Le Leader du groupe Magma, Christian Vander, reste fidèle à sa vision d'une musique sans équivalent qui, entre jazz et rock, brasse tous les genres. Il commence une tournée, celle du quarantième anniversaire, avec la même passion.

A LA RECHERCHE DE LA NOTE

Léger sourire pour Christian Vander à l'évocation du souvenir d'un concert lors du Riviera Festival, sur le site du circuit automobile du Castellet (Var), dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 juillet 1976. Il est 3 h 30, le public - à moitié endormi, engourdi par le froid -, qui a déjà vécu deux jours de musique, prend de plein fouet l'entrée en scène du groupe Magma. Tous ceux qui étaient là garderont en mémoire le lever du soleil, tandis que s'élevait le chant de Mëkanik Dëstruktïw Kommandoh, l'une des pièces centrales composées par Christian Vander pour le groupe. Les absents, eux, se racontent cela et amplifient l'un des moments qui a fait la légende du groupe, ce matin d'été pendant lequel toute l'intensité et la quête d'absolu musical de Christian Vander se sont fait entendre.

Parcours
1948 Naissance le 21 février à Nogent (Haute-Marne).
1969 Premières répétitions et concerts de Magma.
1984 Mise en veille de Magma et création d'Offering, formation acoustique tournée vers l'improvisation.
1996 Magma reprend une activité régulière.
2004 Parution de "K.A. Köhntarkösz Anteria" premier album en studio depuis vingt ans.
2009 Tournée internationale des 40 ans.

C'est bien ce qui anime Christian Vander depuis qu'il a créé, avec le bassiste et producteur Laurent Thibault, le groupe Magma dont les premiers états remontent au printemps 1969. Quarante ans avec la certitude pour le batteur, chanteur, pianiste et compositeur que "chaque note, chaque moment de musique" doivent être déterminants, dans le dépassement de soi. Une affirmation qui ne veut pas dire que le musicien, l'artiste, n'a pas de doutes.

"On le voit souvent comme arrogant, sûr de lui, mais Christian est un grand angoissé", explique Stella Vander, qui fut sa femme et présente dans l'aventure Magma depuis les débuts, d'abord dans les coulisses, puis à partir de 1972 comme chanteuse. "Avant un concert, il peut décider au dernier moment que l'on ne jouera pas telle composition parce qu'il n'est pas certain d'un passage rythmique, d'une partie de chant, même sur des compositions anciennes. Mais il a aussi énormément d'humour. Quand tout va bien, quand après un concert on est dans la détente, il peut nous faire mourir de rire."

Christian Vander en Bozo le clown, ce n'est pas l'idée qui vient en premier. Au cours des ans, il a été sacralisé par le public, la presse, en maître de la batterie, en chanteur de l'incantation, en leader intraitable du "groupe qui va changer le monde", comme l'écrivait en 1974 le très respecté Steve Lake dans l'hebdomadaire musical britannique Melody Maker. Les quarante ans d'existence du groupe - et par extension la durée de ses activités musicales, dont une partie avec des formations parallèles - sont pour Christian Vander tout à fait naturels. " On l'a dit dès le début, Magma ce sera : "A vie, à mort et après." L'idée, c'était de poursuivre quoi qu'il arrive. Alors, pour moi, heureusement qu'il y a eu quarante ans, parce que pour évoluer ce n'est pas encore suffisant. C'est peut-être le minimum par rapport à ma manière de fonctionner."

Né le 21 février 1948, à Nogent (Haute-Marne), Christian Vander est entré "en musique" dès son enfance. Au hasard d'entretiens, on apprend qu'il n'a pas connu son père, qu'il doit son nom à son beau-père, le pianiste de jazz Maurice Vander, et à sa mère sa plongée dans les clubs de jazz dès l'âge de 4 ou 5 ans. Il absorbe tout, jazz, soul music, gospel, musique classique. Et très vite il entend, dans son corps et son coeur, la puissance du rythme, le chant des cymbales et des peaux.

Il apprend en écoutant des disques, en reproduisant des mouvements vus chez les musiciens, prend quelques cours. Et dans ce tourbillon, à la fin des années 1950, il y a la révélation de John Coltrane, saxophoniste et compositeur mort le 17 juillet 1967 d'un cancer du foie à l'âge de 40 ans. "John Coltrane, c'est la musique de la musique." La phrase signée Christian Vander est inscrite sur son site Internet. Happé par la musique de Coltrane, il dit souvent que la mort du saxophoniste l'a plongé dans des abîmes de désespoir.

C'est indéniablement de cette douleur que part sa musique, mais tout autant "de la beauté de l'oeuvre de Coltrane, de sa recherche de la note. Mais je ne pouvais pas jouer Coltrane. Alors il y a eu Magma". Avant cela, Christian Vander part en Italie, joue dans des groupes de rhythm'n'blues et de jazz. Durant un an et demi, il fuit sa peine dans les excès. "J'ai pris pas mal de drogues et j'ai bu beaucoup d'alcool parce qu'en fait j'avais envie de me suicider. Je n'avais pas envie de survivre après Coltrane", explique-t-il dans les notes de Studio Zünd, un coffret de douze CD (Seventh records/Le Chant du monde) des enregistrements studio de Magma, publié fin 2008, un tirage de 5 000 exemplaires tous vendus en un mois. Et puis une nuit, survient un éblouissement, au sens propre dans le souvenir de Vander. Il rentre à Paris. Magma peut naître.

En quarante ans, des centaines de photographies ont montré les musiciens de Magma, concentrés, vêtus de noir - sauf au début puis à quelques courtes périodes où le blanc ou des costumes colorés ont perturbé l'imagerie - portant en pendentif un emblème en forme de griffe. Il y a aussi l'utilisation, dans les parties chantées, du kobaïen. Un langage créé "en adéquation avec la musique" et dont les sonorités évoquent aussi bien le japonais que l'allemand. La musique, en fusion, contient à des degrés divers du jazz, du rhythm'n'blues, du rock, des folklores de l'Europe centrale, du gospel ; elle est emportée par une part chorale et des cycles rythmiques obsessionnels. Année après année, Christian Vander écrit la geste de la planète Kobaïa et de ses personnages (Nebëhr Gudahtt, Kreühn Köhrmahn, Köhntarkösz, Ëmëntëht-Rê...), en de longues compositions, éléments d'une oeuvre proche de l'opéra. Lui-même s'appelle Zebëhn Straïn dë Geustaah.

Les rieurs s'esclaffent, les fans tombent en adoration. Aux premiers, il répondra un temps par la provocation, façon : "Je suis le maître du monde." Avant de proposer que l'on juge sa musique et non son apparence. Aujourd'hui apaisé, il admet que sa vérité d'artiste n'a pas à devenir universelle. Et pour le reste, il observe toujours avec distance le culte dont il peut faire l'objet : "Je me considère comme un musicien, pas seulement un batteur ou le chef de Magma."

Tous les musiciens - estimés à une centaine - qui sont passés par l'une des formations menées par Christian Vander (le groupe acoustique Offering qui prendra le pas sur Magma durant les années 1980, les formations jazz, du trio au quintette) s'accordent pour dire que jouer avec lui est une expérience artistique de première importance. L'homme pousse à se dépasser, exigeant et perfectionniste pour l'amour de la musique. A fond ou rien. Dans la recherche de la note ultime ? A nouveau, un sourire de Christian Vander : "Cela fait un peu prétentieux quand même. Mais il y a de ça. La mélodie de toutes les mélodies... oui, c'est ce que je cherche."

A la mi-janvier, Christian Vander a quitté son domicile de Joinville (Haute-Marne) pour venir à Paris répondre aux demandes d'entretiens que suscite cet anniversaire des 40 ans. Il y a le coffret, une tournée internationale dont les dates vont, pour l'heure, jusqu'à octobre et qui a débuté au Casino de Paris du 12 au 14 février, de nouvelles compositions à découvrir lors des concerts et un nouvel album en phase d'achèvement.

Dans les bureaux parisiens de la maison de disques qui publie le coffret, on est à nouveau frappé, comme aux premiers jours, par la musique intérieure qui anime en permanence Christian Vander. Sa présence, qui prend sur scène toute sa force, est l'illustration d'un parcours artistique, sans concessions ni renoncements.

Sylvain Siclier - Photo Mathieu Zazzo
Le Monde 18 Février 2009

Zïha Jean Philippe Guillerault


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