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MAGMA
Magma est un groupe musical qui, malgré une carence partielle, a estampillé de son stigmate le domaine prosaïque d'une certaine cacophonie musicale. Native des années de braises, cette confrérie va octroyer à l'élite musicale française nombre de ses meilleurs éléments, qui vont se diluer au service de Francis Cabrel voire Johnny Hallyday, ou autres inconnus célèbres !Authentique Destructiv Kommandoh !
Un look impressionnant, une image stricte et trouble, un logo équivoque et une langue imaginée pour s'exprimer, c'en est trop pour des médias suspicieux, qui à l'époque se focalisent sur l'esprit "Salut les copains".Christian Vander : "Beaucoup de gens écoutaient de la musique sans comprendre, donc plutôt que du yaourt, j'ai inventé le Kobaien. C'était en fait des sons, et étrangement, j'avais beau recommencer les parties chantées, les sons étaient les mêmes. Je ne me suis jamais posé la question, mais la musique est directement reliée à la vie. C'est finalement un langage musical."
La force de Magma devrait aujourd'hui permettre à son leader, créateur, Christian Vander, drummer émérite, de figurer au panthéon des légendes de ce siècle aux côtés du Floyd ou autre Soft Machine. Mais le déroulement du mythe en a été de toute autre facture. Finalement, Magma est-il résolument un orchestre, ou le délire sans partage de son leader drummer ?Christian Vander : "J'ai surtout voulu créer quelque chose de différent, dans le bon sens du terme. A l'époque, tout était confort, calibré, et je prétendais faire mes armes et construire une nouvelle musique. Les gens du rock ou du jazz étaient trop sectaires, j'avais l'impression, à mon niveau, de faire quelque chose de nouveau."
Alors ils ont parcouru le monde, ce qui est assez peu courant pour des artistes français, avec plus ou moins de satisfactions, passant très proche d'une gloire interplanétaire, qui ne s'est pourtant jamais confirmée.Christian Vander : "En Angleterre Magma était considéré comme le meilleur groupe du monde, aux States on a fait deux concerts. Ça s'est très bien passé, tout le monde était emballé, mais les médias ne s'expliquaient pas et n'entendaient pas. C'était angoissant, cela faisait peur. En Angleterre, ce fut plus spontané, j'ai senti le silence résonner. C'était tellement surprenant qu'ils adoraient."
Devant une telle notoriété à l'époque, il est virtuellement impossible de comprendre l'échec de cette machine pleine de promesses et de virtuosité. Pourtant, son leader en donne l'explication. Face à une telle incompréhension des médias et de certains publics, il craque.
Christian Vander : "En 1976, j'ai craqué, et cela a coûté la vie au groupe. Dépression compliquée, musicalement et psychologiquement, et là, il y a eu un souci. Finalement, on était entrés dans le système, et j'avais l'impression de mentir. Je n'aurais pas dû craquer et prendre mon mal en patience. J'entendais: « Monsieur Vander, c'est génial ce que vous faites, mais les gens ne sont pas prêts. » Vous savez, en fait, les gens peuvent entendre, mais il faut leur proposer, et surtout prendre le temps de la perspicacité."
Dommage que tant de talent n'a pas permis à l'homme de se calmer, pour mieux se ressaisir en appliquant ses théories nouvelles, avec plus de souplesse ! Des hauts et des bas qui, au fil du temps, ont du mal à se cicatriser et expliquent la dure réalité d'exister pour Magma.Christian Vander : "Quand Claude Engel, par exemple, a quitté le groupe, ce fut un trou noir pour nous. Car il représentait non seulement un
guitariste exceptionnel, mais quelqu'un qui donnait un sens à l'unité musicale de Magma. Ce n'est qu'à l'arrivée de Janick Top que le fossé s'acquitta!"
Ce passé lointain, pour certains, représente de nos jours l'âge de pierre pour les représentations scéniques.
Attahk dans l'hexagoneDevant l'inefficacité de tarifs exorbitants pour leurs prestations, leur mentor en l'occurrence, le non moins célèbre Giorgio Gomeslsky (Rolling Stones, Yardbirds, etc.) va choisir la voie des concerts offerts à bas prix. Magma va parcourir l'hexagone à des tarifs prohibitifs, mais toutefois en remplissant les salles.
Christian Vander : "A l'époque, ils nous arrivaient de nous produire pour des cachets de cent cinquante francs, qui, partagés, donnaient trente francs par musicien. Avec cette somme, on achetait du foie de veau pour pêcher des anguilles et se produire une fricassée pour le repas."
Choc des cultures face à la détermination musicale de l'ensemble, à la réalité insoupçonnée. Et puis, dans une authentique volte-face toujours aussi déroutante, Christian s'illumine dans une insolite direction, cette fois en célébrant les stars du rythm & blues du label Tamla Mowton, et notamment Otis Redding, son égérie phare. Il faut être fataliste, et cela se saura forcément un jour, Magma est ce qui est arrivé de mieux à la musique française depuis des décennies. La musique du groupe évoque une force et une beauté hallucinantes. C'est également une lente coulée de lave musicale qui ondule et enfle alors que le grondement souterrain vous fait vaciller dans les abîmes de l'interpellation. Magma, c'est aussi certaines rencontres proches du domaine cabalistique, entre des musiciens qui, pour beaucoup, donnaient dans le sublime, voire l'apocalyptique note bleue.Christian Vander : "Avec Janick, cela a certainement été du domaine ésotérique et inexplicable, même hors de la musique. Magma, c'était d'abord une structure avec un espace de liberté sur lequel les musiciens offraient un chorus. J'espère avoir assez de temps pour aller plus loin dans la
musique. J'aurais pu mettre le pied à côté, mais je ne regrette rien."
Finalement, Magma, c'est plus de quarante années de combats diversifiés, sans jamais franchir la ligne de la compromission, poussée à son extrémité vitale.Christian Vander ; "Quand la musique devient expressive, cela change tout. Il y a certainement des élus et c'est pour eux que je travaille. Je pense que les musiciens cherchaient autre chose, ils l'ont trouvé dans Magma."
Aucun regret avoué, mais certainement un goût d'amertume, dissolue dans une réalité qui aurait peut-être mérité mieux. Mais ce chemin de croix n'est-il pas le destin des juxteboutistes qui ne dérogeront jamais devant l'appât du gain, pour mieux se consacrer à l'originalité de leur oeuvre ?
Mystique
Vander n'a jamais aimé les effets spéciaux. "Moi, je fais une musique qui s'adresse aussi aux aveugles. Donc personne n'est trahi. Un projecteur vert puis un rouge pour la seconde partie et c'est tout. Les gens nous soupçonnaient à peine sur scène. Et en plus on était habillés en noir! En fait, je ne voulais pas que le public soit déconcentré par les chaussettes jaunes du bassiste! Ecouter la musique comme un recueillement dans un endroit où a joué Coltrane, c'est ça ce que je voulais. Il paraît que les derniers temps, quand John jouait sur scène, c'était tellement sombre qu'il fallait attendre qu'il allume son cigare pour le voir et faire des photos (rires) !"Par Bobby Bruno & Marie-Pierre Chantepie - Photo: Fastimage
Rock N°1 - Février 2009
Issèhndolüß Akhazhïr
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