A l'orée de ces années 70 noyées de naphtaline babacooliste, Magma, avec son étrange sigle, ses combinaisons noires, sa harangue vindicative à l'égard de la médiocrité humaine, son mythe de la planète Kobaïa et sa langue vernaculaire, le "kobaien" (à la phonétique tout de même très
germanisante), est apparu au choix comme un pavé, un ovni un accroc, une griffe. Derrière ce brante-bas de combat conceptuel aussi effarant que cocasse, Magma a donné naissance à l'une des musiques les plus ambitieuses et originales que le monde de la pop music française ait connues. Synthèse de diverses musiques européennes, elle passe pour incarner "la musique des forces de l'univers" et fut baptisée zeuhl (terme désignant un matériau vibratoire) par son mentor, le batteur et chanteur Christian Vander. Grand adorateur de John Coltrane devant l'Éternel (ou le contraire), il a fait de Magma le véhicule privilégié d'une quête musicale et spirituelle exacerbée, vouée à la projection du cri coltranien. Accessoirement. Magma a aussi servi de tremplin à des personnalités musicales comme Didier Lockwood, Bernard Paganotti, Jannick Top, etc., et son esthétique a inspiré nombre de groupes français comme japonais.


Magma en 1970 - Photo : Jacques Biscéglia


LE KOMMANDOH CONTRE-ATTAHK

Parti d'un jazz électrique et cuivré plaqué sur des rythmiques impaires à la puissance de feu déjà fort dévastatrice, Magma se révèle pleinement avec son troisième LP, Mëkanïk Destruktïw Kommandôh (1973), qui inaugure l'ère des grands mouvements épiques. Cet opus aux accents de marche guerrière est le troisième maillon de la trilogie Theusz Hamtaahk. La marque du jazz s'estompe au profit de structures, rythmes et harmonies contemporaines renvoyant aux Noces de Stravisnki et au Triomphe d’Aphrodite de Carl Orff. La langue kobaïenne s'y épanouit dans des litanies vocales en forme de mantras rituels, scandées par l'imposant maître en kobaïen Klaus Blasquiz et par Stella Vander. Et il y a cette incandescente paire rythmique que forme Vander avec le bassiste Jannick Top. Suivra ensuite le deuxième mouvement. Wurdah Ïtah. magnifique concentré de puissance lyrique joué par une formation resserrée (basse, batterie. claviers, voix).
Paru en 1974, Köhntarkôsz illustre un autre aspect de l'univers magmaïen, moins choral, plus tellurique, tout en climats oppressants et claviers dominants, et révélant une nouvelle respiration rythmique à base de contre-temps. C'est dans cette tension aiguë, entre élans célestes et assauts terrestres que l’œuvre de Magma tire son impact et sa flamboyance.
II faut aussi souligner l'apport fondamental de Jannick Top. Cet alter ego spirituel de Vander a notamment accouché du légendaire De Futura, sorte de transe gothico-macabre incantatoire.

C'EST LA ZEUHL QUI LES A MENÉS LA!

Le virage tamla-zeuhl, voire soul-funkobaïen, entamé par Magma à la fin des années 70 a préludé à une phase quasiment autoparodique dans les années 80, le groupe apparaissant sur scène dans de risibles accoutrements "startrekkiens", mais véhiculant une joie de jouer ineffable. Une salutaire mise en sommeil de Magma a favorisé l'émergence d'une formation plus ouverte à l'improvisation d'essence coltranienne, Offering, qui a permis à Christian Vander de révéler d'autres talents de compositeur et d'interprète. Au début des années 90 est apparue une somptueuse formation acoustique, Les Voix de Magma, puis finalement Magma dans sa formule électrique en 1995, plébiscité par un public élargi et renouvelé. Entourés par des musiciens plus jeunes et tout aussi combatifs que leurs aines, Christian et Stella Vander en profitent donc pour remettre de l'ordre dans la chronologie de l’œuvre magmaïenne et enregistrer les magnum opus qui ne l'ont pas encore été.

Car l'histoire de Magma est aussi jalonnée de pièces perdues, retrouvées, démantelées. fragmentées ou remaniées et d'enregistrements retardés. II a fallu ainsi attendre les années 80 pour que soit gravé le premier mouvement éponyme (écrit dès 1970) de la trilogie "Theusz Hamtaahk", et les années 2000 pour que l'intégrale de cette trilogie soit jouée et publiée dans un classieux coffret. II en va de même pour cette seconde trilogie baptisée "Ëmëhntëht-Rê". dont "Köhntarkösz" fait partie, et dont le premier mouvement, "K. A.", n'est ressorti des placards que dans les années 2000. Quant au troisième mouvement éponyme, dont on ne connaissait que des fragments épars, il est actuellement en cours de finition. D'autres œuvres attendent aussi leur version définitive, comme Zëss, censé durer entre deux et cinq heures! Si la perfection est l'exigence première de Christian Vander, celte des fans de Magma doit être la patience. C'est la condition impérative de la perpétuation du cri...

STÉPHANE FOUGERE
Musiq N° 14 Mai- Juin 2008
Issèhndolüß Akhazhïr


 

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