De Magma à Sophia
SIMON GOUBERT est probablement avec Michel Graillier le plus jazz de la galaxie Magma et pourtant le plus fidèle. II raconte sa proximité avec Christian Vander, son nouveau disque "Back-ground" et sa complicité avec Sophia Domancich. Par Thierry Quénu
MAGMA
Au départ, en 81, je devais entrer en tant que batteur dans le groupe électrique, mais j'en étais techniquement incapable. Finalement, comme j'étais un fan de leur musique, que j'avais relevée au piano, et comme leur pianiste partait, j'ai pris sa place et en fait le groupe électrique s'est immédiatement transformé en Offering, groupe acoustique dont Christian Vander rêvait depuis longtemps. Je connaissais bien Christian qui, comme moi, fréquentait le club Riverbop. Nous étions humainement assez proches et je l'admirais beaucoup. Son approche et sa conscience rythmiques sont sans équivalent en France et j'ai beaucoup appris à son contact. J'ai joué dans Offering de 82 à 87, puis je suis revenu en 92, au piano et aux claviers, dans Les voix de Magma que j'ai quittées en 97. Dans Offering, en l'absence de batteur, je jouais ce rôle au piano et faisais "rouler" les rythmiques. C'est une époque où j'ai beaucoup travaillé l'instrument, J'ai fini par quitter le groupe parce qu'il demandait une disponibilité totale, alors qu'en tant que batteur je voulais aller vers autre chose. La décision a été très difficile à prendre, mais comme on m'appelait de plus en plus ailleurs à la batterie, j'ai fini par choisir.Ce que j'aime avec Christian Vander - et qui m'a fait revenir dans son groupe cinq ans plus tard - c'est justement l'ambiance et le fonctionnement de groupe. Dans le jazz, on a plutôt tendance à être une collection d'individualités, même si on cherche à sonner comme un groupe. Dans un groupe, on arrive sur scène, le matos est prêt dans la même disposition chaque fois, et l'on n'a à s'occuper que de la musique qui se joue dans les mêmes conditions sans être exactement pareille chaque soir, Et puis j'aime la musique de Christian, ce chant qu'on a en commun et qui vient certainement de nos origines slaves, puisque mon grand-père maternel était hongrois, Christian et moi partageons aussi un intérêt pour la musique classique. Sa
musique me touche énormément, rythmiquement et mélodiquement, Elle a beaucoup de côtés tendres, et ce que les gens trouvent dur chez lui ne me semble pas du tout dur, Pas plus que je ne trouve dur le Parsifal de Wagner, ou effrayant tel ou tel aspect d'Ayler, ou tristes certains côtés de Coltrane, Ce sont des musiques belles, qui me font rire de bonheur. Voilà pourquoi j'aime ce que compose Christian Vander, en dehors du fait que ses groupes ont été ma "famille" pendant des années. Quand j'ai rejoint le dernier Magma, toujours aux claviers, pour ce qui ne devait être qu'une tournée, j'ai enfin pu jouer cette musique dont j'avais été fan et que je connaissais par coeur. Mais les fans demandaient toujours les mêmes tubes et je me sentais enfermé dans ce cadre, alors je ne suis pas resté longtemps."BACKGROUND"
C'est le titre de mon nouveau disque. Le précédent "Et après" était une sorte de règlement de comptes avec toutes mes amours musicales. Celui-ci est un disque de jazz très classique, comme je n'en avais sans doute pas fait depuis "Le Phare des Pierres Noires". C'est d'une certaine façon là que se situe la notion de background. Même si je n'y avais pas pensé sur le moment je me suis rendu compte qu'une grande partie des titres fait référence à la notion de temps, C'est manifestement une chose importante pour moi, et je m'en explique dans les notes de pochette. Quelquefois je suis assez encombré par le fait d'avoir grandi musicalement non pas avec des gens de mon âge, qui ne m'intéressaient pas ou que je ne comprenais pas, mais avec des musiciens plus âgés dont une bonne partie ne sont plus là. Du quartette que je formais avec Babik Reinhardt, Michel Graillier et Alby Cullaz, il ne reste que moi. De même pour le trio avec Mickey et Albi, de même pour Siegfried Kessler... J'ai passé des jours et des semaines avec ces gens et c'était parfois difficile pour moi de faire de la musique sans me demander ce qu'ils en auraient pensé, s'ils en auraient été contents.
De ce fait, des années durant, j'ai pris dans mes groupes des musiciens plus jeunes que moi mais, depuis quelque temps, je choisis des personnalités plus mûres, plus capables de prendre des responsabilités. Sur "Background", Pierrick Pedron, Boris Blanchet, Manu Codjia se trouvent être plus jeunes, bien qu'ils aient un grand bagage musical, mais je les ai mis dans des situations qu'ils n'ont pas l'habitude de gérer. Ils s'en sont magnifi-quement débrouillés et sont allés chercher au tréfonds d'eux-mêmes des choses qu'ils n'avaient pas encore jouées. "Background", c'est donc une manière de dire qu'à mon âge je suis enfin en accord avec ce que je fais, qu'après avoir regardé en arrière c'est ce qui se passe maintenant avec ce groupe-ci qui importe. Un détail intéressant à ce niveau est que j'ai composé la plupart de ces morceaux dans une période d'inactivité de quatre mois. Il est donc le fruit d'une longue maturation.
PHOTO: GÉRARD ROUYSOPHIA DOMANCICH
Le fait de jouer régulièrement avec elle depuis quelques années a radicalement changé ma façon de faire de la musique. Elle m'a apporté des choses dont je rêvais et, en fait, on s'est apporté mutuellement des choses qu'espérait l'autre. Quand je l'ai rencontrée je me sentais un peu emprisonné par rapport aux musiques que je jouais et j'étais très admiratif des musiciens qui réussissent à survoler le tempo. J'ai travaillé divers aspects de la batterie de façon approfondie, mais je n'arrivais pas à comprendre une certaine notion de fluidité. De la même façon, j'avais eu auparavant un blocage par rapport au bebop et ne pouvais, par exemple, travailler un morceau que si j'en connaissais une version jouée par Elvin ou un autre, C'est Steve Grossman - il joue d'ailleurs bien de la batterie - qui a levé ce blocage et m'a permis de devenir un véritable sideman de jazz, capable d'accom-pagner les chanteuses par exemple, Ensuite le quartette de Michel Edelin m'a permis de sortir de mon "costume" de batteur de jazz. C'est enfin Sophia qui m'a aidé à me libérer définitivement en ce qui concerne la fluidité, Dès que je l'ai entendue dans les années 90, son "chant" sur le piano m'a séduit. Je pourrais la reconnaître au bout de deux notes, comme Michel Graillier. J'ai joué avec beaucoup de magnifiques pianistes de jazz, mais le chant de Sophia m'inspire dans la mesure où l'on peut l'interpréter de diverses façons, et où il permet d'aller dans de nombreuses directions à la fois. Un éclairagiste pourrait, en quelque sorte, mettre en valeur une mélodie jouée par elle de différentes façons pour en faire ressortir les multiples aspects, et ce n'est pas le cas avec tous les pianistes. Enfin elle est toujours en train de chercher et ne joue jamais de plans. Autant jouer en duo avec un saxophoniste ne m'effraie pas, autant avec un piano - instrument que je connais bien - j'avais vraiment peur car cela ne pardonne aucune vulgarité instrumentale, Pourtant Sophia et moi avons enregistré en duo, et c'est un disque dont je suis particulièrement fier.
CD Simon Goubert "Background"
Le Chant Du Monde/Harmonia Mundi Sortie le 6 novembre Sophia Domancich et Simon Goubert
"You Don't Know Love What Love Is" Cristal/Abeille
CONCERTS le 8 novembre à La Maison de Radio France (Paris), le 12 novembre à D'Jazz Festival (Nevers), les 28 et 29 novembre au Sunside (Paris), le 12 décembre au Pannonica (Nantes).
Les Années Goubert
1960 Naissance à Rennes
1970 Découvre la batterie quand Kenny Clarke joue dans sa ville natale.
1976 Étudie la percussion avec Silvio Gualda au Conservatoire de Versailles.
1982 Commence à jouer dans les groupes de Christian Vander.
1987-1997 Trio avec Michel Grailler et Alby Cullaz.
1991 ler disque personnel "Haïti".
1994-1997 Groupe Welcome à,deux batteries avec Christian Vander.
1999 Participe au groupe Pentacle de Sophia Domancich.
2007 "You Don't Know What Love Is"; duo avec Sophia Domancich.
2008 "Background".
Jazz Magazine N° 597 - Novembre 2008Issèhndolüß Akhazhïr