CHRISTIAN VANDER, BATTEUR EN QUÊTE D'ABSOLU !
CHRISTIAN VANDER A MARQUE TOUTE UNE GENERATION DE MUSICIENS, ET FASCINE ENCORE PAR UN CHARISME HORS NORME ET UNE PERSONNALITÉ AUSSI IMPRESSIONNANTE QU'ÉMOUVANTE. LE BATTEUR LEADER, QUI SORT UNE SERIE DE 4 DVD LIVE, CONTINUE SA QUÊTE EN GARDANT UNE FOI INTARISSABLE ENVERS LA VRAIE MUSIQUE…
Il semble que Gretsch a renoué avec toi, et qu'aujourd'hui, tu représentes la marque officiellement...
En fait, je n'ai jamais cessé de jouer Gretsch, tout en étant en contrat, mais pendant toute une période, sans leur dire, je continuais à jouer mes anciens fûts. Je ne prenais pas leurs batteries car fin 70 et tout début 80, il y a eu une dégradation soudaine et leurs productions n'étaient pas à la hauteur de ce que j'avais déjà. Sans parler des peaux Permatone qui n'étaient plus là, alors que pour moi, elles font toute la différence et donnent cette vraie profondeur aux fûts Gretsch. Je n'ai rien d'un mécanicien de la batterie, et je n'entends rien aux pièces d'une Gretsch qui reste la Ferrari de la batterie, mais j'ai senti que quelque chose avait changé.Les dernières productions ont donc trouvé grâce à tes oreilles ?
Oui; je retrouve du corps et de la musicalité; surtout sur les modèles USA, comme celle que j'ai commandée et que j'attends avec impatience !Tu as choisi quelle finition ?
J'avais une idée d'un très beau bleu qui ne se faisait que pour les modèles asiatiques, alors j'en ai choisi une autre. J'ai laissé deviner à mes amis, mais bon, je te le dis, j'ai pris un jaune « Tony », comme celle de Tony Williams.Bel hommage, puisque l'on vient de commémorer les dix ans de sa disparition…
Oui, c'est aussi très beau car j'avais joué un set de Tony qu'il avait demandé pour une tournée française et que Gretsch m'avait laissé ensuite. Figure-toi que c'était les tailles qu'il jouait à l'époque, avec la grosse caisse de 24"; et j'avais donc vu les réglages qu'il utilisait avec les fameuses peaux Remo CS, et c'était impressionnant ! Tout d'abord, il n'y avait aucun coup hors des ronds noirs ! Avec tout ce qu'il avait déversé dans la soirée, il n'y avait que trois petits coups à côté sur le tom alto, sinon tout était marqué comme sur une cible. D'ailleurs, avec ce genre de réglage, le son, c'était là ou rien ! (Rires) Il n'avait pourtant pas un jeu clean mais incroyablement précis, et même s'il pouvait salir des coups, il restait toujours précis.Il a dit avoir progressé entre 65 et 90, qu'en penses-tu ?
Sur le son qu'il cherchait, oui, pourquoi pas ? Mais une chose est sûre, c'est que sur le genre de réglage qu'il avait à la fin, cela ne pardonnait aucune erreur ! Il fallait avoir un très gros son, presque rock... Enfin jazz-rock, mais rock-jazz, tu vois ? (Rires) En tout cas tu ne pouvais pas jouer jazz et laisser de la place au moelleux ou au climat. Il fallait qu'il attaque tous les coups, et en 1977, lorsqu'il jouait avec Hank Jones et Ron Carter au Village Vangard, il semblait gêné par sa puissance.Il ne faisait pas de concession et ne voulait peut-être pas revenir en arrière...
Oui, c'est ça, et pourtant Dieu sait que sur Emergency, avec la petite Gretsch, c'est grandiose ! Il a toujours eu ce son de bois sur le fût, qu'il obtenait en tapant la peau et les cerclages en même temps.Tu t'es inspiré de cette technique ?
Beaucoup, oui, même si personnellement, je travaille vraiment le côté sale dans mon jeu. Cela dit, ce son de « jungle », aujourd'hui, avec les nouvelles peaux, tu ne peux presque plus l'obtenir. J'ai de gros soucis avec ça, mais je me venge d'une autre manière. J'ai contrarié mon jeu en développant autre chose sur les cymbales, mais si j'avais de bonnes peaux, je n'aurais aucun mal à obtenir ce son à nouveau. Les peaux Permatone, qui ont d'ailleurs été fabriquées par la suite par Remo, avaient une épaisseur qui se situait juste entre la Diplomat et l'Ambassador; ni trop fine, ni trop épaisse. C'est certainement un peu plus subtil encore, mais je te garantis que j'ai une Gretsch des années 70 à la maison, montée avec ces peaux, et je ne la frappe pas trop pour les économiser tellement elles sonnent. Sur la grosse caisse, je peux obtenir du grave tout en étant réglé aigu, et le tom bass a une profondeur incroyable.En visionnant les deux premiers DVD enregistrés â Paris, au Triton, tu n'utilises pas les China, pourquoi ?
Tout simplement par manque de place. Elles sont importantes dans Magma, mais là, j'étais déjà trop près des chanteurs et je n'ai pas pu les mettre, faute de recul.
Comment est venue l'idée de cette résidence de quatre semaines au Triton, à Paris ?
Ce sont Francis Linon et Jean-Pierre Vivante qui ont proposé de faire un mois Magma. L'idée de jouer quatre répertoires sur quatre semaines est venue naturellement. Ce sont quatre répertoires et surtout quatre périodes, car j'ai composé Theusz Hamtaahk, qui figure dans le premier DVD, en 1970 même s'il a été enregistré pour la première fois en 1980 à l'Olympia. Wurdah Ïtah qui figure sur le deuxième DVD a été composé en 1972, pour Mëkanik Destruktiïw Kommandöh, et on s'est dit qu'il était intemporel...
Je sais que l'argent n'est pas un moteur pour toi ou les membres de Magma, mais comment avez-vous réussi à financer ces quatre semaines?
On était payé aux entrées et les musiciens ont tous accepté de participer à ces conditions, avec quelques complications dues au DVD, par rapport au droit à l'image; mais sinon, tout le monde a été très cool là-dessus.
Comment se fait-il que Magma ne décroche aucune subvention BNP Paribas, Adami, Spedidam ou autre ?
Il y a toujours un prétexte pour que cela ne se fasse pas... Ça a commencé dans les années 60, après que j'ai décidé de ne plus jouer du jazz. Là, j'ai été tricard et je suis devenu un paria du jazz. Pourtant, actuellement, je joue en quartet avec le saxophoniste Ricky Ford qui a bossé avec Lionel Hampton, Charles, Mingus ou Mal Wadron, et il a envie de travailler avec moi ! Or pour beaucoup de gens en France, je ne suis pas un jazzman ; Magma, on ne sait pas très bien ce que c'est, et le fait que j'ai dit non au jazz, en France; m'a banni de ce milieu: Au moment où j'ai choisi d'aller ailleurs, les musiciens français ne jouaient pas la musique que j'avais envie de jouer dans le jazz. Même si je n'étais pas prêt à jouer cette musique, au moins, j'avais la démarche, et j'avais déjà cette approche spirituelle. Pourtant, John Hicks m'avait proposé d'aller enregistrer à New York avec Ron Carter, et de mon côté, j'avais déjà formé Magma. Alors j'ai dit non… Est-ce que j'ai fait une erreur ?
Tu n'aurais peut-être pas fait la même carrière et tu n'aurais sans doute pas la même notoriété en France et en Europe ?
C'est vrai, mais tu sais, les choses sont difficiles ici. Si tu joues un tube comme Mekanïk, les gens vont applaudir, et si tu joues une pièce nouvelle, ils vont regarder le voisin avant d'applaudir, sans spontanéité. La France est un pays difficile pour la musique !C'est sûr que parfois, les Français ont tendance à écouter avec leurs yeux plutôt qu'avec leurs oreilles, mais Magma a tout de même tenu longtemps, et continue d'exister. Cela a demandé beaucoup de travail de répétitions, pour ces quatre semaines ?
Écoute, étonnamment, non. On a une superbe se' section de cuivres ! Personnellement, au départ j'ai simplement survolé les morceaux que j'avais si souvent joués, mais arrivé aux répets, les cuivres étaient tellement bons qu'ils connaissaient la musique mieux que nous!
J'ai vu qu'il y a eu des relevés et une réécriture des arrangements par Benoît Alziary. Il n'y avait rien d'écrit ?
Si, bien sûr, mais les partitions avaient été égarées depuis ! Beaucoup de documents manuscrits avaient notamment disparu lors du déménagement de la SACEM et nous n'avions aucune photocopie. Ce genre de chose est d'ailleurs épuisant (rires). Heureusement, les cuivres sont arrivés, avec une parfaite connaissance de la musique et, comme je te le disais, c'est même moi qui me plantais ! J'avais oublié telle ou telle convention entre basse/batterie, ou certains rouages internes qui sont essentiels.Qui est-ce qui dirige les répets ?
On cherche pas mal ensemble, selon les timbres des chanteurs, et chacun essaye ce qui convient le mieux, mais chacun a son mot à dire.Mais qui donne le tempo par exemple ? Car sur le DVD, à part un ou deux moments où tu peux même compter en tapant ta baguette sur le tom bass; on ne voit pratiquement pas de décompte.
C'est moi, mais tu sais, la musique doit partir en souplesse. Je donne un tempo sans qu'il soit figé. J'essaye de donner seulement les deux premiers temps (il compte 1 - 2, 1, 2... et le reste s'inclut dans un souffle) pour que tout le monde parte bien sur le premier temps, le tempo se formant ainsi plus naturellement. Au contraire, si tu comptes chacun des temps de manière figée, la pulsation a tendance à se déformer, car tout le monde va se jeter sur le premier temps et s'efforcer de tenir le tempo en se tendant, et ce ne sera jamais souple. Cela ne m'empêche pas d'être très rigoureux et de penser, comme me je l'ai souvent dit, au huitième de temps !
Justement, je trouve que tu as vraiment une assise étonnante !
Elle vient du bas de ma colonne vertébrale. Je suis très souvent en équilibre, et souvent, mes deux talons ne touchent pas les pédales ! C'est donc ma colonne qui sert de point d'appui et non pas ma jambe gauche ou droite. L'équilibre vient de là. Ce qu'il se passe dans la chaussure est également important, car je fais beaucoup de nuances à la grosse caisse avec mes doigts de pied.
Parle moi-aussi du travail du charley...
Un jour, j'ai compris. J'avais d'ailleurs entendu Tony (Williams) le dire. La première chose qu'il faisait travailler à ses élèves, c'était apprendre à poser le pied sur la pédale de charley. (Rires) On pourrait penser qu'à ce niveau-là, on n'a pas fini les cours ! Mais si tu y réfléchis, le poser pour que les cymbales ne fassent, pas « tchick », mais « chaaa », en souplesse, ce n'est pas pareil. Tu peux vouloir un « tchick », ou plusieurs, pour donner un effet, mais si tu veux éviter le fla lorsque tu poses le charley avec le motif de la cymbale ride, il faut que cela se fasse en souplesse, grâce à la colonne vertébrale. Le problème, c'est que lorsque j'ai travaillé ça, je ne savais plus jouer la grosse caisse, il a fallu que je la retravaille !Art Blakey ou Elvin Jones avaient ça !
Oui; ils n'ont bossé que çà, et ils avaient aussi une danse interne, sans avoir forcément une gestuelle exagérée.Lorsque tu paries de danse, je suis d'accord; mais je te suis moins lorsque tu parles de subdivisions à la triple croche, en jazz en tout cas…
En fait; si tu penses à la triple, plus tu as de subdivisions, et plus tu auras de chances de placer ton phrasé ou ton coup au commencement du temps et de le finir le plus tard possible avant le temps suivant. Tu gagneras ainsi en amplitude de son. Ces subdivisions sont presque infinies et plus tu as conscience d'une division fine, plus tu as de possibilités de chanter les notes dans chacun des emplacements où elle peut se trouver.C'est pour ça que tu es plus àl'aise lorsque tu joues ça avec Klaus Blasquiz ou Jannick Top qu'avec de jeunes musiciens.?
Tu sais, ces choses-là se développent dans le temps. Seul, on a toujours raison, mais lorsque je travaille avec des musiciens comme Emmanuel Borghi, qui a conscience de cette vibration, on n'essaye pas de tenir un tempo à x ou y à la noire. Si tu essayes de faire ça, tu es certain d'échouer. Au contraire, le tempo doit vivre de façon interne et bouger. Pour être au diapason, il faut être habitué à cette approche. De même, en jouant ou en écoutant de la musique, certains vont vouloir marquer une syncope ou une double nerveusement, comme s'ils attrapaient une mouche, alors que je vais pouvoir la pointer de façon beaucoup plus calme, là où elle est, même si ça va à une vitesse folle. Beaucoup de musiciens noirs américains arrivent à faire ça.je reviens au DVD qui reste un document exceptionnel pour te voir jouer et entendre la musique de Magma. Quelles sont les prises qui ont été retenues .
Au départ, ils ne devaient filmer que les samedis, et on avait peur que les voix soient fatiguées. Et finalement, ils sont venus du jeudi au samedi, et figure-toi que jusqu'à présent, on n'a gardé que les prises des samedis (rires). En revanche, pour la troisième semaine, on a joué un Köhntarkösz exceptionnel, mais c'était le mercredi. Le jeudi, la version était un peu moins bien, et jusqu'au samedi, ça s'est dégradé au lieu démonter en puissance. Benoît (Widemann) a bien joué, mais cela l'amusait plus de jouer « Alien » que Magma. En revanche, avec Jannick, ça n'a fait que monter et le samedi, ça a été l'apothéose !
Je voulais t'en parler, j'ai trouvé que pour les morceaux avec Jannick Top, tu tenais une forme redoutable !
Jannick joue cette vibration et ses notes sont palpables à un tel point que tu ne raisonnes plus en termes de tempo ! Il a cette conscience de la musique, son placement est là, comme s'il y avait un décrochement là où tu dois poser ton rim shot, ta grosse caisse, et tout ce qui suit. C'est un grand de dimension internationale que je comparerais à James Jamerson de Tamla Motown.
C'est quoi l'histoire avec les suites pour violoncelles de Bach ?
C'est arrivé le dernier soir. D'habitude, il jouait un morceau à lui, Quadrivium, et on a lancé dans les loges : « Allez, ce soir, tu nous joues du Bach ! » (Rires) Et il l'a fait ! Il était violoncelliste et je l'ai vu jouer du Bach à l'envers ou dans tous les sens...D'où l'expression, travailler à l'endroit et à l'envers !
Exactement ! John Coltrane travaillait comme ça... Et j'ai d'ailleurs redécouvert des solos de John, sur Impressions notamment, en pensant dans l'autre sens chaque phrase, selon sa prise de respiration, car cela m'arrivait de respirer au moment où il soufflait, et cela change tout ! C'est la mode de dire que l'on a fait le tour de Coltrane, mais c'est loin d'être le cas. Personnellement, à part Magma et Offering, j'ai voué ma vie à travailler cette musique et je veux comprendre. Cette démarche m'aide d'ailleurs dans tout ce que je fais, y compris pour le chant.Qu'est-ce que le chant t'a apporté ?
Ce n'est pas le même positionnement. Au départ, je chantais comme un batteur en jouant des impulsions. Je n'étais pas prêt à chanter, et ma voix me lâchait au bout d'un quart d'heure alors que j'avais trois heures de concert à tenir. Je croyais me venger sur les rythmes parce que les notes n'étaient pas là, mais ce n'était pas vraiment le cas, car le positionnement de la voix n'est pas du tout le même que celui à la batterie, même si tu es bien placé sûr cet instrument. Avec la voix, tu comprends d'autres respirations, qui peuvent t'aider à mieux jouer avec un chanteur, ou avec un autre instrumentiste qui dispose de sonorités longues ou qui utilise son souffle. Il faut vivre la note, et la prolonger au plus loin que l'on puisse imaginer. Je l'avais dit à Antoine (Paganotti), qui faisait les mêmes erreurs que moi, et qui fait des progrès impressionnants.Tu restes un batteur qui a poussé les limites techniques très loin: Alors justement, par rapport aux années 70, y a-t-il des choses que tu ne peux ou ne veux plus passer techniquement ?
Je comprends ce que tu veux dire. je pense avoir été un vrai spécialiste des frisés et j'ai été réellement traumatisé par des batteurs qui avaient de superbes frisés. J'ai d'ailleurs lu et entendu que c'était Tony Williams qui avait inventé le chant sur les fûts en frisés... ce n'est pas vrai.C'est Max Roach...
Bien sûr, c'est Max, et lorsque je l'ai entendu avec Clifford Brown, j'ai été atomisé. Ses solos sont extraordinaires, ce sont des merveilles ! je suis certain que Tony était fou de Max, même si à sa manière, il n'est pas arrivé à ça... Donc, j'ai travaillé, j'ai inventé une technique de frisés, et je crois être arrivé à une vitesse qui dépassait l'entendement.Oui, tu en as miné plus d'un (rires)...
Mais après ça, je voulais arriver à mieux me déplacer entre la caisse claire et les fûts et j'ai voulu creuser les touchers de cymbale, de charley et de grosse caisse. J'ai donc abandonné les frisés que je trouvais disgracieux parce que j'avais compris la vitesse, mais pas le toucher! L'ensemble me paraissait raide, pas harmonieux, je n'abordais pas les frisés correctement; sans donner de l'avant...Sans préparation des coups, tu veux dire ?
Oui, je voulais arriver à les faire commencer quelque part, plutôt que d'attaquer ici ou là. J'en étais rendu au point où je ne pouvais plus commencer un exercice ou un triolet sans me dire qu'il était déjà mort et que ce n'était plus la peine de le jouer. J'ai donc voulu comprendre et ne plus faire de remplissage vulgaire et disgracieux. En analysant comment positionner les choses, devant ou derrière, j'ai carrément stoppé les frisés et je n'en jouais plus jamais. Je ne faisais plus de chorus de batterie non plus, puis, ce qui devait arriver arriva (rires)... j'ai voulu en rejouer. J'ai donc repris le travail et je me suis rendu compte que si je veux me remettre d'équerre, il va falloir que je travaille encore beaucoup ! J'ai perdu la vélocité mais potentiellement, je dois pouvoir la retrouver. En revanche, par la suite; j'espère pouvoir m'en servir avec musicalité, comme d'une petite accentuation de caisse claire.Que ce soit fluide, quoi...
Fluide, oui, naturel, comme certains batteurs qui ont la main comme happée par le tom médium. J'arrive à obtenir cette sensation et ce toucher pour le charley, la caisse claire ou la cymbale, mais je voudrais y arriver de la même manière sur les fûts.Ça ne s'arrête jamais, c'est déprimant ?
Je ne veux pas raisonner en termes de plans, parce qu'un plan est mort d'office ! Dans Offering, parfois, on répétait des mises en place et je demandais à tous les musiciens : « Vous avez bien compris la figure rythmique ? C'est clair pour tout le monde ?... Parce qu'on ne la jouera plus jamais! » (rires). On tournait autour, si tu veux, mais on ne la jouait pas. Ça implique un travail d'écoute en musique…
Que l'on retrouve en musique classique, d'ailleurs...
Oui, et dans toutes les bonnes musiques, avec des bons chefs et de bons exécutants. L'élan n'est pas brisé et l'interprétation, du coup, reste unique à chaque fois. Ces choses sont abstraites et ne peuvent pas s'écrire dans des manuels de musique.Tu as dit par le passé que Magma avait parfois compté des mercenaires en son sein, et à la fois, il semble qu'il n'a jamais été plus difficile de vivre de la musique qu'aujourd'hui. Comment expliques-tu que les membres de la dernière mouture soient autant impliqués ?
C'est vrai que le groupe n'a jamais duré aussi longtemps, depuis 1995 ou 96, il n'a pratiquement pas bougé, même si on a intégré Himiko (Paganotti). C'est devenu une histoire de famille et de vie ! On ne sait pas ce qui adviendra, mais ça marche bien. Cela dit, tu sais, quand Mickey (Graillier) est parti, à l'automne 1974, on a joué en quartet avec Jannick et Klaus, et il ne manquait rien !Tu as une nostalgie de cette époque-là ?
J'ai une nostalgie du côté spirituel, d'une certaine magie que je cherche encore. Je dis souvent que si John Coltrane n'avait joué que de la musique, cela fait longtemps que l'on ne l'écouterait plus! Cette magie ne s'explique pas et je cherche des gens qui ont la même quête que moi.Il y a un prochain disque à venir pour la rentrée, tu peux nous en parler ?
Oui, on a commencé à faire la rythmique. Pour résumer, on a sorti récemment Ka, qui amène à Köhntarkösz; lui-même amenant à l'ouverture d'Ëmëhntëht-Rê que l'on est en train d'enregistrer. Je l'ai écrit en 1970, mais le final n'avait pas été composé à l'époque. C'est une forme de trilogie que je voulais remettre en place pour pouvoir passer aux nouvelles choses.
Tu es un genre de George Lucas de la musique finalement (rires) ?
Oui, les gens ne s'y retrouvaient plus, et là on sera d'équerre. Le seul thème qui ne sera pas encore enregistré et qui est encore en travaux, c'est Zëss.
Tu penses que la musique de Magma pourrait continuer sans toi ?
On peut en parler car c'est tout de même important. Personnellement, j'ai composé ces morceaux pour qu'ils soient développés et chez moi, je pouvais faire vivre certaines parties mélodiques durant plus de 20 minutes. Ce qui est difficile dans la musique, c'est le côté interprétable et certaines le sont plus ou moins facilement. On ne peut pas demander à tout le monde de sentir la vibration dont je t'ai parlé. Il reste ensuite les mélodies, mais il pourra manquer la dynamique interne si je ne suis pas là pour surveiller, car on ne peut pas jouer ça mollement. Bartok jouant lui-même sa musique au piano, c'est du free jazz à côté de ce que certaines interprétations nous font croire.
Dans un autre extrême, la musique de James Brown, sans lui, ce n'est pas tout à fait pareil non plus...
Oui, parce que James, les faisait répéter et jouer à la triple croche ! Ce mordant fait qu'elle tient debout et tous ceux qui se sont attaqués à cette musique en la jouant à la double croche n'ont pas l'intensité nécessaire.
Sans susciter de mauvais présage, comment aimerais-tu que le monde se souvienne de toi, qu'aimerais-tu que l'on dise de Christian Vander après ta disparition?
Le nom que l'on porte prend une résonance en fonction de ce que tu as fait dans ta vie. Bourvil, par exemple, ou Lino Ventura, ces noms-là ne veulent rien dire seuls, et ils sont forcément liés à l'histoire de ces hommes. Regarde Uriel Jones, batteur des Tamla Motown, il s'appelait Uriel, mais pas Elvin Jones (rires). Il a pourtant fait un beau travail, mais il restera le successeur de Benny Benjamin qui est à l'origine de ce phrasé superbe de la Motown. Mon nom n'est pas fini et j'aimerais qu'il résonne comme de la musique, avec de la spiritualité, pas forcément comme je l'entends aujourd'hui d'ailleurs. Mon nom ne sonne pas encore, et j'espère d'ailleurs qu'il sonnera. J'avais fait un disque pour les enfants et j'en avais profité pour leur dire : « je m'appelle Christian ».Propos recueillis par Laurent Bataille – Photos : Marc Rouvé
Batteur Magazine N° 202 – Avril 2007
Issèhndolüß Akhazhïr