Interview Christian VANDER

Novembre 2009

Traduction par Morgane Houdemont

 

Suite à l’émission radio spécial Rockfort sur Christian Vander et son groupe progressif mythique Magma (formé à Paris en 1969), Rockfort présente une transcription en anglais de la première partie d’un entretien ainsi que la liste des morceaux du concert. Cet entretien s’est déroulé au Barbican avant la messe événementielle céleste un peu plus tôt cette année, présentant également Jean-Pierre Massiera et Chrome Hoof.

Rockfort : Magma aurait-il existé sans John Coltrane ?

Christian Vander : Il est difficile de répondre à une telle question… Disons que ce que j’ai recherché dans la musique de Coltrane est également ce que j’ai recherché dans la musique de Magma, une sorte de cri. Mais je le recherchais de toutes façons. Avant Coltrane, j’ai beaucoup écouté Ray Charles, avant qu’il n’entre dans une phase plus sirupeuse, parce qu’il y avait cette sorte de cri. Et quand Ray Charles est entré dans cette période différente, John Coltrane est arrivé immédiatement après. C’est ce que je recherche dans la musique : la spiritualité, un cri, la souffrance. De la musique plutôt sérieuse j’imagine !

R : Pourquoi de la souffrance ?

CV : Je ne sais pas… J’ai l’impression que c’est ce que je ressens depuis que je fais partie de ce monde. Je n’ai pas été suffisamment chanceux pour être épargné – d’accord, à la fin de la journée, je suis toujours là - mais à un certain niveau, peut-être un niveau spirituel, je n’ai pas l’impression d’avoir été particulièrement chanceux. Au final, dans ce monde, j’ai ressenti plus de souffrance que de joie.

R : Est-ce que Magma vous aide à supporter cela ? Quel est le lien entre la souffrance et la musique de Magma ?

CV : Je n’ai pas l’impression comme John Coltrane, de soulager les gens avec les notes qu’il jouait. D’une certaine manière, c’est vrai qu’il y est parvenu puisque lorsqu’il a quitté ce monde, j’ai voulu le suivre. Et j’ai essayé, autant que j’ai pu. Je n’y suis pas parvenu. Et un jour, j’ai eu comme une révélation avec Magma, comme si John Coltrane avait dit : « Accroche toi, je n’ai pas fait ce que j’ai fait pour que tu meures ». Donc d’une certaine manière, il m’a rendu la vie et l’espoir.

Donc je pense, pour commencer, que c’était un cri, qui, dans un certain sens, pourrait réveiller ce monde endormi et amorphe. Je pensais que ça pouvait être facile, tout semblait être en état de sommeil. Donc j’ai pensé que cette musique arrivait à un point dans le temps – je ne cherchais pas vraiment à composer à ce moment, le musique fusait – et que c’était exactement ce qui devait être joué. Beaucoup de groupes à cette période jouaient avec beaucoup de réverbe, faisait attention à chaque accord et rêvaient à des choses… bon, c’était l’époque… les oiseaux, les fleurs, la paix et l’amour.

Mais ce n’était pas exactement ce dont nous avions besoin : avions nous vraiment le temps de rêver ? Vous voyez, comme je l’ai dit, je venais de la musique de John Coltrane, où chaque phrase était comme une petite symphonie, où les gens s’adonnaient à la rêverie en quelques accords. Et je pensais que quelque chose devait se passer pour que les choses avancent. Ce que je n’avais pas réalisé, c’est que c’était ce que le monde cherchait, en tous cas la presse.

R : Qui composait initialement ?

CV : Tout ce que j’ai écrit a été crédité à mon nom à l’époque. Mais nous partagions tout, dans le sens où il y avait des compositions de chaque musicien – il y avait François Cahen qui a composé un peu plus que les autres, Ted Lasry, et moi. Claude Engel, le guitariste, a écrit aussi mais progressivement je suis devenu l’unique compositeur. Mais l’idée avec Magma, c’était que tout le monde pouvait écrire la musique.

R : Pourquoi vous êtes vous retrouvé seul à composer ?

CV : Ca a changé avec le temps. Quand on a commencé Magma, on ne se connaissait pas vraiment. On a juste pensé : « faisons-le ! », nous voulions embarquer dans l’aventure. Après quoi, les gens ont changé. Certaines personnes ont rejoint Magma parce qu’ils nous connaissaient, des musiciens cherchaient à intégrer Magma pendant un temps, soit pour apprendre des choses, soit pour l’expérience, et puis ensuite ils partaient. Mais ce qui a usé les gens, c’est la fatigue des tournées, ce genre de choses. C’était fatigant et exténuant pour les musiciens.

On espère toujours, lorsqu’on travaille avec des musiciens extraordinaires, que cela va durer pour toujours. C’est un rêve de jeunesse de penser que quand on commence quelque chose ensemble, cela durera des années. Mais finalement, on perd du temps parce que l’on ne communique plus, et cela devient comme les histoires de familles, lorsque les gens n’osent pas dire ce qu’ils pensent. Mais avec un groupe comme celui que j’ai maintenant, je me dis que j’ai de quoi rattraper le temps perdu (rires).

R : Pour revenir à ce que vous disiez sur les années 60, le côté Peace and Love et tout ça, Magma et la mythologie que vous avez créé étaient-ils une réaction à cela ?

CV : Oui, peut-être qu’il s’agissait de réaction, je pense que c’était naturel. Je n’étais pas du même monde parce qu’à l’époque, les gens écoutaient soit du rock, soit du jazz, soit de la musique classique – d’accord Miles Davis disait qu’il écoutait Debussy ainsi que quantité d’autres choses – mais les musiciens de rock étaient plus sectaires. Peut-être pas autant en Angleterre ou aux Etats-Unis mais en France, c’était terrible.

J’ai une anecdote : j’ai un ami qui m’avait fait écouter Eric Clapton – qui est bien sûr un super guitariste - à l’époque où j’étais vraiment dans John Coltrane et je lui ai dit : « Oui c’est bien mais après dix minutes, j’ai vraiment envie de revenir à John ». Et j’ai essayé de lui faire écouter John Coltrane et il a dit que c’était « trop compliqué, trop intellectuel ». Ensuite, des années plus tard, je ne sais plus si c’était au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, j’ai eu l’opportunité de parler avec Eric Clapton . Je lui ai demandé ce qu’il écoutait à cette époque et il m’a répondu : « Moi ? Coltrane. » (rires)

Voilà, c’était la situation en France – il ne se passait rien, ça manquait de nerfs. Et j’ai pensé qu’en arrivant au milieu de ça, j’allais remuer tout ça. Que j’allais tout exploser. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Des gens nous posaient des questions (prenant un ton dédaigneux) : « Pourquoi vous habillez-vous en noir ? ». Tout sauf des questions sur la musique. Alors que pour moi, le noir représente le silence en un sens, la méditation. Et il y avait très peu de lumière sur scène, je ne voulais pas être aveuglé par les effets. Il y avait juste deux projecteurs, un vert pour la première partie du concert, un rouge pour la seconde. Ou l’inverse (rires). Et c’est tout.

 


Dans cette seconde et dernière partie de notre interview avec Christian Vander, le fondateur du légendaire Magma parle du Kobaïen, le langage qu’il a inventé, des musiciens avec qui il joue de nos jours, et de comment il a rencontré sa femme et compagne de route, Stella.

Rockfort : L’idée d’un groupe créant sa propre mythologie, et son propre langage, le Kobaïen, le tout de manière très sérieuse, est une idée difficilement compréhensible pour certains de nos jours…

CV : Les gens ne comprennent pas le Kobaïen, point final. Mais, vous savez, s’ils écoutent un opéra en russe, ils ne vont pas nécessairement comprendre non plus. En fait, c’était difficile de chanter en anglais quand nous avons commencé Magma, et les sons de la langue anglaise n’étaient pas forcément adaptés à cette musique. Lorsque j’écrivais, les sons venaient naturellement : je n’ai pas intellectualisé le processus en pensant : « D’accord, maintenant je vais écrire des mots dans un langage particulier ». C’était vraiment les sons qui venaient en même temps que la musique. Et souvent, ils exprimaient plus que si je les avaient traduits.

C’est Marvin Gaye, ou quelqu’un de l’équipe de la Motown, qui a dit : « Vous savez, les mots que nous chantions n’étaient pas très importants. « je t’aime bébé » ou ce genre de choses. Ce qui nous a attirés dans cette musique était spirituel ». En fait, il écoutait ça comme nous l’écoutions, parce que nous ne comprenions pas l’anglais, ou en tous cas pas comme Marvin Gaye ! Mais nous l’avons entendu, nous entendions la spiritualité dans sa musique. Et c’est ce qui nous a accrochés. Les mots sont compliqués : beaucoup de choses ont déjà été dites, que ce soit à propos de l’amour, la vie, de la philosophie ou quoique ce soit d’autre.

R : Alors comment le Kobaïen a-t-il été accueilli en France, un pays où les paroles des chansons sont prises avec beaucoup de considération ?

CV : Pas trop mal… Plutôt bien en fait. Ce qu’ils ne comprenaient pas, c’était notre attitude – nous ne nous habillions pas pareil, nous n’étions pas ancrés dans cette période. Nous avons traversé cette période mais nous n’étions pas emprisonnés dedans, et je pense que ça dérangeait les gens. C’est important de ne pas rester ancré dans une période particulière… parce que c’est ce que les gens veulent. On me demande toujours de jouer Mekanik Kommandoh, de continuer à faire la même chose.

R : Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de monter un groupe parallèle, Offering ?

CV : C’est difficile à analyse comme ça, mais je pense qu’à un moment, j’ai eu besoin de faire de la musique qui soit plus improvisée que celle de Magma – Magma étant très structuré. J’avais aussi besoin de chanter, de travailler le chant, et c’était plutôt difficile à commencer. Quand on chante à la maison, même si on chante trois ou quatre heures de rang jusqu’à en perdre la voix, on n’est pas nécessairement obligé de chanter à nouveau le lendemain. Le répertoire d’ Offering faisait de deux à trois heures, et parfois, sur scène, je perdais ma voix au bout de dix minutes. J’ai donc vraiment développé certaines idées et appris à placer ma voix dans une rythmique. Au début, je chantais comme un batteur et certaines notes étaient… bon, vous voyez ce que je veux dire ! (rires).

R : A votre avis, qu’est ce qui attire les jeunes auditeurs dans Magma ?

CV : Je pense que c’est une énergie et, peut-être pas un son car il s’agit de musique créée avec des instruments conventionnels et classiques, mais une atmosphère et une énergie qu’il ne trouve pas ailleurs. Ca leur donne de l’espoir de voir qu’il existe toujours des gens qui explorent, malgré ce qu’on leur dit de faire ou ce qu’on leur dit d’aimer. Nous avons remarqué qu’ici en Angleterre, le public est plus âgé alors qu’en France, c’est un public très largement composé de jeunes de 14, 15, 17 ans.

R : Que pensez-vous des groupes influencés par Magma ou par le son de Magma ?

CV : Si quelqu’un utilise quelque chose du son de Magma, alors il ne fera rien de nouveau. Peut-être qu’en s’inspirant de Françoise Hardy, ce serait possible de faire quelque chose de nouveau ! (rires) Pour moi, il y a la musique dans laquelle il y a une certaine vibration, un espace rythmique entre les sons qui signifie que cette musique est vivante. C’est rythme, et la manière d’utiliser le rythme dans l’espace, qui fait que quelqu’un a une approche fraîche. Et je pense que de ce point de vue, l’évolution de la musique est un peu lente. Les gens travaillent toujours de la même manière, avec la même approche rythmique. On peut appeler cela comme on veut et ajouter différents sons, j’entends ça et je me dis : « d’accord, on en est toujours là ».

R : Quand vous avez fondé le groupe, pensiez-vous que ça durera aussi longtemps ?

CV : Un jour, j’ai écrit « A vie, à mort, et après… » donc pour moi, il n’y a pas de souci. Ca pourrait durer 10, 20, 40 ans ou plus, pourquoi pas ? Si Magma s’arrête, ce sera parce que je serai parti.

R : Magma, c’est vous ?

CV : C’est moi… C’était un groupe mais c’est toujours moi… Mais j’attends toujours un musicien qui le sente, qui se sente prêt. Je recherche toujours des musiciens avec un esprit particulier, qui ne se contentent pas de jouer les mêmes vieilles choses.

R : Qu’est ce que le groupe de musiciens avec qui vous jouer vous apporte ? S’agit-t-il d’idées nouvelles et fraîches ?

CV : Bien, déjà, c’est important d’avoir des musiciens qui veulent travailler, et naturellement, ils doivent aussi avoir une certaine maîtrise technique. Plus c’est difficile, plus ils sont contents et plus il y a de travail, plus ils veulent travailler. C’est essentiel. C’est très stimulant. Il faut composer, être constamment concentré. Sur scène, rien ne peut dérailler. Mais je me dois d’être là pour eux aussi. S’ils sentaient qu’ils n’étaient là que pour m’assister, il n’y aurait pas d’échanges d’idées.

R : Jouer en live est-il plus important qu’enregistrer ?

CV : Enregistrer aide à confirmer certaines idées, mais la réaction sur scène est de loin plus importante car il faut vraiment être vivant. Au studio, on peut toujours recommencer. Sur scène, il faut vraiment être dans le présent. Evidemment, cela dépend du fait d’avoir un public bienveillant, il y a des concerts plus durs que d’autres… mais pour moi, c’est vraiment la vie. Je pourrais vivre sans enregistrements studio. D’accord, on doit reconnaître que grâce au studio, on a pu faire des choses comme ajouter des parties vocales, alors que sur scène il y en a 3. On peut en enregistrer 10 ou 15 pour que les gens puissent avoir une meilleure idée de la structure harmonique du morceau.

R : En parlant de voix, comment avez-vous rencontré votre épouse Stella, qui fait aussi partie du groupe ? Elle a commencé sa carrière de chanteuse populaire dans les années 60 mais avec des chansons qui tournaient en dérision le monde de la variété…

CV : Je sais qu’elle m’a rencontré avant que je ne la rencontre, c'est-à-dire… Je participais aux jams dans un club que Stella fréquentait régulièrement, et apparemment, un jour, j’ai cassé mon support de cymbale et tout le monde a dit à Stella « Vas la réparer pour lui ! ». Alors Stella est venue le réparer pour que je la voie et je ne l’ai pas remarquée, je ne l’ai même pas remerciée ! Et un jour nous nous sommes retrouvé au même endroit, où j’enregistrais, et elle m’a ramené en voiture, nous avons parlé et ça a commencé comme ça…

R : Elle vous poursuivait !

CV : On peut dire ça ! (rires) Mais elle cherchait autre chose. Elle avait déjà eu du succès dans la variété mais elle faisait déjà partie du cercle de musiciens parisiens. Elle a entendu parler de moi, ce batteur un peu fou, et ça l’a intriguée alors elle est venue me voir !

 

Zïha Bernard "Wurd" Hadjadj pour les liens

http://www.rockfort.info/content.aspx?cid=159&AspxAutoDetectCookieSupport=1

http://www.rockfort.info/content.aspx?cid=160

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