Rencontre avec Christian Vander
Fnac de Nîmes, 21 Juillet 2007 - Animation et présentation : Frédéric SCHWARZ


Frédéric Schwarz – Hé bien merci déjà à tous d’être là, merci Christian d’avoir accepté cette invitation, cela fait toujours vraiment plaisir de te recevoir.

Christian Vander - Merci à toi.

FS - Bon vous m’excuserez…je ne suis pas… je bafouille un peu…ce n’est pas vraiment mon métier non plus de faire des interviews comme ça. Je voulais commencer par te poser un petit peu des questions par rapport à la sortie du DVD donc qui est sorti il y a quelques semaines, de la 3e époque du concert du Triton, concert comme vous le savez peut être qui a eu lieu en mai 2005 sur pratiquement un mois, donc quand on voit tous les morceaux qui ont été joués, je voulais savoir au niveau de la préparation et au niveau des concerts comment ça s’était passé, c’est quand même quelque chose je pense qui n’avait jamais été réalisé, même par aucun groupe de jouer comme ça une espèce de rétrospective sur aussi longtemps et des morceaux aussi différents



Photo : Bernard "Wurd" Hadjadj

CV - ça en fait, je ne sais pas si ça s’est déjà fait, mais en tout cas pour ce qui me concerne on a …on a dû répéter un peu et quelques équipes d’ailleurs étaient en avance sur la rythmique, je pourrais dire, quand on a travaillé avec les sax, les cuivres, et je dirais…on avait l’impression que la veille des morceaux, moi je les avais déjà pratiqués, on est arrivés à la répétition et l’on connaissait les… .ça c’était…et l’on a eu très très peu de temps en fait, on a dû avoir 3 jours par formation, donc ça s’est fait…ça s’est fait très vite et très bien avec des gars très impliqués dans cette histoire enfin bon c’était un vrai…c’est pas un mot plaisir, c’était vraiment des superbes moments des…Il se trouvait que… Dans les conditions rejouer ces musiques que j’ai tant aimées, et le faire avec des gens qui n’avaient jamais pratiqué ça en direct, ça c’est… qui avaient simplement écouté, et d’ailleurs on a même par moments amélioré…amélioré ces musiques. Et il me revenait des choses notamment dans ce morceau qui s’appelle Aurae, je m’étais rendu compte qu’à l’époque, on avait donc en effet une trentaine de minutes pour chaque album donc on était très très limités au niveau temps et j’avais supprimé les chorus de sax qui étaient prévus dans le thème Aurae. Et là on a pu les intégrer à nouveau, ça c’était génial…(soupir) je sais pas…que dire…

FS - Le ressenti de Jannick…de tous les gens qui n’avaient plus joué avec Magma depuis un certain temps, B. Widemann aussi, ils ont ressenti ça comment ?

CV - Je pense c’est plutôt à eux qu’il faut le demander. En tout cas moi de mon côté, j’ai été vraiment agréablement surpris, notamment par Jannick évidemment, je l’ai senti à côté, j’ai senti cette présence, cette matière, et… même si des gens peuvent reprocher aujourd’hui, et pour ceux qui connaissent Jannick Top en tant que bassiste, de connaître sa musique plus…plus extériorisée je dirais, là il jouait…il joue actuellement d’une manière plus intériorisée, mais au niveau de la matière et de la densité du son et de ce qui se passe à l’intérieur, c’est toujours aussi fort qu’auparavant. C’est moins…c’est moins jeté à l’extérieur de cette manière-là, mais intérieurement c’est toujours très très très puissant et d’ailleurs je sentais que c’était, je dirais « au scalpel », c’était mortel, un musicien qui était dans la salle, qui connaissait bien Jannick, m’a dit, « ce n’était même plus de la musique » et j’ai dit « bon le but est atteint ».

FS - La retranscription donc des DVD, vous en êtes satisfaits, parce que ce n’est pas toujours évident entre les concerts et la retranscription …

CV - C’est sûr, il faudrait, il faudrait…quand on regarde un concert, on fait une sélection naturelle, un choix, on focalise sur la batterie, comme disait un ami à moi, Georges Piganau, un gars lui reprochait d’avoir filmé beaucoup la batterie ou Jannick à une certaine époque, et il a dit « moi je filme ce que je regarde, ce que j’ai envie de voir c’est tout », il y en qui vont te dire ça, d’autres personnes vont te dire « moi je vais focaliser sur la guitare », que faire ? C’est vrai que tous les moments, chaque moment, on pourrait, il faudrait en effet pouvoir une caméra par musicien et encore, plusieurs caméras par musicien, et se faire sa sélection, même ça on ne sera jamais content. Moi je cache pas, je m’intéresse très peu au montage , je regarde si globalement ça fonctionne, s’il n’y a pas trop de…je ne sais pas aujourd’hui on fait des montages un peu… «speed», je dirais, les images défilent un peu trop rapidement, on a envie de rester sur des climats, et c’est dommage, mais donc j’interviens très peu je dis « bon là quand même il faut pas exagérer », mais sinon il faudrait monter soi-même mais je crois que si on…chaque musicien montait, il y aurait…autant de films que de musiciens dans le groupe !

FS - Est ce que c’est une expérience qui sera reconduite un jour, ou est-ce que c’était un moment donné…Est ce que vous auriez envie…enfin pardon…est-ce que tu aurais envie de refaire un festival ?

CV - Oui, et d’ailleurs ça va se reproduire bientôt puisqu’en fait, on va faire un festival à Nancy (NJP) et on a l’intention de reproduire ce spectacle mais sur 2 jours cette fois, les 2 premières époques, je ne sais plus quel jour c’est le 9 ou 10, c’est ça ? octobre (s’adressant à un ami présent dans le public)…voilà oui…moi vous savez…je vis au jour le jour…donc voilà. Donc ça va se refaire.

FS - C’est quand même une expérience qui sera reproduite comme ça sur la scène…

CV - Oui. Et peut être même au Japon. Les japonais nous ont demandés. Bon ça c’est peut-être de la science-fiction (rire) en japonais oui, mais…pourquoi pas…

FS - Justement par rapport au Japon , je rebondis là-dessus, quand on voit aujourd’hui l’engouement qu’il peut y avoir au Japon ou aux Etats-unis, Magma revient de plusieurs concerts avec un engouement visiblement assez important, et quand on voit le peu de dates que Magma aujourd’hui peut avoir en France, c’est un phénomène qui t’inspire quoi ? On n’est prophète en son pays ? que…ça serait trop long à développer ?

CV - Oui. Un peu oui. Non. De toute manière, je ne vous cache pas que je fais ce que je dois faire, la musique que je dois faire, eh bien je n’attends rien. C’est…ça ne peut être donc que des bonnes surprises. Si je commence à penser à ça…Il y a de quoi franchement arrêter tout. J’aurais dû arrêter depuis très longtemps. Je crois si je n’arrête pas c’est…je connais beaucoup…j’ai des amis musiciens aussi qui ont commencé et qui ont été dépités, déçus et qui ont arrêté. Ils ont tout fait sauf de la bonne musique progressivement. Il faut être fou pour continuer dans un contexte comme ça. Mais…ffff…je crois que…c’est en effet trop long à développer…en tout cas je…je ne porte pas ces gens dans mon cœur. Ceux qui…ceux qui mettent des bâtons dans les roues…et ceux qui érigent des murs devant les oiseaux épris de liberté (sourires).

FS - Tu avais dit - je cite - «en musique je compose mes manques » et tu avais dit «mes manques les plus certains c’est la vie, la vraie, dans un monde véritablement libre». Est-ce que ça rejoint un petit peu ce qu’on vient de voir par rapport à tout ça ?

CV - Ah oui, vraiment. D’ailleurs, je crois que si le monde était libre, non pas une façade, de carton-pâte comme dans les films de Walt Disney, je…peut-être je ne composerais pas du tout de la même manière, ça on ne peut pas le savoir, hélas. Là on compose nos manques en effet, mais ce que je veux dire par manques, ce que je voulais dire à ce moment-là par manques, c’était aussi…la musique, il y a beaucoup de musiques dans les bacs, il y a beaucoup de choses dans le monde entier, et donc, c’est…c’est malgré toutes ces possibilités d’écoute, eh bien il me manque quelque chose, des sons, des ambiances harmoniques, ou d’obsessions, de musiques d’obsession - comme tout le monde dit que Magma c’est une musique obsessionnelle donc je profite d’en parler - c’est vrai que moi il me manque quelque chose que je trouvais dans certaines musiques auparavant notamment celle de Coltrane et…je ne trouve plus…donc je la trouve dans Magma. En composant cette musique. Mais maintenant, est ce que dans un monde tel qu’on a pu l’imaginer, d’ailleurs on n’a pas pu l’imaginer puisqu’on est né dans ce truc, on nous a propulsés là, et on s’est imaginé qu’il y avait des possibilités de se rendre libres. Mais c’est totalement une erreur. Moi je l’ai constaté, les gens qui tiennent, qui manipulent les choses, n’en veulent pas. D’ailleurs ils les mettent dans des tiroirs, moi je dis souvent, «tiens tiens tiens, ça c’est intéressant, on le ressortira bon dix ans après sa…disparition». Et soudainement, il y a des choses qui ressortent. Quand on sait que John Coltrane est parti depuis 40 ans, et c’est aujourd’hui, d’ailleurs le 21 juillet l’anniversaire des funérailles de John, le disque qu’il a…le disque…le dvd qui pourrait sortir, du film qui a été fait à…au festival d’Antibes Juan les Pins en 1965 n’est toujours pas sorti, finalement on se demande, « mais il fait toujours peur à ce point-là ? » C’est sûr quand ils le sortiront, John Coltrane ne fera plus peur à personne, on dira, parce qu’il y a tellement de musiciens qui ont copié sa musique, qui ont dénaturé aussi, son cri, qui vont dire « ah mais John Coltrane c’est totalement accessible, en effet, je vois, c’est un peu comme telle et telle musique »…c’est faux, John Coltrane on a…si on en a entendu directement au moment où la musique s’est faite, je crois les gens auraient été ou terrorisés, ou seraient entrés dans un autre monde soudainement, on n’aurait jamais pu oublier une chose comme ça, tout de suite sortir ces musiques-là en temps et en heure, et pourquoi 40 ans après, toujours pas sorti ? c’est spécial ! Pour un monde soi-disant qui veut, hein, promouvoir la culture, là on nous entend blablablabla etc. mais il n’y a rien, ce qu’ils disent c’est du pipeau, c’est nous faire découvrir que soudainement, pour pas citer de noms, Johnny Hallyday , Françoise Hardy, et machin a pris sa douche en mille neuf cent je sais pas combien, il est filmé en long en large et en travers avec quatre caméras sous sa douche, et pas un film sur John, un pauvre film télévisé où il a dû jouer 3 minutes sur chaque thème, qui développait des chorus sur une demi-heure enfin bon c’est insensé, c’est vraiment vouloir casser les gens, les gens qui ont vraiment du talent, pour ne pas dire du génie. Ce qu’on voit c’est du réchauffé. Alors jusqu’aux contes de Grimm hein, parce que enfin moi, je vais très loin, les contes Grimm, ils ont pêché un peu de partout, en Europe, ou à ce que les paysans ont raconté, maintenant on dit Grimm mais Grimm c’est qui ? ce n’est pas eux qu’ont fait les contes ! etc., etc.…L’inspiration, elle vient pas de là. John c’est lui qui l’a fait. Je vais dire c’était un gars inspiré en direct, un contemporain. Il n’en ont pas voulu non plus, donc qu’est ce qu’on pouvait espérer, mais ça on ne le savait pas. On s’est dit qu’à bout, on va passer, on va crever la bulle, on va…car moi j’estime qu’on est dans une sorte de bulle. Crever, on va crever l’abcès et enfin respirer, je vais dire, c’est très difficile…(silence) Non…on va se battre.

FS - Justement en parlant de Coltrane, donc là, comme tu le disais, c’est les 40 ans de l’anniversaire de sa mort qui a été aussi malheureusement ou heureusement la naissance de Magma…

CV - Hum…Enfin moi, je ne voudrai pas dire ça…je veux dire, ce n’est pas…

FS - Non, mais…

CV - Non non. On ne remplace pas John Coltrane, et puis de toute manière …bon, pour préciser que sa date... quand il est parti c’était le 17. Donc aujourd’hui c’est le jour de ses funérailles (inaudible) donc il s’est écoulé quand même un certain temps, où moi je l’ai dit bon, j’ai voulu presque partir en me disant John est parti que faire ici sur ce monde qui ne veut pas de nous finalement, qui ne veut même pas de John ? Parce que ce n’est pas normal qu’un gars qui avait son énergie , il est parti il n’avait même pas 41 ans, se laisse mourir et n’ait pas envie de se faire soigner, puisqu’il le savait qu’il était malade mais il ne cherchait même pas à se faire soigner, quand on sait ce qu’il avait à dire et ce qu’il disait il a…je crois qu’il a été très déçu…et il est parti…tout seul…quelque part…et donc on le souhaite dans un…comme on dit toujours dans un monde meilleur…mais bon moi j’ai vraiment voulu le rejoindre dans ce monde-là. Puis un jour, j’ai pris conscience et je me suis dit « non je ne peux pas faire ça avec une personne qui m’a tant donné, ben peut être, il a voulu me donner la vie ou quelque chose…que je ressens, qui est encore plus fort que ce que je veux entendre là, maintenant »…donc j’ai décidé de faire quelque chose aussi à mon tour. Déjà de vivre. Et puis Magma est arrivé. Peut être en temps et en heure, il fallait quelque chose. De toute manière, comme je l’ai dit, personne ne pratiquait ces musiques. Donc moi j’étais plutôt prédestiné à jouer du jazz, mais je me suis retrouvé à…avoir un manque de combattants, personne ne voulait jouer cette musique. De toute manière, personne n’était prêt et moi non plus. Mais je voulais tenter. Et finalement est arrivée cette musique à point nommé, Magma. Voilà.

FS - Tu avais dit que tu aurais peut-être voulu sortir un disque en hommage…tu voulais peut-être faire quelque chose…je ne sais pas si c’était avec Ricky Ford ou…non ?

CV - Pas forcément. Non en fait, je voulais faire ça avec des gens qui étaient là ou qui ont aimé vraiment beaucoup ou passionnément John Coltrane…Hélas, quand j’ai voulu faire la première fois ce disque, c’était suite à un rêve. J’avais rêvé du titre du disque, et…et de la pochette, de tout, j’ai dit donc cette année, je vais faire ce fameux disque, et je voulais l’enregistrer en temps et en heure, donc du 17 au 21 juillet inclus, en temps et en heure. Voilà. Six jours consacrés à John. Hélas, à chaque fois, pourtant on va pas se plaindre, on a un concert aujourd’hui le 21, donc je ne peux pas consacrer ce 21 à John, ce qui a fait que je n’ai pas pu le faire cette année. Et la première année, c’était en …quatre-vingt dix sept, d’ailleurs, c’était pour le 30e anniversaire, où j’ai rêvé ça, je me suis dit c’est…c’est…pas de hasard. Et bien non. On avait un concert le 17 juillet. Même Stella me dit « oh mais c’est pas grave, on fait le concert, on prend l’avion , on retourne après…enfin bon je sais pas… », je lui dis « non non non non, c’est le 17 qui est consacré entièrement à John, pas à un concert de Magma, donc, on n’a pas fait, et depuis 10 ans, 10 années, on ne peut pas le faire. Cette année encore, on a même pensé le faire à une autre période puis le faire quand même sur 5 jours. Peut-être on en sera…on en arrivera là…mais bon le projet…

FS - Existe toujours…

CV - Existe toujours, oui. De toute manière…Et puis de toute manière, comme je dis aussi, Coltrane, on le célèbre tous les jours…

FS - Tous les jours aussi…Oui…Oui c’est vrai, je vois que tu n’aimes pas trop non plus ces commémorations un petit peu épisodiques…

CV - Oui, voilà ! Soudainement, le 40e anniversaire et encore cette année il n’y a pas grand-chose. Non non, d’ailleurs, pour ne pas parler encore des medias, on…on peut dire que cette année le 17 on devait jouer aussi au festival d’Antibes Juan-les-Pins avec le saxophoniste Ricky Ford, saxophoniste qui a joué avec Mc Coy Tyner, avec…avec qui il a joué…tu vois qui…le contrebassiste…tu sais…un peu fou ? Enfin, on disait…si, très connu…Comment tu dis ? Mingus ! Euh…et finalement, donc Ricky Ford a proposé de jouer avec le trio avec qui je travaille, et lui en quartet donc, pour faire la musique le 17 juillet, et ça a été…et ils ont refusé…ils ont refusé qu’il joue avec une rythmique de musiciens français. Donc on lui a imposé une rythmique américaine. On a appris que c’était…que ça se passait du côté de l’office du tourisme qui préférait vendre ses…j’allais dire ses choucroutes non pas à Nice, mais enfin bon, ses pizzas, et bon…voilà…faire un peu de profit sur les touristes américains qui allaient venir. Donc c’est plus du tout… c’est plus du tout un rapport de musique qu’on a. Musique en effet, soumise…à certaines…voilà…

FS - Oui en plus apparemment, ce concert n’a pas été une grosse réussite, disons d’après les échos…

CV - Voilà…en plus oui…Il y a eu…peu de monde, et c’est…oui, voilà, on peut le dire et je crois qu’il a joué le répertoire qu’on travaille actuellement avec lui…c’était terrible…et les absents c’était le groupe avec qui il avait envie de jouer. Bon…

FS - Je voulais te poser aussi une question, qui a déjà souvent été posée, mais qui me paraît toujours être intéressante d’être développée, c’est la notion, dans la musique, la notion de vibration que tu exprimes souvent, par rapport donc à la simple notion de musique non pas comme un son mais aussi comme une vibration, est ce que tu peux éventuellement en reparler, même si je sais que tu en as déjà beaucoup parlé dans beaucoup d’interviews…

CV - De toute manière c’est difficile d’en parler…

FS - Oui…

CV - Parce que ça ne s’écrit pas. Il n’y a aucune partition où l’on peut écrire ce que c’est qu’une vibration…une vibration, qu’est ce que c’est que ça ? Donc moi j’ai expliqué que…les gens ont certaines notions de la division interne de la musique, c’est-à-dire bon…de la croche, la double croche, triple roche, quintuple croche, etc…la vibration va encore au-delà. C’est vraiment percevoir au-delà, une division rythmique qui est d’une intensité et d’une rapidité qui n’est plus exprimable même avec des sons, avec la bouche, je dirais, c’est pas « boum ting in ding ing ya » comme la musique indienne, ou quelque chose comme ça, c’est presque comme un « dzzzzzzzzz » et voire, « fffffffffff » après, encore…Donc ça ne s’explique plus du tout…en termes…connus…dans nos termes articulés. Parce que…donc…euh…c’est…il faut avoir la chance de le pratiquer avec les gens qui ont envie de s’approcher de ces choses-là. Et hélas, il y en a très peu. Par contre on peut tout de suite entendre si une musique est vibratoire ou non. Et bon, John évidemment, comme beaucoup de musiciens d’ailleurs, de…dans la musique de jazz ou voilà c’est certain…on entend tout de suite, et c’est une sorte de relation dans l’espace qu’on n’arrive pas à…qu’on n’entend pas sur les autres musiques. On entend qu’elles sont prisonnières d’une césure, d’une impulsion, qui est en l’occurrence en effet ou une double-croche, donc les gars sont prisonniers à l’intérieur, prisonniers à l’intérieur d’une division rythmique. En réalité quand on rentre dans les…Au-delà de la quintuple, sextuple croche et de ces choses, et que ça devient une sorte de…de…pratiquement…vibratoire, - ça ne veut pas dire « good vibrations » hein, ça veut vraiment dire vibratoire - ça ne s’explique pas à l’extérieur, et ce n’est pas parce que la musique est jouée de manière très rapide, c’est que le positionnement des notes est quelque part dans l’espace, et qu’on peut pêcher les notes où l’on veut…C’est-à-dire que…ça je l’ai déjà dit plusieurs fois, mais…Miles Davis disait « il n’y a pas de blue note ». C’est parce que en réalité, avec cette sensation d’entendre les notes partout où elles tombent, il n’y a jamais d’erreur si on veut, il n’y a pas d’erreur ça veut dire que d’une note qui pourrait être une erreur, on en fait tout de suite de la musique, on la groupe avec une autre, on la rassemble et on en fait de la musique. Donc, la…la musique, on ne saura peut-être même jamais si certains musiciens c’était véritablement la note qu’ils avaient l’intention de jouer. On peut écouter un phrasé de Miles en disant par exemple – enfin Davis ou d’autres – en disant « c’est fantastique, comment…quelle idée à ce moment-là »…mais en fait c’est pas forcément ce qu’il avait l’intention de jouer, mais il en a fait de la musique… parce que, par son agilité, et par justement le fait qu’il pouvait capter à chaque endroit où se trouvait cette fameuse note qui sauf… pour quelqu’un serait tombée de manière « out », qui dirait « ah ben, elle m’a échappé, ça c’est une fausse note, c’est un impair », mais avec lui on ne savait jamais…Avec les grands, c’est toujours comme ça…en général…il y a une sorte de « pum pum » dans le micro…

FS - Ah oui…et…je ne suis pas spécialiste pour régler la console…(inaudible)… Actuellement, tu es en train de travailler…enfin je ne sais même pas où tu en es sur l’album Ëmëhntëht-Rê…C’est un album qui est prévu…bientôt ?

CV - C’était prévu bientôt, mais…(rires) comme souvent on est en retard. Donc le plus difficile c’est de capter les gens. On a déjà enregistré la rythmique. Rythmique, ça veut dire le piano, la basse et la batterie, mais…un peu la guitare également, mais il manque encore beaucoup de parties de guitare, il manque le vibra, il manque…il manque toutes les voix, tous les chants, et les arrangements, enfin… diverses touches de couleurs, ce qui fait que le disque à mon avis ne sortira pas avant…2008. Je l’espère le plus tôt possible en 2008, mais…je sais pas…je vais voir…si…comment faire…moi…je…je n’attends que ça, de terminer cet album. Et surtout, passer à de nouvelles choses.

FS – Voilà, j’allais dire en fait, est ce que l’idée c’est effectivement de… tu as envie peut être de passer à des choses…sur lesquelles tu travailles actuellement ou…

CV - Oui…Ben c’est…Oui, je travaille depuis longtemps…

FS - Depuis longtemps, oui…

CV - Parce qu’en fait…Bon…je l’ai dit aussi, moi je tenais à cette chronologie des choses, tout remettre en ordre, c’est-à-dire en effet, toutes les musiques de Magma dans l’ordre…pour ceux qui connaissent, ça avait été enregistré dans le désordre, comme la trilogie Theusz Hamtaahk, avec Mëkanïk Kommandöh enregistré en 72 qui est la 3e partie, et Theusz Hamtaahk en 81…donc tout ça à remettre en ordre, il manquait Ëmëhntëht-Rê, qui venait juste après Köhntarkösz et Ka, - Ka / Köhntarkösz / Ëmëhntëht-Rê - qui est aussi un peu une trilogie…ou une suite …bon…Ensuite, il y avait Zëss. Zëss pour l’instant, je ne pense pas le terminer. En plus, comme il s’agit « du jour du néant », donc…je ne suis pas pressé…(rires). J’attendrai…par respect…pour tout le monde…(rires)

FS - Et justement, sur des nouvelles compositions de Magma ou de Christian Vander, comme les Cygnes et les Corbeaux, est ce que tu as des choses sur lesquelles tu travailles actuellement, est ce qu’il y a des choses que tu prévois de faire, alors je sais qu’on est toujours sur la même problématique du temps et de trouver des possibilités pour enregistrer et pour travailler, tu avais parlé éventuellement aussi d’enregistrer et de faire des concerts avec Les Cygnes et les Corbeaux, je pense qu’il y a beaucoup de gens qui attendent là ça aussi…

CV - Eh oui il y a beaucoup de gens mais ça il faut le dire…il faut le dire à… à ceux qui sont concernés. Parce que, on est un peu partagés, même dans le groupe, des gens pensent qu’il faudrait jouer les Cygnes et les Corbeaux, d’autres non. Des gens comme Stella par exemple « Oh on ne va pas jouer les Cygnes et les Corbeaux, ce n’est pas Magma, c’est Offering ». Bon c’est étrange. Il faut pas…il faut demander à Stella : « pourquoi vous ne jouez pas les Cygnes et les Corbeaux? »

FS - Je…On va…on va lui demander…

CV - Les noms il faut les citer…Mais c’est vrai que…on a perdu une bonne partie du public Magma en jouant des thèmes comme ça. On peut le dire. Parce que les gens…n’ont pas…n’ont pas suivi sur ce côté. Disons, ils préfèrent les musiques plus structurées, plus…c’est vrai c’est quand même un autre charme, Theusz Hamtaahk c’est une chose, les Cygnes et les Corbeaux, c’est autre chose, c’est plus improvisé…il y a des choses comme ça…bon les gens… ça les perturbe. Ce n’est jamais 2 soirs tout à fait de la même manière forcément…maintenant…même si on apprend un thème de Magma de 40 minutes, là, sur les Cygnes et les Corbeaux, à la limite on ne va pas pouvoir chanter exactement au même endroit le lendemain. C’est peut-être embêtant…

FS - Est ce que justement les Cygnes et les Corbeaux, enfin c’est une question un peu…est ce que ce n’est pas une musique trop en avance…

CV - (sourire)

FS - C’est une question peut être idiote, mais…est ce que c’est ça qui fait peut-être que justement une certaine partie du public ne le comprend pas ?

CV - Le problème, c’est…justement…on est obligés de faire des musiques qui sont entre guillemets « en avance », puisque c’est tellement lent tout ce qui se passe partout, ces redites éternelles, franchement, hein, qu’on appelle ça comme on veut aujourd’hui ces musiques qu’on entend, il suffit de retirer le son et franchement, que ce soit métal, que ce soit ci, que se soit ça, on retire le son, franchement, on se retrouve dans les années 50. Très très vite. Le problème, c’est qu’on s’aperçoit que quand on veut sortir de…de la bulle de… même internement… de musiques, pareil hein, on nous fige sur une époque, et ça c’est une mode aussi qui dure depuis très longtemps, on fige les gens sur une époque, si on veut sortir de là, du carcan, on… on dit que ce n’est plus Magma, par exemple. Pourquoi ce n’est plus Magma ? Parce que la musique a évolué. Elle a évolué, on ne va recommencer à faire Mëkanïk Kommandöh toute notre vie, moi je veux dire des morceaux comme MDK, je peux en composer un par jour, dans l’ambiance de MDK, mais je l’ai déjà fait, pourquoi le refaire ? Donc on fige les musiciens à une époque ou à un style, et ça c’est pas bien. On entend que c’est un style Magma dans le temps, on sent bien que c’est la même pâte, mais la musique change, elle est différente, peut être il y a des époques qu’on préfère ou non, mais là le problème il est que si jamais on joue aujourd’hui la musique telle que je l’entends, en temps et en heure un jour, je suis sûr que 80% des gens vont laisser tomber. Ils vont dire « alors là, non. » (rire) mais…tant pis ! c’est ce qu’il faut assumer. Sinon…

FS - C’est un petit peu ce qui s’était passé avec …« A Tous les Enfants » par exemple, où les gens ne regardaient pas la…

CV - Oui « A Tous les Enfants » alors c’est un peu dur par ce que là franchement, c’était, je dirais dans le bon sens accessible, hein…

FS - Oui mais je veux dire, ils n’avaient pas l’impression, euh…ils se disaient pourquoi Christian Vander fait ça quelque part, par exemple , voilà…

CV - ça ils ne se le disaient même pas, puisqu’ils ne se sont pas donné la peine d’écouter, même…il y a très peu de gens qui connaissent ce disque … et j’avoue que c’est un de mes disques préférés.

FS - Oui, c’est pour ça, j’y étais venu…

CV - Je l’écoute régulièrement, bon, je suis resté un enfant, un grand enfant…

FS - Et surtout qu’il y a des atmosphères dans certains morceaux qui sont justement très très proches de Magma, ce qu’on entend…

CV - Oui oui, c’est très Magma, qu’est ce qui les a gênés, quoi y a des paroles en français ? ça…ça a révélé quelque chose ? Pas forcément. C’est de jolies paroles, on peut aller un peu plus au fond, on peut creuser quand même, un morceau comme « Ronde de Nuit » a un sens…Faut avoir le code, hein ? (rire)

FS - C’est un peu le cercle…

CV - Hum, bon…mais ils ne se sont même pas posé la question hein, je pense qu’ils ont brûlé de dire « oh là là qu’est ce que c’est que ça ! » puis bon c’est pas signé Magma, donc on n’écoute pas, forcément…c’est...c’est…comment je peux…c’est étrange…

FS - Il y a un peu le phénomène aussi avec Offering, au départ d’Offering il y a un public qui a…

CV - Ah oui oui...

FS - …Qui a abandonné parce que c’était plus Christian Vander à la batterie…

CV - Oui voilà c’est ça. Ça a toujours été comme ça. Quand je ne jouais pas à la batterie, on me demandait d’être à la batterie…c’est…c’est difficile, hein ça…coller à un truc…moi j’ai toujours été pris un peu entre deux feux, c’est-à-dire en effet, d’être au piano et chanter et d’être à la batterie. Je ne peux pas tout faire. Bon actuellement, je m’y sens bien à la batterie parce que les morceaux correspondent, mais honnêtement pour la suite des évènements il y a des choses que je préfèrerais jouer au piano. Nettement.

FS - Et puis tu as beaucoup développé le chant aussi, que tu…

CV - Oui, grâce à Offering.

FS - Voilà…

CV - Mais bon, c’est toujours pareil, quand Offering n’était plus sur scène les gens ont demandé « mais alors, Offering n’existe plus ? » Quand on a commencé Offering, les gens nous ont presque insultés. Des gens ont aimé, c’est sûr, mais une poignée. Et l’on a continué. Toujours pareil, Offering une expérience passionnante…prise de risque, je veux dire c’est…c’est fantastique de s’exprimer dans Offering. Si un jour, on n’a pas la voix, on chante…on chante dans une autre tonalité, pourquoi pas (rire) . Dans Magma, c’est comme ça. C’est une musique beaucoup plus structurée, la note c’est la note, c’est très difficile de tricher. C’est pas tricher, dans le jazz c’est pareil. Un soir on va développer la musique de cette manière, le lendemain d’une autre, selon la forme, selon l’inspiration, ce sera toujours le même thème. Alors que dans Magma ce n’est pas possible. S’il n’y a pas cette…pas rigidité…mais cette puissance interne, ça s’effondre. Et pourtant la musique est là avec l’ossature, oui…Offering est beaucoup plus fragile. Mais à la fois plus souple.

FS - Est ce que quand tu composais pour Offering, est ce que c’était de la même façon que sur Magma ? Alors tu as beaucoup parlé à une époque de la façon dont tu recevais donc la musique, est ce que c’était la même chose, ou est ce que c’était différent, dans une composition ?

CV - Oui, c’était la même chose. Sauf que certains morceaux d’Offering, je ne les ai pas compris tout de suite. Je me suis dit, mais pourquoi…moi j’étais plutôt…je suis plutôt rigoureux sur les rythmes, et là, j’ai composé par exemple, certains thèmes, ou basés sur deux trois accords, mais qui bougeaient d’une manière étrange. Je me suis dit, mais qu’est ce que c’est que ça, il n’y a pas de tempo, ou c’est pas en place…en réalité, c’était parce que c’était comme un balancier de mouvement comme des cloches qui sonnent, on dirait « bang, beng, ban-bang », une espèce de chose qui est impalp…qui est insituable à chaque fois. En fait c’est ça. L’idée Offering , c’est de ne pas être situable, de ne pas être prenable. Donc ça rejoignait instinctivement toutes les choses que j’ai cherchées ensuite. Rien. Être imprenable. Jamais là où on l’attend. Moi je joue un triolet, c’est pas tout à fait un triolet. Donc ça m’a fait découvrir tout ça. Un jour j’ai dit « mais bon sang, c’est bien sûr, c’est…c’est ça qui se passe ! » C’est un mouvement aléatoire d’une certaine manière, avec un centre, bien entendu, mais…qui se déphase comme une spire spirale tu sais tu vois, qui se détend qui se rétracte etc…et donc la musique d’Offering est basée sur cette manière…enfin est conçue de cette manière-là. Pour moi c’était…fffu…une révélation. À nouveau.

FS - Et à quel moment tu as…quand tu composais… enfin quand tu composais pour Magma, à quel moment tu as senti que ça devait évoluer vers quelque chose de différent à ce niveau-là ?

CV - C’est-à-dire à partir du moment où il y a eu plus d’improvisation. Comme Magma pratiquement toute la musique est écrite, évidemment on a senti même au niveau du chanteur qu’à l’époque, Klaus, Klaus Blasquiz, une voix extraordinaire, le problème, ce n’est pas vraiment un improvisateur. C’est un gars qui…je…Zëss, par exemple, je l’avais conçu aussi pour la batterie, pour jouer la batterie sur Zëss, et Klaus devait chanter. J’ai senti que ce n’était pas sa chose. Ça devenait compliqué, donc il fallait que je chante. Donc il n’y avait pas de batteur. Donc on a commencé à prendre un batteur, et je me suis retrouvé à ce moment-là devant la scène. Et je n’avais pas beaucoup pratiqué le chant, ce n’est pas du tout pareil comme j’ai dit, de composer quand ça m’arrange, et si un jour j’ai pas de voix au piano, ce n’est pas très grave. Mais quand on doit assurer sur scène une heure ou deux ou trois de concert, et qu’au bout de dix minutes on n’a plus de voix, là ça devient autre chose, donc il fallait assumer ça. Offering m’a permis de…d’apprendre ça aussi. Respecter la voix, parce que c’est un instrument fragile etc…ça m’a donc appris tout ça, mais ça m’a appris aussi que c’est une musique improvisée…même la musique de Magma, au départ, je pourrais dire, pratiquement tous les thèmes, je pouvais développer 40 minutes sur un passage. Pour dire, un morceau que les gens connaissent et connaissent Magma, dans Attahk, Dondaï, moi j’ai des versions de 25 à 30 minutes. Toujours pour les mêmes raisons, le temps, 30 minutes, 10, 15 minutes, 15 minutes ou…18 minutes, 18 minutes 35 minutes, enfin 36, alors on était obligés de réduire les morceaux. Dondaï dure 5 - 6 minutes. On mettait 25 minutes à la maison. Avec une improvisation, qui grimpe, qui grimpe. Mais à ce moment-là il fallait enregistrer deux thèmes : un sur une face, l’autre sur l’autre. ça n’aurait pas été fini là…ça n’a pas été possible. J’ai tout réduit. Un morceau comme Maahnt, idem. J’ai même supprimé des passages. Donc, mais j’improvisais dessus, évidemment. Mais ça, à l’arrivée je ne demandais pas. C’est d’ailleurs le 1er disque où il y a eu franchement une improvisation. Klaus était sur le point déjà de partir, des choses comme ça, … et j’ai dit bon…je vais faire le disque et je vais faire toutes les parties de chant. C’était la première fois. Et on sent qu’il y a de l’improvisation. Je dirais, bon, j’avais beaucoup pratiqué les morceaux, mais quand je suis arrivé dans le studio, j’ai tout improvisé. À la limite, mieux encore que chez moi, j’ai fait un condensé. C’est ce qu’on fait en général, sinon évidemment on se laisserait aller sur des improvisations peut être au bout d’un moment un peu ennuyeuses. Ce qui est difficile en studio, c’est de synthétiser, dire voilà « j’ai effectué un travail sur 6 mois » en principe parce que le disque s’effectue normalement tous les 6 mois on peut enregistrer un disque ; c’est pas notre cas, mais c’est à peu près comme ça que le travail doit s’effectuer, il y a un travail qui s’effectue, et là on rassemble tout le travail des 6 mois et il faut en quelques mesures tout dire, chose que même ici dans le jazz les gens ne font pas. Ils se disent le jazz, on arrive, on enregistre, 3-4 c’est de la musique improvisée. C’est faux. C’est avoir la conscience de tout réorganiser et tout véritablement rassembler pour ce jour important d’enregistrement. Et là ça devient peut-être un disque de jazz profond. Dans la musique improvisée comme Offering, comme toutes les choses d’ailleurs, c’est ce moment précis qu’il faut…où il faut être le…tout, tout canaliser, tout rassembler, de tout ce… de cet acquis des derniers mois. Voire d’une année ou deux. Selon. Donc ce moment-là, on doit le préparer au maximum. Donc voilà, on va arriver à la conclusion…tout à fait, que…Offering est une musique improvisée, ça je l’ai ressenti, et que personne ne veut improviser sur cette musique-là…et pourquoi pas chercher un chanteur qui peut improviser sur…ce qui est étonnant, c’est qu’Antoine Paganotti, qui est arrivé, qui au départ était batteur, il est pas chanteur, on l’avait repéré parce qu’il avait une…parce qu’il avait un beau timbre, mais ce n’est pas un chanteur à proprement parler, il s’est impliqué de plus en plus, il a compris le fonctionnement du chanteur progressivement, parce que je l’écoutais chanter, et ça me rappelait tout à fait mes débuts dans Offering. C’était plutôt voyez ce que je veux dire, on chantait des onomatopées par ce qu’en tant que batteur « whee te-deng paing ban-bing » j’ai dit « attends 10 minutes, il faut un placement de chant, prends ton temps, laisse plus respirer les notes » etc…et Antoine, plus ça va, plus il assume son rôle de chanteur, et là même d’improvisateur, puisque dans des thèmes comme Wurdah Itah dans le discours – il y a une espèce de discours de Kobaïa à un moment donné, je lui dis « écoute Antoine, si t’es en colère, si t’es heureux, si tu veux tu le dis dans ce moment, tu dis voilà ton état d’âme »…et c’est ce qui compte…et il s’en est très bien sorti. Il a fait exactement ce que je faisais à l’époque. Sur mes bandes.

FS - il y avait dans Offering un morceau que j’aime beaucoup qui s’appelle Earth et comment tu as travaillé la voix justement, enfin comment tu es arrivé à cette façon de…de chanter et …

CV - …Je n’ai pas travaillé pour ça…

FS - (sourire)

CV - C’est triste hein…

FS - Mais non…

CV - Mais j’aurais pu dire ça, et ça aurait stimulé les gens et tout…et non… c’est…est ce que c’était l’envie ? L’envie de…de…de…comme quand on envie de crier, on crie…on va pas travailler ! Voilà…j’éprouvais une douleur - toujours d’ailleurs - et j’ai envie de hurler cette douleur, donc il faut que le cri passe…Je veux dire…il faut pas geindre…donc…donc je sentais une manière de dire ce cri, cette douleur…et je n’ai jamais travaillé. Après, j’ai affiné. J’ai mieux contrôlé les harmoniques. J’arrivais à sortir plusieurs sons à la fois et je dirais…j’aimais bien contrôler même avec le cri intérieur ou des choses comme ça. Dans XMC par exemple, on sent…on sent que comme ça, que le gars pouvait hurler, mais non. C’est un cri intérieur. Ça aussi c’est un contrôle mais…progressivement…Mais je ne cache pas, au départ c’est totalement instinctif.

FS - Et ça a évolué …c’était…quand tu as commencé ça a évolué, donc il y a une évolution…

CV - Oui, ça a évolué, j’ai affiné. J’ai affiné…si on veut. C’est le faire mieux passer. Pas qu’on dise « tiens, c’est quoi ce fou en train de (inaudible) ». Parce que c’était ça, au départ « il est fou…qu’est ce qu’il raconte ? » .Non. « tiens …tiens, je sens qu’il doit avoir envie de me dire quelque chose »…(sourire)


FS - Une question qui est peut-être un peu vaste et un peu compliquée, mais je ne sais pas…si tu veux y répondre…quelle est l’idée euh…

CV - La profondeur de la sonde, non ?

FS - Voilà et..entre autres…(rires)

CV - (rires)

FS - …Quelle est l’idée spirituelle, mystique que développait Magma…Voilà…C’est vaste, hein…on n’a peut-être pas assez de temps…

CV - C’est pas…c’est pas si vaste… parce que finalement, c’est l’idée d’une quête intérieure. Bon ce n’est pas dérangeant, ce n’est pas sale. Je crois que c’est l’esprit à l’intérieur de l’esprit. Moi je pars du principe que le cosmos, il est en nous. Tout le reste n’est que pure invention. C’est une erreur totale, une sorte d’étincelle qui s’est créée je ne sais comment et qui s’éteindra, je ne sais comment. Si, je sais comment. Mais ça s’est autre chose…Mais l’idée c’est une quête, c’est un travail à l’intérieur de soi-même, comme si une sorte d’esprit voguait à l’intérieur de notre esprit, et entrait dans ces matières-là, donc ces éléments, donc pour ça évidemment, ça rejoint le côté vibratoire. Donc l’idée n’est pas de s’élever mais de descendre, au contraire. Donc ça rejoint l’idée de creuser et non pas de s’élever. C’est tout a fait logique d’ailleurs…puisqu’on est «attractés» autant en profiter. Donc creuser à l’intérieur de soi, finalement. Je pense que c’est ce qu’il y a de moins sale et de moins dérangeant…pour atteindre quelque chose…Après, l’étincelle en question, bon, ça…résumé comme ça, puis en parler comme ça, dans le contexte, ça peut paraître toujours étrange…on va pas rester longtemps là-dessus…Mais, à mon avis le jour du néant, les choses se remettront…ok…donc à leur place. S’il y en avait une…

FS - Dans Offering, où il y a aussi des passages où on peut avoir le sentiment d’un phénomène de chamanisme comme par exemple dans Joïa, où justement ce côté chaman ressort un peu. C’est quelque chose qui t’intéresse …ou simplement une coïncidence…

CV- À mon avis, oui c’est une coïncidence parce que je ne me suis jamais forcément intéressé à ça . Des amis m’ont dit « ah oui, oh…ça ressemble à une musique où on dirait un chaman » ou je ne sais quel…pour moi c’est toujours instinctif, bon…je n’ai…ce sont des choses que je n’ai jamais travaillées, je ne me suis jamais forcément…il y a tellement de choses que…on pourrait se noyer…bon des gens peuvent le faire, on peut passer une vie à ça. Moi je n’ai pas le temps. Je ne le cache pas, je suis très concentré sur…Je sens une chose qui doit venir, donc je la laisse venir, c’est ce que je dis toujours…je suis plutôt…récepteur…et…et donc, je laisse les choses s’effectuer naturellement. Après les gens me disent «Ah, mais ça c’est influencé par telle chose, ça ça vient de là…bon. S’ils veulent. Moi je me connais, et je sais très bien que…non je n’ai pas…j’ai tenté, comme tout le monde. Hein, on s’intéresse à tout, on s’est même intéressé aux OVNIS… on parlait plus que de ça d’ailleurs… mais (sourire)… franchement…

FS - Est ce que tu penses qu’il peut y avoir des explications par rapport au…je veux dire simplement…à tes origines, tes racines…est ce que tu penses que ça ça peut être des éléments qui sont effectivement pas explicables, qui sont dans les gènes, je veux dire…quelque chose de…

CV- Alors ça, c’est compliqué…mais peut-être il a des choses qui jouent.

FS - Parce qu’il y a quand même…

CV- Oui, oui c’est vrai…

FS - Il y a quand même un phénomène qui est assez étrange, c’est que tu n’as jamais vraiment, on va dire « appris » entre guillemets la musique dans un conservatoire comme on peut…on peut voir cette chose-là, et ni la composition et aujourd’hui quand on écoute les compositions de Magma ou Offering, c’est…on peut se demander comment ça peut être possible presque…c’est ça ou après on se dit, est ce que c’est pas quelque chose , je ne veux pas dire d’inné parce que …j’en suis pas convaincu mais…

CV - Non mais c’est sûr qu’il y a quelque chose qui est dans le sang…qui…qui me dépasse largement. Qui dépasse le vécu, comme je dis. C’est sûr…il y a quelque chose, mais…ça n’explique pas tout. C’est comme si on disait, bon d’ailleurs…même chose, hein… « Bach, son fils n’était pas forcément génial, comme Bach »...ça ne veut rien dire hein…pourquoi ? Il avait peu être ça dans le sang…enfin je crois pas aux fils de génie qui deviennent des génies. Je crois qu’on les met là (sourire). Surtout aujourd’hui. Mais pas plus. Je crois que le gars est arrivé comme ça. Moi j’aime bien l’idée du champignon. Être comme un champignon, arriver…et…et justement…quelque part, comme ça…ce gars, on le reverra jamais…ça c’est la liberté aussi. Moi j’aime bien l’idée du champignon. Et c’est…ça explique pas tout quand même hein…

FS - Et puis pour toi, il y a eu aussi le fait d’être…de grandir…

CV - Voilà…et donc…il doit y avoir le contexte…

FS - Contexte particulier…

CV - Il s’est trouvé que bon…c’est vrai…il y a aussi…c’est comme les circonvolutions, et c’est vrai que j’ai eu la chance d’entendre John Coltrane c’est dire directement…en contact avec les gens de pointe. ça valait mieux John Coltrane que Maxime Saury ou William Saurin…franchement…(rires) donc j’ai eu cette chance. Et…beaucoup de choses aussi de ma vie, qui m’ont amené à être conscient de certaines choses…je dirais…peut-être plus rapidement. Et ça ça rentre dans d’autres choses. On ne peut pas demander à quelqu’un - je ne crois que ce soit tout à fait ça non plus - on ne peut pas demander à quelqu’un de souffrir pour créer de la musique…on n’est pas obligé de souffrir pour ça…hein…on entend des gens qui ont composé des musiques très déchirées, qui n’ont jamais souffert, ont eu une vie heureuse…des enfants, une belle famille, ben ça bon…moi j’écoute leur musique, ça me tire franchement les larmes (sourire) pour voir un cri où ces gars ont vécu heureux, au moins avant …enfin…extérieurement…ou peut être intérieurement c’est…le drame. Je pense qu’une personne comme John était déchirée. Ça c’est sûr. Pas à l’extérieur. Mais bon…est ce qu’il faut vivre comme ça ? Moi je…il faut pas se leurrer non plus. Faire semblant, ce n’est pas ma politique de l’autruche. Non…Facile !

FS - Est ce qu’éventuellement il y a des gens qui ont envie de poser certaines questions…Est ce qu’il y a des sujets qui n’ont pas été abordés…c’est vaste, parce qu’on pourrait parler de beaucoup de choses mais…on n’a pas forcément après non plus forcément des heures devant nous…est ce qu’il y a des gens qui…bon…par rapport à ce qu’on vient de dire, ou sur d’autres sujets…(silence)…parfait, tout est clair pour tout le monde alors…c’est bien…tant mieux…

Quelqu’un du public - Oui…non…Moi d’abord, je voudrais dire que…j’ai rencontré Magma dans les années 70…(inaudible)…cette époque-là….que je voulais vraiment le remercier par ce que j’étais un petit peu dans le rock Pink Floyd et tout et…grâce à Magma, j’ai découvert le jazz et Coltrane et tout ça…mais…je continue à écouter du rock, mais…le jazz est devenu un peu central. Je m’en éloigne et j’y reviens toujours et… c’est à l’époque de Klaus Blasquiz et de Didier Lockwood à Toulouse … qui avait pété une corde et qui était en sang sur scène et c’était à la fois…ça faisait peur, quoi…parce que Magma c’était tout noir avec…à l’époque c’était nouveau et on savait pas trop…Je voulais savoir par rapport à John Coltrane, si c’est toujours…si c’est toujours…euh…comment dire…si c’est la poursuite de John Coltrane, Magma, ou si c’est…quelle relation ça a aujourd’hui avec Coltrane ?

CV - De toute manière, Magma, c’est pas inspiré de la musique de John. Ce qu’il y a dans la musique de Magma, c’est que c’est une musique spirituelle. C’est tout. C’est tout ce qui peut s’approcher.

Public - D’accord. Pas par certain euh…

CV - Non, ce qui me donne la force, quelquefois de rester, c’est des gens comme John Coltrane qui m’ont donné cette force. Mais…on ne touche pas à la musique de J.C. Dans Offering on a fait des clins d’oeil forcément, parce que on a dédié la musique d’Offering à John. C’est à la mémoire de J.C.
Donc forcément, là il y a des citations, il y a des choses. Mais dans Magma, pas spécialement. De toute manière ce qui nous relie, c’est cette spiritualité ou cette douleur, hein…

Public - Un peu la musique, enfin moi je suis pas musicien…c’est la musique modale et mettons…avec ses retours et…il y a une espèce de fureur aussi quand même…

CV - Ah ben ça oui…oui…mais ça existe, hein ! Moi au contraire, il faut entretenir la colère. Faut pas être là… la sérénité, c’est pour un autre temps. Ou alors ça vient comme ça, mais on ne sait pas pourquoi. Mais je préfère pas. Non, non, il faut entretenir la colère, la bonne. C’est évident.

Quelqu’un du public - Moi j’aurais une question, c’est… si tu te retrouvais en 2007 comme maintenant, à l’âge ou tu as fait Magma, tu t’y prendrais exactement de la même manière ?

CV - C’est dur de répondre comme ça…mais je crois que… au niveau de… c’est pas de s’y prendre d’une certaine manière. Moi quand j’ai fait Magma, j’ai fait la même chose que ce j’ai dit, c’est-à-dire, tout à l’heure, j’ai composé mes manques, j’entendais une sorte de… j’entendais les musiques qu’il y avait, à la limite c’était plutôt la mode des musiques planantes, je dirais, je dirais de…bon…attention, il y a du bon…moi je suis pas Pink Floyd, des choses comme ça…mais enfin les gars qui jouent 3 accords dans une reverb et qui laissent résonner avec tous les gens les yeux fermés, et ont pris des choses, des substances machin et ils regardent…en train de rêver sur ces trucs…moi j’ai dit c’est pas possible, John est parti depuis 2 ans, et les gars dorment ? Il faut se réveiller, il faut être en éveil. Et ce n’est parce que l’on fait des musiques avec des sons extraordinaires, on se sert, on utilise des sons qui sont flatteurs, qu’on fait une musique agressive, méchante ou…voire comme aujourd’hui je dirais bon juste le mot « métal »…Franchement, moi si j’avais une musique à faire aujourd’hui – je pourrais demain là, une autre, juste pour le jeu – je ne me servirais pas d’éléments qui sont inclus dans des ordinateurs. Je me servirais d’éléments des forces naturelles. Par exemple je me servirais de la foudre, je jouerais des sons de foudre à la batterie…pas des sons du genre (onomatopée) enfin bon... non non, du vrai truc. Et puis de toute manière, il faut se dire une chose hein : quand on est désarmé et que la prise de courant est défaite, il faut pouvoir parler encore. C’est ça le problème : on défait la prise, le gars n’est plus rien. Sérieux ! La musique de Magma, ce qu’il y a d’intéressant, c’est qu’on peut la jouer en acoustique. Et donc, c’est ça qu’il faut se dire : est ce que c’est jouable autrement. Si c’est que ça, c’est un artifice. Il faut essayer qu’elle soit très forte cette musique intérieurement. Donc déjà à la base. Même si après on peut la passer dans les machines pourquoi pas, mais il faut qu’il y ait une substance, et quelque chose de puissant à l’intérieur. Sinon, on débranche la prise, il n’y a plus rien. Et c’est ça. Attention à ça…C’est pour ça que je dis ça. Ça n’a pas d’importance. Et puis de toute manière, une musique qui est jouée du fond de l’âme, du fond du cœur, on ne peut pas faire plus, c’est comme si je disais aujourd’hui « est ce que tel musicien donne plus de cœur ou moins que certaines personnes que t’as aimé, comme John ou des gens comme ça ». On peut pas quand on met tout son cœur dans une chose, on ne peut pas mettre plus que son cœur…quelle que soit la qualité ou la valeur de la musique, faut rien reprocher. De toute manière le cri serait le même aujourd’hui. Et encore. Je suis même étonné qu’il y ait encore des gars qui soient à la recherche de quelque chose d’autre, c’est a dire, des jeunes qui disent « tiens on va aller écouter ça » moi j’ai eu peur que toutes les choses qu’on pouvait écouter soi-disant, le choix qu’on avait, comme dans les supermarchés, 14 milliards de marques de beurre mais avec le même goût, c’est a dire insipide, où je me suis dit, les gars vont se perdre là dedans…Quelque part, ils n’ont pas tous la chance d’être un peu dirigés vers les choses plus profondes…Je ne dis pas que Magma c’est la chose la plus profonde, je dis simplement comme par le biais de Magma s’ils découvrent Magma, peut être ils découvriront John aussi, et peut être autre chose…comme des gens ont fait à une époque. C’est bien qu’il y ait des gens qui… cherchent d’autres choses. Je ne veux pas que ce soit submergé justement par le côté…tu vois… mercantiliste.

Public - Justement pour revenir là-dessus à aujourd’hui à différentes années (inaudible) où Offering est sorti, où justement le public a eu tendance à (inaudible) il semble qu’à aujourd’hui il y a une demande générale, il y a quelque chose qui est dans l’air, de festival acoustique, ou de musiques un petit peu improvisées, orientées entre guillemets bien sûr « ethniques », quelque chose comme ça… Peut-être que c’est justement à ce moment-là maintenant qu’il faudrait promouvoir (inaudible)…tout en sachant personnellement que c’est compliqué…

CV - Oui…c’est compliqué…comme je disais, il faut…Moi je suis musicien, je ne peux rien faire si on ne va pas au travail…que faire ? Il n’y a pas de demande spécialement…enfin je sais pas comment…Je sais qu’à une époque, on n’a même pas tenté de remettre Magma sur une scène, on aurait pu disparaître définitivement, personne ne m’a téléphoné, il n’y a rien qui s’est passé, je me suis dit bon, après ce qu’on a fait pendant tant d’années, y a bien un gars qui va téléphoner « bon que se passe-t-il, Magma… », même un gars d’un journal, quelque chose…rien…on pouvait disparaître… « Tiens Magma…on dirait qu’il s’est fondu dans l’univers…terminé ». Il ne faut rien espérer, hein… rien du tout, au contraire, on se demande s’ils n’attendent pas ça. Qu’on disparaisse. D’ailleurs je le sais, puisque…si j’en parle, c’est qu’à une certaine époque, quand Magma n’était pas sur scène pendant deux mois, surtout à la période des festivals qu’on obtenait comme d’habitude jamais, on disait « Magma n’existe plus, Magma est mort ». A la rentrée, on pouvait lire ça dans les journaux. Alors nous, on démentait… « comment ça Magma est mort ? mais pas du tout ! » Systématiquement, Magma était mort tous les ans, l’été. Et c’est vrai. Relis des articles de presse de l’époque…moi je passe pas mon temps à ça…Ils attendent que ça, les gars…C’est pas ça qu’ils voient venir…ça les embête encore plus. Pas de boulot, pareil… « Il est toujours vivant, lui ? Ouh làlà…» Ils attendent ça…D’ailleurs, c’est ce qui a du les surprendre au début. On était habillés en noir pas à fleurs partout parce que les gars qui portaient des fleurs, je dis bon…ils portaient des fleurs à l’extérieur, mais dedans, c’était resté les mêmes. Deux jours avant, c’était pas ça du tout. Les gars, les vrais petits teigneux, que je connaissais, qui rodaient dans un night-club…soudainement, on avait droit à la paix et à l’amour…j’avais quand même des doutes. Nous on était habillées en noir pour le silence. Et j’ai pensé, premier article où l’on voit, c’était « qu’est-ce que c’est que ces êtres habillés en noir, ces démons qui arrivent de je ne sais où… » Je veux dire, surtout ce qu’ils avaient envie de dire c’est « comment, ils sont pas morts eux ? On les a pas tués ? Ils sont encore vivants ? Ils redressent la tête ? C’est embêtant ça…» . Déjà à l’époque, hein…70. Ça les gênait ça…

Public – En fait ce qui faisait un peu peur c’était… (inaudible) toujours l’assimilation Magma à l’extrême droite…il y avait le langage…(inaudible)…

CV - L’extrême droite n’était pas forcément habillée en noir… c’étaient pas les ?...je ne sais pas comment ils s’appelaient qui étaient en noir…

Public - C’est parce que le contraste était tellement grand avec les… (inaudible)

CV- Oui, mais enfin bon il n’y avait qu’eux pour aller chercher là. On n’y avait pas pensé. Le problème est là, aussi. C’est qu’eux ils y avaient pensé, pas nous. Moi j’ai pensé « tiens, dans ce silence » et puis en plus, moi je pensais beaucoup à John, et je me disais « les derniers temps, John, il devait jouer dans le noir »... et j’ai appris qu’il jouait dans le noir d’ailleurs…Pour moi c’était l’idée du silence, comme on écoute la musique de manière recueillie – comme je disais à l’époque, ne pas regarder les chaussettes jaunes du bassiste parce qu’il n’y avait que ça qui pouvait être lumineux – parce que c’était pas les projos non plus hein…on mettait un projo rouge dans la 2e partie, un projo vert…verdâtre dans la 1ere. Il y avait très peu , on ne demandait rien. Donc c’était le silence. Et donc j’ai appris que John jouait dans le noir, pratiquement, puisqu’un gars disait - un photographe - « j’ai attendu qu’il allume son cigare dans le coin de la scène pour pouvoir le photographier » …ça veut dire qu’il n’y avait pas beaucoup de lumière hein…Et ça s’entend dans la musique. Cette espèce de climat…religieux ou mystique ou je ne sais qu’est-ce…Et c’était un peu ça. Evidemment si Faton n’en n’avait pas un peu rajouté une petite couche à l’époque en disant « oui, on est toujours l’Hitler de quelqu’un… ». C’est leurs phrases, c’est pas les miennes…(rires)

Quelqu’un du public - Tu penses quoi de la musique de Frank Zappa ?

CV- Euh…Honnêtement ?

Public - Oui…

CV - Franchement, je vais décevoir. Mais je trouve que c’est un excellent musicien, mais je n’aime pas les gars qui se parodient eux-mêmes, je ne rentre pas dans ces trucs. Donc, je respecte ce qu’il a fait, mais…je peux pas écouter.

Public- Plutôt de la dérision…

CV - Dérision, oui je peux pas…on n’a pas le temps. Je veux dire à ce moment-là , on n’en sort plus…Je veux dire moi je trouve c’est grave, à la limite… et… il a le droit de le faire, et je veux pas critiquer parce que ça il y a même des gens qui ont le droit et qui ont besoin de ça aussi… je comprends très bien. Mais ça non. Je ne mélange pas ça avec Magma. Ce n’est pas du tout la même démarche.

Public - Pour toi ça doit rester que…ce que tu aimes…(inaudible)…

CV- Pour moi…non mais ça, se fendre la gueule, non mais ça comme on dit ça peut se faire à un repas, marrant, c’est un peu comme…on sent des groupes qui ont des noms genre « tut-tut, pouet-pouet », on sent qu’ils ont trouvé ça le soir en buvant un petit coup, au repas, puis ils ont appelé leur groupe comme ça, parce que c’était rigolo. On sent que ça peut pas durer, ça. Faut…ça c’est amusant…je veux dire, c’est comme si on prend une photo de quelqu’un en train de se détendre, ça n’est pas forcément ça qu’il veut dire. Il est comme ça le gars. C’est pour ça que moi je n’aime pas les photos en train de rigoler, parce que…quand on me capte comme ça, c’est qu’en effet on peut rire, ça c’est sûr, mais…c’est pas…c’est pas moi, réellement…

Public - Oui mais je veux dire, mélodiquement, les structures etc…la musique quoi…les chorus de guitare qu’il fait…

CV- Oui, c’est sans doute très bien mais…moi ce que je…je cherche une construction mais…une certaine construction. Je ne m’y retrouve... Bon. Je vais dire quelque chose. Ça je l’ai raconté à des amis proches, mais c’est important. Quand à l’époque où j’avais 16-17 ans, j’ai des copains avec qui je travaillais, des musiciens, qui écoutaient beaucoup le guitariste Clapton. Bon Clapton, c’était un groupe de pointe, c’était Cream, bon c’était vraiment le guitariste d’ailleurs, c’est toujours un grand guitariste, avec un son extraordinaire. Le gars me faisait écouter Clapton en disant voilà, ça c’est de la musique, et moi j’essayais de lui faire écouter John Coltrane. Il me disait, mais Coltrane, moi au bout de 3 minutes ça me…je supporte pas, c’est n’importe quoi, ou voilà…et moi je disais ben tu vois, c’est pareil, moi j’écoute Clapton, je trouve ça d’une pauvreté terrible, au bout de trois minutes, ça me…il me lasse. Il n’y a pas d’invention etc…il y a un son, c’est vrai, mais c’est tout. Et beaucoup plus tard, des années plus tard…Ginger Baker…Je veux dire, Ginger Baker écoutait Elvin Jones, ça s’entendait, mais il l’interprétait très très très mal . Moi j’étais…à l’époque j’écoutais beaucoup Elvin aussi, moi. Mais Ginger Baker l’avait adapté de manière binaire, c’est-à-dire…enfin bon, on va pas parler de ça, mais ses roulements de grosse-caisse avec le contretemps, il la jouait (onomatopées) il le jouait de manière raide, « raidissime » et je disais…Elvin Jones (inaudible)… alors…et ce que j’ai appris des années plus tard, c’est qu’en fait Clapton à ce moment-là, écoutait Coltrane. Donc le gros problème, ici, c’est que les gens n’écoutent pas à la source. Par exemple si les gens font du rock et s’ils écoutent le guitariste de rock en question, eh bien le guitariste de rock lui, il s’informe. Celui…ils diront, j’écoute tel gars qui est fantastique, eh bien le gars fantastique en question, qu’est ce qu’il fait, il écoute toutes les musiques comme ça. Même du classique, pourquoi pas…et John, et tout ça. Et là les gars n’écoutent que ça, on ne nourrit que de cette musique de rock, qui elle-même se nourrit de certaines choses…ce qui l’inspire, le gars. Donc le problème, c’est ça. C’est de s’informer. On peut parler de musique de pointe ou des musiciens de pointe. C’est ça qu’il faut chercher. Moi je vais directement au but. Si j écoute un batteur, je ne vais pas écouter le batteur de Police. Je le dis parce qu’il a dit des choses dramatiques, hein…en disant « il faut pas me parler d’Elvin Jones, il me donne des boutons ». Je veux dire, ça, il n’existerait pas, cette petite chose insipide là, sans Elvin…

Quelqu’un du public – Pour revenir à Zappa…

CV - …Petite larve pitoyable…

Quelqu’un du public - Pardon…pour revenir à Zappa…au fait, moi je pensais en vous écoutant là…par rapport à Magma…bon ben…l’avantage que vous avez, c’est que vous êtes encore vivant, Zappa il est mort, hein…et il y a une espèce d’ostracisme par rapport à cette musique, même aux USA, c’est plus du tout écouté et pourtant…ben moi personnellement, je trouve que c’est un exc...enfin un très bon compositeur…enfin, il y a de quoi fouiller…je compare absolument pas avec Magma, mais, en France moi j’ai entendu, dans certaines émissions à la radio, bon, on parle de très bons batteurs, on parle toujours de Ceccarelli ou d’autres, mais Christian Vander, on dirait qu’il est inconnu au bataillon, quoi…c’est bizarre hein ? Bon…je sais pas…

Public (autre personne) - Et alors ?

Public - Hein ?

Public (autre personne) - Et alors ?

Public – Oui, non mais…dès qu’on prend des chemins un peu de traverse quoi, qu’on n’est pas dans le commercial…

CV - C’est le même exemple qui est l’histoire du concert d’Antibes là…on n’a pas joué…ou j’ai pas joué. Et que moi, je suis quelqu’un qui sert la musique de John Coltrane indépendamment de Magma, depuis des années…depuis que je suis gosse…et ça va être des gens qui justement s’amusent avec ça qui vont être sur scène, la plupart du temps aux festivals, qui jouent… « tiens, je vais jouer un peu de John Coltrane, ah oui, on va faire 3 thèmes de John »…mais c’est un mode de vie ça, on peut pas, c’est un investissement d’une vie ça, de jouer cette musique. On ne peut pas survoler ça. Nous, on essaie de la travailler en profondeur. J’ai pas…le fait que je fais Magma aussi, je travaille sur Magma, donc je ne peux pas consacrer ma vie entière. Mais consacrer sa vie entière à John Coltrane serait une erreur. Ça, ça m’apprend des choses, toujours, mais bon, j’ai cette musique à côté, Magma, et c’est là que je m’y retrouve le mieux et le plus aisément. Parce que la musique de John a été faite, et bien faite. Elle nous ouvre les oreilles, on pourrait dire. Mais on va rien…on n’apportera pas grand-chose à cette musique là, je ne crois pas. Simplement la respecter, c’est d’être dedans, en musique.

Quelqu’un du public - Et qu’est ce que vous pensez de Charlie Mingus ? (inaudible) La contrebasse…enfin il y a le cri…

CV - Oui oui. Mais c’est certain, mais je…moi je vais vers ce qui ne me concerne le plus rapidement…j’ai écouté Mingus, j’ai écouté, mais ça ne me touche pas autant que John. C’est très…c’est facile à comprendre. Je vais directement là où ça me…je veux dire, on n’a pas suffisamment de temps dans la vie pour…je vais pas passer….John Coltrane, oui. Franchement, tous les jours je découvre d’autres choses.

Quelqu’un du public - Parce que vous êtes musicien, c’est la différence entre celui qui…(inaudible)

CV - Oui voilà peut être. Mais encore, je connais beaucoup de musiciens qui pour écouter John, ils ont soi-disant fait le tour…

Autre personne du public - T’aurais fait quoi s’il n’avait pas existé, John Coltrane ?

CV- S’il n’avait pas existé ?? (ton grave)...(rires dans le public)…ça alors, je ne sais pas, c’est une bonne question…c’était comme ça peut-être…c’était comme ça…J’aurais préféré ne pas exister. Faut voir… Parce que (soupir)…depuis que je suis là, je n’ai pas cessé de me battre. Alors franchement…

Public - C’est ce qui donne la foi…

CV - Ben oui…de toute manière, on doit se battre…

Public - En gros ce serait Jésus, et…(inaudible)

CV - Voilà, on doit se battre, ça fait partie de l’homme…et c’est vrai que…on s’est battus…mais je ne sais pas, j’ai l’impression, des fois aussi de me battre avec des moulins à vents…Je suis pas sûr que…en fait, on pourrait dire, John Coltrane a dit « moi quand j’ai fait la musique, je voulais guérir les gens, je voulais les soigner ». Et il a réussi, au moins une fois, puisqu’il m’a sauvé la vie. Donc il a réussi. Mais il ne le saura jamais. A moins qu’il m’entende. Mais il a au moins réussi, ça c’est sûr. Si moi je suis là, c’est quand même grâce à lui. Quelque part, il a réussi. Maintenant, son but, réveiller les gens…je sais pas. Je me demande si les gens qui n’ont pas souffert à un certain degré, peuvent entendre. Je ne sais pas. Franchement, je pose la question, je me pose la question. Parce que c’est vrai que c’est un peu comme avoir mal aux dents et dire à quelqu’un qui n’a jamais eu mal aux dents, « je souffre terriblement, tu vois ce que je veux dire ? » « oui oui, en effet…oui » (rires dans le public) mais c’est tout. Et donc, en fait il nous parle d’un truc, les gens se…à la limite, je comprend qu’on vienne te dire « je préfère écouter Sylvie Vartan, je comprends sa douleur…ce matin elle s’est levée…je sais pas, elle a …elle s’est brûlée avec son chauffe…comme pour les cheveux, vous savez quelques fois, ça brûle…quelque part des accidents comme ça, ça fait mal quand même »…donc elle a du souffrir, et je sais que…il y a de la douleur…mais c’est passager quand même...(rires)
Eh bien voilà.

FS - Il y a d’autres questions ? On va devoir malheureusement arrêter là, parce que Christian joue ce soir et que…est ce que…sinon, pour la fin, quelque chose ?

CV - Oui. On aurait aimé faire d’autres musiques, d’autres choses, d’autres compositions, des nouvelles choses. On va certainement jouer Ëmëhntëht-Rê en entier, l’intégrale d’Ëmëhntëht-Rê, d’accord…mais on aimerait aussi…j’avais envie de jouer encore un autre morceau déjà qui présageait de tout ce qui allait se passer, mais ça devient de plus en plus difficile de répéter donc il ne devient pas possible de capter les musiciens, et de les faire travailler. Ce n’est plus la mode. Donc les répétitions, ça devient très compliqué. On capte une personne, pas l’autre etc…ce n’est plus la mode de répéter. Donc, pas de répétitions, pas de musique. Voilà je le dis, et…c’est triste. Mais, il y a certaines personnes du groupe qui ont envie de monter de nouvelles choses, d’autres sont absentes. Hein, c’est sincère ça. (sourire) Je n’ai pas peur de le dire. Le groupe ne peut pas évoluer avec des gens qui ne veulent pas travailler, voilà…ce ne sera pas le mot de la fin, ce sera le mot du commencement.

FS – Christian Vander, en tout cas, merci.

CV - Merci à toi. Merci à la Fnac sans doute qui nous permet de…

FS - Tout a fait, qui nous permet…et puis merci d’accepter ces rencontres, je pense que c’est toujours…

CV - c’était très bien, en plus on est venus la veille ce qui est plus détendant que tu vois une grande journée partir le même jour du concert, enfin là c’était agréable. Et puis bon, c’était un peu…Nîmes la ville…voilà… quelques moments…qu’on a bien savourés.

FS - Eh bien merci à toi, merci à tous.

CV - Merci à vous.

FS - …Et donc ce soir à Junas pour ceux qui viennent. Voilà. Bonne après-midi. Merci.

Applaudissements.

Afin de ne rien "déformer", les propos ont été retranscrits "brute de fonte" par Bernard "Wurd" Hadjadj


[retour liste des interviews]