relation aviez-vous avec les autres groupes progressifs à l'époque, spécialement les Français tels que Gong, Clearlight, Heldon ?

Christian_Vander : Certains croient qu'il y avait une rivalité Gong-Magma. Peut-être pour Gong, mais pas pour moi. David Allen a dit à la fin d'un concert : "ce sera la planète Gong contre Magma". Cela m'avait bien fait rire.

Marcel Docquin ( Puy de Dome ) : La batterie étant un instrument qui demande beaucoup d'énergie, ne ressentez-vous jamais de la difficulté à jouer certains morceaux ? Je vois Magma sur scène une à deux fois par an et j'avoue être époustouflé par l'énergie que vous dépensez. Avez-vous un secret ?

Christian_Vander : C'est vrai que pour la musique, c'est la motivation qui fait l'énergie. Par contre le secret, c'est de ne pas chercher à faire la musique, sinon c'est épuisant. Ce doit être la musique qui demande, et non pas nous qui faisons la musique. Il faut être au service de la musique. Au niveau de l'énergie, c'est moins épuisant. La motivation, ce sont les grands musiciens qui ont joué avant, qui sont devant qui nous motivent toujours. Pour eux, je tiens debout et irai jusqu'à l'extrême limite de mes possibilités.

Une musique, ça ne se joue jamais du bout des doigts, elle est enfantée dans la douleur. On arrive maintenant à jouer le jazz comme de la musique de chambre... ou les grands musiciens que j'ai écoutés développaient un son énorme, et évidemment avaient une palette de nuances insensées. Pour les batteurs, je citerai Elvin Jones, Philly "Joe"Jones, Tony Williams... Tous les grands musiciens de jazz, quel que soit l'instrument, ont cette amplitude de son.


Alice : On dit que, pour être endurant sur scène, vous aviez une préparation très spéciale : vous lestiez votre batterie au fond d'une piscine, vous vous mettiez des bouteilles d'oxygène sur le dos, et vous plongiez dans la piscine pour jouer de la batterie ainsi. C'est vrai ?

Christian_Vander : C'est complètement faux. Il est vrai que j'ai travaillé sous l'eau, mais c'est tout. Sans les bouteilles, simplement pour avoir une sensation différente. Mais ça ne m'a pas apporté plus que ça. Je l'ai fait pour essayer. Ce n'est donc pas ça le secret de l'endurance...

purple : Quel est votre rapport au langage ? Considérez-vous qu'il s'agit d'un mode de communication limité ? La création du Kobaïen vient elle de la constatation d'un manque de mots appropriés pour ce que vous voulez exprimer ?

Christian_Vander : Cela a certainement joué à ce moment-là. Mais il se trouve que, encore une fois, le langage est arrivé parallèlement à la composition. Quand je chantais, je me suis rendu compte que des sons venaient, des mots, que je relevais. On pourrait dire pour ce qui est du premier son, "Kobaïa", était le premier mot que j'ai dit. C'est pour ça sans doute qu'on a appelé ce langage le Kobaïen. Je n'ai pas su tout de suite ce que c'était.

Tout est arrivé de manière étrange, même le nom Magma. On avait déjà beaucoup répété avec le groupe, et on avait envie de se faire entendre. Donc on est allé dans le fief des musiciens de pointe français, c'était un lieu qui s'appelait le Rock and Roll Circus, où sévissaient des groupes comme Martin Circus, Triangle, etc. Nous on avait l'intention de leur faire écouter des choses un peu différentes, des choses autres. Donc un soir, on est allé au Rock and Roll Circus, et comme c'était un club privé, j'ai simplement sonné, ils ont ouvert la trappe, et m'ont dit : "c'est pour quoi ?" J'ai répondu : "on est un groupe, on veut jouer". On m'a demandé : "vous avez un nom ?" J'ai dit : "non". Réponse : "Pas de nom ? Donc vous ne pouvez pas jouer".

Pour nous, c'était terrible, et je me souviens être allé au café du coin pour essayer de trouver ce nom. Je me suis dit : "c'est important de le trouver ce soir". Je savais que c'était important. Je suis repassé par toutes sortes de sons que j'avais en moi. Il est arrivé à un moment un son : Nogma. C'était le nom d'un morceau que j'avais composé deux ou trois ans auparavant. Mais le nom n'était pas assez plein, donc je continuais à articuler des sons, quand est arrivé le mot Magma. Là j'ai dit : "c'est ça, c'est ce que j'attendais". Donc j'ai frappé à nouveau, j'ai dit "le groupe s'appelle Magma", on nous a laissé entrer, et on a fait un boeuf extraordinaire. Il y avait un Américain qui se trouvait là ce jour-là, il est monté sur une chaise, et a dit : "c'est le meilleur groupe du monde" (avec l'accent américain). Quelque chose se passait, on le sentait. Et cet Américain, Karl Knutt, nous a permis de répéter pendant des mois dans un pavillon qu'il nous a loué. On a répété pendant trois mois avant d'enregistrer notre album.


Yoann : Pourquoi, plutôt que de rejouer encore et encore les mêmes vieux morceaux sur scène, ne pas ressortir des vieux documents d'anthologie en vidéo (il y en a un paquet) et passer à autre chose, que ce soit du Magma ou pas ? Je pense notamment à ces fantastiques ballades chantées quasiment a capella en rappel de theusz hamtaahk en 2000...

Christian_Vander : Que je sache, c'est faux, il y a peu de documents, surtout vidéo, puisque ça n'existait pas à l'époque. Je sais qu'il existe un film tourné en 1971 dans une MJC en banlieue parisienne, impossible de savoir où. Il doit dormir quelque part. Je n'ai pas d'autre souvenir de film. Les ballades, en effet, j'y pense, je pense même à faire un disque essentiellement de ballades. Mais c'est une responsabilité de se présenter en solo. Je l'ai fait une fois pour un ami qui était parti. Certains ont aimé, d'autres non. Mais je l'ai fait pour cet ami.

Je sais qu'il y a de jolies ballades. Il y a beaucoup de choses. Ce que je voulais faire, c'était remettre certaines formes dans cette musique, retrouver la chronologie. Certains thèmes, en effet, étaient restés dans les cartons, et j'ai voulu mettre un ordre dans tout ça. Actuellement, il me reste à terminer Emehntetht-Rë, qui sera la dernière trilogie des années 1970.

J'ai également beaucoup composé pour le groupe Offering dans les années 1980 et 1990. Pour ceux qui n'ont pas suivi cette époque, je comprends qu'il y ait un gouffre entre le tout début des années 1980 et le milieu des années 1990. Entre les deux, il y a Offering. J'avais besoin d'une musique plus improvisée, ce qui m'a permis de développer beaucoup le chant. Offering est une musique où on va d'un point à un autre, sur la corde raide, donc plus dangereuse, mais quand on atteint le but, ça peut être vraiment magique. Les gens ont boudé Offering parce que je n'étais pas à la batterie. Et quand on a suspendu Offering, les gens ont regretté. S'il y a un projet, je suis prêt pour Offering. Offering nourrit Magma.


rené : Dans le journal kobaien "Muzik Zeuhl" numéro 17, vous avez choisi de mettre des textes de Jean Doutreligne qui est en fait le pseudo de Léon Degrelle, fondateur du parti politique fasciste belge Rex, allié fidèle d'Hitler et du nazisme. On peut aussi remarquer que l'inscrïption "Rex" apparait sur nombre de vos CD. Dans le DVD anniversaire de Magma au Trianon, il y a aussi une citation de J.G qui n'est autre que Joseph Goebbels. Devant ces faits, j'aimerais donc que vous vous exprimiez enfin sur votre rapport avec le nazisme. Merci.

Christian_Vander : Doutreligne, je ne le connais pas. Je n'ai qu'une seule chronique dans ce journal, qui s'appelle l'Alerte ouverte. Des tas de gars collaborent, ils sont libres d'écrire des articles. Pour ce qui est de cette histoire de JG, c'est une phrase que j'avais notée au travers d'un ami à moi qu'il avait notée sur un cahier. La phrase était : "l'armée de ceux qui sont tombés n'a pas rendu les armes, elle marche dans les rangs des soldats", elle était signée JG. J'ai trouvé qu'elle était adaptée à la circonstance ; c'était une phrase guerrière. Nous étions les combattants de la Zeuhl.

Pour Rex, c'est quand on a commencé à faire des rééditions, on cherchait une référence : "Re" correspondait à réédition, et "X" parce qu'on ne savait pas le nombre et par quoi on allait commencer. On était en train de récupérer des bandes et des disques de partout.


jidé : Est-il vrai que Frank Zappa vous a proposé le rôle de batteur dans son groupe ? Quelles étaient vos relations avec lui ?

Christian_Vander : Je pourrais mentir, mais je répondrai non. Non, je ne l'ai même jamais rencontré. Je ne sais même pas s'il connaissait Magma. On relie souvent Magma et Zappa, mais je ne sais pas pourquoi. Je cherche encore la relation entre les deux.

Hero : Où allons-nous après Kobaïa ?

Christian_Vander : Je suis plutôt attiré par l'infiniment petit, ce qui est tout à fait naturel, puisqu'on est attiré vers le bas. L'idée est de creuser en l'esprit. Je travaille tout vers le bas. L'idée est de ne pas s'élever, pour arriver à un résultat comme un nageur qui toucherait le fond et serait alors propulsé vers autre chose. L'infiniment petit est plus à notre portée que l'infiniment grand. Mais l'infiniment grand est forcément une source d'erreur, de vaste erreur, puisqu'on ne peut s'appuyer sur rien. Alors que du centre des choses, on peut tout concevoir. C'est du centre que l'on peut tout constater. Comme une pyramide ; une pyramide ne se regarde pas de l'extérieur car on ne verrait pas ses quatre pans. Pour cela, il faudrait un engin artificiel. C'est de l'intérieur que l'on constate la rencontre des quatre pans.

Modérateur : Un dernier mot, Christian Vander ?

A bientôt sur la scène du Triton ! On pourra peut-être approfondir les choses si vous avez d'autres questions !

Telerama.fr - 31 Octobre 2006

Zïha Jean François Loué

WPB le 11 Février 2013


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