HUR !
Hommage à la Musique de Christian Vander
Soleil Zeuhl

Aymeric LEROY
Big Bang N° 74 - Décembre 2009


Deux ans après Hamtaï!, cette fois sur le label Soleil Zeuhl mais toujours à l'initiative de l'infatigable Alain Juliac, voici un nouveau double CD en "hommage à la musique de Christian Vander", la réussite du premier volet ayant convaincu qu'il y avait là matière à renouveler l'expérience - certains des participants sont d'ailleurs des récidivistes...

Pour chroniquer un tel tribute, avec en l'occurrence vingt-cinq groupes et autant de morceaux, il convient d'adopter une ligne éditoriale évitant la description linéaire, qui ne ferait que paraphraser l'écoute. Il paraît plus judicieux de subdiviser son contenu en sous-ensembles stylistiques et/ou qualitatifs, autour des deux principaux enjeux de l'exercice, à savoir : la distance prise avec le morceau d'origine, avec toute la gamme de nuances séparant le décalque pur et simple d'une véritable réappropriation; et la qualité purement musicale du résultat, les deux critères n'allant pas forcément de pair.

Le contingent majoritaire est logiquement constitué des émules hexagonaux plus ou moins revendiqués (si ce n'était pas le cas, c'est désormais chose faite !) de la zeuhl. Etant déjà proches, à des degrés divers, de Magma, il convenait dans leur cas d'éviter les morceaux les plus connus et emblématiques, la concurrence frontale risquant fort de s'avérer suicidaire. Néom et Thollophonie, en puisant tous les deux dans la trilogie Theusz Hamtaahk, n'ont pas eu cette sagesse, et s'ils s'en tirent malgré tout avec les honneurs, c'est grâce à leur ferveur communicative. A l'inverse, si le Ptâh Sextet ("Maahnt") des ex-Sotos est desservi par une production déficiente, les contributions de Setna et Guapo sont des bijoux, tant par leur qualité technique irréprochable que par la pertinence du choix de morceaux rares et de valeur : les Rouennais parent l'inédit "Titilbon" de leurs couleurs instrumentales chatoyantes, sur un mode plus enjoué que dans leur répertoire personnel mais qui leur sied tout aussi bien, tandis que les Anglais transposent sans effort l'obscure "Klaus Kombalad" à leur univers de transe obsessionnelle où, au fond du tunnel, une lumière vacillante s'obstine à luir...

Dans un registre plus jazz-fusion, on note aussi quelques belles réussites. Olivier Würsten Olmos, aussi doué pour la six-cordes que son père, propose une relecture instrumentale de "Kobaïa" parfaitement convaincante grâce à un arrangement intelligent qui tire le meilleur parti de la complémentarité (dans les parties écrites comme les échanges solistes à bâtons rompus) entre la guitare et le sax soprano. Dans son "Aïna", Post-Image réussit à faire voyager l'auditeur en couvrant une large gamme d'atmosphères, parfois teintée d'électro. Au Forgas Band Phenomena, on pourra reprocher d'avoir jeté son dévolu sur une composition mineure de Vander, "Africa Anteria", aux mélodies un peu simplettes, mais sa reprise vaut pour ses montées d'adrénaline cuivrées et ses très beaux chorus de guitare et de violon. Enfin, le trio Maignan-Lavergne-Bigot retraite à sa sauce un "Köhntarkösz" (saupoudré de "Zombies") assez transformé pour trouver une légitimité dans cette forme, avec en soliste invité un Patrick Gauthier bien plus convaincant que dans sa propre reprise, déshumanisée par le tout-informatique des "Last Seven Minutes".

Du côté des ex-Magma, justement, on retrouve au générique les fidèles Jannick Top (sombre et néo-classique) et Klaus Blasquiz (pour une audacieuse mais déconcertante superposition de voix et de percussions où l'on peine à reconnaître les supposés "motifs de MDK"), mais aussi Maria Popkiewicz et Jean-Marc Jafet, qui jettent leur dévolu sur la controversée période Tamla-Zeuhl et flirtent d'un peu trop près avec la variété.

La dernière catégorie regroupe ceux qui ont tenté le pari le plus risqué, celui de transposer les compositions de Vander dans des styles parfois très éloignés de celui de Magma. Si le "world de chambre" des Japonais de Pochakaite Malko (avec violon, flûte à bec et tablas) ou les outrances crypto-métal de Marcus Linon (fils de Stella Vander) nous entraînent sur des terrains stylistiques un peu trop typés pour dépasser l'exercice de style, d'autres jettent des passerelles aussi inattendues que concluantes entre leur univers et celui de Magma. C'est le cas de Minimum Vital, dont le "Udü Wüdü" est un parfait hybride entre l'écriture vanderienne et la patte instantanément identifiable des Bordelais, soulignant d'improbables accointances. Quant à Bruno Heuzé, il convient avant tout de saluer l'authenticité de sa fusion planétaire, loin du cosmopolitisme de pacotille trop fréquent en world-music : il suffit d'écouter son « Ek Sün Da Zëss" pour se persuader qu'il est tout sauf un globe-trotter de salon.

Puisse ce survol forcément partiel et partial (figurent également au sommaire Simon Steensland, Jean-Pascal Boffo, d-zAkord, John Trap, Ain Soph Aur et Musique Noise) convaincre que, de quelque façon qu'on l'aborde, ce double-CD ouvre des perspectives passionnantes pour tout amateur de Magma, que le regard porté sur son œuvre soit fidèle à l'esprit et/ou la lettre, ou plus iconoclaste voire irrévérencieux, mais permet aussi d'offrir à des formations méritantes un supplément de visibilité bienvenu, sachant qu'elles sont généralement encore meilleures lorsqu'elles jouent leur propre répertoire. Idéalement. Hur! ne devrait donc être que le point de départ d'une exploration riche en découvertes...

Issèhndolüß Akhazhïr


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