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Les phénomènes de mode vont et viennent, mais Magma, toujours en marge des sentiers battus, n'a jamais cessé de célébrer une musique vivante en perpétuelle évolution... À la fois terrifiant, empli de violence et d'obscurité, le répertoire de Christian et ses compères est éternel. Cette année, Magma fête ses 40 ans d'existence avec la sortie d'un coffret regroupant l'intégralité des albums studio de la formation. En ce moment, trois générations d'aficionados se bousculent à l'entrée des salles de concerts, afin d'assister aux indescriptibles messes « Zeuhl » du combo. Après avoir parcouru les quatre coins de l'hexagone, la tournée de Magma mènera le groupe à travers l'Europe, le Japon et les Etats-Unis. Suivez-nous dans l'antre du monstre.
Vous êtes-vous replongé dans l'écoute de vos albums les plus anciens pour la commémoration de vos 40 ans de carrière sur scène ?
Je l'avais déjà fait à l'occasion des 35 ans de Magma au Triton (Les Lilas, 93). J'étais arrivé sûr de moi aux répétitions, sans avoir réécouté la moindre note, pensant me rappeler des compositions. Tous les musiciens connaissaient leurs parties impeccablement, et finalement je n'étais pas au point. Certaines mises en places et autres ruses basse/batterie m'avaient échappées... Du coup, je m'étais replongé dans la discographie et j'y avais pris beaucoup de plaisir.
Avez-vous un regard critique vis-à-vis de ce répertoire conséquent ?
Chaque œuvre appartient à un moment de ma vie. Certaines d'entre elles ont été composées dans l'urgence, d'autres ont été plus réfléchies. Au fil des années, il fallait se renouveler, tout faire pour éviter les redites. Parfois, je travaillais des jours entiers sur un seul thème. Quelques-uns ont même été peaufinés durant plusieurs années, avant d'être proposés aux autres. On m'a beaucoup reproché cette méthode de travail, mais je voulais toujours créer des choses qui n'avaient jamais été entendues ailleurs. Si j'avais, ne serait ce qu'un jour, l'impression de ne plus évoluer, j'arrêterais tout...Vous avez souvent critiqué l'ère du numérique. Trouvez-vous que depuis son apparition, les batteries ne sonnent plus sur disque autant que vous l'aimeriez ?
Le numérique, on n'a pas besoin de l'entendre... Déjà, aujourd'hui, j'ai l'impression qu'à la prise de son, certains oublient l'essence même de l'instrument. Les ingénieurs du son n'ont jamais vraiment eu les compétences pour restituer fidèlement les nuances des vieilles Zildjian K, par exemple. Et l'on refusait d'enregistrer les batteurs qui souhaitaient jouer comme moi, sur une grosse-caisse résonante... On a fini par imposer la façon dont une batterie devait sonner sur un album. Au final, tout le monde s'est mis à avoir le même son.
Tout est devenu très formaté...
Oui, il en est de même pour le matériel! À la grande époque, les cymbales avaient toutes un son énorme et unique pour chaque modèle. Ces merveilles ont laissé la place à des cymbales sans aucune personnalité. Je suis, heureusement, en contrat avec Zildjian, et j'arrive encore à trouver mon bonheur, mais c'est difficile... Dans les années 70, il m'arrivait de chorusser pendant vingt minutes sur une seule cymbale, tellement sa sonorité était riche. Je joue sur Grestsch depuis des années, mais même si les nouveaux kits sont bons, je ne peux me séparer des anciens. Je pense, aussi, aux peaux Permatone d'origine qui étaient posées sur les batteries jusqu'au début des années 80. Elles produisaient beaucoup d'harmoniques, mais distillaient, également, des sonorités graves et profondes.
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Êtes-vous parvenu à conserver des cymbales ou des sets de peaux d'époque, justement ?
Bien sûr. En 70 ou 71, j'avais mis la main sur de superbes rides K de 22" que m'avait bradées un vendeur 150 francs l'unité. Ce qui était déjà peu à l'époque vu leur qualité. Je les ai jouées très long-temps. Lune d'entre elles s'est même fendue, et je l'ai faite découper pour arrêter la fissure. Elles sonnent toujours, mais je ne les utilise plus. Je les ressortirai, peut-être, le jour où j'arriverai à mettre la main sur une batterie Gretsch des années 60, que j'équiperai, alors, avec des peaux Permatone d'époque. J'ai, aussi, réussi à conserver des crashes du milieu des années 70, en parfait état. Elles sont rangées et je n'ose pas les écouter de peur d'être tenté de les réutiliser au prochain concert et de les abîmer... (rires) À l'époque on ne réalisait pas la chance que l'on avait. On se disait toujours que les instruments fabriqués dans le futur sonneraient encore mieux... Les bonnes choses disparaissent, et elles sont remplacées par du carton-pâte.
Tu as déclaré : « Magma devait naître. Si ça n'avait pas été grâce à moi, cela aurait été sous l'impulsion de quelqu'un d'autre. » Que serais--tu devenu si tu n'avais pas créé Magma?
Après la mort de John Coltrane, s'en était fini pour moi. J'avais l'intention de le rejoindre. Puis, j'ai eu cette révélation. Je me suis dit que John n'aimerait pas que je me laisse partir comme ça, après ce qu'il m'avait donné. J'ai pris la décision de continuer, de transmettre son héritage, mais surtout pas pour l'argent. Cela aurait été un déshonneur. Pendant très longtemps, j'ai transmis tous mes droits de compositeur à la famille Coltrane. C'était une question de dignité et de respect. C'est peut-être fou, mais John m'a tellement apporté...
Dans votre vidéo pédagogique Un Homme, Une Batterie, réalisée en 1988, vous expliquiez déjà vouloir repousser, sans cesse, vos limites en matière de technique. On se souvient notamment du « papa-maman » à six coups par main. Cherchez-vous toujours à développer de nouveaux concepts rythmiques ?
J'apprécie les indépendances totales, celles qui permettent d'être véritablement libre dans la musique. J'essaie, constamment, de développer une souplesse de jeu différente. J'aime laisser penser que le thème est positionné d'une certaine façon, et surprendre les gens, en laissant retomber les coups, là où on ne les attend pas... Certains les entendront comme des erreurs, alors qu'il faut situer l'impulsion dans l'espace, et en faire de la musique.
Avez-vous justement ce sentiment d'avoir été, durant toute votre carrière, là où on ne vous attendait pas ?
Non. C'est un concours de circonstances. II se trouve qu'avec Magma, nous avons toujours été à contre-courant... À notre arrivée, en pleine période hippie, la musique était léthargique. Les gens étaient niais et rêvassaient sur des accords planants avec de longues réverbes. Je trouvais tout cela facile, prévisible et surtout faux... Tout le monde avait, soudainement, eu la même révélation « Peace and Love » et s'habillait avec des fleurs. Je n'ai jamais cru aux phénomènes de mode. Ce qui m'a sauvé, c'est John Coltrane car il s'était efforcé lui-même à passer au travers de cela. Avec Magma, les gens nous trouvaient bizarres, et trop durs. Pour moi, la musique est une chose sérieuse. Je ne prends pas ça à la légère. C'est la raison pour laquelle, Magma est toujours en vie, car les modes n'ont jamais touché à notre musique, même si cela a parfois été tentant...
Est-ce quelque chose qui vous plaisait de faire peur aux gens ?
Bonne question... (il réfléchit longuement) Dans cet univers de papillons, il suffisait de taper dans ses mains pour faire peur au monde. S'habiller en noir, c'était osé. Cependant, il est vrai que ça me faisait marrer.Comment voyez-vous le fait d'être considéré comme l'un des batteurs majeurs de l'histoire ?
Ça fait chaud au cœur, mais, je n'en tire pas une quelconque fierté. Je souhaite avant tout m'améliorer et aller plus loin avec Magma... Je lutte pour avancer et devancer les autres.
Vous n'êtes pas du genre nostalgique...
Pas du tout. Le meilleur reste à venir !• Sébastien Benoîts
Batterie Magazine N° 55 - Mars/Avril 2009
Issèhndolüß Akhazhïr