Cette année, Magma fête ses 40 ans. Les musiciens nous offrent à cette occasion un concert à La Carène, avec l'énergie caractéristique du Zeuhl, voyage dans les confins de l'univers Kobaïen...
Magma est un groupe à l'historique très complet, fondé en 1969 par Christian Vander, pianiste, chanteur, batteur et compositeur. Dès son enfance, Christian Vander est amené à côtoyer des grands musiciens comme Kenny Clarke, Elvin Jones ou encore Chet Baker qui lui offre sa première batterie. La musique devient donc vite pour lui une évidence. Il est amené plus tard à rencontrer John Coltrane, qui restera à jamais une référence pour lui. La mort de ce dernier en 1967 est un véritable choc pour Christian Vander, qui deux ans plus tard envisage sur un coup de tête de former un groupe. Magma commencera donc avec des albums très sombres, dépressifs, comme Mekanïk Destruktïw Kommandöh, puis au fil des périodes le compositeur écrit des choses de plus en plus diverses.
Le groupe a vu passer plus d'une centaine de musiciens, plus ou moins éphémères, et cela a valu à Christian Vander parfois d'être défini comme un "formateur de talents" (notamment car des grands musiciens comme Didier Lockwood et Claude Engel ont commencé par Magma).
La grande particularité de Magma reste encore ce style, ce courant musical si particulier auquel le batteur donnera le nom de "Zeuhl". Entre le jazz, le rock, le classique et autres, Magma est un peu tous ces genres à la fois mais ne s'apparente pour autant à aucun d'entre eux. En bref, c'est une musique des plus indiscibles avec des mots, le plus expressif étant d'écouter la puissance de ce son.Le concert a commencé avec deux morceaux de leur nouveau répertoire, notamment un dont la composition n'est pas encore terminée. Puis le groupe ressort les grands classiques ("Kobaïa", "Hortz fur dëhn stekëhn west", "Stoah"...) plus ou moins remaniés.
Magma, comme à son habitude, nous a fait profiter de longs morceaux qui duraient pour la plupart plus d'une demi-heure. La musique nous emportait brutalement et en douceur à la fois dans un voyage pour ailleurs, et on la suivait avec confiance, se laissant emporter vers un lieu qui ne se situe pas dans l'espace mais dans le son. Un voyage psychologiquement libérateur et une musique qui nous a flanqué une sacrée claque, au sens positif du terme. On regrettera peut-être un peu la mollesse du public, si toutefois on y fait attention, car dépassée par l'alchimie qui se créé à l'arrivée du son magmaïen dans nos oreilles. Le concert, qui a sûrement duré longtemps, nous a paru cependant très court (le bonheur ne dure jamais assez longtemps, dira-t-on.) Les plusieurs rappels qui ont suivi nous ont reperchés dans ce concert haletant, pour finalement vraiment se terminer et nous laisser face à la réalité. Un grand moment.
Qu'est-ce qui vous a poussé à faire de la musique?
Stella Vander : J'ai commencé à faire de la musique quand j'étais très jeune, je ne sais pas ce qui m'y a poussé, je crois que je ne me suis jamais posé la question... C'était évident. Il y a une anecdote: quand j'étais en classe de primaire, on avait des cours de musique une fois par semaine, et il y avait un prof de musique qui venait avec un petit clavier et qui nous faisait chanter, et je me souviens que je m'amusais à chanter, et m'arrêter de chanter, et j'écoutais la différence de son que ça faisait, et je trouvais que ça sonnait mieux quand je chantais, alors c'est peut-être ça qui m'a donné envie, je sais pas. Mais en fait ça ne veut rien dire, c'est logique, c'est pas parce que je savais mieux chanter ou plus juste que mes copines mais ça rajoutait du son donc ça donnait une sensation de quelque chose de plus plein. C'est peut-être ça qui m'a donné envie, je ne sais pas.Comment est-ce que vous avez rencontré Christian Vander et le groupe Magma?
Stella Vander: J'ai rencontré Christian à l'époque où il cherchait des musiciens pour former le groupe, donc en 1969. Je l'ai vu jouer dans un club à Paris où je trainais beaucoup et il y avait tous les jours des musiciens qui jouaient et qui venaient faire le bœuf... Il est monté sur scène avec les musiciens, il a joué et pour moi ça a vraiment été quelque chose de fort, je faisais de la musique depuis longtemps avec tout un tas de gens mais rien de très précis et qui ne m'emballait vraiment à l'époque, et là j'ai eu l'impression que c'était avec cette personne là qu'il fallait que je continue à faire de la musique.Comment vous avez choisi le nom du groupe?
Christian Vander: Le groupe était déjà formé et on n'avait pas de nom, et on a voulu aller jouer quelque part, dans un club privé. Et puis on m'a dit « oui, pas de problème vous pouvez jouer mais est-ce que le groupe a un nom? » je lui dis « bonne question... » et « donc vous pouvez pas », donc on pouvait pas jouer. C'était terrible parce qu'on mourrait d'envie de jouer à ce moment-là, comme toujours, donc je suis allé au café du coin, et j'ai pensé très fort « qu'est-ce qui peut sortir, qu'est-ce qui peut venir, quel est le son que j'attends? » C'était le moment ou jamais parce que je pensais que ça allait être important. Un jour, des années auparavant, j'avais composé un morceau qui s'appelait "Nogma". Et le mot est à nouveau arrivé comme ça, il a surgi. Mais ça ne m'emplissait pas assez, ni l'esprit ni la bouche. J'ai cherché et est arrivé le son « Magma ». J'avoue que ça n'a pas été prémédité. J'ai réalisé pratiquement tout de suite après que c'était plutôt les volcans, quelque chose qui surgit des entrailles de la terre.Pourquoi avoir choisi de chanter exclusivement en Kobaïen?
Christian Vander: Ça n'a pas été prémédité non plus. J'étais sur une plage, et je ne savais pas quoi faire seul sur la plage, et il y avait un gars à côté de moi qui avait une guitare, et qui ne s'en servait pas. Je lui ai emprunté sa guitare et j'ai commencé à faire trois accords, et sur ces accords j'ai trouvé la mélodie « kobaïa ». En fait ça a été le premier son qui est sorti simultanément, parallèlement à la musique. Donc c'est pour ça qu'on l'a appelé le Kobaïen, parce que c'est le premier mot qui est arrivé, le premier son. Et j'ai continué à composer de cette manière, ce n'est pas intellectuel comme démarche, et puis après tout les gens pouvaient imaginer eux-mêmes leur propre histoire... On écoute bien des choses, les gens écoutaient du rock et ce qu'ils ne comprenaient pas. C'est comme si on écoutait un opéra en russe, on ne comprend pas forcément les paroles... On me demande toujours ce que ça veut dire, finalement ce que ça veut dire c'est ce que les notes disent. Moi j'ai écouté des musiciens, des grands musiciens, j'écoutais plutôt comme une voix qui parlait, avec des mots, or ils jouaient des notes. Donc le problème c'est l'expression.Comment vous définissez Zeuhl?
Christian Vander: On m'a demandé ce que c'était cette musique. C'est pas du rock, c'est pas du jazz, c'est pas du classique... Moi j'ai donné un nom. "Zeuhl." "Zeuhl", qui est comme un terme vibratoire. Donc c'est vibratoire dès le départ, c'est un mot vibratoire, c'est un son vibratoire, adapté à cette musique, comme bien d'autres, les musiques indiennes sont vibratoires, et les grands musiciens jouent de manière vibratoire.Où trouvez-vous l'inspiration pour vos chansons?
Christian Vander: Je n'en ai pas, je laisse venir la musique. C'est-à-dire que je reste disponible pour recevoir la musique qui quelquefois dépasse même le niveau où j'en suis dans la vie quotidienne. Le problème de la vie c'est de se mettre au niveau de ce qu'on propose. Donc il faut avancer, et quelquefois au risque de se brûler un peu les ailes. C'est pour être au diapason de ce qu'on propose. Sinon, pour ce qui est de la musique, l'autre musique, que j'appelle la musique du quotidien, c'est en fonction des états d'âme (il fait gris, on est gai, on est triste), c'est une autre musique. Pour Magma, c'est plutôt des œuvres, des fresques qui viennent de quelque part, qui me dépassent souvent. Parfois il faut plusieurs mois, voire plusieurs années, pour assimiler et pouvoir proposer cette musique-là.Est-ce que vous pensez qu'il y a d'autres musiciens ou d'autres groupes qui jouent du Zeuhl comme vous, et est ce que vous pensez que vous avez une influence mondiale sur la musique?
Christian Vander: J'ai entendu dire qu'il y avait des gens qui jouaient de la musique Zeuhl, et franchement je ne sais pas si c'est véritablement Zeuhl.
Stella Vander: En tous cas il y a beaucoup de gens qui se réclament de ce courant musical et sur internet vous tapez « Zeuhl » et vous allez trouver une quantité d'informations, une quantité de groupes qui se réclament de ce courant musical. Est-ce qu'ils sont tous "en forme"? En tous cas ils essayent de chercher quelque chose d'aussi bizarre.
De toutes manières quelle que soit la musique, c'est à étages, donc on peut dire un mot et puis l'entendre de diverses manières. L'exemple de la statuette est toujours bon, toujours valable: vous regardez une statuette, vous la trouvez belle, quelqu'un d'autre la trouvera bien proportionnée, harmonieuse, et une autre personne entrera en vibration avec la statuette. Et pourtant c'est la même. Donc il y a des niveaux.
Vous êtes plutôt flatté que d'autres groupes se réclament de votre courant musical?
Christian Vander: Moi je leur souhaite d'avancer, d'être exigeants et justes dans ce qu'ils proposent. Sans compromission, c'est déjà beaucoup. Sans concessions, être à peu près juste dans ce qu'on a l'impression de proposer. Il faut au moins avoir l'impression de faire quelque chose de différent, sans redite. C'est inutile de refaire ce qui est déjà fait et bien fait. C'est ça le Zeuhl aussi quelque part, il n'y a rien de pareil, comme dans la vie.C'est quoi la musique pour vous?
Christian Vander: C'est un moyen comme un autre d'accéder à autre chose, à l'esprit, à la spiritualité. Peut-être que la traduction de "Zeuhl" c'est "l'esprit au travers de la matière", ou alors "dépasser la matière".Qu'est-ce que vous appelez un concert réussi?
Christian Vander: C'est rarissime. Alors Stella [Vander] nous donne tout de suite un peu la température après les concerts: quand elle dit « c'était pas mal ce soir » il faut pas se plaindre. C'est difficile, on n'a pas le temps de savourer les moments, mon principe dans la musique c'est « dedans », en musique. Si on commence à se dire « tiens cette phrase a bien sonné » ou « cet accord, cette pêche de cymbale par exemple on s'arrête dessus » c'est trop tard, la musique continue à défiler, donc après ça les émotions que ça créé c'est autre chose. Ou bien « ça m'a ému » mais on ne sait pas, on n'a pas le temps, c'est globalement la musique qui peut raconter une histoire, mais c'est pas un son en particulier, c'est un ensemble. Quand on est en musique, on peut créer certaines émotions, mais on n'est pas totalement détenteurs de ces émotions. On les propose.Comment vous réagissez quand on vous compare à des musiciens comme John Coltrane?
Christian Vander: Honnêtement je me dis qu'il y a beaucoup de travail. John Coltrane a réussi avant l'âge de 40 ans à passer comme une comète, à amener tellement de choses... Moi j'ai 20 ans de plus, et je me dis qu'il m'en faut encore un paquet d'années. Je ne sais pas, tout le monde n'est pas John Coltrane. A chaque instant on essaie de s'approcher, chacun à sa manière, avec sa musique. Franchement, je dirais des fois il faut pas exagérer.Eva, Julia, Aourell
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Zïha Bernard "Wurd" Hadjadj pour le lien