Zeuhl, tout un monde

II n'est pas fréquent de voir un groupe engendrer à lui seul un style musical. Pourtant, dans la nébuleuse de Magma gravitent de nombreuses formations musicalement apparentées. Musiques tendues, sombres, répétitives... Disons que l'expression The Dark Side of the Prog résumerait sans doute assez bien ce que la zeuhl concocte esthétiquement. Les paysages cultivés dans cette contrée-là sont les landes angoissées et fiévreuses. Des musiques tendues dont les compositions cheminent progressivement vers de somptueuses apothéoses. Basses grondantes la façon de Bernard Paganotti, daviers obsessionnels aux motifs compliqués, comme ceux de Jean-Philippe Goude dans Weidorje, rythmiques tourmentées et chœurs tout droit sortis d'outre tombe; voilà, à peu de chose près, ce que l'on entend par zeuhl. Reste à négocier si on veut accepter ce mot quand on joue au Scrabble.




Tatsuya yoshida ne s'est jamais caché l'être un grand fan de Christian Vander. Et s'il n'est pas le seul batteur à se réclamer de maître Christian, sa formation Koenji Hyakkei présente l'intérêt majeur le désigner clairement ses influences tout en créant du neuf. La marge, entre Koeinji Hyakkei et Magma, c'est une dose de speed en plus, ou bien, si l'on préfère, le jazz en moins. C'est que le batteur japonais s'est par ailleurs illustré dans des projets musicalement plus violents, tels Ruins ou plus bizarres, comme Tairikuotoko vs Sanmyakuona. Ce qui ne l'empêche aucunement d'exceller dans l'art des mesures composées et d'une grandiloquence opératique démesurée. Au Japon, toujours, Bondage Fruit et Happy Family se sont eux aussi adonnés aux vertiges transgressifs de la zeuhl. Le premier en mettant l'accent sur les instruments acoustiques et le second en misant principalement sur un son rock aux rythmiques folles (et parfois, reconnaissons-le, indigestes).

Projet parallèle à Magma monté par Bernard Paganotti et Patrick Gauthier en 1976, Weidorje a enregistré un album en 1978, soit un an avant la fin de sa trop courte carrière. Réédité en CD avec quelques inédits par les bons soins de Musea, Weidorje constitue un parfait lieu de villégiature pour des oreilles habituées à écouter Magma. Bien moins tenté par la voie jazz-rock empruntée par d'autres formations apparentées, Weidorje garde une identité assez rock tout en basant ses compositions sur des thèmes progressifs répétitifs. L'énergie est intacte même si le son a pris un petit coup de vieux. À quand l'édition remasterisée avec un bonus DVD?

Avoir joué dans Magma, ça marque un musicien; c'est bon pour la notoriété, certes, mais comme un voyage sur la lune, ça laisse une trace indélébile. La carrière de Benoît Widemann et de Jean-Philippe Goude, produits d'une collaboration sur la planète Kobaïa et de leur propre singularité, mérite un long coup d’œil. Très imprégné de la musique de Weidorje, l'album "Drones" de Jean-Philippe Goude prolonge l'expérience amorcée par Weidorje, l'album est, en outre, affublé d'une très belle pochette dans le style de Moebius. Plus proche d'un Weather Report, Benoît Widemann, autre ancien clavier de Magma, inaugure sa carrière en 1977 avec "Stress", autre exemple fructueux de la combinaison rock et jazz à travers des schémas répétitifs. Dans des nuances grises plus foncées, il faut distinguer dans la pénombre Shub Niggurath et Verto. Le premier pour ses accointances sévères avec l'univers de Lovecraft et la musique contemporaine, le second pour les vertiges zeuhl de sa signature.

Dernière étape de notre parcours zeuhl, Zao, avec une signature à la fois très personnelle mais aussi plus diversifiée que les groupes cités plus haut. C'est aussi une préférence pour le jazz-rock qui s'est dessinée pour le groupe au fil de sa discographie; Zao connaîtra un début de carrière inauguré par de sensibles entrelacs d'instruments à vent et de violon dans une instrumentation rock, avant d'adopter par la suite un style plus jazz électrique.


ANNE RAMADE
Musiq N° 14 Mai- Juin 2008

Issèhndolüß Akhazhïr


 

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